Les manifestations de la Grande marche du Retour ont commencé en mars 2018 le long de la clôture du périmètre de la bande de Gaza en protestation contre le siège imposé par Israël et appelant à la réalisation du droit au retour. Comme B’Tselem l’a documenté précédemment, la politique illégale en matière de tir qu’Israël applique contre ces manifestations, permettant aux soldats de tirer à balles réelles sur des manifestants non armés qui ne mettent personne en danger, a eu des résultats horribles : en plus des 200 Palestiniens qui ont été tués, à la fin du mois de janvier 2020 quelque 8 000 manifestants avaient été blessés par des balles réelles, dont 1 500 mineurs et 150 femmes. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de fin 2019, les médecins ont dû procéder à l’amputation de 155 manifestants, dont 30 mineurs. Vingt-sept manifestants sont paralysés à la suite de blessures à la colonne vertébrale.
Les blessures graves ne sont que le début d’un voyage tortueux qui comprend des traitements, des examens, des opérations chirurgicales et l’adaptation à une nouvelle réalité. Dans la bande de Gaza, la situation est encore plus compliquée : tout système de santé aurait du mal à faire face à un tel nombre de blessures, mais celui de Gaza est déjà paralysé par une pénurie de médicaments, de médecins, d’équipements et de formation professionnelle, en raison de la politique de siège israélienne. En conséquence, de nombreux blessés ne parviennent pas à recevoir le traitement médical dont ils ont besoin, ce qui, dans certains cas, aggrave leur état, surtout si l’on considère la pénurie de centres de réadaptation dans la bande de Gaza.
Un petit nombre de blessés parviennent à recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin en dehors de la bande de Gaza – dans des hôpitaux de Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), mais seulement dans les rares cas où ils parviennent à obtenir un permis d’entrée israélien, dont Israël a déclaré, au début des manifestations, qu’ils seraient accordés avec parcimonie. Selon les chiffres de l’OMS, du début des manifestations jusqu’à janvier 2019, 604 demandes de sortie de Gaza par le point de passage d’Erez pour des soins médicaux en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) ou en Israël ont été déposées. Seules 17% des demandes ont été approuvées, tandis que 83% étaient rejetées – directement ou en retardant l’envoi de la réponse. Dans d’autres cas, les blessés sont contraints de se rendre dans d’autres pays, comme l’Égypte ou la Turquie, parfois à leurs propres frais.
Fathi Abu M’awad, du camp de réfugiés de Jabalya, a raconté à Olfat al-Kurd, chercheur de terrain à B’Tselem, le jour où son petit-fils Muhammad, âgé de 15 ans, a été blessé :
« Quand le médecin m’a dit que Muhammad allait être paralysé à partir de la taille, j’étais en état de choc. Je suis sorti dans la cour de l’hôpital et j’ai éclaté en sanglots, surtout parce que Muhammad est mon premier petit-enfant et qu’il est très proche de moi. Quand ils l’ont emmené en chirurgie, j’ai pleuré et j’ai à peine pu lui dire au revoir. Je me suis tenu devant la porte et j’ai attendu que Muhammad sorte de l’opération, avec son père, mon fils Ramzi, qui se tenait à côté de moi et qui était profondément bouleversé pour son fils. Ce fut l’un des jours les plus difficiles de ma vie. »
Certains des blessés ont décrit comment ils ont été blessés, et les difficultés insupportables qu’ils ont dû affronter depuis lors, dans les témoignages qu’ils ont donnés aux chercheurs de terrain de B’Tselem à Gaza :
Muhammad a-Za’im, 26 ans, de Gaza City, blessé le 6 avril 2018:
Le 6 avril 2018, le deuxième vendredi des manifestations, Muhammad a-Za’im, propriétaire d’une papeterie, est venu à la manifestation qui avait lié à côté de la clôture du périmètre à l’est de la ville de Gaza. Vers 17 heures, des soldats ont tiré à balles réelles et l’ont touché aux deux jambes. Il a été évacué vers les tentes de premiers secours et de là vers l’hôpital a-Shifaa dans la ville de Gaza. Après avoir été soigné pendant 10 jours, a-Za’im a été transféré à l’hôpital arabe Istishari de Ramallah, où il était accompagné de son grand-père et où les médecins ont dû amputer sa jambe gauche.
Dans un témoignage qu’il a donné à Olfat al-Kurd, chercheur de terrain à B’Tselem, le 17 décembre 2019, il a parlé de sa vie depuis sa blessure :
« Quand j’ai découvert que j’avais été amputé de la jambe, j’étais en état de choc. Je suis jeune, au début de ma vie. Comment est-ce que je pouvais être amputé ? Après mon retour à la maison, j’ai dû subir un implant nerveux dans la jambe droite, des implants nerveux et osseux dans la jambe gauche, et d’autres traitements. J’ai redemandé à sortir pour me faire soigner à l’hôpital de Ramallah, mais on m’a toujours dit que ma demande était en cours d’examen. J’étais désespéré et frustré et je refusais de recevoir un traitement dans la bande de Gaza parce que j’avais peur qu’ils ne causent des dommages à ma jambe. En octobre, je me suis rendu en Égypte avec mon père pour me faire opérer et recevoir une prothèse pour ma jambe gauche, et j’y suis resté pendant neuf mois. J’ai dû payer moi-même à la fois le voyage et la prothèse. Maintenant, j’ai besoin d’une autre opération à la jambe gauche.
Maintenant, je suis dans un mauvais état psychologique. Je passe la journée à dormir ou devant l’ordinateur. Je n’ai pas envie de voir des gens et je ne vois pas beaucoup mes amis.
J’ai l’impression d’être un gros fardeau pour ma famille, et surtout pour ma mère, qui prend soin de moi et ne quitte pas beaucoup la maison pour rester avec moi. Parfois, j’ai des crises de rage, je casse des choses dans la maison et j’ai l’impression d’étouffer.
Je ne peux plus conduire ma moto ou jouer au foot, comme avant. On m’a proposé de participer à des compétitions de natation et à des matchs de football organisés par une association pour la réhabilitation des personnes handicapées, mais j’ai refusé. Je ne veux pas que les gens aient pitié de moi. C’est pourquoi je ne sors pas trop de la maison avec mes béquilles pendant la journée, seulement la nuit, dans l’obscurité. Comme mon père a un problème cardiaque et ne peut pas travailler seul dans le magasin, nous avons dû le fermer. Peut-être qu’un jour j’irai à l’école, et je pense aussi au mariage et à fonder une famille.
La nuit, j’ai du mal à dormir à cause de la douleur, et je ne pense qu’à ma blessure et à mes traitements. Je ne peux m’endormir qu’après avoir pris des antidouleurs. La douleur s’aggrave en hiver à cause du froid. Parfois, je peux à peine supporter de regarder ma jambe artificielle et cela me déprime. Israël a détruit ma vie physiquement et mentalement.
Maintenant, je suis dans un mauvais état psychologique. Je passe la journée à dormir ou devant l’ordinateur. Je n’ai pas envie de voir des gens et je ne vois pas beaucoup mes amis. »
Jalal Abu Hayah, 39 ans, père de cinq enfants, de Abasan al-Kabirah, blessé le 14 mai 2018 :
Jalal Abu Hayah, un employé de la défense civile qui donnait les premiers soins lors des manifestations, est arrivé le lundi 14 mai 2018, vers 8 heures, à une manifestation près de la clôture du périmètre à l’est de la ville de ‘Abasan al-Jadidah. Vers 11 heures, un soldat lui a tiré dans le dos à balles réelles. Il a été évacué vers l’hôpital Nasser à Khan Yunis, où il a été déterminé que la balle l’avait touché à la colonne vertébrale. Il a ensuite été transféré à l’hôpital européen au sud de Khan Yunis pour l’extraction de la balle. Après l’opération, il est resté à l’hôpital pendant huit jours, puis a été transféré à l’hôpital de réhabilitation du Croissant Rouge à Khan Yunis, d’où il est sorti quatre semaines plus tard, paralysé à partir de la taille.
Dans un témoignage qu’il a donné à Khaled al-’Azayzeh, chercheur de terrain à B’Tselem, le 22 décembre 2019, il a déclaré :
« Après ma sortie de l’hôpital, j’étais en très mauvais état. Les médecins m’ont dit qu’il fallait me retourner dans mon lit toutes les deux heures pour éviter les escarres, et ma femme devait se lever tout le temps pour me retourner. C’était très douloureux. J’étais paralysé et je suis devenu un fardeau pour ma femme, et mon état psychologique était très mauvais. Je ne pensais qu’à lui faciliter les choses et j’ai décidé de construire un lit où je pourrais me retourner avec des leviers. Je l’ai construit avec mon fils Muhammad, 17 ans. Cela nous a pris sept mois et j’ai acheté toutes les pièces et les outils à mes frais. Quand j’ai commencé à utiliser le lit, je me suis calmé. Je n’avais plus besoin de l’aide de ma femme, juste d’un réveil. J’ai de très fortes douleurs dans la partie paralysée de mon corps, et je prends des antidouleurs que je dois acheter moi-même parce qu’ils ne sont pas disponibles dans les cliniques publiques.
Après un mois alité, j’ai commencé à me déplacer en fauteuil roulant. Mon hobby est de fabriquer des couteaux et des épées, et après ma blessure, j’ai décidé de fabriquer des épées à la maison et de les vendre pour gagner ma vie. Comme je ne peux pas utiliser une scie circulaire pour le métal, j’ai conçu un outil pour travailler le métal. Cela me donne beaucoup de satisfaction au travail et m’aide vraiment à fabriquer de bons produits.
Comme je suis en fauteuil roulant, j’ai beaucoup de difficultés à me déplacer. Nous avons des marches à l’entrée de la maison, alors j’ai construit un passage spécial pour entrer et sortir, mais je dépends toujours de quelqu’un pour me pousser sur la rampe d’accès à la porte. Comme il est difficile de se déplacer, je ne sors pas beaucoup de la maison. Chaque fois que je veux rendre visite à quelqu’un chez lui, je demande d’abord s’il y a des escaliers dans le bâtiment. Je ne vais pas souvent à des rencontres sociales pour ne pas être un fardeau pour les gens, et aussi parce que le fait de me déplacer d’un endroit à l’autre me fait souffrir.
Je reçois toujours une partie de mon salaire de la défense civile et je bénéficie également de l’aide d’une ONG qatarie. Avant d’être blessé, j’ai parfois travaillé comme plâtrier, mais maintenant je ne peux plus. Mon état nuit évidemment à mes revenus et à la subsistance de ma famille. »
Ahmad al-Khudari, 21 ans, de Gaza City, blessé le 1er mars 2019 :
Ahmad al-Khudari, qui était un ouvrier du bâtiment, est arrivé le vendredi 1er mars 2019, vers 15h30, à une manifestation près de la clôture à l’est de la ville de Gaza. Environ une heure plus tard, un soldat lui a tiré à balles réelles dans la jambe droite. Il a été évacué vers la tente de premiers secours et de là vers l’hôpital a-Shifaa dans la ville de Gaza. Deux jours plus tard, les médecins lui ont amputé la jambe en dessous du genou, et il est sorti de l’hôpital une semaine plus tard.
Dans un témoignage qu’il a donné à Olfat al-Kurd, chercheur de terrain à B’Tselem, le 16 décembre 2019, il a parlé de sa vie depuis sa blessure :
« Après l’amputation, j’ai traversé une période difficile sur le plan psychologique. Je ressentais une profonde tristesse et un grand sentiment d’impuissance. Les gens me regardaient avec pitié à cause de mon état et je pleurais en regardant les gens marcher normalement. J’avais l’impression que mon esprit était brisé.
Avant l’amputation, je travaillais comme ouvrier du bâtiment et j’aidais mon père à subvenir aux besoins de la famille. Je jouais au football et je nageais dans la mer. Maintenant, j’utilise des béquilles et je ne peux plus travailler dans la construction. Il y a environ huit mois, j’ai rejoint un groupe de réadaptation psychologique et nous faisons des excursions et du sport ensemble. J’y vais presque tous les jours de la semaine. J’essaie de me retrouver en reprenant mes loisirs, mais c’est difficile : je suis amputé et je joue au football, et cela ne peut pas être au niveau de quelqu’un qui a deux jambes. J’ai aussi essayé de nager dans la mer, et j’ai réussi. Je ne veux pas que les gens aient pitié de moi et je défie mon handicap. J’essaie de me débrouiller sans aide dans la douche et de me faire à manger. C’est dur, mais je n’abandonne pas.
J’ai l’impression que les enfants de la rue et du quartier ont peur de moi à cause de ma jambe amputée et cela me dérange. Quand mes deux sœurs, Layan, 7 ans, et Lama, 6 ans, ont vu mon moignon pour la première fois, elles ont eu peur et se sont enfuies. Cela m’a profondément blessé. Peu à peu, je me suis rapproché d’elles et je les ai aidées à ne pas avoir peur de moi.
Je suis un jeune homme au début de ma vie, et j’ai peur de ne trouver personne pour m’épouser. J’y pense tout le temps. J’aimais travailler et maintenant je ne peux plus. Dernièrement, je suis allé à l’hôpital pour m’habituer à la prothèse que je dois recevoir la semaine prochaine. J’espère qu’elle me conviendra et qu’elle ne posera pas de problème. Même si l’idée d’avoir une prothèse est très difficile pour moi, j’espère que je l’aurai et que les gens cesseront d’avoir pitié de moi. »
Muhammad Abu M’awad, 15 ans, du camp de réfugiés de Jabalya, blessé le 3 mai 2019 :
Muhammad Abu M’awad, étudiant dans une école professionnelle de couture, est arrivé le vendredi 3 mai 2019, vers 14h30, à une manifestation près de la clôture à l’est du camp de réfugiés, et vers 19h, il a reçu une balle dans la poitrine tirée par un soldat. Il a été évacué vers l’hôpital indonésien situé à côté du camp de réfugiés, et de là, en raison de la gravité de sa blessure, vers l’hôpital a-Shifaa de la ville de Gaza, où il a subi une opération pour retirer la balle et a été diagnostiqué comme paraplégique. Dix jours plus tard, Abu M’awad a été transféré à l’hôpital de réhabilitation Hamad de la ville de Gaza, d’où il est sorti un mois plus tard.
Dans un témoignage qu’il a donné le 12 décembre 2019 à Olfat al-Kurd, chercheur de terrain à B’Tselem, il a décrit ce qu’il a vécu :
« Avant ma blessure, j’étudiais la couture dans une école professionnelle et j’étais à peine à la maison : je faisais du vélo, je jouais au foot avec mes amis, j’allais jouer à des jeux vidéo et je faisais des courses au marché pour ma famille. Ma vie était bien remplie et j’étais heureux. Maintenant, je suis confiné à la maison et dans un lit de soin spécial, et je ne fais que jouer sur mon téléphone ou regarder des vidéos. Je ne vais plus à l’école, je ne fais pas de vélo et je ne joue pas avec mes amis. Tout cela m’a été enlevé.
Quand je vois les enfants du camp jouer, et que je les entends heureux et se crier dessus, cela me manque d’être avec eux. Je m’apitoie sur mon sort, j’ai des crises, je casse des choses et je pleure.
Nous sommes une famille pauvre : mon père n’a pas de travail et nous sommes huit. Nous louons un appartement dans un logement public dans le camp de réfugiés de Jabalya.
J’espérais travailler comme tailleur et aider mon père à élever mes frères et sœurs, mais maintenant je suis paralysé et je ne peux rien faire.
J’ai des escarres très douloureuses, et deux fois par semaine, quelqu’un vient d’une organisation pour changer mes pansements. Je souffre également d’anémie, alors je me rends à l’hôpital indonésien pour recevoir des unités de sang.
Je veux vraiment me faire opérer en dehors de la bande de Gaza pour pouvoir recommencer à marcher, retrouver la vie normale que j’avais avant et les jeux auxquels je jouais. »
Le grand-père de Muhammad, Fathi Abu M’awad, 62 ans, marié et père de neuf enfants, a décrit l’état de son petit-fils dans un témoignage qu’il a donné le 15 janvier 2020 à Olfat al-Kurd, chercheur de terrain à B’Tselem :
« Quand le médecin m’a dit que Muhammad allait être paralysé à partir de la taille, j’étais en état de choc. Je suis sortie dans la cour de l’hôpital et j’ai éclaté en sanglots, surtout parce que Muhammad est mon premier petit-enfant et qu’il est très proche de moi. Quand ils l’ont emmené en chirurgie, j’ai pleuré et j’ai à peine pu lui dire au revoir. Je me suis tenu devant la porte et j’ai attendu que Muhammad sorte de l’opération, avec son père, mon fils Ramzi, qui se tenait à côté de moi et qui était profondément bouleversé pour son fils. Ce fut l’un des jours les plus difficiles de ma vie.
Pendant son hospitalisation, Muhammad n’a cessé de me poser des questions : « Est-ce que je pourrai marcher ? » Et je n’arrêtais pas de lui dire : « Oui, mais tu vas devoir prendre des médicaments. » Je ne pouvais pas lui dire la vérité sur son état. Je n’arrêtais pas de lui dire qu’il irait bien. Mais quand je l’aidais à bouger son corps à droite et à gauche, ou que je lui mettais une couche parce qu’il était incontinent, Muhammad me disait : « Je ne sens pas la moitié inférieure de mon corps ».
Parfois, Muhammad essayait de sortir du lit et réalisait soudainement qu’il ne pouvait pas. Cela le rendait très triste et déprimé. Dans ces moments-là, je sortais de sa chambre et j’éclatais en sanglots.
Après dix jours, Muhammad a été transféré à l’hôpital Hamad à Gaza pour un mois de réhabilitation, seul. Nous ne pouvions venir que pendant les heures de visite. La nuit, il m’appelait pour me dire : « J’ai peur. Pourquoi m’ont-ils mis dans cet hôpital ? » Et je le rassurais en lui disant « Tu dois te faire soigner et aller mieux, Muhammad, pour pouvoir marcher. » Mais il disait : « Tu mens, grand-père. Personne ne veut de moi, personne ne m’aime. Si tu m’aimais, tu ne m’aurais pas laissé seul à l’hôpital. J’en ai assez, je déteste l’hôpital.
Depuis que Muhammad a été blessé, il souffre de crises de rage, il lance et casse des objets lorsqu’il est dans un état de douleur intense. Il reste au lit et ne sort qu’occasionnellement en fauteuil roulant pour aller au camp et rencontrer des amis. Je vois la tristesse dans ses yeux lorsque ses amis jouent alors qu’il est assis dans son fauteuil roulant.
Ses parents et moi sommes tout le temps à ses côtés. La mère de Muhammad est malade psychologiquement, elle souffre de SPT depuis la guerre de 2014. Pour fonctionner et prendre soin de sa famille, elle prend des médicaments. Mon fils, Ramzi, ne travaille pas et reçoit une allocation de 1 800 shekels du ministère de l’aide sociale tous les cinq ou six mois. C’est une famille de huit personnes et la situation est très difficile. Surtout depuis la blessure de Muhammad, car il a besoin de médicaments, de couches et de nourriture. En hiver, ils souffrent beaucoup parce que la pluie pénètre dans leur maison par le toit.
Je prie Dieu pour que Muhammad aille mieux. Il a besoin de beaucoup de traitements et de soins. Le ministère de la santé a refusé de le laisser partir à l’étranger pour une opération comme il le souhaitait, car ils pensent que cela ne sert à rien. Je fais ce que je peux, et je resterai à ses côtés, je lui donnerai tout ce que je peux, et j’essaierai de le rendre heureux. »
Nazih Qdeih, 39 ans, de ‘Abasan al-Kabirah, blessée le 14 mai 2018 :
Nazih Qdeih, une agricultrice, est arrivée le lundi 14 mai 2018, vers 10 heures, pour une manifestation près de la clôture à l’est de la ville de Khuza’ah. Six heures plus tard, vers 16 heures, Qdeih a reçu une balle réelle dans la jambe droite et a été évacuée vers les tentes de premiers secours, et de là vers l’hôpital européen au sud de Khan Yunis, où les médecins lui ont amputé la jambe.
Dans un témoignage qu’elle a donné à Olfat al-Kurd, chercheur de terrain de B’Tselem, le 12 janvier 2020, elle a déclaré :
« Après avoir terminé le lycée, je suis allé travailler sur les terres de ma famille et de nos voisins. Je cultivais des légumes, labourait la terre et récoltait le blé. J’aidais aussi ma famille à récolter les olives chaque année. J’aimais l’agriculture. Je sortais de chez moi le matin et je revenais le soir. J’étais heureuse de subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Mes parents sont âgés, et mon frère, Suhayb, 34 ans, a également été blessé lors de la Marche du retour et a été amputé de la jambe. Il est marié et a quatre garçons et deux filles.
Depuis que j’ai été blessée, ma vie est détruite. Je suis au chômage, je suis à la maison toute la journée et je ne peux presque rien faire. Je passe la plupart du temps à dormir. Mon esprit est fatigué. Je pleure tout le temps, j’ai mal à la tête et à la jambe. J’ai une prothèse de jambe, mais elle m’irrite et je ne l’utilise pas. Comme je vis seule avec mes parents âgés, quand je veux faire quelque chose, comme nettoyer la maison, je dois ramper sur le sol, mais c’est très fatigant. Parfois, par exemple quand je fais la vaisselle, je me tiens debout sur mon pied gauche, mais c’est aussi très fatigant.
Quand je vois mes amis et mes voisins aller dans leurs champs, ou ma famille aller récolter des olives, j’aimerais pouvoir être avec eux, labourer la terre et cultiver. Je pleure et je me sens envahie par la tristesse. Les réunions, la joie et la bonne ambiance de la récolte du blé et de l’orge dans nos champs me manquent.
Quand je vois les filles marcher dans la rue en talons hauts, avec de beaux vêtements, ça me brise le cœur. Je coupe les liens sociaux avec ma famille et mes voisins, et je n’assiste pas à beaucoup d’événements familiaux. Quand je sors de la maison, ça me fatigue et je n’aime pas que les gens me voient ainsi. Ma vie est devenue sombre. Chaque jour, elle devient plus difficile. Je n’ai pas d’avenir.
Je pense que je suis la seule femme à avoir été amputée de la jambe pendant la Marche du retour. J’espère vraiment que j’aurai un fauteuil roulant, parce que maintenant je ne peux plus sortir de la maison et subvenir à mes besoins. »
Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine
Source : B’Tselem