Témoignage #1 de Palestine sur le COVID-19, le confinement et l’entraide: Ashraf Ashkar, St-Paul, Minnesota IJV (Voix Juives Indépendantes) Canada, le 19 mars 2020

19 mars 2020, IJV (Voix Juives Indépendantes) Canada

Dans les quelques prochains jours, IJV enverra une série de témoignages de la part de Palestiniens et de militants de la solidarité avec la Palestine qui évoquent la vie sous la pandémie du COVID-19. Alors que le monde est aux prises avec cette éruption, et alors que nous organisons l’entraide et la solidarité dans de nombreuses villes, nous devons garder la Palestine à l’esprit et dans nos coeurs.

Nous pouvons nous inspirer et tirer des leçons importantes d’expériences tirées de la vie des Palestiniens sous couvre-feu militaire, siège et restrictions de déplacement. Loin de tracer une équation entre confinement et occupation, nous espérons apprendre des stratégies utilisées depuis des décennies par les Palestiniens et entendre leur conseil au monde en ces temps difficiles.

Maintenant plus que jamais, la Palestine doit être libre. Le siège brutal de Gaza et l’occupation incessante de la Cisjordanie sont des poudrières pour le Coronavirus. L’aide médicale doit arriver, les gens doivent avoir accès au dépistage et Israël doit mettre fin à ses restrictions quotidiennes sur la vie des Palestiniens.

Nous démarrons nos dépêches avec Ashraf Ashkar. Ashraf est originaire de Seida, petit village palestinien de la région de Tulkarem en Cisjordanie. Depuis 3ans, il vit à St-Paul, Minnesota. Il travaille actuellement pour la YMCA de St-Paul à des programmes pour les jeunes défavorisés de la ville.

Seida, en rouge sur la carte

« J’ai un fils de 9 ans maintenant et nous avons eu des conversations sur la Palestine et le Coronavirus, surtout depuis que son école a fermé hier pou les deux prochaines semaines. Nous avons discuté à propos de quoi faire à la maison. »

« Hier, je lui parlais de la façon dont les impacts du Coronavirus sur le fait de ne pas pouvoir aller au travail ou à l’école me rappelait l’époque où, enfant, je vivais chez moi en Palestine. Il nous arrivait de ne pas aller à l’école à cause d’un couvre-feu ou d’une invasion militaire. Et quand j’étais enfant, j’aimais vraiment ça – ne pas aller à l’école, bien que ce soit dû à une invasion de l’armée. Ce n’est que plus tard que j’ai appris que c’était quelque chose de terrible. Alors mon fils m’a dit qu’il était très excité à l’idée de ne pas aller à l’école, mais que c’était par ailleurs embêtant qu’il y ait ce virus et que les gens en soient atteints. C’était intéressant de comparer mes expériences d’enfant en Palestine avec l’expérience de mon fils avec le Coronavirus. »

J’ai demandé à Ashraf s’il pouvait calculer combien de temps dans sa vie il s’était retrouvé sous couvre-feu militaire israélien. Il a dit qu’il ne pouvait pas.

Dans le cas de Naplouse, en 2002, ça a duré 3 mois.

« Ce matin, je faisais partie d’un tournage sur une station de la télé palestinienne, et ils parlaient du virus, recevant des appels d’enfants et leur parlant de ce qu’ils pouvaient faire chez eux – des jeux pour lire et apprendre de nouveaux mots, etc. Et l’animatrice de l’émission a dit une chose qui a réellement retenu mon attention : elle a dit qu’en Palestine, nous devons affronter tant de défis, et le plus grand défi, c’est l’occupation. Le virus n’est qu’un petit problème, et nous pouvons le surmonter parce que nous sommes résilients aux atrocités et aux changements de vie. Nous pouvons y arriver. »

Ahraf et moi nous sommes rencontrés pour la première fois pendant l’hiver 2005 à l’occasion d’un couvre-feu militaire. Je m’étais engagé là dans un travail d’accompagnement avec le Mouvement de Solidarité Internationale (ISM). Je lui ai demandé comment les Palestiniens s’en sortaient à ce moment là.

« Ce couvre-feu à Seida a duré plusieurs jours. J’étais alors au collège, en dehors du village. Je suis allé chez moi voir ma famille, bien que sachant qu’il y avait un couvre-feu. Je ne me souviens plus pourquoi, mais je voulais simplement vraiment aller chez moi. Et il y avait un checkpoint militaire à l’entrée de mon village. Ils nous ont arrêtés et j’ai dû parler à un soldat et lui expliquer que j’étais de ce village et que par conséquent, ils devraient me laisser entrer. Mais ils ont refusé. J’ai donc dû m’infiltrer en douce. »

« Je suis arrivé jusqu’à la maison de mes parents et j’ai commencé à travailler avec le maire à un plan de distribution de nourriture. Nous subissions une grave pénurie alimentaire parce que nos provisions arrivaient à épuisement. C’est un petit village avec seulement quelques boutiques qui ne peuvent pas fournir toute l’alimentation nécessaire à un village entier, même pour quelques jours. »

Des résidents de Seida se retrouvent devant la mairie pendant un répit temporaire du couvre-feu pour organiser la distribution de nourriture. Photo Aaron Lakoff

« Le maire voulait vraiment aider les familles qui ne pouvaient sortir de chez elles à cause du couvre-feu. Alors, ce que j’ai fait, ce fut d’organiser la coordination avec les boutiques, leur disant quelles familles avaient besoin de pain, de lait, ou d’autres aliments. Alors, les boutiques préparaient les commandes et je leur disais quand je passerais. Et alors, je sortais pour récupérer la nourriture, mais je devais passer par des ruelles, ou sauter de toit en toit pour arriver jusqu’aux familles. »

A cette époque aussi, le village fonctionnait avec des générateurs électriques. Il y avait un site principal de production pour alimenter tout Seida, et il fallait en assurer la maintenance. Une personne était en charge de son bon fonctionnement, et le courant a été coupé pendant au moins une nuit. Cet électricien était chez lui, et il était terrifié à l’idée de sortir parce qu’il y avait une tour de guet à côté de chez lui et les soldats occupaient la maison de son voisin. Alors je suis allé chez lui, j’ai pris la clef, j’ai ouvert le générateur électrique et l’ai redémarré. »

Un commerçant et sa famille dans leur boutique rideau baissé préparant les commandes pour les familles. Photo : Aaron Lakoff

« Je pense réellement que le virus n’est qu’un tout petit défi comparé aux défis que nous avons affrontés en Palestine. Ce que nous avons vécu en Palestine, depuis les arrestations et les assassinats, jusqu’au vol de la terre et au contrôle de notre vie en général – tout est complètement et entièrement contrôlé par l’armée israélienne et le droit militaire. Ces défis sont bien plus grands, et ils nous ont beaucoup appris. »

« Même aujourd’hui avec le Coronavirus, je n’ai pas peur. Que pourrait-il arriver ? J’ai vu le pire. Ce n’est qu’un virus. Prenez les mesures essentielles, faites encore plus attention, et tout ira bien. Vous n’avez pas besoin de vous affoler. Si vous paniquez, ce pourrait être pire. »

Ashraf Ashkar

J’ai demandé à Ashraf ce qu’il conseillait aux gens qui font face actuellement à différents niveaux de confinement ou de quarantaine. Voici sa réponse :

« C’est tout à fait simple : Prenez une profonde respiration, réfléchissez rationnellement. Pensez intelligemment à ce que vous pouvez faire pour prendre soin de vous, et pensez aussi aux autres : les personnes âgées, les parents isolés, les familles qui ne peuvent travailler depuis chez elles. N’achetez que ce qui vous êtes strictement nécessaire. Faites attention à ce que vous faites et n’oubliez pas que cela nous affecte tous, pas juste une personne. Essayez de ne pas paniquer. Ce n’est qu’un virus. Nous nous en sortirons. »

Par Aaron Lakoff, responsable communication et média pour IJV

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : IJV Canada

Retour haut de page