Par Alice Rothchild, 26 mars 2020
L’annonce de 9 cas de COVID-19 confirmés à Gaza m’a remplie encore plus d’anxiété et de désespoir. Gaza est au début de la courbe de propagation de la pandémie. Avec deux millions de personnes entassées dans une zone de 10 km sur 40, dont 70 % sont des réfugiés, avec 97 % de l’eau contaminée et impropre à la consommation, les mesures de base visant à prévenir la propagation du virus s’avéreront difficiles. Avec un taux de chômage supérieur à 50 % et un manque d’approvisionnement dû aux restrictions sur l’importation de biens, il est déjà tout à fait impossible pour les familles de faire des réserves en produits de première nécessité et de se protéger, sans parler de conserver une distance sociale.
Alors que je me réfugie dans ma première quarantaine mondiale (avec une nourriture adéquate, de l’électricité, de l’eau propre, une maison et des appels téléphoniques d’amis anxieux), les populations plus vulnérables ont un pronostic beaucoup plus dangereux. Les groupes qui ne disposent pas d’eau propre et de produits d’hygiène, qui ne peuvent pas conserver une distance avec les personnes qui les entourent et qui ne disposent pas d’un système de santé fonctionnel, sont confrontés à des taux de maladie et de mortalité beaucoup plus élevés. Avec des évaluations de santé publique compétentes et honnêtes, des tests et de l’information à grande échelle, ainsi qu’avec un soutien financier stratégique, ces résultats peuvent être atténués et éventuellement améliorés.
Bien entendu, nos institutions sanitaires et agences gouvernementales américaines, insuffisamment organisées et financées, sont rapidement confrontées à ce que l’on ne peut qu’appeler des défis du tiers monde (manque de kits de test, de tampons, de masques, d’équipements de protection individuelle, de respirateurs, de personnel non infecté). Cette situation n’est qu’aggravée par nos dirigeants nationaux trompeurs et incompétents, à l’exception notable du directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, le Dr Anthony Fauci, d’autres scientifiques réputés, et des travailleurs de la santé et des services d’urgence. (Et de tous ceux qui travaillent pour s’assurer que nous sommes nourris).
Si les populations les plus vulnérables peuvent facilement être définies par la pauvreté et le manque de ressources dont elles souffrent, il y a parmi elles un large éventail de catégories, allant des prisonniers, des demandeurs d’asile à la frontière et dans les centres de détention, aux réfugiés vivant dans des camps surpeuplés, aux personnes vivant dans des territoires occupés en état de siège comme Gaza et dans des pays soumis à des sanctions internationales comme l’Iran.
Des appels de plus en plus forts sont lancés pour que des personnes soient libérées des prisons et des centres de détention, dont toutes celles qui attendent leur procès, sont détenues pour des délits mineurs ou sont piégées dans le cauchemar de l’immigration – pour leur propre sécurité et pour celle de leurs gardiens. Les voix sont moins nombreuses à l’échelle internationale. Nous savons ce qu’il advient de la santé des populations soumises à des sanctions écrasantes. L’embargo financier et commercial quasi total imposé à l’Irak depuis 1990 a entraîné des taux élevés de malnutrition et de mortalité, un manque de fournitures médicales et l’effondrement de nombreuses installations modernes. Certains universitaires et travailleurs humanitaires internationaux ont comparé cela à un crime contre l’humanité ou à un génocide – et cela sans qu’il y ait de pandémie. Les taux de corruption ont explosé alors que les Irakiens se battaient pour survivre et que la société se désagrégeait en factions sectaires, avec un gouvernement affaibli et des infrastructures et soutiens sociaux défaillants.
Lorsque nous examinons la situation actuelle en Iran, les chiffres du 25 mars indiquent que plus de 27 000 personnes ont été infectées et plus de 2 000 sont mortes, bien que de nombreux experts estiment que ces chiffres sont largement sous-estimés. Après le retrait de M. Trump de l’accord nucléaire international en 2018, les sanctions des États-Unis ont plongé l’économie iranienne dans une profonde récession, avec une inflation croissante, une hausse vertigineuse du prix des denrées alimentaires, une diminution de l’accès aux médicaments et même une pénurie de médicaments et d’équipements médicaux essentiels, ainsi que des pressions financières massives sur le système de couverture médicale quasi universelle.
Gaza souffre d’un siège de treize ans, d’un système de santé à peine fonctionnel soumis à des attaques militaires répétées et d’une incapacité à obtenir du matériel de reconstruction adéquat, d’une infrastructure civile détruite, d’une déficience de l’élimination des déchets et de pénuries d’électricité et de carburant. Les habitants de Gaza sont également particulièrement vulnérables en raison de la baisse de leur niveau de santé du fait de la pauvreté et de soins de santé inférieurs aux normes. L’Organisation mondiale de la santé a averti qu’un grand nombre de patients COVID-19 provoquerait un « effondrement » du système de santé de Gaza.
Il est clair que nous vivons une période de grande urgence et qu’il est nécessaire de penser à l’avenir, au niveau mondial. Pour survivre en tant que planète, nous devons prendre soin les uns des autres, c’est aussi simple que cela.
Si les théories du complot, l’incompétence et la suffisance sont omniprésentes (ce n’est pas un « virus de Wuhan » ou une « arme biologique »), ce n’est pas le moment d’écouter des conseils racistes, xénophobes ou de libéralisme économique. Ce virus ne connaît pas de frontières et les responsables doivent écouter et partager les données scientifiques, prendre conseil auprès d’autres pays, mobiliser les industries pour produire les produits dont nous avons besoin et planifier à l’échelle internationale des moyens de limiter la propagation du virus et de distribuer les ressources nécessaires.
Il est essentiel pour cela de lever les sanctions contre l’Iran et le siège de Gaza au nom de l’humanité et de la décence. Ceci n’est pas une guerre, c’est une urgence médicale et de santé publique à l’échelle mondiale.
Alice Rothchild est médecin, auteure et cinéaste. Depuis 1997, elle s’intéresse aux droits de l’homme et à la justice sociale dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Elle a pratiqué la gynécologie-obstétrique pendant près de 40 ans. Jusqu’à sa retraite, elle a été professeure adjointe d’obstétrique et de gynécologie à la Harvard Medical School. Elle écrit et donne de nombreuses conférences, est l’auteure de Broken Promises, Broken Dreams : Stories of Jewish and Palestinian Trauma and Resilience, On the Brink : Israel and Palestine on the Eve of the 2014 Gaza Invasion, and Condition Critical : Life and Death in Israel/Palestine. Elle a réalisé un film documentaire, Voices Across the Divide, et est active au sein de l’organisation Jewish Voice for Peace. Suivez la sur @alicerothchild.
Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss