Les USA et Israël font équipe afin de contrecarrer les investigations sur les crimes de guerre

Par Maureen Clare Murphy, 14 avril 2020

Le procureur en chef de la CPI a recommandé que les investigations sur les crimes de guerre en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, se réalisent. Ahmad Al-Bazz ActiveStills

Les menaces du Secrétariat d’État américain de sanctionner deux employés qui travaillent pour le procureur en chef de la Cour Pénale Internationale et leurs familles, le mois dernier, ont  été la première salve d’une nouvelle guerre USA-Israël contre l’institution judiciaire de La Haye.

Les deux États sont face au spectre embarrassant d’investigations de la Cour sur des crimes de guerre – un défi sans précédent à leur impunité. En réponse, ils visent à affaiblir la Cour en l’empêchant d’exercer sa compétence dans des pays qui ne sont pas des États parties au Statut de Rome, le traité sur lequel la Cour a été fondée. 

Si Israël et les USA venaient à réussir, ce serait un coup significatif porté au mandat indépendant de la Cour et à l’objectif qu’elle soit un tribunal de dernier recours pour les victimes des plus grands agresseurs mondiaux contre les droits humains.

Leur cas repose principalement sur le fait incontesté que la CPI n’a pas la compétence universelle – ce qui veut dire que n’importe qui ne peut pas être traduit devant elle, en particulier ceux qui ne sont pas partie au Statut de Rome.

Les États Unis et Israël ne font pas partie des 123 membres de la CPI. Mais le Statut de Rome permet la poursuite d’États suspectés de crimes perpétrés dans des territoires sur lesquels la Cour est compétente.

L’Afghanistan – où le procureur en chef de la CPI a recommandé des investigations sur des crimes de guerre susceptibles de voir l’inculpation  de représentants officiels des USA – a accédé au Statut de Rome en 2003.

L’État de Palestine a accédé au Statut de Rome en janvier 2015, et accepté la juridiction de la Cour sur des suppositions de crimes commis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Mais l’État de Palestine n’est pas en mesure d’exercer la souveraineté sur ces territoires qui sont sous occupation militaire israélienne depuis leur conquête pendant la guerre de 1967. Israël rejette avec véhémence la juridiction de la Cour en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Un défi à la juridiction de la CPI

Les Palestiniens qui travaillent avec la Cour et des groupes de défense des droits humains disent que le statut de l’État de Palestine comme partie au Statut de Rome est une chose entendue pour ce qui est de la juridiction sur la Cisjordanie et la bande  de Gaza.

Mais, à cause de ce qu’elle appelle « des questions juridiques et factuelles uniques et fortement contestées eu égard à cette situation, soit le territoire dans lequel l’investigation peut être conduite », Fatou Bensouda, le procureur général de la CPI, a ouvert  au débat le champ de la compétence territoriale de la Cour. Elle a présenté une requête pour que un panel préliminaire de juges  se prononce en la matière, comme pré condition à une enquête en bonne et due forme.

L’application de la juridiction de la Cour sur des parties non étatiques a été rejetée par les USA, la seule superpuissance du monde, quand le Statut de Rome était en négociation, avant son adoption en 1998.

Israël, de son côté,  a voté contre le Statut de Rome parce qu’il inclut le transfert de populations en territoire occupé dans la liste « des crimes de guerre les plus haineux et graves ».

Le transfert par Israël de sa population civile dans des colonies de Cisjordanie est supposé être une première cible de toute enquête formelle que peut faire la CPI.

Avant que la pandémie de coronavirus ne suspende la conduite ordinaire des affaires, le sénateur américain Ted Cruz s’est employé activement à « recueillir du soutien à une résolution qui en appellerait au Conseil de Sécurité de l’ONU  pour empêcher la CPI de produire des accusations contre des gens appartenant à des États qui ne sont pas partie au traité qui en a la tutelle », ainsi que le rapporte le Daily Beast en mars.

« La résolution condamnerait aussi la Cour pour le fait de mener des investigations sur des soldats américains et des représentants officiels israéliens » a ajouté cette publication.

Cruz est dit avoir présenté sa stratégie dans une réunion privée dans le quartier de Capitol Hill avec le groupe de lobbying pour Israël, AIPAC, et avoir dit qu’il attendait un soutien à sa proposition de résolution de la part de la Russie et de la Chine, qui elles non plus ne sont pas partie au Statut de Rome.

Israël mobilise des alliés

Des médias israéliens ont rapporté qu’une délégation du pays s’était rendue aux USA pour rencontrer des représentants du gouvernement au début de mars et mettre au point la stratégie d’une campagne commune contre la CPI.

L’équipe était apparemment conduite par Yuval Steinitz, le ministre israélien de l’énergie et par un membre du cabinet chargé de diriger la campagne du gouvernement pour barrer la route à une enquête de la CPI.

Steinitz avait précédemment décrit les conclusions de l’enquête préliminaire de Bensouda comme une sorte de « meurtre rituel ».

Aux États Unis, Israël recherche un soutien des deux partis contre la CPI, et il est dit que sa délégation a rencontré des députés démocrates aussi bien que des représentants de la Maison Blanche et du Département d’État.

Israël a déjà mobilisé ses alliés ailleurs pour argumenter contre la juridiction en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec des interventions de l’Australie, du Brésil, de la Hongrie, de l’Autriche, de l’Allemagne et de la République Tchèque auprès de la Cour en soutien à la position israélienne, comme l’a fait l’Ouganda.

Le Canada, qui a aussi rejoint la cause d’Israël, a envoyé une lettre à la CPI, réitérant qu’il ne reconnaît pas un État palestinien. La lettre rappelle également à la Cour qu’elle reçoit un financement du Canada, ce que Amnesty International dit « sembler être une menace d’un retrait du soutien financier ».

Ces États sont intervenus après que la CPI a invité Israël, l’État de Palestine, des représentants des victimes et d’autres individus et organisations concernés, à donner leur avis sur la question. Des dizaines de documents ont été soumis à la Cour avant la date limite du 16 mars.

L’organisation de Coopération Islamique, qui regroupe 57 États membres et la Ligue Arabe, avec ses 22 États membres, sont intervenues auprès de la Cour en soutien à sa compétence sur la Cisjordanie et sur la bande de Gaza, comme l’ont fait plusieurs groupes de défense des droits humains.

« Un territoire controversé ? »

Amnesty a exprimé sa consternation devant des contestations de la part d’États tiers sur la compétence de la CPI et a « catégoriquement » rejeté deux des arguments centraux de leurs propositions, dont l’affirmation que « la Palestine ne peut pas être considérée comme un État dans le champ d’application et dans l’objectif du Statut de Rome ».

L’État de Palestine a accédé au Statut de Rome en 2015, ce qui lui a permis de déposer plainte pour crimes de guerre auprès de la Cour. Il a aussi accédé comme  État partie à plusieurs autres traités internationaux.

Le deuxième argument des États qui contestent la compétence de la Cour est que les frontières du territoire palestinien occupé sont « controversées » et que le conflit israélo-palestinien doit être résolu par un processus politique et non à la CPI.

Le procureur en chef de la CPI,  Fatou Bensouda. Eva Plevier / Reuters

Mais, comme l’observe un texte présenté au nom de victimes palestiniennes de persécutions, il peut y avoir des sujets qui nécessitent des négociations entre Israël et la Palestine, « et Israël conteste non seulement l’existence d’un État de Palestine mais aussi l’existence du « Territoire Palestinien Occupé ».

Cela, ajoute le texte, ne signifie pas pour autant que ce territoire n’existe pas ni qu’il y ait une même compréhension et reconnaissance, au sein de la communauté internationale, de l’étendue d’un tel territoire ».

Tout cas de crimes de guerre présenté à la CPI sera nécessairement réduit dans son ampleur et ne saurait remplacer ni fermer un processus politique. Le rapport de Bensouda sur la conclusion de son enquête préliminaire indique que la Cour ne se saisira pas de questions critiques tels les droits des réfugiés palestiniens vivant en dehors de la Cisjordanie et de Gaza ni de la multitude de lois discriminatoires contre les Palestiniens citoyens d’Israël.

Justice retardée

La décision de mener une enquête préliminaire pour déterminer les compétences juridictionnelles a fait l’objet de critiques de la part de victimes palestiniennes de Gaza et d’au-delà, de même que de groupes de défense des droits humains qui disent que cette mesure n’est pas nécessaire du point de vue de la procédure et ne fait que retarder la justice.

La contribution des victimes palestiniennes de persécutions établit que la chambre préliminaire devrait rejeter la requête du procureur général comme « inutile et prématurée ».

Cette contribution maintient que poser la question de la compétence avant qu’un seul cas concret ne soit présenté à la Cour risque de transformer un élément juridique en un élément politique.

La contribution du représentant légal des victimes palestiniennes de persécutions ajoute que des contestations de l’admissibilité de la compétence doivent être faites par des personnes accusées par la Cour ou par « un État qui a la compétence sur la base du fait qu’il instruit ou a instruit ou lancé des poursuites dans ce cas » ou un « État dont est requise l’acceptation de la compétence ». 

En d’autres termes, la compétence ne peut pas être contestée avant que des accusations soient formulées –« les contestations sont à faire à l’égard d’un ‘cas’ concret et non d’une situation dans son ensemble ».

Héritage colonial et échec des négociations

Dans leur contribution auprès de la Cour, quatre groupes palestiniens de défense des droits humains disent que « la Palestine existait en tant qu’État avant le Mandat britannique. Le plein exercice de la souveraineté de la Palestine sur le territoire de la Palestine mandataire a été suspendu en conséquence d’occupations militaires successives, à commencer par l’occupation britannique ».

La Palestine a été traitée comme une nation indépendante lors de l’adoption du Traité de Versailles en 1919, à la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman. Mais, au lieu de « revitaliser la souveraineté de la Palestine », comme les groupes de défense des droits l’avancent, en 1947 les Nations Unies ont recommandé la partition de la Palestine en deux « États indépendants arabe et juif ».

Dans les décennies précédentes, le régime britannique sur la Palestine avait pavé le chemin de la colonisation sioniste qui a culminé dans la déclaration de l’État d’Israël, le 14 mai 1948.

Des centaines de milliers de Palestiniens ont été chassés de leur patrie ou déplacés à l’intérieur pendant, avant et après la déclaration de l’État d’Israël – période connue comme la Nakba. Puis est venu le temps de la conquête de la Cisjordanie et de Gaza par la force en 1967 et l’occupation militaire belligérante de ces territoires qui a suivi. 

Ce sont là toutes les injustices pour lesquelles il faut des réparations. Le processus de paix d’Oslo pour une solution à deux États était censé avoir traité toutes ces questions en 1999, mais y a échoué parce qu’Israël « n’agissait pas en toute bonne foi pour mettre fin à l’occupation et transmettre l’autorité de gouverner à l’Autorité Palestinienne », observent les groupes palestiniens de défense des droits humains.

Les accords d’Oslo signés par Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine au milieu des années 1990 « sont donc tombées en (désuétude) » et les groupes de défense des droits considèrent que les accords « ont cessé d’être exécutoires en 1999, lorsque aucun règlement permanent n’a été atteint ».

L’absence d’un règlement permanent n’a pas tant été une défaillance du processus qu’un résultat de sa conception, au sens où il rendait possible la consolidation d’un déséquilibre important du pouvoir entre Israël et les Palestiniens, complété par une approche américaine tout aussi déséquilibrée, comme l’a observé l’écrivain Omar Karmi.

La CPI est ainsi une des avenues ouvertes aux Palestiniens pour rechercher des réparations internationales pour les nombreux torts qui continuent aujourd’hui à être infligés.

La direction palestinienne, qui a depuis longtemps abandonné la résistance armée et déclaré le processus d’Oslo mort et enterré, a évolué en État de Palestine et voit la CPI comme un élément clef pour casser l’impunité permise à Israël par ses alliés internationaux.

Comme le note B’Tselem, le groupe israélien de défense des droits humains, « au niveau international, très peu (sinon rien) a été fait pour forcer Israël à changer sa politique. Au contraire, il jouit d’avantages financiers consistants et d’une légitimité internationale. Israël se protège maintenant contre la perspective d’être effectivement tenu responsable de quelques uns de ses crimes ».

Et au cas où Israël et les USA réussiraient dans leurs efforts à saper la capacité de la CPI à exercer son mandat indépendant ?

Cela signifierait que la Cour ne serait qu’un instrument international de plus conçu pour faire justice aux victimes et transformé en un instrument de protection des auteurs de ces torts.

Maureen Clare Murphy rédactrice associée de l’Electronic Intifada.

Traduction : SF pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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