Par Odeh Bisharat, 20 avril 2020
Dans beaucoup de domaines, les Israéliens pensent hors des sentiers battus, mais dans les choses essentielles, ils y restent piégés. Il y a une semaine, beaucoup brandissaient leurs glaives rhétoriques contre le Premier ministre et le Président parce qu’ils violaient les ordres d’isolement. Quiconque venant juste d’atterrir ici aurait pensé que ces deux personnages distingués avaient été pris en train de passer à l’Iran des informations sensibles concernant la sécurité.
Mais quand les deux mêmes personnes fracassent la structure civile du pays et dénient aux Arabes d’être des partenaires du gouvernement — le Premier ministre Benjamin Netanyahu par une incitation raciste et le président Reuven Rivlin en appelant à la formation d’un gouvernement d’unité nationale consistant d’une seule nation – personne ne proteste. Business as usual, faisons comme si de rien n’était.
Depuis le déclenchement de la pandémie de coronavirus, qui a envoyé à l’isolement des milliards de personnes – imposé même de manière précoce par Israël et l’Autorité palestinienne – la situation contraint les deux côtés à penser différemment. L’armée israélienne, au lieu de devenir encore plus forte, est impliquée dans des tâches civiques, comme de soutenir des citoyens à Bnei Brak, à Jérusalem et dans le village de Deir al-Asad en Galilée. Et dans le territoire assiégé de l’Autorité palestinienne, les services de sécurité sont devenus ceux qui offrent une aide humanitaire.
Lentement, mais sûrement, nous commençons à nous rendre compte que le monde a changé. D’un côté, l’humanité est confrontée à une pandémie terrifiante et il y a la crainte qu’une vague de maladie ne déferle sur nous à l’automne — et de l’autre, il y a une demande pour un changement fondamental qui apportera un ordre social différent, un ordre dont la principale composante est un renforcement du système de santé public. Mais par-dessus tout, il y a le besoin de garantir, d’abord et avant tout, la santé et le bien-être de notre voisin d’à côté. Parce que si notre voisin très lointain (la Chine, dans notre cas) a infecté le monde entier, à quel point ne devrions-nous pas être davantage concernés par la santé des deux voisins de notre région, qui vivent porte à porte l’un de l’autre.
De fait, c’est la direction du Hamas qui a pris l’initiative ici. Ses membres ont compris la nouvelle situation, ont brisé les cadres admis et ont proposé un échange de prisonniers. Ils ont compris que dans des temps de changement, il faut des outils différents.
Comme nous le savons, la stratégie à la base des Accords d’Oslo était d’avancer étape par étape, afin de favoriser la confiance entre les deux parties, chaque étape instillant plus de confiance et les incitant à passer à l’étape suivante. Mais les architectes de cette stratégie ont échoué à prendre en compte le fait que plus longtemps dure le processus, plus ses ennemis se multiplient, ainsi que les opportunités pour le saboter. Dans les années allouées à la mise en oeuvre de l’accord, chaque nouvelle journée a donné à ses opposants une opportunité de soulever davantage de difficultés, jusqu’à l’explosion inévitable.
Cette stratégie d’un progrès rampant a fait faillite. La souffrance a seulement augmenté et les désappointements se sont multipliés. Au lieu d’arracher rapidement le sparadrap de la plaie, le délai a rendu la douleur pire et plus durable.
Aujourd’hui, si nous voulons penser hors des sentiers battus, la mesure la plus efficace est la libération de tous les prisonniers palestiniens. Sans étapes et sans marchandages. Les Arabes disent : « si vous voulez nourrir quelqu’un, nourrissez-le jusqu’à ce qu’il soit rassasié ». Il n’y a pas de paix partielle, pas plus qu’il n’y a de grossesse partielle. Le chemin de la réconciliation exige des gens avec une vision, pas de médiocres ergoteurs qui mesurent chaque mouvement vers la paix en fractions de millimètres, jusqu’à ce que le voyage devienne celui de la torture, au lieu de celui de la paix. Le temps est venu de comprendre que pour faire voler des avions, vous avez besoin de pilotes, pas de cyclistes.
Après la libération des prisonniers palestiniens, il y aura une commission d’enquête : quel était l’objectif de tout système terrifiant, avec ses milliers de fonctionnaires, de gardiens et de menottes ? Plus encore, pendant la période du coronavirus, qui peut garantir que la pandémie n’explosera pas entre une tactique pour gagner du temps et la suivante ?
Je sais qu’il y aura des hurlements, qu’ils affirmeront que le mal est seulement du côté palestinien. Ils sortiront leurse carnets pour nous rappeler chaque pierre et chaque bombe jetées, comme si les soldats qui se sont trouvés en face des Palestiniens ne tenaient que des guirlandes de fleurs. Les Israéliens doivent comprendre que les Palestiniens pensent eux aussi que tout le mal est seulement d’un côté, le côté israélien. Si chaque côté arrive avec l’arsenal du mal de l’autre côté, Armagedon continuera à jamais.
Imaginez des milliers de prisonniers palestiniens retournant dans leurs foyers. Cela n’apporterait-il pas l’espoir que quelque chose de bon sortira du coronavirus ? Et cette fois, ce serait bon pour les deux côtés. Le chemin se trouve hors des sentiers battus.
Odeh Bisharat – Contributeur à Haaretz
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine
Source : Haaretz