Biden, Israël, et le peuple palestinien

Par Josh Ruebner, 4 mai 2020

Joe Biden, alors vice-président, rencontre Benjamin Netanyahou, le 9 mars 2016.
(Photo : ambassade américaine à Jérusalem)

Le présumé candidat démocrate à la présidence Joe Biden jouissant actuellement de six points d’avance dans un récent sondage national mené par USA Today/Suffolk University, il n’est pas trop tôt pour spéculer sur ce à quoi pourrait ressembler la politique étrangère d’une administration Biden concernant Israël et le peuple palestinien.

Appuyée sur les actuelles promesses de campagne de l’ancien vice-président et sur ses anciennes déclarations pendant l’administration Obama et au cours de son très long mandat de sénateur, une administration Biden ne se satisferait vraisemblablement pas de revenir à la politique de l’ère Obama qui prononçait de belles paroles en faveur des droits des Palestiniens tout en renforçant néanmoins le soutien diplomatique et militaire des Etats Unis à Israël.

Au lieu de cela, Biden signifie un retour à une époque passée où Démocrates et Républicains témoignaient d’une égale fidélité envers Israël tout en ne tenant aucun compte des droits des Palestiniens. Une administration Biden ressemblerait probablement à cette vision dépassée du monde.

Le site internet de campagne de Biden place la politique qu’il propose concernant Israël et le peuple palestinien non pas dans la politique étrangère, mais comme un prolongement de ses « déclarations et d’un projet d’amitié, de soutien et d’action » envers « la communauté juive ».

L’amalgame fait par Biden entre le plaidoyer vieille-école en faveur d’Israël et les intérêts supposés d’une « communauté juive » monolithique imaginaire n’est pas que le résultat d’une mauvaise interprétation des réelles divisions qui existent à l’intérieur des communautés juives américaines concernant Israël. Dans l’ère Trump de suprématie blanche décomplexée, ce double trope présumé contribue aussi involontairement à la « mise à part » des Juifs américains et participe à l’alimentation de la résurgence mortelle de l’antisémitisme aux Etats Unis.

Et pire encore est le contenu des positions et des propositions de Biden, que l’on peut à peine distinguer de la politique de Trump, en dépit de quelques timides critiques. Quatre des six points importants de Biden qui témoignent de son « soutien sans faille à Israël » réitèrent son engagement à fournir des armes à Israël.

Un autre souligne son opposition à BDS, malgré la participation de nombreux Juifs américains à ce mouvement pour les droits des Palestiniens. Il s’engage à ce que son administration « rejette fermement le mouvement BDS » sans fournir aucune spécificité, laissant potentiellement ouverte la porte à un soutien à des démarches législatives inconstitutionnelles pour empiéter sur la liberté d’expression de ceux qui défendent les droits des Palestiniens.

Tandis que Biden promet de « renverser la coupure destructrice faite par l’administration Trump des liens diplomatiques avec l’Autorité Palestinienne » (avis des conseillers de Biden : l’OLP, et non l’AP, conduit la diplomatie au nom du peuple palestinien) et de restaurer l’aide américaine, il est clair que Biden envisage une restauration du statu quo ante plutôt que n’importe quel programme dynamique pour promouvoir une juste résolution.

Biden ne peut même pas s’avancer à soutenir sans équivoque l’option politique désuète d’un Etat palestinien. A la place, il s’engage simplement « à garder en vie le projet d’une issue négociée à deux Etats » probablement grâce à un vain et futile processus de paix : des négociations dans le but de maintenir la fiction de négociations destinées à aboutir à un accord.

Comme écrit dans le livre de Branko Marcetic sur Biden justement intitulé, Yesterday’s Man [Un Homme d’Hier], le candidat brûle aussi de revoir l’ère disparue du comité bipartite sur Israël. Il s’engage à renverser « l’exploitation faite par Trump du soutien américain à Israël comme d’un football politique », réduisant l’immense et vraisemblablement irréversible gouffre dans l’opinion publique entre les Démocrates et les Républicains à la politique de l’actuel président.

Cependant, comme Biden s’en rend certainement compte, Trump n’est qu’un exploiteur, pas un organisateur, de la division partisane à propos d’Israël et du peuple palestinien. Ce phénomène était déjà parfaitement évident sous l’administration Obama et a été encore plus mis en avant par les provocations délibérées du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour humilier et faire avorter les objectifs politiques du président Obama, y compris l’annonce de l’expansion des colonies qu’il a faite lors de la visite de Biden en 2010 à Jérusalem.

Avant que le coronavirus n’ait fait tourner court la campagne des primaires démocrates, Biden a d’ailleurs démontré combien sa politique envers Israël est déphasée avec la base du parti qu’il cherche à diriger. Tandis que les porte-drapeaux progressistes, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, et même le centriste habilement emballé Pete Buttigieg, soulevaient la possibilité de conditionner l’aide militaire à Israël, Biden a véhémentement remis la question en jeu. Dans son style hargneux, « mensonger de combattant de la grand-messe », Biden a traité la proposition raisonnable, qui était soutenue par une majorité des Démocrates dans un sondage de l’institut Brookings, d’ « erreur gigantesque » et « et absolument indigne ».

Non seulement Biden est à la traîne derrière la base de son parti quand il traite des droits des Palestiniens, mais il semble aussi que sa dévotion envers Israël soit sincère, presque mystique, et touchant de près sa plus profonde identité. En d’autres termes, ses positions envers Israël semblent immuables, contrastant résolument avec la malléabilité et l’adaptabilité d’un candidat autrement détaché de tout ensemble cohérent de principes à la base de sa politique.

Dans la mesure où tout politique pourrait être crédité d’une certaine sincérité, le discours de Biden en 2011 devant un rassemblement de 2.000 rabbins et autres dirigeants juifs à Détroit vaut la peine d’être cité assez longuement pour la lumière qu’il verse sur son identification avec Israël.

« Bien que… je n’aie pas été élevé dans une école juive, j’ai été élevé dans les traditions du judaïsme. On m’a enseigné l’oppression et le génocide commis contre les Juifs, les liens historiques entre le peuple juif et la terre d’Israël. A la table familiale, un homme m’a appris ce à quoi se réfèrent mes amis juifs chez eux – et vous feriez de même – en tant que Chrétien vertueux, il m’a appris que sans vigilance, le havre de salut qu’est Israël, cela pourrait recommencer sans Israël.

Je me suis attiré des ennuis il y a quelques années… Il y a environ 18 ou 20 ans, je parlais devant l’Organisation Sioniste de Baltimore. Et j’ai dit, je suis un Sioniste, car j’ai appris qu’on n’avait pas besoin d’être Juif pour être Sioniste. Le fait est que l’homme qui m’a élevé était totalement engagé dans l’idée que cela ne devait jamais recommencer, un homme qui ne pouvait comprendre pourquoi il pouvait même y avoir un débat sur la création de l’État d’Israël. Cet homme, c’était mon père. »

Pour Biden, l’engagement envers Israël est un mélange de piété filiale et une tendance à fermer les yeux sur l’oppression israélienne comme moyen d’apaiser la culpabilité de sa conscience à propos de l’antisémitisme des Chrétiens.

Ses plus de trente ans de mandature au Sénat confirment aussi amplement son soutien aligné à Israël et sa total indifférence envers les droits des Palestiniens, dont on peut donner un excellent exemple avec son soutien dévoué au Jerusalem Embassy Act [Loi sur l’ambassade à Jérusalem] de 1995, morceau le plus conséquent de la législation du Congrès en rapport avec Israël voté pendant sa mandature de sénateur.

Le projet de loi demandait au président de déménager l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, mais permettait une échappatoire, invoquée par les présidents Clinton, Bush, Obama, et même une fois par Trump, pour conserver l’ambassade en place grâce à une dérogation pour sécurité nationale.

Votée dans les quelques mois précédant le début prévu des conversations sur le statut permanent entre Israël et l’OLP, cette loi était une tentative provocatrice du Congrès pour juger à l’avance ces questions en faveur d’Israël et a été annonciatrice de la politique de Trump.

Comme Michael Arria l’a fait remarquer la semaine dernière dans The Shift [l’expédient, le changement], voici une vidéo de Biden défendant passionnément le projet de loi au Sénat tout en élidant complètement toute connexion des Chrétiens ou des Musulmans avec la ville ou les droits nationaux des Palestiniens en ce lieu.

Y a-t-il le moindre espoir qu’une administration Biden rompe avec un demi-siècle d’enregistrements de « soutiens incessants à Israël » ? C’est hautement invraisemblable, à moins que ses déclarations antérieures n’aient été qu’un « numéro » pour être écarté lorsque que cela l’arrange.

Ce pourrait peut-être être le cas. Sa condamnation informelle du déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem (« Le déménagement n’aurait pas dû se faire dans ce contexte, il aurait dû se faire dans le contexte d’un accord plus large pour nous aider à arriver à de plus importantes concessions en faveur de la paix dans le processus. Déménager l’ambassade quand nous l’avons fait sans avoir obtenu ces conditions témoignait d’une vision sans perspective et empreinte de légèreté ») démentait certainement la passion de son discours au Sénat.

En réalité, l’adoption par Biden des projets de Sanders et Warren sur les frais universitaires et la réforme de la faillite avec son appropriation de leur rhétorique donne certainement du crédit à la théorie comme quoi Biden est un caméléon, un politicien sans principes qui cherche à adopter une politique et des positions qui fassent monter sa popularité. Virtuellement, Biden pourrait aussi bien faire volte-face de la même manière à propos d’Israël et du peuple palestinien s’il ressent une pression en ce sens de la part de la base de son parti et une volonté de changement issue des Membres Démocrates du Congrès.

Josh Ruebner est Directeur au Progress Up Consulting, ancien Directeur politique à la Campagne Américaine pour les Droits des Palestiniens et Analyste du Moyen Orient au Service de Recherche du Congrès. Auteur de « Israel : Democracy or Apartheid State ? » (Israël : Démocratie ou Etat d’Apartheid?) et « Shattered Hopes : Obama’s Failure to Broker Israeli-Palestinian Peace » (Espoirs Brisés : L’échec d’Obama à Négocier une Paix entre Israéliens et Palestiniens).

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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