La distanciation sociale n’est pas possible dans les camps de réfugiés de Gaza

D’anciennes épidémies se sont avérées mortelles dans les camps de réfugiés densément peuplés de Gaza.

Par Hamza Abu Al-Tarabeesh, 12 mai 2020

Un ouvrier palestinien désinfecte les rues du camp de réfugiés d’Al-Shati par mesure préventive face à la peur d’expansion du COVID-19, à Gaza ville le 16 mars 2020.
(Photo : Ashraf Amra/APA Images)

Quand j’ai commencé à rassembler mes idées pour cet article, on était à fin mars. Ordinairement, le point culminant de ce mois là, c’est la couverture de la Journée de la Terre, journée de manifestations sur le calendrier palestinien, organisées tous les ans le 30 mars pour commémorer la mort de six personnes tuées alors qu’elles manifestaient en 1976 en Israël pour empêcher une confiscation de terre. Au cours des années, cette journée a élargi sa signification pour souligner l’aggravation de la perte de terre par les Palestiniens. A Gaza, elle a pris une autre signification. La Grande Marche du Retour, ou manifestations hebdomadaires à la frontière, a débuté ce jour là en 2018.

Cette année, ce à quoi aurait ressemblé la plus grande journée de manifestations à travers la Bande de Gaza a été un anniversaire camouflé exprimé sur les réseaux sociaux. A cause de la pandémie, tous les rassemblements ont été suspendus.

Alors que le coronavirus commençait à se répandre – et que j’avais à l’esprit les confiscations de terre – je me suis souvenu d’une histoire de feu mon grand-père paternel, Ahmed Abu Al-Tarabeesh. Vous le présenter pourrait être un bon point de départ pour une réflexion sur la façon dont les résidents des camps de réfugiés de Gaza pourraient être atteints par le coronavirus, en l’absence même des plus bas standards de mesures préventives et de médicaments.

Mon grand-père paternel, qui travaillait dans le commerce d’huile d’olive, et ma grand-mère Mariam, ont échappé aux forces israéliennes qui ont occupé les villes palestiniennes pendant la guerre de 1948. Ils se sont enfui de chez eux dans le village d’al-Majdal, devenu Ashkelon au sud d’Israël, après un an de mariage.

Ma tante Hania m’a raconté que mon grand-père, comme les autres résidents, a fermé sa maison en laissant tout derrière eux, y compris les bijoux en or de ma grand-mère et leurs papiers d’identité. Comme on le raconte, ils ont cru qu’il pourraient retourner dans leur maison le lendemain ou le surlendemain. « D’une main, il a tenu la main de ma mère enceinte, et de l’autre, il s’est cramponné à une bouteille d’eau », m’a raconté ma tante.

Des enfants palestiniens jouent sur les abords du camp de réfugiés de Khan Younis, au sud de la Bande de Gaza le 8 avril 2020.
(Photo : Mahmoud Ajjour/APA Images)

Mon grand-père et ma grand-mère ont poursuivi vers le sud jusqu’à atteindre Deir-al-Balah, une ville au centre de Gaza. Une semaine plus tard, mon grand-père a réalisé qu’ils ne retournaient pas. Il avait construit une tente en feuilles de palmier et c’est devenu la fondation de leur nouveau foyer.

Ils y ont vécu jusqu’à ce que les Nations Unies démarrent leur programme de secours aux réfugiés palestiniens en 1950. Lorsque des camps rudimentaires de réfugiés ont été construits, mes grands parents ont déménagé au camp des réfugiés de Jabalia au nord de Gaza et c’est toujours une résidence familiale jusqu’à aujourd’hui.

La famille s’est agrandie. Ma grand-mère a donné naissance à huit enfants, six fils et deux filles. Le plus jeune d’entre eux, c’est mon père qui avait alors quatre ans. Quand mon grand-père a eu 37 ans, ils avaient vécu 15 ans dans le camp. Cette année là, il a attrapé la tuberculose. Il y avait une contagion dans les camps.

La tuberculose est une maladie transmissible par l’air causée par une bactérie appelée Mycobacterium qui peut infecter les poumons. La tuberculose se soigne avec des antibiotiques et on peut la prévenir par un vaccin. Le premier traitement efficace a été mis en place en 1949, presque 20 ans avant la mort de mon grand-père. Pourtant, la tuberculose reste l’une des causes les plus courantes de mort due à un seul agent, comme un virus ou une maladie, d’après l’Organisation Mondiale de la Santé. Son taux de mortalité est aujourd’hui de 16 pour cent, bien que cela varie largement d’un pays à l’autre. Quatre-vingt-quinze pour cent des morts arrivent dans les pays en voie de développement. En comparaison, le coronavirus a un taux de mortalité d’environ 3,4 pour cent et ceci sans vaccin. Des reportages anecdotiques nous montrent que les deux ont un impact disproportionné sur les communautés qui vivent dans des espaces restreints.

En 1965, un mois après que mon grand-père ait été reconnu comme malade, il mourait.

Un psychanalyste de mes amis, Mohammed Abu Elsebah, m’a dit un jour qu’une grave dépression affaiblit le système immunitaire. Alors, je crois que le traumatisme psychologique de mon grand-père et la dépression qui s’en est suivie après avoir tout perdu en 1948 ont contribué à sa mort.

« Ma mère m’a toujours raconté comment notre père, de jeune homme actif et social, s’était transformé en homme déprimé et isolé après la Nakba », a dit ma tante, utilisant le mot arabe pour catastrophe pour décrire l’exil de la famille en 1948.

Les conditions de vie dans les camps, et alors et maintenant, sont celles d’unités compactées sans air frais ni aération, avec un mauvais traitement des eaux usées, et un manque d’accès à de l’eau potable. Les camps sont un terrain fertile pour l’expansion de tout virus ou bactérie. Qui plus est, le surpeuplement des logements individuels assure une contagion rapide parmi les membres d’une même famille.

Mon père vit dans cette même maison. Aujourd’hui, il y a 113.990 résidents dans une zone d’un demi mile carré. Les camps de réfugiés de Gaza sont un des endroits les plus peuplés au monde. En tout, Gaza a une densité de population d’environ 13.000 par mile carré, mais les camps sont plus proches de 50.000 par mile carré. C’est près de deux fois la densité de la ville de New York.

Ces facteurs sont un avertissement de la possibilité d’une épidémie rapide et dangereuse en cas d’arrivée du coronavirus dans la communauté de Gaza. Aujourd’hui, il n’y a que 20 cas confirmés de COVID-19, tous détectés dans les centres d’isolement dans lesquels se trouvaient les voyageurs qui revenaient d’autres pays. Gaza a organisé une forme plus rigoureuse de quarantaine pour les voyageurs qui rentrent, mettant à la fois ceux qui présentaient des symptômes et ceux qui n’en présentaient pas pour 14 jours dans des centres de quarantaine régis par le gouvernement.

Cependant, beaucoup commencent à se demander si le virus atteint, ou atteindra, l’ensemble du public non détecté ? Gaza souffre d’un manque de tests et le petit stock que possèdent les travailleurs de la santé continue de s’épuiser. Si la pandémie atteint les camps de Gaza, notre système médical ne pourra pas traiter un afflux de patients gravement atteints. Il y a 63 respirateurs à Gaza et environ 120 lits pour soins intensifs pour une population de presque 2 millions. Gaza a par ailleurs un déficit de 52 % de médicaments et ne sera pas en état de faire face aux besoins en anticoagulants et en antibiotiques qu’on utilise pour traiter les patients positifs au COVID-19.

Sur une plus petite échelle, nous avons déjà vu les hôpitaux de Gaza se battre pour faire face aux besoins des 30.000 manifestants blessés tout au long d’une année de manifestations.

Médecins pour les Droits de l’Homme Israël et Gisha, deux importantes associations de défense des droits en Israël, ont envoyé une lettre fin avril au groupe de travail israélien sur le coronavirus l’exhortant à distribuer des fournitures médicales et des kits de dépistage supplémentaires.

« Dans la Bande de Gaza, le système de santé vacillait au bord de l’effondrement bien avant la pandémie du coronavirus, en partie à cause des restrictions continues de mouvement et d’accès imposées par Israël », ont déclaré ces associations dans un communiqué.

L’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem a résumé les défis qu’affronte la Bande de Gaza dans son communiqué de mars 2020 qui rapporte que « l’expansion du COVID-19 dans la Bande de Gaza sera un gigantesque désastre, découlant entièrement des conditions uniques créées par plus d’une décennie de blocus israélien ».

Dans ces défis uniques, on trouve le taux de chômage pré-pandémique de plus de 50 % et d’environ 70 % chez les jeunes. Ces parties de la population reçoivent déjà une certaine forme d’assistance alimentaire.

Les chiffres mis à part, j’ai été personnellement témoin de deux contagions séparées dans cette seule année à travers les camps. Au cours des 15 dernières années, Gaza a souffert d’une résurgence sporadique de gale. En janvier, j’ai réalisé que la contagion recommençait entre les enfants et leurs familles. On a institué des traitements médicaux intensifs pendant deux semaines et environ 15 maisons ont été stérilisées par le ministère de la Santé.

De même, l’année dernière, il y a eu 124 cas confirmés de rougeole à Gaza. Bien que nous ayons un taux de vaccination élevé, une épidémie s’est pourtant déclarée. Ma femme, Sarah Algherbawi, est journaliste et elle a découvert que 30 des personnes infectées étaient issues de la même famille vivant dans le même bâtiment du camp de Deir al-Balah.

Je n’ai aucune idée de ce que l’avenir réserve aux camps de réfugiés de Gaza, mais je sais très bien que, quand il s’agit de maladies infectieuses et de virus, le passé nous a mis en alerte.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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