La solidarité, c’est soutenir le droit au retour des Palestiniens

Par Kristian Davis Bailey, 14 mai 2020

Les fresques murales peintes par des réfugiés palestiniens au Liban insistent sur leur droit au retour chez eux. (Black for Palestine)

Le militantisme en solidarité avec la Palestine a fait des progrès significatifs aux États-Unis au cours de la dernière décennie.

Un mouvement étudiant national a été créé, la solidarité entre les mouvements a été revigorée et une série de victoires ont été remportées dans la lutte pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions. Ces victoires vont du soutien des églises et des universités aux mesures BDS jusqu’au blocage de cargos israéliens.

Pendant un moment, on a eu l’impression que le mouvement de solidarité avec la Palestine était à l’offensive.

Mais les groupes et les responsables sionistes ont riposté par le biais de sites web anonymes qui hackent et révèlent publiquement les données personnelles des militants, la prolifération de lois anti-BDS et, plus récemment, le décret de Donald Trump.

Sur la base du décret de Trump, un étudiant ou un professeur qui déclare « Israël est une entreprise raciste » – ou des mots allant dans ce sens – peut faire l’objet d’une enquête pour avoir prétendument violé les droits civiques du peuple juif. C’est exactement là où le mouvement sioniste nous veut : sur la défensive, en épuisant notre énergie et nos ressources.

Combattre ces attaques est un travail pour des groupes comme Palestine Legal (où je suis actuellement employé). Ce travail défensif ne devrait pas être le principal objectif des personnes qui travaillent en vue de la libération complète de la Palestine.

Il y a 72 ans, en 1948, a eu lieu le nettoyage ethnique de la Palestine, pendant lequel les forces sionistes ont chassé environ 800 000 Palestiniens de leurs foyers.

Cette période est connue sous le nom de Nakba ou catastrophe. Et tant que le droit au retour sera refusé, cette catastrophe continuera.

Nous devrions nous concentrer maintenant et dans les mois à venir sur la défense d’un seul État démocratique et décolonisé dans toute la Palestine historique et sur la question centrale de la justice pour la Palestine – le droit au retour.

Défendre nos convictions

Le droit au retour des Palestiniens déracinés par les forces sionistes en 1948 – et celui de leurs enfants et petits-enfants – est la question centrale de la justice pour la Palestine. Pourtant, il vient souvent après coup dans la réflexion des militants solidaires.

Voici quelques-unes des principales raisons qui l’expliquent.

Premièrement, l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, est la forme la plus visible de l’agression sioniste contre la Palestine et c’est ainsi que la plus grande partie du monde comprend la question palestinienne. Le droit au retour complique ce récit.

Deuxièmement, il est difficile d’intégrer le droit au retour dans des campagnes qui se concentrent presque entièrement sur l’occupation.

Et, troisièmement, l’opposition sioniste au droit de retour est très active et s’accompagne souvent d’accusations fausses de fanatisme anti-juif qui visent à détourner l’attention.

Pour combattre les deux premiers obstacles, il s’agit pour nous de renforcer notre propre formation interne et notre travail de sensibilisation du public pour qu’apparaisse le fait que toute la Palestine historique – y compris l’actuel Israël – est un « territoire palestinien occupé ».

La troisième barrière consiste à traverser et faire tomber le discours sioniste : la mise en œuvre du droit au retour est une pratique juste, morale, antiraciste et anticolonialiste.

L’opposition au droit au retour des Palestiniens est elle-même raciste. Les militants ne devraient pas se laisser distraire par les calomnies d’Israël.

Si éviter le retour des Palestiniens est l’un des buts ultimes du projet sioniste, pourquoi s’organiser selon leurs conditions ?

Si nous croyons au droit au retour, nous devons défendre nos convictions en dépassant les efforts visant à nous réduire au silence.

Comme l’affirmait le philosophe anticolonialiste Frantz Fanon : « Nous sommes puissants de notre bon droit et de la justesse de nos positions. »

Les campagnes BDS devraient s’appliquer à tout Israël pour son nettoyage ethnique et son refus du droit au retour, plutôt que de boycotter uniquement les entreprises complices de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. Une justice maximale exige une solidarité maximale.

Déraciner un arbre empoisonné

Les Palestiniens vivant en exil forcé et en tant que réfugiés, sous occupation et en état de siège, subissent bien plus grave que le bruit des tactiques d’effarouchement sionistes dont nous nous effrayons. Les vies matérielles, les maisons et les familles des Palestiniens sont en première ligne de la destruction à chaque seconde de chaque jour.

Les prétendues menaces que la libération de la Palestine seraient pour eux, selon les sionistes, constitue le cœur de la politique sioniste en Palestine depuis 100 ans : élimination de la culture fondamentale d’une société, expulsions massives, soumission d’une population minoritaire à la discrimination et déni du droit à l’autodétermination.

Nous devons résister fermement à ces politiques.

Se concentrer uniquement sur le travail anti-occupation contribue à soutenir le grand projet colonialiste d’Israël et ne rend pas service à la pluralité des Palestiniens qui ne vivent pas sous occupation directe.

Plaider pour la libération des Palestiniens dans son intégralité signifie placer le droit au retour au centre.

Cela signifie que notre compréhension de la Palestine ne peut s’arrêter à la Cisjordanie, à Gaza ou même à l’Israël actuel. Elle doit s’étendre aux réfugiés en exil qui ont subi le poids de la dépossession sioniste – en particulier aux Palestiniens vivant dans des camps de réfugiés en Jordanie, au Liban, en Syrie ou fuyant à travers la Méditerranée vers la Grèce et d’autres parties de l’Europe.

Il n’y a pas de Palestine sans le retour des réfugiés palestiniens sur l’ensemble de leur terre.

Sans le droit au retour, si Israël dit d’une manière ou d’une autre « OK – vous pouvez avoir un véritable État dans toute la Cisjordanie et à Gaza », Israël s’en va toujours après avoir volé 78% de la Palestine historique et nié à une majorité de Palestiniens leur droit de vivre sur la terre dont ils sont originaires.

Israël continue de revendiquer unilatéralement une colonie ethnocratique construite sur des terres volées.

Il est donc incroyablement commode pour Israël que nous gaspillions notre énergie à essayer d’atteindre les fruits les plus bas de l’arbre, au lieu d’arracher l’arbre empoisonné tout entier à partir de ses racines.

Il est également incroyablement commode pour Israël de nous détourner de cette tâche en nous obligeant à passer du temps à expliquer que « la critique d’Israël est différente de la haine anti-juive » et à argumenter que « nous avons le droit de boycotter ». Cela détourne la conversation du sujet de la Palestine et la concentre plutôt sur les débats sur les « droits » en Occident.

Comprendre l’injustice

Il existe un certain nombre d’injustices sionistes fondamentales. Elles comprennent la déclaration Balfour de 1917, lorsque la Grande-Bretagne – alors une puissance coloniale dominante – a effectivement approuvé la création d’un État sioniste en Palestine, la Nakba de 1948 et la prise de la Cisjordanie et de Gaza (ainsi que de certaines parties de l’Égypte et de la Syrie) en 1967.

Si nous comprenons ces injustices – et comment elles perdurent en 2020 – nous devons mettre le projet sioniste sur la défensive du fait de sa nature de régime colonial, raciste et violent.

Au lendemain du « Deal du siècle » de Trump – « Casse du siècle », bien sûr, serait plus juste – et face à l’annexion israélienne en Cisjordanie, le mouvement de solidarité peut aspirer à des revendications beaucoup plus audacieuses, qui transcendent les contraintes politiques qui nous entourent. Nous sommes toujours coincés dans les cadres fixés par les forces colonisatrices : les accords d’Oslo, les pourparlers de « paix », les colonies, la coordination de la sécurité, l’Autorité palestinienne.

Nous devons utiliser un langage qui décrit un avenir de liberté et de justice. Heureusement, le Fatah et le Front Populaire de Libération de la Palestine nous ont chacun donné cette langue dans les années 1960.

Le Fatah a parlé de « se battre pour créer la nouvelle Palestine de demain – une Palestine démocratique et non sectaire où juifs, musulmans et chrétiens travailleront, pratiqueront leur religion et vivront ensemble en paix tout en jouissant de droits et d’obligations égaux ».

Le FPLP partage cet objectif d’un État laïque et précisait que « Israël a insisté pour présenter notre guerre contre lui comme une guerre raciale visant à éliminer tout citoyen juif et à le jeter à la mer ». Une stratégie de base doit donc « viser à dénoncer cette fausse représentation ».

Ces organisations révolutionnaires palestiniennes ont présenté une vision incroyablement claire d’un État démocratique partagé – que les sionistes ont cherché à saboter et à obscurcir depuis lors.

Il est de notre responsabilité d’aider à invalider ces fausses déclarations.

Au-delà de l’exil

En 2018, j’ai conduit une délégation de Black for Palestine (B4P) composée d’organisateurs africains, arabes et indigènes de Turtle Island (ce que les indigènes et leurs alliés appellent l’Amérique du Nord) et d’Afrique australe pour rendre visite aux Palestiniens et à leurs camarades au Liban.

B4P a compris que le droit au retour était au cœur de la justice pour la Palestine. Elle a soutenu que pour défendre efficacement le droit au retour, il fallait cultiver des relations directes avec les réfugiés palestiniens.

Le Liban a été l’un des derniers sites d’engagement historique entre les révolutionnaires africains et palestiniens.

D’éminents militants noirs tels que Huey Newton, Muhammad Ali et June Jordan ont visité des camps de réfugiés palestiniens au Liban. Et les révolutionnaires palestiniens au Liban ont formé des combattants anticolonialistes africains, notamment ceux qui luttaient contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Une délégation de Black for Palestine en visite au Liban en 2018. (Black for Palestine)

Quelques-uns de nos délégués B4P ont visité la Palestine et la Jordanie, où nous avons également rencontré des réfugiés palestiniens. Presque tous les Palestiniens que nous avons rencontrés au Liban et en Jordanie n’avaient jamais mis les pieds en Palestine, tandis que certains d’entre nous – avec des passeports américains – étaient allés aux trois endroits en l’espace de deux semaines.

Cela marque l’injustice fondamentale du sionisme : les personnes qui n’ont pas de racines en Palestine peuvent visiter et vivre sur cette terre, tandis que les personnes ayant de véritables racines sont victimes et interdites d’accès.

Au Liban, les jeunes Palestiniens sont de plus en plus désespérés – ne voyant pas comment se construire un avenir dans les camps.

Ils doivent faire face à un stress et une dépression considérables et à d’autres conséquences de la guerre physique et économique. Certains risquent leur vie pour fuir le Liban, la Syrie et Gaza afin de trouver refuge en Occident et meurent en cours de route.

Aucune de ces souffrances n’est nécessaire lorsqu’il existe un endroit évident où les Palestiniens peuvent vivre dans la dignité.

De la même manière que visiter la Palestine et voir l’occupation de près a un effet catalyseur sur le travail de solidarité à l’extérieur, visiter les camps au Liban m’a transformé. Certaines des personnes qui me tiennent le plus à cœur dans ce monde sont des Palestiniens en exil au Liban qui ont plus de droits sur chaque centimètre de terre en Palestine historique que n’importe quel colonisateur sioniste.

Pour moi, ce qui est en jeu dans le droit au retour, c’est le vieil homme qui a pu voir où se trouvait son village d’origine depuis la frontière du Sud-Liban mais qui n’y a pas mis les pieds depuis 72 ans. Ou la vieille femme qui m’a accueilli dans sa maison familiale dans un camp de réfugiés et qui s’est souvenue avec beaucoup de détails de la façon dont elle et sa famille ont été déplacées pendant la Nakba.

J’avais espéré que nous pourrions travailler pour qu’arrive le jour où elle pourrait rentrer chez elle, mais elle est morte peu après que je l’ai rencontrée en 2017.

Ce qui est en jeu dans le droit au retour, c’est la rencontre avec la génération qui a vécu la révolution palestinienne et un moment où la victoire, et la possibilité de retour, semblaient beaucoup plus proches qu’elles ne le sont maintenant.

C’est la génération actuelle de jeunes organisateurs du Centre Al Naqab et du Club culturel palestinien au Liban qui travaillent si dur pour construire des infrastructures pour les générations suivantes afin de préserver leur héritage et de poursuivre leur lutte. Et c’est la jeune génération avant eux qui aspire à un avenir hors de l’étouffement des camps de réfugiés et hors de l’exil et de l’appauvrissement forcé.

Ce qui est également en jeu, c’est que le camarade dont les conversations avec moi ont fourni la base de cet article puisse avoir l’avenir qu’il mérite. Sa famille est originaire de Deir Aban à Jérusalem mais a été exilée à Dheisheh, un des camps de réfugiés de la région de Bethléem, à cause de la Nakba.

L’épine dans le pied des sionistes

Nous vivons maintenant avec la dernière génération de réfugiés palestiniens qui peuvent dire « ma grand-mère est née à Akka, à Lifta, à Safad » et la dernière génération de colons israéliens qui doivent reconnaître « ma grand-mère est née en Pologne, en Allemagne, au Maroc, à Brooklyn ». Nous entrons dans un nouveau paradigme où les colonisateurs affirment une revendication de la terre par des racines contemporaines, alors que les colonisés semblent être enracinés dans l’exil.

Ceux d’entre nous qui croient en la libération des Palestiniens doivent se poser la question : Comment allons-nous créer un nouveau paradigme ?

Comment notre travail va-t-il évoluer quand nous désignerons le droit au retour comme la première justification de BDS et non la dernière ? Comment notre travail va-t-il évoluer lorsque nous donnerons la priorité aux réfugiés et à leur droit au retour ?

Pour y parvenir, nous devons nous demander : Quelles relations avons-nous avec les Palestiniens vivant en exil et savons-nous même quelles sont leurs conditions de lutte ? Comment pouvons-nous soutenir le développement d’une forte population de réfugiés ?

Quels sont les groupes qui font ces efforts et comment pouvons-nous les soutenir ?

Le droit au retour est lié à un processus qui est au cœur de la justice pour tous les peuples colonisés dans le monde : les réparations. Le droit au retour est une épine dans le pied des sionistes, de la même manière que les réparations pour le colonialisme et l’esclavage sont des épines dans le pied de l’Occident impérial. Ces mêmes États considèrent le droit au retour et les réparations comme « irréalistes » parce que toute l’existence de ces États est fondée sur notre oppression.

Rendre un pouce de terre ou payer ne serait-ce qu’un dollar aux colonisés expose chaque puissance coloniale à la responsabilité matérielle de ses crimes. Cela montre aux colonisés que la justice est possible.

La réalisation du droit au retour des victimes les plus récentes du colonialisme dans le monde donne de l’espoir et inspirent ceux d’entre nous qui se sont vu refuser des réparations depuis bien plus longtemps.

Mon propre engagement en faveur du droit au retour est donc en accord profond avec l’insistance du révolutionnaire mozambicain Samora Machel sur le fait que « la solidarité n’est pas un acte de charité mais une aide mutuelle entre des forces qui se battent pour le même objectif ».

Le monde que nous habitons aujourd’hui est le résultat des rêves et des cauchemars de l’imagination européenne. Notre tâche en tant que peuple colonisé et celle de nos camarades est d’imaginer et de créer un nouveau monde qui nous sauve du cauchemar dans lequel nous sommes actuellement pris.

Si nous acceptons les quelques miettes que nous offrent nos colonisateurs, nous n’obtiendrons rien. Mais si nous exigeons la lune, nous pouvons – dans nos luttes – atteindre les étoiles.

Kristian Davis Bailey est un écrivain, un militant et le cofondateur de Black for Palestine.

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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