Analyse initiale de la décision de la Cour suprême israélienne dans l’affaire de la Loi de régularisation des colonies

Source : adalah.org
HCJ 1308/17, Municipalité de Silwad, et al. v. La Knesset, et al.

Par Adalah (Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël), le 15 juin 2020

Le 9 juin 2020, la Cour suprême israélienne a décidé dans un jugement approuvé par 8 juges contre (1) d’annuler la « Loi de régularisation des colonies de Judée et de Samarie [la Cisjordanie]1 ». Dans une décision s’étendant sur 107 pages, la Cour a conclu que la loi violait les droits des Palestiniens à la propriété, à l’égalité et à la dignité de manière disproportionnée (2).

La Knesset a voté cette loi controversée en février 2017. La loi établit que l’Etat d’Israël pourrait exproprier des terres palestiniennes relevant de la propriété privée en Cisjordanie occupée et « régulariser » ou « légaliser » rétroactivement les colonies israéliennes construites sur elles. Un Addendum à la loi identifiait 16 colonies auxquelles la loi s’appliquerait (voir l’Annexe à la fin de cet article, qui inclut aussi une liste des villages palestiniens sur lesquels ces colonies empiètent). Selon le texte de la décision de la Cour, l’étendue des constructions israéliennes sur des terres palestiniennes relevant de la propriété privée en Cisjordanie se montait en 2016 à 3455 structures, dont 1285 sont des bâtiments résidentiels ou des institutions publiques (3).

La décision de la Cour est fondée sur plusieurs principes juridiques principaux :

  1. Le droit international et le principe de non-souveraineté s’appliquent en Cisjordanie : La décision souligne que, depuis juin 1967, les lois qui s’appliquent en Cisjordanie sont les lois d’« occupation belligérante », complétées par les lois internationales sur les droits humains. De plus, « l’implication pratique est que la législation de l’Etat d’Israël ne s’applique pas à la région (4) ». A ce titre, le commandant militaire en Cisjordanie n’est pas le souverain et son autorité dans la région est temporaire par sa nature : « Malgré son contrôle sur une région sous occupation belligérante, le commandant militaire n’y est pas le souverain et l’approche acceptée est que le concept de possession dans le territoire ne […] transfère pas la souveraineté du territoire détenu du souverain précédent au commandant militaire »

(1) HCJ 1308/17, Silwad Municipality, et al. v. The Knesset, et al. (requête acceptée le 9 juin 2020) (jointe par la Cour avec HCJ 2055/17, The Head of Ein Yabrud Village v. The Knesset). Le jugement est disponible en
hébreu à : https://supremedecisions.court.gov.il/Home/Download?path=HebrewVerdicts/17/080/013/v48&fileName=17013080.V48&type=4 .
(2) Deux requêtes ont été déposées contre la loi. HCJ 1308/07 a été déposée par Adalah — Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, en coopération avec le Centre d’aide juridique de Jérusalem (JLAC) et le Centre Al Mezan pour les droits humains, au nom de 17 conseils locaux de Cisjordanie. HCJ 2055/17 a été déposée par Yesh Din et 12 organisations de défense des droits humains, 23 chefs de conseil de villages palestiniens et quatre propriétaires terriens.
(3) Voir paragraphe 16 de la décision du Président de la Cour suprême Hayut.
(4) Id., paragraphe 2. et qu’« en conséquence, l’autorité du commandant militaire est temporaire, de manière inhérente, dans le sens où elle a été récupérée par le gouvernement militaire pour la durée du maintien effectif
dans le territoire (5).

2. Difficultés dans la promulgation par la Knesset de lois concernant les Palestiniens de Cisjordanie : La Cour a jugé que la « loi contredit le principe de souveraineté territoriale et est exceptionnelle dans le paysage de la législation israélienne puisque la Knesset a promulgué une législation primaire qui s’appliquera aux Palestiniens de la région et aux terres situées dans cette région (6) ». La Cour a précisé de plus que : « Etant donné l’approche des gouvernements successifs israéliens depuis des décennies, à savoir que le commandant militaire a des pouvoirs législatifs dans la zone, il est très difficile de changer la norme de base pratiquée en ce qui concerne l’identité du législateur autorisé dans la zone, indirectement et en faisant obstacle à des arrangements individuels ». [De plus], « dans ces circonstances, la question de l’autorité de la Knesset à promulguer des lois qui sont directement applicables dans la région, ainsi que la question de l’imposition par la Knesset d’une telle législation sur les règles du droit international s’appliquant à l’occupation belligérante, soulèvent des difficultés considérables (7). »

3. Les Palestiniens sont des « personnes protégées » et les colons ont un statut différent : La Cour a souligné dans sa décision que les Palestiniens de Cisjordanie sont des « personnes protégées » telles qu’elles sont définies dans l’article 4 de la Quatrième Convention de Genève et elle a différencié ce statut de celui des colons. Se basant sur cette différence des statuts, la Cour a conclu que le cadre juridique applicable interdit la confiscation de terres palestiniennes pour les besoins des colonies israéliennes : « Dans la mesure où nous traitons de la question du ‘besoin public’ d’après les lois d’expropriation qui s’appliquent dans la région, je ne crois pas que celles-ci permettent l’expropriation des terres palestiniennes ou relevant de la propriété privée [où] il y a une personne revendiquant appartenance de possession, dans l’objectif d’établir et d’étendre les colonies israéliennes et pour cet objectif seulement (8). »

Dans ce contexte, la Cour a rejeté l’argument du gouvernement selon lequel « le devoir du commandant militaire de garantir les besoins de la population locale dans la zone s’applique aussi aux centaines de milliers de citoyens israéliens vivant dans cette zone, et dont certains y étaient même nés ». Selon le gouvernement, « cette population ne devrait pas être distinguée de la population palestinienne sujette au même régime de terres ». La Cour a souligné qu’une telle position « ignore les complexités qui distinguent la population israélienne de la population palestinienne dans cette région et que dans tous les cas […] la loi applicable à la population palestinienne n’aide pas l’argument du gouvernement à cet égard9 ». Sur la base de cette affirmation, la Cour s’est appuyée sur l’article 27 de la Quatrième Convention de Genève concernant « les personnes protégées » pour soutenir les droits des Palestiniens à la propriété, à l’égalité et à la dignité.

Possibilité de futures confiscations

Malgré ce résultat positif, l’annulation de la loi par la Cour sur la base de la disproportionalité soulève des inquiétudes quant à l’ouverture d’une fenêtre en vue de futures confiscations de terres palestiniennes pour les besoins des colonies. Dans sa décision, la Cour s’est référée à des alternatives qui sont « des outils moins préjudiciables » et qui pourraient être plus appropriés dans le circonstances, adoptant sur cette question la position du procureur général. Selon le jugement de la Cour, ces alternatives incluent :

a. L’activation de l’article 5 de l’Ordonnance concernant la propriété gouvernementale (Judée et Samarie) (Ordonnance n° 59) qui indique que « toute transaction faite de bonne foi entre le superviseur et un autre individu à propos d’une propriété quelconque que le superviseur a cru être propriété du gouvernement au moment de la transaction ne sera pas disqualifiée et restera valide même s’il est prouvé que la propriété n’était pas propriété du gouvernement à l’époque de la transaction10 ».

b. « L’utilisation du statut des limitations applicable dans la région, centrée sur l’article 78 de la législation foncière ottomane du 7 Ramadan 1274 (21.4.1858). » Le jugement précise que : « L’interprétation acceptable de la section 78 — commençant avec la relation entre l’individu et l’état — permet à une personne détenant des terres pour dix années consécutives sans interruption, de se présenter en tant que requérant et de demander de l’état un certificat de tabou, c’est-à-dire de transfert des droits de propriété, s’il prouve qu’il a rempli toutes les conditions de la section11. »

c. La Cour a fait aussi référence au « statut des limitations applicable dans la région qui est indiqué dans la section 20 de la législation foncière ottomane traitant de l’affirmation d’obsolescence des procédures dans des affaires dans lesquels l’Etat n’est pas partie prenante (12). » d. De plus, la Cour s’est référée à « des situations de construction et de plantation sur d’autres terres, analogues au droit israélien (13). »

La Cour a souligné que « ces arrangements nécessitent un examen individuel de chaque cas selon ses circonstances, en tenant compte du statut spécial des Palestiniens de la région, de leurs droits de propriété et du devoir du commandant militaire de protéger ce droit, selon la loi d’occupation belligérante (14). »

5 Id., paragraphe 3.

6 Id., paragraphe 32.

7 Id. 8 Id., paragraphe 70.

9 Id.

Implications sur la question de l’annexion

Le fait que la Cour rende sa décision maintenant pourrait avoir des implications sur le processus d’annexion qui doit avoir lieu cet été, comme il est stipulé dans l’accord de coalition entre le Likoud et le Parti Bleu et Blanc15. La décision envoie aussi un message à la Cour pénale internationale qui examine actuellement si oui ou non elle a juridiction territoriale pour examiner les affaires concernant « la situation en Palestine », celui que le système judiciaire israélien est efficace et fonctionnel sur la question du statut de la Cisjordanie.

Sur la base des principes du jugement mentionnés plus haut, il est attendu que la décision aura des implications pour l’annexion qui est planifiée par l’intermédiaire de la législation israélienne. Les assertions de la majorité relativement au principe de la non-souveraineté, les difficultés de promulguer des lois israéliennes valables pour les Palestiniens de la Cisjordanie, la nature temporaire de l’occupation belligérante et le cadre juridique appliqué devraient poser des barrières juridiques aux lois d’annexion proposées dans un avenir proche.

10 Id., paragraphe 10. Voir la Note d’Adalah, « L’usage par Israël de la ‘bonne foi’ pour confisquer des terres palestiniennes privées en Cisjordanie occupée — en toute mauvaise foi », décembre 2019, disponible (en anglais) à https://www.adalah.org/en/content/view/9885.

11 Id., paragraphe 91. 12 Id. 13 Id., paragraphe 92.

14 Id., paragraphe 93.

15 Voir le communiqué de presse d’Adalah, « Le nouvel accord de coalition entre Netanyahou et Gantz stipule l’annexion illégale de la Cisjordanie », 23 avril 2020, disponible à https://www.adalah.org/en/content/view/9997.

Néanmoins, annuler cette loi ne garantit pas la consistance des futures décisions de la Cour suprême, si la législation de l’annexion devait être promulguée et contestée devant la Cour. Des tentatives pour contourner la décision pourraient par exemple être que la législation de l’annexion passe par une Loi fondamentale ou que la loi d’annexion promulguée inclut une limitation sur un examen juridique et/ou qu’elle soit limitée aux grands blocs coloniaux seulement, à cette étape.

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : Adalah

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