Edward Said et le « rendez-vous de la victoire »

Par Haidar Eid, le 15 juillet 2020

Les Palestiniens trouvent leur inspiration dans le premier mouvement anti-apartheid et les autres luttes contre le colonialisme de peuplement dans leur appel pour le BDS et la démocratie laïque dans la Palestine historique.

Depuis le début de la formation de sa conscience politique en 1967, Edward Said est devenu l’intellectuel moral le plus important au monde depuis Jean Paul Sartre et Bertrand Russel. En tant que professeur de littérature, critique littéraire et figure de proue spirituelle du paysage culturel palestinien, avec Ghassan Kanafani, Mahmoud Darwish et d’innombrables autres, il a contribué à faire de la Palestine l’une des causes morales prédominantes de notre époque. Son dévouement aux droits humains fondamentaux palestiniens l’a élevé au rang d’icône et d’inspiration.

Après que la direction officielle de l’Organisation de libération de la Palestine a signé les infâmes accords d’Oslo en 1993, Said a commencé à affirmer qu’il était grand temps que le peuple palestinien s’éloigne de l’illusion de la solution à deux États et préconise une approche démocratique, qui pourrait garantir ses droits fondamentaux, à savoir la liberté, l’égalité et la justice.

J’ai été inspiré par Edward Said parce que j’appartiens à une génération qui n’a pas été témoin de la Nakba. Je fais partie d’une génération que l’on croyait résignée à plus de 50 ans d’occupation militaire et à plus de 70 ans de dépossession et d’apartheid. Voici Edward Said, un membre de la génération de la Nakba avec une vision du monde différente, qui nous dit quelque chose de « nouveau » ou plutôt qui nous rappelle à nous et au monde les bases des droits humains – que les Palestiniens sont dignes de liberté et d’autodétermination comme le sont les autres peuples du monde. Said a déclaré que cela ne peut être réalisé que par une Palestine démocratique laïque (même si, je dois l’admettre, il n’était assez clair sur les différences entre le bi-nationalisme et la démocratie laïque comme la solution la plus appropriée). Selon Saïd, c’était la solution pour sortir du bourbier créé par le sionisme occidental au cœur du monde arabe.

Je pense à Edward Said parce qu’après l’adoption par la Knesset israélienne de la loi raciste sur l’État-nation, après l’ »affaire du siècle » de l’administration du Trump, après la décision colonialiste d’Israël de voler une partie de la Cisjordanie occupée et le siège médiéval et mortel de la bande de Gaza, nous, en Palestine, avons réexaminé nombre des « sagesses » tenues pour acquises ! J’ai également pensé à Aimé Césaire, Frantz Fanon, Steve Biko et à d’autres militants intellectuels anticoloniaux, pour savoir comment ils auraient théorisé notre situation d’une manière similaire à celle qu’Edward Said l’a fait pour nous.

Qu’aurait dit Said lui-même sur ce que j’appelle le néo-nationalisme palestinien ? J’utilise le terme de néo-nationalisme palestinien pour désigner tout ce qui embellit l’occupation, soutient la normalisation et défend la solution raciste de deux États comme la solution à la question palestinienne, indépendamment du fait flagrant qu’elle nie les droits des deux tiers du peuple palestinien, à savoir les réfugiés et les citoyens palestiniens d’Israël. Il est parfaitement incarné par les accords d’Oslo, qui ont été signés par la direction de droite de l’OLP et qui ont survécu au cours des deux dernières décennies grâce aux encouragements et au soutien de l’UE, des régimes arabes officiels, des États-Unis et de la Banque mondiale qui a nommé l’un de ses employés au poste de Premier ministre de l’Autorité palestinienne !

Said et tous les autres héros anti-coloniaux mentionnés ci-dessus, auraient eu des réponses très réfléchies pour ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’alternative au statu quo mortel actuel en Palestine – comme s’il n’y avait pas d’alternative à l’occupation, la colonisation et à l’apartheid. Ma défunte mère, qui était analphabète, l’a résumé avec beaucoup d’éloquence en 1993, l’année où les désastreux accords d’Oslo ont été signés. Alors que de nombreuses personnes descendaient dans la rue pour célébrer l’accord qui « apporterait la prospérité et ferait de Gaza le Singapour du Moyen-Orient », elle demanda simplement : ces accords nous permettent-ils de retourner à Zarnouqa ? Elle faisait référence au village dont elle, avec des dizaines de milliers d’autres personnes, ont été ethniquement nettoyées par les milices sionistes.

D’où notre appel en faveur du BDS et à une démocratie laïque dans la Palestine historique. Nous sommes inspirés par le premier mouvement anti-apartheid et les autres luttes contre le colonialisme de peuplement, ainsi que par les grandes idées de ces intellectuels et je dois ajouter, ces combattants de la liberté. Liberté, justice et égalité ou rien, tel est notre slogan. C’est ainsi que nous créons un espace où comme l’a dit Aimé Césaire, « il y a de la place pour tout le monde au rendez-vous de la victoire ».

Traduction : GD pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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