ICAHD UK (Comité israélien contre la démolition de maisons – Royaume Uni) 27 août 2020
Haidar, vous résidez à Gaza où les deux tiers de la population qui y vivent sont issus de familles de réfugiés, est-ce aussi votre cas ?
Oui, mes parents sont originaires du village de Zarnouqa, dans le district de Ramla, qui a subi un nettoyage ethnique par les gangs sionistes en 1948. Je suis né dans un camp de réfugiés dans Gaza, et puis j’ai vécu dans la ville de Gaza où j’ai grandi. Mon père travaillait pour l’UNRWA et ma mère était à la maison. Mes parents sont décédés en 2005, mais toute leur vie, ils ont rêvé de retourner dans leur village.
En grandissant, avez-vous été en mesure de quitter Gaza pour faire l’expérience d’une vie en d’autres pays ?
Bien sûr, il a toujours été difficile de voyager, même avant 1993, l’année de la signature des Accords d’Oslo, Israël contrôlait le passage de Rafah et il fallait demander une autorisation pour voyager. Beaucoup de jeunes gens se sont rendus à l’étranger pour y étudier et même travailler.
J’ai pu voyager dans de nombreux pays. J’ai obtenu mon premier et mon deuxième diplôme universitaire à l’Université de la Méditerranée orientale à Chypre, et mon doctorat à l’Université de Johannesbourg, en Afrique du Sud, où je suis resté environ 6 ans. J’ai eu de la chance car j’avais le soutien de mon père et j’avais aussi réussi à obtenir des bourses de mes propres universités grâce à mes performances.
Je tiens à ajouter que j’ai beaucoup appris sur la lutte anti-apartheid et les sacrifices de la majorité noire pendant mon séjour en Afrique du Sud. Je suis arrivé là-bas en 1997, trois ans après l’effondrement du régime raciste. Les similitudes entre les deux régimes d’apartheid (Afrique du Sud et Israël) étaient si évidentes pour moi que je me suis senti chez moi pendant tout le temps que je suis resté à Joburg.
Avez-vous toujours aspiré à être un universitaire à Gaza, instruisant et motivant les futures générations ?
Oui, cela a été mon objectif tout au long. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de faire ma maîtrise en études postcoloniales, où j’ai étudié les œuvres de Ghassan Kanafani, Edward Saïd, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Ngugi Wa Thiong’o – entre autres penseurs et auteurs anticoloniaux. Cela m’a aidé à contextualiser ce que j’enseigne ici en Palestine, comme professeur associé de littérature postcoloniale et postmoderne, à l’Université Al-Aqsa de Gaza. Mes cours englobent la littérature sur la résistance et j’inclus donc les romans et les nouvelles de Ghassan Kanfani, les théories d’Edward Saïd et de Fanon, les œuvres racistes de V.S Naipaul, les nouvelles de NJabulu Ndebele, les œuvres féministes de Nawas Saddawi, les récits des femmes égyptiennes d’Ahdaf Soueif, les merveilleuses histoires des Afro-américains d’Alice Walker, les brillantes nouvelles d’Anton Tchekhov. Mais aussi les œuvres postmodernes et modernes, de James Joyce à Don Delillo.
Il y a plusieurs années, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies a déclaré que d’ici 2020, Gaza serait inhabitable après les trois bombardements israéliens sur Gaza et le siège israélien en cours qui vous confine dans une prison à ciel ouvert. Pour s’y opposer, en mars 2018, les Palestiniens de Gaza se sont unis pour les manifestations hebdomadaires de la Grande Marche du Retour, chaque vendredi à la frontière. Bien sûr, avec le Covid-19, elle a dû s’arrêter, mais avec le recul, est-ce que la Grande Marche du Retour a permis d’obtenir quelque chose ?
D’abord, la GMR n’était pas seulement une réponse au blocus médiéval de la bande de Gaza par Israël. Permettez-moi de commencer par dire que la conclusion à laquelle les Gazans sont parvenus est qu’Israël a l’intention de détruire Gaza, parce que les organismes officiels et les dirigeants du monde ont choisi de ne rien dire et de ne rien faire. Et comme si les 13 années de blocus, interrompus par trois guerres génocidaires, n’étaient pas suffisantes ! Jamais auparavant, une population ne s’était vu refuser les conditions de base pour sa survie par une politique délibérée de colonisation, occupation et apartheid. Mais c’est ce qu’Israël nous fait aujourd’hui, à nous, peuple de Gaza : deux millions de personnes doivent vivre sans approvisionnement assuré en eau, nourriture, électricité, médicaments, dont près de la moitié sont des enfants de moins de 15 ans. Nous, les victimes d’un système à plusieurs niveaux d’oppression, d’occupation, de colonisation et d’apartheid, nous luttons au nom de la communauté internationale pour l’état de droit. À savoir que nous nous battons pour l’application de la Résolution 194 des Nations-Unies, qui demande le droit au retour dans les villes et villages dont nous avons chassés en 1948 dans un nettoyage ethnique. C’est pourquoi nous avons rejoint la GMR qui vise à l’application de la Résolution 194 des Nations-Unis en plus de la levée du siège meurtrier. A-t-elle permis d’obtenir quelque chose ? Oui, elle a ramené le droit au retour à l’attention de la communauté internationale après des décennies où celle-ci réduisait le peuple palestinien aux seuls habitants de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Il fait partie intégrante de la stratégie de la résistance populaire que nous avons longtemps approuvée, en plus du BDS.
Avez-vous jamais cru que les Accords d’Oslo allaient permettre un État palestinien vraiment indépendant sur 22 % de la Palestine historique ?
JAMAIS ! Dès le premier jour, j’ai pensé que c’était une forme de capitulation et qu’ils accordaient tout à l’Israël de l’apartheid, en ne nous offrant absolument rien si ce n’est une amélioration des conditions de notre oppression. Ils ne sont jamais occupés de la cause palestinienne comme nous la connaissons, à savoir le droit au retour, sans parler de l’égalité pour ceux qui sont considérés comme des citoyens de seconde zone en Israël même. Ils n’ont pas non plus résolus le problème des colonies dispersées en Cisjordanie, et dans la bande de Gaza à l’époque. Nous savons maintenant qu’Israël ne cherchait qu’à gagner du temps. Le slogan que nous avions l’habitude de scander pendant les manifestations, était « Pas de justice, pas de paix » et là-dessus aussi, Oslo a failli. Ils ont également été signés avec l’illusion qu’ils conduiraient à un État palestinien indépendant sur les frontières de 1967, ce qui était une illusion qui faisait oublier qu’avec l’Israël de l’apartheid créant des faits sur le terrain, cet « État »/bantoustan était impossible. En d’autres termes, Israël ne faisait simplement que gagner du temps, et nous l’y avons aidé.
Donc, vous n’avez jamais abandonné votre vision de la libération de toute la Palestine historique. Que doivent faire maintenant les Palestiniens qui ouvrent les yeux sur la réalité qu’Israël n’a aucune intention de créer un jour un État palestinien indépendant ?
Les Palestiniens doivent faire savoir très clairement qu’ils n’abandonneront jamais leurs droits fondamentaux issus du droit international, à savoir la liberté d’occupation (1967), le retour des réfugiés dans les villes et villages, et l’égalité pour tous les citoyens palestiniens de seconde classe en Israël. Mais ce n’est pas une solution politique, plutôt une approche fondée sur le droit. D’où ma croyance en un État laïque, démocratique, après le retour des réfugiés, où TOUS les citoyens sont égaux devant la loi, quelle que soit leur identité ethnique, religieuse ou nationale. C’est une solution à l’image de l’Afrique du Sud. En fait, nous devons décoloniser la Palestine en tant qu’étape nécessaire pour parvenir à cette solution. Israël a créé de facto un État d’apartheid entre le Jourdain et la Méditerranée. La solution à deux États ne concerne que les droits du tiers du peuple palestinien, les habitants de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, laissant les sept millions de réfugiés et les 1,6 million de citoyens palestiniens d’Israël livrés à eux-mêmes, comme s’ils n’étaient pas des Palestiniens !
Nous devons transformer notre lutte afin qu’elle puisse faire face à cette réalité et changer notre discours de celui d’ « indépendance » à celui de « libération ».
Aujourd’hui, les gouvernements, et notamment l’Union européenne, continuent de demander qu’un État palestinien soit établi. Que voulez-vous que nous disions à nos représentants politiques et à tous ceux qui font campagne pour la liberté et la justice pour les Palestiniens ?
En fait, je veux réitérer ce que nous disons depuis 2005. Nous, les natifs de Palestine, avons décidé d’envoyer un message clair : ça suffit. Pour cela, nous avons payé le prix fort : nos enfants sont abattus devant des caméras, en plein jour. La seule fenêtre d’espoir que nous avons, c’est la campagne pour le BDS (Boycott, Désinvestissement, et Sanctions) qui vise Israël pour protester contre ses lois d’apartheid envers les Palestiniens. Nous vous appelons à promouvoir une culture de boycott d’Israël, semblable à celle que vous avez menez contre le système inhumain de l’apartheid en Afrique du Sud. Vous n’avez jamais envisagé que des demi-solutions quand il est question d’apartheid ; c’était très clair : une personne, une voix. Vous n’avez jamais reconnu aucun des infâmes bantoustans d’Afrique du Sud. De même, nous avons besoin de votre soutien pour la liberté, la justice, et l’égalité en Palestine. On ne peut pas y parvenir par des solutions racistes basées sur une séparation nationale, religieuse, et ethnique, mais plutôt par des solutions INCLUSIVES à l’image de l’Afrique du Sud.
Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine