Elever des enfants à Gaza était déjà difficile. Et puis est arrivé un confinement dans le confinement.

Des enfants regardent par la fenêtre de leur maison dans le quartier Abu Skander de Gaza le 9 septembre, en plein confinement imposé à cause du coronavirus. (Loay Ayyoub pour The Washington Post)

Par Hazem Balousha, 12 septembre 2020

GAZA — Il était tard dans la nuit à Gaza. Adam et Karam, mes deux fils, étaient endormis. Mais le son des bombardements était très fort, les avions israéliens ciblant des sites militaires du Hamas. Ma peur, comme toujours, était que le bruit les éveille et leur fasse peur. Mais quand j’ai vérifié, ils dormaient.

Il n’y aurait eu nulle part où aller s’ils s’étaient vraiment réveillés. Pour la première fois depuis que la pandémie de coronavirus a commencé, les deux millions de Gazaouis sont en quarantaine à la maison pour ralentir une épidémie croissante. Nos mouvements sont toujours restreints à l’intérieur des 360 km2 de Gaza, bornés par la Méditerranée d’un côté et clôturés par l’armée israélienne de l’autre. Mais maintenant, alors que les avions tirent à l’extérieur pour la vingtième nuit consécutive, nous ne pouvons même pas quitter nos maisons.

Nous sommes coincés en confinement dans le confinement.

Pendant des mois, nous avons enregistré seulement quelque 100 cas de coronavirus à Gaza, tous parmi des résidents revenant de l’extérieur, qui ont été immédiatement mis en quarantaine. Mais le 24 août, les premiers cas d’origine inconnue ont été rapportés, dans le camp de réfugiés bondé de Maghazi et Gaza a été placé la nuit même sous confinement total. Depuis, nous avons enregistré plus de 1400 cas locaux. 

C’est beau d’être un parent. Mais à Gaza c’est aussi particulièrement difficile. Cela a été vrai depuis qu’Adam est né, il y a dix ans : je ne l’ai rencontré que deux mois plus tard parce que le blocus d’Israël sur Gaza signifiait que je ne pouvais être avec sa mère, Ruba, lorsqu’elle a accouché en Cisjordanie, où sa famille vit.

« Serais-je capable de le protéger et de lui assurer une bonne vie dans Gaza assiégé ? », me suis-je demandé en m’émerveillant devant mon minuscule garçon. Dans la décennie qui a suivi, la question n’a jamais disparu. Le constant cycle d’escalade entre Israël et le Hamas, le groupe militant qui gouverne ici, a signifié des nuits explosives et deux fois la guerre générale. Plus récemment, Hamas et d’autres groupes militants ont lancé des ballons incendiaires qui ont provoqué des feux dans les communautés et les fermes israéliennes voisines. Israël réplique chaque nuit en faisant sauter des établissements du Hamas. C’est l’arrière-plan violent de nos vies.

Les garçons dormaient et j’ai allumé une lampe pour lire. Nous avons la chance de pouvoir nous permettre notre propre système d’électricité solaire qui fournit environ 70% des besoins de notre foyer. Beaucoup de mes voisins dans la ville et presque la totalité des 600 000 personnes vivant dans les huit camps de réfugiés de Gaza passent la plus grande partie du confinement dans l’obscurité.

L’armée israélienne a détruit la principale centrale électrique de Gaza pendant la guerre de 2006. Dans les meilleurs moments, nous avons seulement huit heures d’électricité par jour, les coupures alternant entre les quartiers. Mais il y a trois semaines, en représailles contre le lancement des ballons, Israël a coupé les expéditions de carburant à la dernière centrale électrique de Gaza. Lorsque l’épidémie a commencé à augmenter fin août, Gaza n’avait que quatre heures d’électricité par jour.

Un monde qui se rétrécit une fois de plus 

Etre enfermé dans la maison en étant aussi bloqué dans notre petite enclave côtière est très désagréable. Une manière de rester sain d’esprit lorsqu’on vit sous un siège est de se déplacer où c’est possible, de se réunir avec vos compagnons gazaouis dans des cafés, dans des mosquées ou à la plage. Dans les camps, la vie sociale est centrée sur la famille et les amis, réunis sur les trottoirs et les perrons des logements. Maintenant, même cette connexion à une société normale est coupée. 

Comme partout, Gaza a subi des restrictions dues au coronavirus depuis des mois. Les restaurants ont été fermés ou limités à la vente à emporter. Les mosquées et les églises ont été fermées. Mais quiconque entrant dans Gaza par les checkpoints était mis en quarantaine pour trois semaines et le nombre d’infections restait bas.

Mes garçons étaient retournés à l’école dans la deuxième semaine d’août, après une absence de cinq mois. Le trimestre a commencé tôt avec l’espour que les enfants pourraient rattraper ce qu’ils avaient manqué. Ils étaient excités de retourner à l’école et de voir leurs camarades. Ils avaient des réussites héroïques à partager : Karam avait gagné sa ceinture jaune de karaté et Adam avait appris de nouveaux mouvements au football. L’école est l’un des quelques endroits où la vie gazaouie paraît normale. 

En l’espace de quelques semaines, les cours se sont encore arrêtés à cause d’une épidémie soudaine de nouveaux cas. Les frappes aériennes continaient chaque nuit, la pandémie se rapprochait et notre monde se rétrécissait une fois encore.

L’école manque aux enfants autant qu’à leurs parents. Maintenant la plupart de leurs jeux se passent sur leur Playstation. Leur vie sociale consiste à ce que des cousins et des amis puissent les rejoindre en ligne pour quelques heures de « Fortnite ».

C’est peut-être unr bonne chose qu’ils soient encore trop jeunes pour comprendre les couches de conflit et de pandémie qui pèsent sur eux. Nous sommes capables de les distraire. Quand nous sommes libres de nous déplacer, nous leur donnons une vie qui est riche par rapport aux standards de Gaza, avec une famille étendue, des amis, une école et des endroits publics. Vous voulez les protéger. Mais la réalité à Gaza fait que cela semble de plus en plus une mission impossible.

La technologie — une bénédiction et une malédiction

Adam et Karam tirent chaque jour des leçons sur la façon dont leurs vies diffèrent de celles des jeunes qu’ils voient sur leurs écrans. Ils me demandent quand nous voyagerons pour rendre visite à leur grand-mère en Cisjordanie, quelque chose qui nécessite des mois à planifier. Des permis sont requis, de la part d’Israël et parfois du Hamas et de l’Autorité palestinienne — tous les trois maintiennent des checkpoints à un passage vers Israël pour les individus. Chacun d’eux peut dire non, et Israël le fait souvent. 

Maintenant, même cette possibilité a disparu.

 La technologie est une bénédiction qui ouvre les esprits de mes enfants et étend leur connaissance. Mais elle peut aussi être une malédiction dans des endroits assiégés comme Gaza. Tant de choses que nous voyons, et ne pouvons pas faire. Les endroits qu’Internet nous apporte sont hors d’atteinte à jamais. Je pense à mes amis qui ont obtenu des bourses pour étudier à l’étranger mais n’ont pas pu sortir de Gaza pour s’en servir.

Pour beaucoup de Gazaouis, leur voyage le plus éloigné est le bord de la mer, où nous nous rafraichissons dans les brises de la Méditerranée et regardons vers un monde qui nous est à peu près totalement fermé.

Mais comme c’est Gaza, même un jour à la plage est compliqué par le conflit. Il n’y a pas assez d’électricité pour alimenter les centrales de traitement de déchets et nous ne pouvons nager à cause des eaux d’égout non traitées qui sont déversées dans la mer.

Un soir, quelques jours avant le confinement, j’ai amené les garçons àla plage. C’est toujours un mélange de peine et de plaisir de s’asseoir avec eux, de les regarder jouer, tout en sachant qu’ils vont courir au bord de l’eau et revenir, me demandant toutes les cinq minutes s’ils peuvent nager. Je dois dire non.

Peu après l’embrasement de la pandémie, Israël et le Hamas ont négocié un autre cessez-le-feu, avec la médiation du Qatar. Les ballons et les bombes se sont arrêtés pour le moment ; nous avons quatre heures d’électricité supplémentaires pour éclairer notre quarantaine. 

Nous savons par expérience que ce calme fera bientôt place à la violence. Des deux confinements, celui provoqué par le virus sera le premier à être résolu. Nous pouvons seulement prier pour pouvoir garder nos enfants en sécurité jusqu’à ce qu’il le soit. 

Quand cette quarantaine sera terminée, nous retournerons à la plage pour revendiquer un des plaisirs qui nous sont accessibles. C’est la vie d’un parent à Gaza, un cycle de tension et de soulagement, de désespoir et de joie. Ils seront heureux dans le sable et je dirai non à la nage, attendant comme toujours le jour où je pourrai dire oui.

Trad: CG pour l’Agence Média Palestine

Source: Washington Post

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