FAUDA : essai sur la série israélienne Fauda

Par Bernard Favier, en Septembre 2020

Je commencerai ce travail d’analyse en citant une intervention d’Elias Sanbar lors d’un entretien à l’iReMMO, autour du « plan Trump » pour la Palestine, en compagnie de Dominique Vidal. Elias Sanbar est Ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO  mais il est aussi un grand cinéphile. A l’occasion de ce rendez-vous, Elias Sanbar  a évoqué la similitude qu’il existait entre les deux colonisations : américaine et israélienne. Je le cite :

« Il y a quelque chose de très profond  entre les Etats Unis et Israël, ces deux pays sont nés de la même façon, les deux sont nés d’une colonisation. L’effet de miroir qui dit aux USA combien ils sont légitimes se reflète exactement dans l’œil d’Israël. Ces deux pays sont nés d’une colonisation de remplacement et non de la colonisation  de peuples autochtones. Et dans l’histoire américaine, chose fabuleuse, quand ils arrivent il y a 400 nations indiennes capables d’exploiter toutes les ressources. Ils les déciment et font venir pour la main d’œuvre des esclaves noirs d’Afrique. Il y a bien quelque chose là de commun, parce que quand les Belges arrivent au Congo ils ne le vident pas ils l’exploitent, comme ont pratiqué les Anglais en Inde. Il  y a, donc, un phénomène de reconnaissance. Ces deux pays, Israël et les Etats – Unis pensent qu’il sont tous les deux la quintessence du bien, doublé d’une mission divine. Ne jamais oublier qu’Israël est né en réponse à la barbarie nazie, donc, dans le camp du bien ».

Je vais tenter, à partir de ce qui pourrait être un postulat sur l’occupation de l’espace et l’accaparement des ressources, de voir à travers une série qui se revendique comme  une œuvre de fiction, mais, in fine,  pas tant que çà, comment ces deux pays ont tenté, et pour les Etats–Unis réussi, grâce à un genre cinématographique, le Western,  à faire imprimer la légende comme étant le récit de leur histoire. Fauda serait alors une sorte de miroir du western américain tendu aux spectateurs, dans un autre temps et dans d’autres lieux. A ceci prés que, lorsque le western devient un genre de cinéma triomphant, les Indiens ont déjà été exterminés. La mission du  Western consistera, exclusivement, à favoriser la substitution de la légende à l’histoire. Les Palestiniens, eux,  malgré la Nakba de 1948, l’expulsion très violente et meurtrière de plus de huit cent mille d’entre eux, sont encore là.

Le principe de cette série consiste, à partir d’un groupe d’une dizaine  hommes et deux femmes, à constituer une Unité d’infiltration dont  les missions seront d’intervenir en territoire palestinien. Ces missions d’infiltration en territoire ennemi ne sont pas totalement effectuées en terre inconnue puisqu’elles interviennent sur des espaces déjà occupés par l’armée israélienne, même si la série fait politiquement l’impasse sur cette occupation, sauf à deux ou trois exceptions. Le  principe de l’infiltration est simple. Une équipe soudée  parfaitement bilingue arabe/hébreu, allant parfois jusqu’à se grimer pour paraitre plus arabe, une équipe surarmée et équipée de tous les moyens de transmission et d’observation les plus sophistiqués, va traquer des Palestiniens armés. Mais ce qui est criant, c’est bien  la disproportion des moyens dont chaque camp dispose. Surarmement sophistiqué et techniques dernier cri côté israélien, armement rudimentaire avec au passage une note certainement issue du scénario comme  une marque de fabrique du terrorisme, un penchant pour les explosifs  côté palestinien. Au final ce qui caractérise ces trois saisons, c’est qu’elles sont toutes les trois, imprégnées de ce qui pourrait être l’inconscient d’Israël. Le récit devient, de bout en bout, une métaphore permanente de l’occupation, par l’occupation de l’espace mais , en plus , par une occupation jusqu’à saturation de l’écran par l’Unité d’infiltration au détriment des Palestiniens, à laquelle assistent nos regards, par nature impuissants.

FAUDA Saison 1

La création de la série israélienne la plus célèbre, aujourd’hui, émane de deux personnages dont les histoires personnelles sont le reflet  de cette série. Lior Raz d’abord. Il est né et a grandi dans une colonie de Cisjordanie occupée, de parents juifs qui ont émigré d’Irak et d’Algérie. Son père travaille pour le ministère de la défense et sa mère est enseignante.

Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, il rejoint l’unité d’élite de l’armée israélienne Douvdevan. Alors qu’il est à l’armée, son amie Iris Azulai est poignardée à mort par un Palestinien de Bethléem,  cette mort aura une influence déterminante sur la construction de la Série. Après son service militaire en 1993, il part aux Etats Unis, Arnold Schwarzenegger l’engage pour être son garde du corps. De retour en Israël il s’inscrit au cours d’art dramatique  Nissan Nativ à Tel Aviv. Il est parfaitement bilingue hébreu et arabe.

Le second personnage à l’origine de Fauda s’appelle Avi Issacharoff. Il passe son enfance à Givat  Shaul, lui aussi parle parfaitement l’arabe. Après ses études, il devient correspondant aux affaires du Moyen-Orient pour une radio israélienne. En 2014 en reportage télé, Avi Issacharoff et son cameraman sont attaqués par des jeunes Palestiniens masqués alors qu’ils couvrent une manifestation de protestation dont la cible reste indéterminée à ce jour. Il souhaite témoigner dans un livre de son expérience sur le terrain lorsqu’il rencontre son ami Lior Raz devenu  acteur et qui, lui, veut témoigner en réalisant  un film. La cause est entendue, ils vont coécrire le scénario de la série Fauda. La première saison sera diffusée en février 2015, la saison 2 en décembre 2017 sur la chaîne câblée israélienne Yes. La série recevra de multiples prix en Israël et aux USA.

Fauda signifie Chaos en arabe, précision nécessaire au regard des affrontements souvent à sens unique qui vont avoir lieu. Il était donc indispensable  que cette série soit affublée d’un titre arabe, et que ce titre puisse avoir vocation à cibler et à  renforcer l’aspect dramatique attribuable, on le verra,  aux Palestiniens. Les membres de l’Unité spéciale sont tous parfaitement bilingues, avantage indispensable pour les opérations d’infiltrations qui sont la marque de fabrique de l’Unité. Nous sommes en 2015. A cette époque les Palestiniens ont déjà opté pour la lutte non violente. Une décision prise essentiellement parce qu’ils ont mesuré la disproportion de leurs moyens militaires face à l’armée israélienne surarmée. Les concepteurs de Fauda choisissent, à contrario de la situation réelle en Cisjordanie occupée et sous surveillance permanente, de décrire des Palestiniens surarmés et dans leur majorité membres du Hamas, avec une visée simple et un seul mot d’ordre : tous terroristes.

Dans cette première saison le scénario pour l’équipe d’infiltration consistera  à localiser le Palestinien Abou Ahmad ennemi public numéro un et à l’éliminer. Un indic signale qu’il sera présent au mariage de son jeune frère. Mais rien ne se passe comme prévu, les infiltrés rapidement repérés sur les lieux de la noce font usage de leurs armes et tuent le jeune marié.

Abou Ahmad qui s’était grimé en vieillard pour se rendre au mariage, averti en chemin par la pétarade de la fusillade, retourne chez lui. Les douze épisodes seront une battue générale : localiser et abattre Abou Ahmad. Pour faire durer ce scénario le schéma est simple. A chaque localisation, l’unité est sur les dents  et débarque  sur les lieux. Mais chaque fois Abou Ahmad a disparu, une astuce pour amplifier son insaisissable dangerosité, se renseigner sur le réseau occulte dont il bénéficie, et faire reprendre du service au tous terrorises. L’ennemi palestinien n’est dans aucune séquence   valorisé, jamais  courageux, plutôt désigné  et montré comme un clan violent de fous de Dieu. Jamais série n’a autant correspondu non pas à une réalité vraie, mais à une autre, celle  que ce récit devrait graver  dans le marbre : une  nouvelle légende du peuple juif. Doron Kavillo le personnage principal l’acteur Lior Raz en est aussi le scénariste. Il est issu de  Douvdevan l’unité qui l’a formé à ce qui est mis en scène dans Fauda. Scénariste, acteur et conseiller technique.  Doron le meneur de cette brigade se faufile en Cisjordanie. Rien ne nous signale que nous sommes sur une terre occupée : aucun check point, aucune action de répression dans la profondeur de champ des séquences filmées. L’imitation  des séries américaines est patente. Imitation scénaristique et technologique : écrans de contrôle géants même si une série américaine a été inspirée par une série israélienne, Homeland  issue de la série Hatufim. Dans Homeland nous pouvons trouver ce qui manque sur le plan formel à Fauda : du suspens dont le seul axe ne sera pas la violence, mais une vraie géopolitique imaginée à l’avantage des USA, qui construit un récit tenant compte de ces réalités, le contraire d’un scénario à sens unique. Accessoirement des cadrages soignés, un découpage et un montage sophistiqués, et un véritable travail sur la lumière. Dans Fauda, des deux côtés, israélien ou palestinien, on passe toujours en force soit par assassinat soit par enlèvement. La psychologie y est rudimentaire et les sentiments baignent dans une sensiblerie maladroite. La loi du talion reprend également du service, œil pour œil dent pour dent, mais plus justement pour l’Unité israélienne, pour une dent toute la  mâchoire. Dès qu’une scène est un peu tendue, le réalisateur filme immédiatement en gros plan créant une intensité sans profondeur. Ce qui peut identifier Fauda aux séries américaines surtout  celle des origines  24 heurs chrono, est essentiellement la visualisation permanente de l’espace. Sa concrétisation  doit s’approcher de  l’accomplissement d’un fantasme, celui d’une ubiquité totale. Nul besoin pour cela d’installer des éléments de surveillance quand on sait qu’ils existent déjà. Parce qu’Israël * exerce sur Gaza et la Cisjordanie un cyber contrôle dont cet Etat s’est fait une réputation universelle. Ou comment  contrôler de façon efficace une population de prés de cinq  millions de personnes en utilisant l’intelligence artificielle, le big data, les drones et leurs caméras mais aussi les hélicoptères. La cause est entendue, dans Fauda le poste de commandement israélien voit tout, entend tout, mais comme un prérequis. Les groupes palestiniens seront, dans les extérieurs, sous surveillance, partout, de nuit comme de jour. Cette surveillance cessera, c’est une loi du genre, lorsque l’action aura besoin de souffler ou de rebondir. Mais nous voyons bien que le quadrillage de la surveillance auquel les Palestiniens  sont soumis dans leur réalité quotidienne, devient un acquis visuel qui n’exige même plus une technologie de surveillance  à installer  pour exister. Il va de soi que l’œil d’Israël est partout  comme un regard surplombant, dont la parabole serait celle d’un regard divin qui verrait tout et entendrait tout. Ce désir d’ubiquité et de contrôle puise ses origines dans le cinéma allemand, ce principe de surveillance est présent dans les trois Mabuse : films de Fritz Lang des années vingt, trente, et soixante dans lesquels un personnage diabolique, principalement celui de 1933, qui dirige, depuis  l’asile psychiatrique où il est interné, un gang de malfaiteurs lui rapportant  tous leurs méfaits diaboliques. Ce monstre venu des entrailles des puissances du mal absolu, préfigurait pour Fritz Lang, la montée du nazisme. Le docteur Mabuse des années soixante met tous les protagonistes de l’hôtel qu’il dirige  sous contrôle,  grâce à de multiples  cameras dissimulées, affichant ce qui est capté sur un mur d’écrans cathodiques. Première vision d’une mise sous surveillance générale  au cinéma. L’autre figure tutélaire de Fauda serait celle du Western avec le rappel des propos attribué au  général Yankee Sheridan lors des Guerres indiennes : «  un bon indien est d’abord un indien mort ». Propos qui trouve plus qu’un écho, une  suite contemporaine, rencontrée sur une place de Tel – Aviv lors d’une manifestation de soutien à Elor Azaria, ce soldat israélien, meurtrier d’un jeune palestinien qu’il acheva d’une balle dans la tête alors qu’il gisait au sol gravement blessé. La principale banderole de cette manifestation était sans ambiguïté : KILL THEM ALL.

AL JAZEERA

Cette première saison est déjà emblématique de quelques  systématisations.

 La vie personnelle ou quotidienne, le mode de vie palestinien ne sont  jamais évoqués ou montrés autrement que pour servir les intérêts de l’Unité israélienne d’intervention. Ce qui veut dire plus précisément que, lorsqu’ un Palestinien  ou une Palestinienne apparait à l’écran, c’est que leur présence est liée à l’action que mène l’Unité d’intervention. Jamais dans une digression humaine : une mère et ses enfants, un repas en famille, une veillée. Ce n‘est pas le cas des proches des membres de l’Unité dont la vie personnelle est très présente pour  l’entretien du moral de la troupe : beuveries, coucheries et tromperies comprises. Leur mode de vie hors des opérations « anti terroristes », est assez généreusement exposé pour que nous puissions saisir qu’il y a dans le récit une séparation entre la vie personnelle des membres de L’Unité et leur rôle d’agents d’infiltration.

Dans cette première saison le sexe, élément toujours présent dans toutes les  séries internationales, n’est à l’œuvre qu’une seule fois entre une agent et son supérieur pour un coït  à la hussarde dans les locaux de l’Unité.

* cf  Sylvain Cypel –  L’Etat d’Israël contre les juifs – Editions  La Découverte.

FAUDA Saison 2

La simplicité biblique dirait « on prend les mêmes et on recommence ». Le principe sera respecté côté  Unité israélienne. L’ennemi Abou Ahmad a été tué à la fin de l’épisode précédent. Le récit  exonère les Israéliens de sa mort. Ce membre du Hamas, présumé terroriste, n’a pas été tué par la brigade israélienne mais par Walid un autre Palestinien. Le tour est joué dédouanant sans frais l’Unité. Les luttes internes font se tuer entre eux les militants du Hamas. Cette saison 2 va fonctionner à l’identique de la première, par une propagande qui ne sera pas celle d’un point de vue sur l’analyse introspective d’un mode de vie qui serait supérieur à l’autre entre Israéliens et Palestiniens. Non ! L’urgence consiste à maintenir le cap, Palestiniens : tous terroristes. Les responsables de l’Autorité palestinienne, dès qu’ils apparaissent, sont assez justement dépeints même si le trait est un peu gros. Ils sont dans une logique de collaboration. Le responsable de l’Unité entre chez eux sans rendez-vous. Et le membre de l’Autorité qui le reçoit arrange toujours ses affaires, même pas de rôles à double jeu mais des gens acquis  et transparents, comme s’ils géraient une antenne de l’Unité israélienne.

Dans cette Saison 2 la donne va évoluer et le curseur du terrorisme monter d’un cran. L ‘ennemi public numéro 2 s’appelle Al Makdassi, c’est un dissident de Daesh qui rentre de Syrie. Après le Hamas il fallait que le scénario aggrave la situation. Le coscénariste de la série avec Lior Raz, Avi Issacharoff livre, dans un entretien télé ce que devrait être la réception de Fauda : « Rien que le titre Fauda  (Le Chaos) est significatif et correspond à l’état de chaos dans lequel nous vivons. En Israël ou dans les territoires palestiniens – occupés NDLR – je pense que nos intentions étaient en quelques sortes de perturber les spectateurs. – Est ce que nous regardons, quelque chose qui pourrait arriver ? – C’était l’idée. Je pense qu’en regardant Fauda on peut presque ressentir   ce qu’il se passe, même devant la télé on peut avoir l’impression de le vivre ». Le vivre peut-être mais le ressentir comme une réalité, sera difficile.

Car  voir  s’affronter, en faisant parler la poudre, sur une place de Naplouse des Israéliens surarmés et des Palestiniens lourdement armés eux aussi, ne recouvre aucune réalité et renvoie simplement à un genre : le Western. Et c’est bien ce qui dérange dans cette série qui se voudrait le reflet d’une réalité, mais comme celle-ci n’existe pas, sa construction est seulement idéologique. Son projet réel pour formater l’avenir est celui d’une saga calquée sur le modèle US, redisons-le, celui d’une colonisation de remplacement dont le Western déclina la légende.

Et Avi Issacharoff ajoute « En tant que journaliste j’allais à le rencontre de représentants palestiniens, qu’ils appartiennent à l’Autorité palestinienne ou qu’ils soient de simples citoyens. J’ai également rencontré ceux considérés comme des terroristes, pour apprendre à les connaître pas forcément pour rigoler, mais écouter leur histoire pour pouvoir la transmettre à la presse israélienne. Au risque d’exagérer : notre mission est sacrée. Les gens ici ne veulent pas entendre parler des Palestiniens, et du côté palestinien, on ne s’intéresse pas non plus aux Israéliens. Mais il faut continuer de montrer aux gens de chaque côté le point de vue de l’ennemi. L’autre côté doit voir ça. Que ce soit les Israéliens, les Palestiniens ou le reste du monde ». Voilà un discours bien rôdé, celui du fantasme de la    compréhension mutuelle et d’une entente nécessaire, alors que la série est un document à charge dont le background : « tous terroristes » pointe sans ambiguïté, ce que ce type d’ anathème énonce pour rendre irréconciliable toute  idée d’entente mutuelle.  Mais cette colonisation s’incruste aussi sur l’écran. Je me suis livré à une expérience qui, sans être infaillible, dit quand même que les Israéliens colonisent également  l’écran sur lequel se déroule Fauda. J’ai chronométré  la présence à l’écran, des Palestiniens et des Israéliens. Sur une durée totale de 525 minutes de cette saison 2, la présence à l’écran des Palestiniens  se solde par 170 minutes, un timing essentiellement consacré  à comploter, jamais dans une séquence de leur vie quotidienne amicale ou familiale. Les 355 minutes restantes sont entièrement  dédiées à l’Unité israélienne pour ourdir sa traque impitoyable mais également pour se soucier du repos du guerrier, de sa  famille, du moral des femmes et des enfants face à l’absence du mari et du père, ou retrouver les membres de l’Unité pour copieusement arroser ces moments de retour au bercail. Fauda est avant tout une série israélienne à destination d’un public israélien.

Dans cette saison 2, le rôle des femmes palestiniennes, sans être prépondérant, n’est pas absent ou  seulement décoratif. La première qui sera visible et active est la doctoresse Shirin Al Abed interprétée par l’actrice franco –libanaise Laëtitia Eïdo. Elle sera prise entre le feu de deux hommes : Walid son cousin  adjoint d’Abou Ahmad dans la saison 1 qui lui demandera son aide pour un attentat et lui fera une demande en mariage qui s’avère très vite  un  mariage forcé. L’autre homme est  le meneur de L’Unité d’infiltration Doron Kamillo / Lor Diaz co-auteur de la série, qui va lourdement la courtiser à coup de mensonges et de séduction de pacotille. Dans Fauda 2,  l’expression  des sentiments a plus à voir  avec l’étalage d’une sensiblerie vieillotte que de la réelle prise en charge d’un univers sentimental complexe. Evidemment le scénario va pousser Shirin  à choisir, d’un côté son cousin Walid et sa demande de mariage forcé au nom de la cause et du groupe, de l’autre Doran le joli cœur qui avance ses pions de professionnel du renseignement. Pas de suspens. Par une  exigence liée à l’enquête, Doran arrivera à ses fins en faisant de Shirin sa maitresse. Pour sa sécurité il l’enfermera dans un bâtiment réservé à l’Unité. Il obtiendra d’elle qu’elle trahisse le camp palestinien, proposition faite à la plupart des femmes palestiniennes approchées par l’Unité contre un passeport israélien pour échapper au sort tragique que lui réserve la suite de son passage à l’ennemi. La simplicité du scénario de Fauda laisse rêveur, il n’est que celui de la vengeance qu’accompagne une violence débridée. L’ensemble de cette Saison 2 est, comme la première, filmé sans soin, privilégiant de très gros plans hurleurs comme excellence de l’intensité. L’ultime constat de cette saison est cruel : nous sommes devant une série pas réjouissante mettant face à face deux mafias dont l’une vit en famille alors que le destin de l’autre est de  fuir. Parce que côté palestinien s’ils sont : tortionnaires, traitres, collabos, côté israélien  ils sont gangrenés jusqu’à l’os par l’idée de vengeance, la fin justifiant toujours les moyens. Alors oui ! Le scénario  de cette  vengeance a une autre idéologie, et elle n’est pas à l’avantage de leurs auteurs, celle  d’un récit qui serait celui de l’affrontement de deux groupes mafieux, semblable à ceux des gros bonnets de la drogue, sans autre vision que celle de mutuellement s’éliminer à armes très inégales. Pour faire la différence et ne pas risquer d’amalgame ou d’égalité entre les deux groupes il suffira de se souvenir des mots d’Elias Sanbar : « Ne jamais oublier qu’Israël est né en réponse à la barbarie nazie, donc, dans le camp du bien ».

FAUDA Saison 3

Cette Saison 3 débute  sur une proposition différente des deux autres. L’air de la vengeance n’y est pas immédiat et nous pourrions croire à un début d’entente cordiale entre Palestiniens et Israéliens.  L’effet de surprise sera bref. Les premiers plans trompeurs nous ont montré Doron Kavillio / Lior Raz producteur et acteur principal  de la série, à Hébron  ville symbolique de l’occupation israélienne de la Palestine, dans laquelle six cents colons sont protégés par mille soldats en armes dans une colonie mitoyenne  du  centre historique, qui a dépossédé les habitants palestiniens  de leur centre historique : la célèbre rue Shuhada. Les Palestiniens y sont tracassés et humiliés quotidiennement par des colons ultra orthodoxes.

Nous allons être fixés rapidement, Doron a réussi une infiltration XXL dont nous ne saurons rien de la construction, mais le voilà sous le pseudonyme  arabe d’Abou Fadi coach de Bashar un jeune boxeur palestinien qui lui voue une confiance absolue. Préalablement nous aurions pu glisser vers un mieux et imaginer le peu d’humanité à laquelle les plans calmes d’Hébron et la vision du jeune boxeur devenu l’ami de Doron nous invitaient. Mais cette sensation sera très vite gommée et disparaitra du champ des possibles.

Parallèlement  à cette introduction nous assistons à la libération d’un prisonnier palestinien ex-cadre du Hamas répondant au prénom de Jihad, phonétiquement une infime différence entre ce prénom et le Djihad. Il est le père du jeune boxeur Bashar coaché par Doron qui est devenu l’ami de la famille. C’est ce père qui vient d’être libéré que Doron veut approcher. La boxe comme projet va disparaître des radars.

Cette troisième saison est un peu plus élaborée que les deux précédentes,  la grammaire cinématographique, si ce terme a encore un sens appliqué aux séries, y est un peu plus rigoureuse. Le montage répond davantage à l’action et à la « psychologie » qui l’accompagne, les plans nuit sont plus finement éclairés. Les séquences s’enchainent avec plus de souplesse. Les gros plans hurleurs dès que la situation se tend y sont moins nombreux.

L’infiltré avec son nom arabe  est l’ami de la famille. Bashar sera, lui,  l’innocent utile  qui va apprendre la vie à ses dépends et quand il apprendra que c’est pour se rapprocher de son père que Doron lui a proposé de l’entrainer à la boxe, il se sentira horriblement trahi. Ce grain de sable d’humanité va être emporté dès le 3éme épisode  par un déchainement de violence. Toutes les actions vont se solder par d’innombrables morts côté palestinien. Tous les chefs de réseaux dont Fauzi le plus recherché seront tués par l ‘Unité et des renforts militaires, la violence sur le terrain sera décuplée. Finies les  disparition subites  de l’ennemi public à l’arrivée de la brigade, comme dans les saisons 1 et 2. C’est dans ce chaos de larmes et de sang que nous devons nous rappeler  que les auteurs de la série nous assurent ne pas avoir d’autre ambition officielle que celle de nous divertir. Le projet a assurément un fondement idéologique : discréditer les Palestiniens essentiellement par la négativité de leur représentation, mais aussi, en montrant d’une façon  poussée jusqu’à la caricature,  les  structures  liées à l’Autorité palestiniennes comme ringardes et collabos.

Tout au long de cette troisième saison, si le scénario se complexifie, les représentations sociologiques vont de mal en pis. Comme dans les deux saisons précédentes, il y a une discordance vertigineuse entre la représentation du corpus social israélien et celle du corpus palestinien. On en revient encore au western dans lequel  le corps social de ceux qui sont nés pour « vaincre » est exposé comme ici dans son entièreté : le  combattant, sa femme ou sa compagne, ses enfants, la vie affective de la famille dans un quotidien reconnaissable. Mais aussi  des moments de vie sexuelle virile, ou de vie en couple, ou entre amis. La représentation de la vie palestinienne, elle,  ne baigne jamais dans l’intimité de la vie quotidienne. Chacun vit selon un rituel issu des clichés sur le rôle prépondérants des hommes, l’effacement des  femmes et surtout une vie sociale bordée par la peur des vengeances de tout poil suite aux actes des maris, pères, frères. Aux Israéliens les libations et la joie des retrouvailles, aux Palestiniens la stricte rigueur du cliché colporté sur la famille musulmane, transie par la peur de la vengeance.

Bashar est contraint de fuir puisque c’est lui qui a entrainé la mort de son cousin Fauzi  suite à l’infiltration réussie de Doron/Abou Fadi son coach. C’est avec son père que cette fuite s’opère car il veut protéger son fils, considéré comme un traitre, le Hamas exige qu’il soit éliminé. Leur cavale va rebondir pour donner un peu plus de corps au scénario. Ils rencontrent par hasard un  jeune couple israélien visitant la Cisjordanie. Ils décident de leur enlèvement en braquant sur eux l’arme que leur a remis un passeur. C’est donc en pleine nuit qu’ils empruntent un tunnel qui les conduira jusqu’à Gaza.

L’ennemi de cette saison ne sera pas incarné par un  homme à abattre mais sera porté et symbolisé par une infiltration dans une ville tabou évacuée  par les forces israéliennes mais maintenue sous un blocus aux mâchoires d’acier : Gaza. Une infiltration tabou et compliquée puisque les forces israéliennes ont quitté la bande de Gaza depuis 2005. Alors comment faire ? Tourner à Gaza serait certainement beaucoup trop risqué. L’infiltration aura lieu, mais sur une base israélienne repeinte en Gaza. Bashar, son père et leurs otages doivent trouver un lieu où ils pourront se cacher et maintenir leurs otages en captivité. Evidemment ce qui occupe leur projet est l’échange de ces otages contre des prisonniers palestiniens enfermés dans les prisons israéliennes. On se souvient de ces échanges disproportionnés qui en disent long sur la valeur d’échange, donc de cette question philosophique de  la valeur des individus qui pourrait se résumer à une morale simple : suivant que vous serez israéliens ou palestiniens … Un israélien Gilad Shalit prisonnier des Palestiniens a été échangé contre quatre cent soixante-dix-sept Palestiniens. Des libérations qui s’apparenteraient plutôt à une permission de sortie puisque  certains  prisonniers sont, dès leur sortie, localisés, rattrapés et replacés dans leur cellule.

L’Unité débarque à Gaza à la recherche des deux otages, la série continue avec un seul objectif : un désir effréné de vengeance. L’otage homme arrive à fuir mais sera tué par un garde du Hamas car il n’a pas  répondu en arabe  aux sommations. Yaara l’otage restante sera utilisée au mieux du cliché habituel des  groupes terroristes.  Elle lira un texte écrit par le Hamas avec demande express de se plier aux demandes  du groupe gazaoui. Le scénario ne comporte pas, on l’a vu, de séquences sentimentales sincères côté palestinien. Les auteurs vont imaginer et écrire  une histoire incongrue  et invraisemblable qui fera  tomber amoureux Bashar de son otage. Comme quoi les Palestiniens racontés par Israël ne peuvent se retrouver que dans des situations impossibles avec une impasse comme projet. Ce détail est malgré tout un lapsus dont nous savons qu’il cache en général une vérité inconsciente, dont les auteurs nous disent clairement en créant cette pseudo idylle : il  n’y a rien à espérer.

L’Unité a ses indics dans la population, de gré ou de force. Après avoir forcé la porte d’une maison gazoui, son occupant va  être contraint avec le sourire d’appeler un médecin pour porter secours à un blessé de l’Unité.

Ces Israéliens  repartiront sourire aux lèvres au volant d’un véhicule sur le pare-brise duquel est collé Press bien visible. C’est le véhicule du gars dont ils ont forcé la porte, et qu’ils ont retourné, sous-entendu le taux de sympathie pour les sionistes existe même à Gaza. Vient le moment de la libération de l’otage Yaara. Les ordres sont donnés à l’Unité par Hila leur cheffe de groupe devant ses écrans géants. Allez ! Au boulot : si vous rencontrez des écoles ou des mosquées vous avez carte blanche. L’otage sera libérée. Retour côté israélien, Doron le meneur de l’Unité passera d’abord voir ses enfants restés au domicile familial pour une séance d’affection partagée. La suite se fera dans les bras de Hila  devenue sa maitresse.

Le douzième et ultime épisode sera un concentré de tout ce qui précède. Nous sommes chez un membre de l’Unité, les hommes s’affairent dans la cuisine pour préparer un repas, on plaisante, on se serre les coudes. On est entre hommes. Le seul enfant présent va embarrasser l’assistance en demandant qui a tué Avihaï son père, mort sous le choc d’un tir ami venu d’un membre de l’Unité. Réponse embarrassée, on joue à noyer le poisson. Le poisson ne sera pas noyé tout à fait.  Nous sommes en Israël.  Bashar est passé de Gaza en Israël en empruntant  le même tunnel que pour  son arrivée. Par un coup du sort assez invraisemblable qui sent le besoin de hisser le clap de fin de cette saison 3, il retrouve Yaara l’ex-otage et appelle Doron. Branle bas de combat. Yaara sera tuée par Bashar. Il sera emmené sous grosse escorte en prison pour y être incarcéré. Son incarcération ouvre la voie à la saison 4, mais nous permet de noter qu’aucune saison ne se termine par un succès palestinien. Yaara est la seule femme identifiée tuée de cette série et elle est tuée par un Palestinien du Hamas. Un meurtre individuel, d’une grande lâcheté, comprendront les spectateurs, et  sans rapport avec les enjeux d’un combat entre de vrais hommes. Triste fin à charge évidemment sans aucune  épaisseur psychologique, dont est victime une femme. Les femmes sont bien sûr   minoritaires dans cette série bien musclée, deux dans l’unité mais une seule avec armes à la main.

Fauda la série aux trois saisons, qui prive, sur trois fois douze épisodes, les Palestiniens et Palestiniennes de toute vie affective ou amoureuse, de toute vie sociale ou familiale  autour d’une maklouba . Quelle meilleure définition de la férocité  de cette occupation que leur emploi du temps. Celui-ci coche prioritairement dans ses trois saisons, les cases : fuir, avoir peur des vengeances, trahir pour survivire, chercher des moyens de résistance inexistants  pour résister, quand même,  par tous les moyens. Fauda ne serait pas une Série réaliste. Bien sûr que si ! Ces trois saisons sont un aboutissement dont le background murmure : on vous délogera coûte que coûte et  nous vous contraindrons par la force à reconnaître qu’il n’y a pas de place pour vous, les Palestiniens, sur cette terre.

Bernard Favier

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