Une randonnée dans les magnifiques paysages de Cisjordanie; une expérience douce-amère

Jalal Abukhater, le 11 décembre 2020

Colonies et checkpoints israéliens empiètent sur l’une des rares façons d’échapper à la rude réalité dont disposent les Palestiniens

Des enfants jouant dans la source de Battir (David Kattenburg)

C’était une belle matinée de la mi-octobre quand notre bus est parti de Ramallah, transportant 50 jeunes Palestiniens impatients de se promener dans les collines méridionales de Cisjordanie. Ce qui a suivi fut vraiment une authentique expérience palestinienne de la randonnée.

La randonnée était organisée par le Droit de Circuler, association fondée en 2012 par la jeunesse palestinienne et dans laquelle je suis impliqué, avec pour mission de créer une culture de la course et de faire prendre conscience des restrictions imposées à la vie des Palestiniens à cause de l’occupation israélienne. La randonnée de 14 km partirait du village d’Al-Jab’a, à 17 km au nord d’Hébron et 15 km au sud-ouest de Bethléem, dans une zone cernée par un groupe de colonies israéliennes appartenant au bloc de colonies de Gush Etzion.

Il n’était que 7 H.30 du matin quand mon amie Laurin, frustrée, s’est écriée : « Regarde, voilà ce à quoi ressemble notre droit de circuler ! » Nous avions à peine fait la moitié du chemin vers notre point de départ quand notre bus a été arrêté au checkpoint de mauvaise réputation Le Conteneur (également connu comme passage Qidron). Ce checkpoint, profondément installé en territoire occupé et qui bloque la seule route autorisée aux Palestiniens pour circuler du nord au sud de la Cisjordanie, est tout à fait imprévisible.

Notre bus s’est arrêté et les soldats israéliens ont demandé à voir les cartes d’identité de tous les passagers. Deux soldats ont remarqué que j’avais pris une photo du checkpoint à travers la vitre du bus et m’ont demandé de descendre du bus. J’ai été emmené dans une pièce en ciment à l’arrière du checkpoint. Les soldats m’ont crié des ordres : « Vide tes poches ! Les mains sur le mur ! Ecarte les jambes, encore, encore, encore ! » Avant que les soldats me laissent partir, un soldat a hurlé : « C’est moi le patron ici, c’est mon checkpoint, vous n’êtes rien. » Du temps que le bus avec tous ses passagers soit autorisé à passer, nous avions déjà 45 minutes de retard pour le départ de la randonnée.

Une fois arrivés à Al-Jab’a, nous sommes descendus dans une vallée au nord du village. La première chose que nous avons vue dans la vallée, même pas à une centaine de mètres, fut une scène trop familière à la saison de la cueillette des olives en Palestine. Il y avait un vieil homme, peut-être dans la cinquantaine, toussant et arrachant près d’un bouquet d’oliviers coupés à la scie. « Ils coupent tous mes arbres », a-t-il dit. « J’avais pris soin de ces arbres depuis que je les avais plantés en 2000, ils sont comme mes enfants. » Il a pointé son doigt en direction de la colonie de Bat Ayin, installée en haut de la colline juste au sud du village d’Al-Jab’a, accusant les colons installés d’avoir coupé les arbres.

Plus tard, j’ai découvert que les colons avaient réellement scié 300 des jeunes oliviers de cet homme. Le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires a rapporté que, en une quinzaine de jours en octobre, plus de 1000 oliviers palestiniens ont été brûlés ou endommagés dans l’ensemble de la Cisjordanie. Cette première scène sur le chemin de notre randonnée, aussi navrante qu’elle fût, faisait partie de l’authentique expérience de plein air des Palestiniens.

Nous avons poursuivi notre randonnée. Dans la vallée, nous avons traversé de petites vignes, des  bosquets d’oliviers et des pâturages de moutons. La seule toile de fond constante pendant notre marche était la colonie illégale de Beitar Illit qui s’étendait au somment de la colline devant nous. C’est l’une des colonies qui pousse le plus vite en Cisjordanie occupée. Nous avons poursuivi notre chemin, marchant dans la vallée sous la colonie et jusqu’au village palestinien de Wadi Fukin.

J’étais déjà allé une fois à Wadi Fukin avec une délégation de dignitaires étrangers qui voulaient découvrir l’impact de l’expansion coloniale israélienne. L’aspect le plus frappant de ce village, c’est sa situation dans une vallée profonde. La vue était suffocante. Un petit village qui ressemble aux cauchemars de claustrophobie.

Sur les chemins qui y conduisent, je suis tombé sur un Israélien d’âge moyen sur une vieille bicyclette. Peu de temps après, il a été rejoint par deux autres cyclistes et ils nous ont tout simplement dépassés pour entrer à Wadi Fukin. J’ai pensé qu’ils étaient peut-être perdus, ce à quoi le guide local a répondu : « Non, tout ceci est comme leur terrain de jeu. » Bien sûr, le droit de circuler et d’errer librement sur cette terre est défini d’une certaine façon pour les Israéliens, et d’une façon toute différente si vous êtes un Palestinien.

Après environ une douzaine de kilomètres de randonnée, nous sommes arrivés à Ein Al-Hawiyah, source naturelle dans les collines entre les villages de Batir et Husan. Alors que notre groupe descendait vers la source, au sommet de la colline, un groupe de gamins palestiniens du coin a commencé à crier après nous, pensant que nous étions israéliens. Il fallait s’y attendre. Récemment, l’accès des Palestiniens à nos propres sources naturelles en Cisjordanie était devenu plus limité à cause des restrictions imposées par l’occupation israélienne. Ici, c’est un spectacle beaucoup plus courant de voir des colons israéliens, souvent armés, près de ces sources.

Nous avons terminé notre randonnée dans le village agricole de Battir, site élu au patrimoine mondial de l’humanité, célèbre pour ses anciennes terrasses irriguées qui produisent des quantités d’aubergines. Battir a un mirifique paysage de verdure et où l’eau coule toujours à flot. Quand nous organisons des randonnées en Cisjordanie, la plupart des gens trouvent que Battir est l’endroit qui convient le mieux pour commencer ou terminer une randonnée à cause de sa beauté naturelle.

Tandis que Battir est l’un de nos derniers refuges d’espace naturel préservé, il est sérieusement menacé par l’expansion coloniale israélienne. Le même jour, nous avons conclu notre randonnée à Battir. Le conseil supérieur de la planification, bras du gouvernement israélien, a proposé de construire environ 1.000 logements sur les terres de Battir et d’al-Walaja, étendant ainsi la proche colonie illégale de Har Gilo, juste à l’ouest de Bethléem.

Pour un œil non entraîné, la Cisjordanie est incroyable, avec ses collines vallonnées, son espace naturel préservé et ses décors saisissants. Lorsque nous organisons localement des randonnées, nous souhaitons rappeler aux Palestiniens qui se joignent à nous depuis les cités verrouillées de Cisjordanie que ce territoire, notre territoire, renferme de la beauté – beaucoup de beauté. C’est la beauté que recouvre l’occupation et l’entreprise coloniale militaires israéliennes.

L’expérience palestinienne de la randonnée est unique en son genre. Nous marchons, nous jouissons du paysage et en même temps, nous déplorons la malédiction qu’est l’occupation et son impact incessant sur nos vies. En randonnant sur nos terres, nous espérons que tous les participants reconnaissent que cette beauté existe sur notre terre, que nous avons le droit d’être là et que nous ne devons jamais cesser de nous battre pour sa préservation.

* Jalal Abukhater est un écrivain de Jérusalem.

Source : The Guardian

Traduction : J. Ch. Pour l’Agence Média Palestine

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