Les Palestiniens et leur leadership : restaurer l’OLP

Par Marwa Fatafta le 8 décembre 2020

Cet article est extrait d’un plus long rapport « Reclaiming the PLO, Re-engaging Youth » publié en août 2020. Merci de vous reporter à l’introduction de ce rapport pour plus d’information sur son contenu et ses contributeurs et à l’analyse bibliographique pour d’autres sources sur le leadership palestinien.

Alors que la pandémie de COVID-19 continue de causer de grandes souffrances personnelles, la perte de vies humaines et un choas financier dans le monde entier et qu’Israël reste sur le point d’une annexion de jure de parties de la Cisjordanie, le peuple palestinien doit transformer la crise en opportunité. Plutôt que d’attendre qu’Israël étrangle lentement l’Autorité palestinienne (AP), établie comme organe de gouvernement intérim pendant les Accords d’Oslo, il est plus que temps de séparer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de l’Autorité palestinienne et de travailler à restaurer le mandat, la représentativité et la responsabilisation de l’OLP devant le peuple qu’elle prétend représenter. 

Pouvons-nous imaginer un leadership représentatif et responsable qui permette aux Palestiniens de contribuer aux décisions politiques qui façonnent leurs vies, qui leur fournisse des voies d’action et qui serve d’arène pour l’engagement et la participation politiques des Palestiniens ? Peut-être, en examinant quelques-uns des problèmes du passé, pouvons-nous envisager un futur alternatif dans lequel une OLP représentative et responsable sera le pivot de la lutte palestinienne pour la libération et l’auto-détermination.

Le mythe de la représentation 

La principale mission de l’OLP comme « seul représentant légitime » du peuple palestinien est de représenter tous les Palestiniens au-delà de leurs géographies fragmentées et de leurs lignes idéologiques. Dans ses premières années, l’OLP a été le fer de lance du mouvement de libération nationale et a réussi à ramener les factions de la résistance palestinienne sous un seul chapeau après la défaite de 1967. Elle a aussi créé des structures communautaires et des associations dans les camps de réfugiés, des organisations communautaires pour la diaspora palestinienne et des institutions majeures de développement.

Cette approche a permis à l’OLP de traverser les années 1960 à 1990 avec plusieurs succès notables en chemin, dont la réaffirmation des Palestiniens comme peuple reconnu mondialement, avec l’OLP comme seul représentant légitime. Pourtant la libération et l’auto-détermination n’ont pas été réalisées et il n’y a eu aucune reddition de comptes pour cet échec, que ce soit sous le leadership de feu Yasser Arafat ou celui de Mahmoud Abbas. Au contraire, encore maintenant, la discussion de la crise actuelle du leadership demeure prise en otage dans les questions de personnalités. La question couramment posée est : qu’est-ce qui va arriver après Mahmoud Abbas ? Cela ne reflète pas seulement la nature personnalisée du leadership palestinien, cela retire aussi le système politique palestinien de l’équation. 

Depuis les années 1990, la relation entre l’OLP et le peuple palestinien a fluctué entre engagement de masse et déconnexion ; pourtant il n’y a jamais eu un fossé aussi grand qu’aujourd’hui entre le système palestinien et le leadership.

L’objectif originel pour mobiliser les communautés palestiniennes était la lutte pour la libération de la Palestine. De fait, l’article 11 de la Charte nationale palestinienne (1968) affirmait que les « Palestiniens auront trois mottos : l’unité nationale (wihda wataniyya), la mobilisation nationale (ta’bi’a qawmiyya), et la libération (tahreer) ». Cette mission a donné à l’OLP une source solide de légitimité et de pouvoir. Cependant, son mandat a été révisé lorsque le Conseil national palestinien (CNP) a officiellement changé sa stratégie politique lors de son meeting de 1988 à Alger, d’une stratégie pour la libération de toute la Palestine à une solution à deux états.

Le changement de stratégie de l’OLP a signifié trois choses. D’abord, en abandonnant la luttte pour la libération de toute la Palestine et en se focalisant sur l’objectif d’un état indépendant, l’OLP a déplacé son poids et sa focalisation politiques de la diaspora palestinienne et des communautés de réfugiés vers la Cisjordanie et Gaza. Cela a commencé à déconnecter le peuple palestinien de ses représentants, ce qui s’est aggravé à cause de l’échec des Accords d’Oslo, signés entre Israël et l’OLP dans les années 1990, et de la création de l’AP.

Il n’y a jamais eu de mécanismes de reddition de comptes à l’intérieur de l’OLP qui permettraient aux Palestiniens d’être consultés sur les décisions politiques conflictuelles faites en leur nom. Cliquez pour twitter.

Ensuite, le changement dans la mission de l’OLP ne s’est pas traduit en un changement dans sa structure organisationnelle et décisionnelle, ce qui a provoqué une paralysie et une inefficacité encore plus grandes. Le processus de décision de l’OLP était basé sur un système de quotas, représentant les factions de la résistance palestinienne plutôt que les communautés palestiniennes. Même si le CNP avait alloué des sièges à des intellectuels palestiniens, à des syndicats, à des groupes de femmes, à des étudiants et à d’autres corps organisés — et certains sièges étaient indépendants ou étaient détenus par d’autres factions – beaucoup d’entre eux étaient affiliés au Fatah qui dominait l’OLP depuis 1968. 

Etant donné que le leadership de l’OLP n’était pas élu, la sélection des représentants pour ses divers organes est devenue un exercice de partage de pouvoir plutôt qu’une réflexion sur la composition changeante du système palestinien. Cela explique, en partie, la domination de l’OLP par le Fatah et l’exclusion des mouvements islamiques du Hamas et du Jihad islamique.

L’accord entre 12 factions palestiniennes en 2005, connu sous le nom de Déclaration du Caire, soulignait le besoin de réformer l’OLP, sur la base d’un consensus de toutes les factions palestiniennes. En fait, c’était une déformation de ce que réforme veut dire : l’accord impliquait de diviser le gâteau entre les factions palestiniennes plutôt que de permettre au peuple palestinien d’élire librement ou de sélectionner leurs représentants. Il supposait aussi que les factions palestiniennes étaient un vecteur pour l’engagement politique aussi pertinent que dans le passé. 

Troisièmement, le contrat social initial entre l’OLP et le peuple palestinien était la mobilisation des Palestiniens pour la lutte armée et la libération nationale. Mais le projet étatique a marqué un abandon de cet objectif pour un autre dans lequel un gouvernement devait être au service de certains Palestiniens seulement, en tant que « citoyens ». L’AP fournissait la fondation administrative, organisationnelle et politique — prévue à l’origine pour n’être qu’un intérim — sur laquelle le leadership palestinien a cherché à construire le futur état palestinien en Cisjordanie et Gaza le long des frontières de 1967. De plus, l’afflux d’aide étrangère a assuré la place de l’AP comme gouverneur du peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza, et le représentant palestinien de facto dans les relations avec Israël et le « processus de paix ». La pertinence de l’OLP pour le mouvement national a ainsi encore diminué et les communautés palestiniennes des camps de réfugiés et de la diaspora ont été de plus en plus marginalisées. 

Pour résumer, en dépit du mandat de représentation de l’OLP, fortifié par une reconnaissance internationale en 1974, il n’y a jamais eu de mécanisme de reddition de comptes à l’intérieur de l’OLP qui permette aux Palestiniens d’être consultés sur les décisions politiques conflictuelles faites en leur nom. Comme Osamah Khalil le dit, le CNP et le comité exécutif de l’ OLP (CE) pouvaient bien avoir un mandat démocratique sur le papier, par lequel le premier servait de « parlement pour tous les Palestiniens » et le second de son bras exécutif. Mais en réalité, le CE exerce de grands pouvoirs décisionnels, y compris en matière de budget, alors que le CNP fonctionne de fait comme un simple tampon d’approbation pour les décisions du CE. 

Un chemin du renouveau ?

A un moment où existe une vacance claire dans le leadership, nous devons nous demander ce qui devrait être fait pour rendre à nouveau sa pertinence à l’OLP. D’abord, et c’est l’essentiel, l’OLP doit être complètement séparée de l’AP et ensuite, des mécanismes de reddition de comptes doivent être institués et jouer un rôle majeur dans le fonctionnement de l’OLP.

Séparer l’OLP de l’AP est essentiel pour plusieurs raisons. D’une part, dans le gouvernement personnel non-démocratique du chef de l’OLP et président de l’AP, actuel et passé, les institutions de l’OLP et de l’AP sont devenues ses bras étendus, servant à consolider son gouvernement et à implémenter ses décisions. Quand les yeux et l’argent de la communauté internationale se sont tournés vers l’AP après Oslo, l’OLP est devenue en grande partie impuissante.

D’autre part, bien que le projet d’état n’ait pas réussi, beaucoup de Palestiniens le voient encore comme une des voies possibles pour réaliser l’auto-détermination palestinienne. En même temps, un nombre croissant de Palestiniens croient que le projet national doit revenir à celui d’un état démocratique unique dans lequel des réparations complètes seraient offertes et tous seraient égaux. Pour l’un ou l’autre de ces résultats, les Palestiniens ont besoin d’engendrer un pouvoir considérable, plus grand que celui qu’ils étaient capables de rassembler dans les années 1960 et 1970 et cette force ne peut être engendrée sans l’OLP.

Cependant, pour être efficace, l’OLP doit être responsable devant le peuple palestinien.

Ce concept vient de l’idée que ceux à qui sont confiés pouvoir et autorité pour servir leurs électeurs doivent répondre devant eux de la manière dont ils ont utilisé leur autorité et leurs ressources, qu’ils aient été élus ou nommés. Cela signifie aussi que les électeurs ont le droit d’avoir accès à leur travail et à leurs décisions et à les mettre en question, et qu’ils soient capables d’exprimer leur approbation ou leur dissentiment. 

Il y a trois éléments décisifs pour que la mesure de cette reddition de comptes soit effective : la transparence (rendre les décisions, les plans et les ressources ouverts au public); l’obligation de s’expliquer (les leaders représentatifs doivent fournir des justifications de leurs décisions à leur peuple); et le caractère exécutoire (il y a une forme de « punition » quand les représentants échouent, comme de ne pas être réélus ou d’être poursuivis par des institutionns internes indépendantes). Implémenter ces éléments exige une réorganisation démocratique du mandat, des institutions et du modus operandi de l’OLP.

Pour garantir leur fonctionnement propre, il faut non seulement que le comité exécutif de l’OLP rende des comptes devant le CNP et soit examiné par lui, comme c’est maintenant le cas sur le papier, mais pas en pratique, mais que les deux rendent des comptes à des organismes indépendants pour s’assurer qu’ils remplissent leur mandat, n’abusent pas de leur pouvoir et s’abstiennent de favoritisme et de corruption. Il faut accorder beaucoup de réflexion à la manière de constituer ces organismes indépendants. Une approche pourrait être d’inviter un panel d’avocats et de juges palestiniens respectés de toute la Palestine et de la diaspora pour les constituer.

Les Palestiniens ont besoin d’engendrer un pouvoir considérable, plus grand que celui qu’ils étaient capables de rassembler dans les années 1960 et 1970 et cette force ne peut être engendrée sans l’OLP. Cliquez pour twitter.

Une autre dimension importante de la responsabilisation est le lien entre le peuple et l’autorité qui le représente. Au lieu de privilégier les douze factions palestiniennes, la porte doit être ouverte à tous les Palestiniens pour représenter leur peuple s’ils sont élus, ou choisis pour le faire, librement et impartialement. Ceci pose un défi majeur, mais qui n’est pas insurmontable. Des efforts ont été faits pour tenir des élections directes, d’où il est possible de tirer des leçons. De plus les leaders palestinienns pourraient, par exemple, investir dans la recréation de centres communautaires qui servent de lieux à des auditions et à des consultations publiques pour les Palestiniens vivant dans différents endroits du monde. 

Les ambassades et les bureaux de représentation palestiniens sont souvent négligés de ce point de vue. Le statut international de l’OLP est encore solide et s’est renforcé depuis la reconnaissance de la Palestine par les Nations Unies comme état observateur non membre en 2012. Les ambassades pourraient contribuer à reconstruire le sentiment d’appartenance des communautés palestiniennes partout où elles ont des bureaux, par exemple, en organisant des auditions publiques pour que les Palestiniens de la diaspora s’impliquent dans les développements politiques et examinent comment le leadership leur répond. Dans de nombreux cas, cependant, ils devront peut-être travailler dur pour atteindre d’autres personnes que les membres de la communauté étroitement liés au Fatah et au leadership de l’AP.

 La sphère politique palestinienne a toujours été unique par sa situation. Mais c’est précisément ce caractère unique qui nous pousse à mettre en question le leadership, la représentation et la responsabilisation. De fait, c’est ce caractère unique qui requiert de l’imagination et de l’adaptibilité, particulièrement face à une occupation militaire féroce et à un régime discriminatoire qui dénie aux réfugiés leur droit au retour et aux citoyens palestiniens d’Israël leur droit à l’égalité — un régime dont l’intérêt est de maintenir les Palestiniens, tant le peuple que le leadership, fragmentés et divisés.

Néanmoins, l’histoire contemporaine du peuple palestinien contient de nombreux exemples de succès dans l’organisation politique et la mobilisation de masse, comme le soulèvement palestinien contre le mandat britannique en 1936-39, les premières années de l’OLP elle-même et la Première Intifada. Ces exemples et d’autres expériences peuvent servir de rappel de la capacité du peuple palestinien à façonner son propre avenir et de boussole à son action. 

Marwa Fatafta est une écrivaine, chercheuse et analyste politique palestinienne, basée à Berlin. Elle dirige le travail d’Access Now sur les droits électroniques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en tant que directrice de programme pour le MENA. Elle est aussi membre du conseil consultatif de l’organisation palestinienne sur les droits électroniques 7amleh. Auparavant, elle a travaillé comme conseillère régionale pour le MENA pour le secrétariat de Transparency International. Marwa a été récipiendaire d’une bourse Fulbright aux Etats-Unis et a obtenu un Master en relations internationales de la Maxwell School of Citizenship and Public Affairs, à l’université de Syracuse. Elle a obtenu un deuxième Master en développement et gouvernance de l’université de Duisburg-Essen.

Source : Al-Shabaka

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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