Avec la loi de l’État-Nation, c’est le droit religieux d’Israël qui décide qui est juif

Par Etan Nechin, le 20 décembre 2020

La loi israélienne de l’État-Nation ne considère pas le judaïsme comme une religion diverse, mais comme une identité qui garantit la suprématie sur d’autres personnes – y compris sur d’autres juifs.

Des juifs orthodoxes célébrant Soucoth dans la synagogue de Or Pashut, dans la localité de Kadita, au nord d’Israël, près de Safed, 26 septembre 2018. (David Cohen/Flash90)

Cette semaine, la Cour Suprême d’Israël doit tenir sa première audience motivée par 15 pétitions contre la loi de l’État-Nation. Votée en juillet 2018, cette loi fondamentale, qui définit Israël comme la patrie exclusive du peuple juif, est de plus en plus utilisée pour déposséder les citoyens palestiniens et exclure leur langue et leur culture de la société israélienne.

Pour un État qui se décrit lui-même comme « État juif », de larges parts du droit israélien ont été fondées sur le caractère exclusif d’un peuple particulier depuis le tout début, avec la loi sur la propriété des absents (1950), la loi du retour (1950) ainsi que la loi sur  la citoyenneté et la loi sur l’entrée dans le pays, dans le droit israélien (2003). En ce sens, la loi de l’État-Nation n’est pas une perversion mais une continuation de la politique étatique à l’égard des Palestiniens, à l’œuvre au cours de ces quelque 70 dernières années. 

Pour autant, cette loi marque néanmoins un tournant alarmant. Tandis qu’on pouvait avancer que les injustices de la guerre de 1948 et de l’occupation de 1967 étaient nées de circonstances historiques complexes, et que d’autres lois discriminatoires furent conçues de façon tout aussi peu explicite, la loi de l’État-Nation est un document juridique qui manifeste le désir sans équivoque d’Israël de consacrer la suprématie raciale et religieuse.

La loi n’enracine pas seulement une inégalité systématique, cependant ; elle cherche aussi à redéfinir radicalement ce que signifie être juif. Elle cimente la hiérarchie raciale au sein des communautés juives d’Israël en effaçant l’héritage culturel des Juifs des pays du Moyen Orient et en favorisant la définition nationale du judaïsme d’après son sens religieux. Dans ces conditions, l’audience du tribunal qui s’annonce ne sera pas seulement une bataille pour l’âme d’Israël en tant que nation mais pour ce que signifient le judaïsme et la judéité.

Depuis que David Ben Gourion, le premier premier ministre d’Israël a envoyé sa lettre dite du « statu quo » à des dirigeants juifs orthodoxes en 1947, un pacte à long terme a existé entre les groupes laïcs et les groupes religieux en Israël pour éviter de modifier les définitions communément acceptées du judaïsme. 

En vertu de cet arrangement, l’action de la société civile serait limitée dans des secteurs tels que celui des transports le Shabbath, les lois sur le mariage et la mort, et autres. En retour, les communautés religieuses fermeraient les yeux sur certaines déviations du rabbinat, l’autorité religieuse suprême d’Israël, comme l’immigration de centaines de milliers de Juifs de l’ex Union Soviétique qui n’ont pas été reconnus juifs par le rabbinat. 

Le président Reuven Rivlin (centre droit) avec le Grand Rabbin ashkénaze David Lau (centre gauche), le Grand Rabbin séfarade Yitzhak Yosef (à droite) et le ministre israélien de l’intérieur Aryeh Deri (à gauche) lors d’une prestation de serment au Conseil du rabbinat à la résidence du Président à Jérusalem, le 24 octobre 2018. (Yonatan Sindel/Flash90)

Avec la loi de l’État-Nation, la définition de qui est juif va mettre fin à ce statu quo. Votée par le gouvernement nationaliste religieux le plus à droite de l’histoire du pays, la loi met en lumière l’hypocrisie du droit religieux en Israël : la seule définition qu’il puisse proposer pour dire qui est juif c’est « non arabe ». Le judaïsme n’est pas défini comme une religion vivante qui se manifeste partout dans le monde, mais une identité étatique qui assure la supériorité sur des peuples d’obédiences différentes sous son autorité, de même que sur les Juifs vivant en dehors d’Israël. En d’autres termes, judaïsme est synonyme de pouvoir. 

Une définition étroite du judaïsme

Si la Cour Suprême promeut la loi fondamentale, ce sera un point de non retour pour Israël. Non seulement elle gravera dans le marbre la suprématie raciale et religieuse, mais la loi pourrait rompre les liens d’Israël avec les communautés juives du monde, sur lequel l’État s’est appuyé pendant des décennies pour influencer l’opinion publique internationale en sa faveur.

Pour la société israélienne, la « diaspora » c’est mort. La loi dit que le seul voyage à l’étranger autorisé par l’État aux étudiants juifs d’Israël n’est pas fait pour rencontrer d’autres Juifs à New York ou à Paris mais à Auschwitz. Israël se voit comme le seul endroit où le judaïsme puisse exister et sa définition étroite du judaïsme comme la seule légitime. 

Dans la même veine, le rabbinat israélien a toujours exclu la plupart des communautés juives des États Unis et ne reconnaît pas le judaïsme réformé ou conservateur. Comme par coïncidence divine, le jour même où la loi de l’État-Nation a été votée, la police israélienne a arrêté la célébration d’un mariage par un rabbin du rite américain conservateur, au motif qu’il n’avait pas été validé par le rabbinat.

Les représentants d’Israël au plus haut niveau font écho à ce dédain. À propos des juifs réformés et conservateurs, le ministre de l’intérieur ultra-orthodoxe Aryeh Deri a dit : « Si c’est cela le judaïsme, je ne veux aucunement y prendre part », ajoutant que les juifs non-orthodoxes conduisent à la disparition du judaïsme. L’homme politique d’extrême droite, Naftali Bennett, a prétendu que la véritable menace qui pèse sur les juifs de la diaspora n’est pas le terrorisme national mais l’assimilation. Même au moment du massacre de l’Arbre de Vie en 2018, de nombreux représentants officiels, tout en présentant leurs condoléances, ont rapidement cessé de considérer l’Arbre de Vie comme une synagogue. 

Le personnel politique israélien critique l’Iran pour son régime théocratique, mais Israël lui-même est, dans le monde, l’un des 22 pays imposant le plus de restrictions religieuses. Lorsqu’il est fait usage de la religion comme d’un marteau politique, il s’abat nécessairement sur ceux qui ne partagent pas la foi ; lorsque cela devient une idéologie d’État, en sont exclus des gens qui pourraient ne pas adhérer à tous ses dogmes. 

Donc, même si les citoyens juifs et palestiniens d’Israël sont en apparence libres de suivre leur propre voie religieuse et civile, en réalité toute déviation de l’idéologie d’État expose les personnes à courir le risque de se voir privées de leurs droits. 

En Israël et à l’étranger, il incombe à tous les juifs de s’opposer à cette loi et à ses dispositions, afin de maintenir le judaïsme comme religion vivante et diverse. Si le terme « juif et démocratique » s’est toujours trouvé sur le fil du rasoir, cette décision pourrait avoir assez de poids pour le diviser à jamais. 

Etan Nechin est un écrivain israélien résidant à New York où il édite le Bare Life Review, un  magazine de littérature de l’immigration et des réfugiés.On peut lire ses écrits et commentaires dans la Bosotn Review, The Independent, Washington Post, The New York Times, Jewish Currents, Haaretz, et d’autres. Twitter: @etanetan23.

Source : +972

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

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