L’illusion des régimes séparés

Par Nathan Thrall, le 7 janvier 2021

En avril dernier, Haaretz a publié une déclaration mettant en garde le gouvernement israélien contre une annexion formelle de ses colonies en Cisjordanie occupée. Les sondages d’opinion ont montré que le public ne se souciait pas beaucoup de la question, mais que les élites politiques en débattaient farouchement. Tant les défenseurs que les opposants de l’annexion affirmaient que l’avenir d’Israël et du sionisme était en jeu. La déclaration arguait que « l’annexion signifierait un coup fatal à la possibilité de la paix et constituerait l’établissement d’un état d’apartheid ». Elle était signée par 56 anciens membres de la Knesset, parmi lesquels d’anciens ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances et de plus d’une douzaine d’autres services, ainsi que d’anciens ambassadeurs, des généraux de l’armée israélienne, des chefs de partis politiques, le directeur de l’agence semi-gouvernementale Jewish Agency for Israel, un ancien président de la Knesset et un lauréat du prix Israël. Les signataires n’incluaient pas seulement des membres des factions israéliennes de gauche : une vingtaine d’entre eux appartenaient à des partis de centre-gauche et du centre, et il y figurait même un ancien ministre de la Justice, Meir Sheetrit, du parti du Likoud, de droite. 

La Knesset (Wikipedia)

La semaine suivante, les deux plus grands partis de la Knesset — le Likoud et le parti centriste Bleu et Blanc, qui contrôlaient à eux deux la majorité parlementaire — ont signé un accord pour former un gouvernement de coalition qui pourrait appliquer la souveraineté israélienne à des portions de la Cisjordanie, le 1er juillet au plus tôt, après la finalisation des cartes d’annexion par Israël et les Etats-Unis. Ces cartes, des versions détaillées de celles du « plan de paix » de Donald Trump, menaient Israël à annexer 30% de la Cisjordanie, en laissant aux Palestiniens un « état » fait de plusieurs cantons non contigus et entièrement entourés de territoire israélien. Le plan de Trump proposait aussi d’abroger la citoyenneté d’environ un quart de million de citoyens palestiniens d’Israël, en transférant dix villes israéliennes sous la juridiction du futur état palestinien. A la fin de la semaine, le Parti travailliste d’Israël, à l’origine de l’entreprise de colonisation, a accepté de rejoindre le nouveau gouvernement et de voter en faveur de l’annexion.

 Une grande partie de la presse israélienne a interprété de façon incorrecte l’accord entre le Likoud et Bleu et Blanc. Les journalistes ont traité le 1er juillet non comme la date la plus rapprochée où pourrait avoir lieu l’annexion, mais comme une date limite, créant un sentiment d’urgence à propos de cette mesure. Dans les jours qui ont suivi la signature de l’accord de coalition, des groupes sionistes progressistes ont lancé leurs cris de bataille. Leurs raisons pour s’opposer à l’annexion étaient révélatrices. Leur inquiétude pour les droits humains était souvent secondaire par rapport au mal que l’annexion pourrait faire à Israël. Ils prévenaient qu’elle abimerait la perception d’Israël en tant que démocratie. Ils incitaient les Israéliens à ne pas stimuler les campagnes promouvant les boycotts ou la réduction de l’aide économique et militaire, et avertissaient que l’annexion ne ferait qu’élargir le fossé entre Israël et la diaspora juive. Et ils agitaient le spectre le plus craint par la gauche sioniste : qu’Israël serait en fin de compte contraint de donner la citoyenneté à tous les Palestiniens vivant sous son contrôle — il y a près de cinq millions de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, tous dépourvus de la citoyenneté israélienne, et environ 360 000 dans Jérusalem-Est annexé, plus de 90% d’entre eux titulaires du droit de résidence permanente mais pas la citoyenneté, ni le droit de voter dans des élections nationales — ce qui mettrait ainsi fin à l’existence d’Israël en tant qu’état juif, avec tous les privilèges que cela implique pour les juifs. (En 2018, un responsable de l’armée israélienne a rapporté que les Palestiniens étaient plus nombreux que les juifs dans le territoire entre le Jourdain et la Méditerranée.) « Que ce soit par l’annexion d’une seule colonie, ou de toutes », affirmait le groupe sioniste progressiste Peace Now, « une telle mesure constituerait la fondation d’un état d’apartheid. L’annexion est mauvaise pour Israël ». J Street, un groupe de lobbying basé à Washington et aligné avec les Démocrates, affirmait : « En tant qu’Américains pro-Israël et pro-paix, nous pensons que l’annexion mettrait sévèrement en péril l’avenir d’Israël comme patrie démocratique pour le peuple juif, ainsi que l’avenir de la relation Etats-Unis – Israël. »

Nombre d’arguments contre l’annexion concédaient que le territoire était déjà de facto annexé et resterait en possession d’Israël. Yair Lapid, le chef de l’opposition, président du parti centriste Yesh Atid, a soutenu que l’annexion formelle n’était pas nécessaire parce que la plus grande région concernée, la vallée du Jourdain, qui s’étend sur plus d’un quart de la Cisjordanie et garantit le plein encerclement israélien de la population palestinienne, « fait maintenant partie d’Israël. Ce n’est pas comme si quelqu’un menaçait de nous le prendre ». Amos Gilad, qui était jusqu’à 2017 l’un des responsables de plus haut rang au ministère de la Défense, a dit que le contrôle permanent d’Israël sur la vallée du Jourdain serait mieux réalisé en augmentant les colonies juives plutôt que par une annexion « purement déclarative » : « Le gouvernement pourrait prendre des mesures qui garantissent que la vallée du Jourdain devienne le foyer de dizaines de milliers d’Israéliens, au lieu de quelques milliers seulement. » Le débat principal, donc, n’était pas s’il fallait enraciner l’acquisition par Israël du territoire de la Cisjordanie, mais comment le faire.

 Les critiques ont eu du mal à faite état d’une raison convaincante pour qu’Israël ne formalise pas une annexion qui, en pratique, avait déjà eu lieu. Une tentative de contorsion typique est le rapport publié par un think tank majeur d’Israël sur la sécurité nationale, l’INSS, une institution de centre-gauche qui défend une solution à deux États. Le texte commençait par déclarer que l’annexion unilatérale était une erreur terrible. Il concluait, cependant, qu’Israël devrait néanmoins poursuivre le projet une fois que l’annexion aurait gagné le soutien public, ce qui arriverait quand les Palestiniens auraient rejeté le plan de paix de Trump. Le danger de l’annexion, arguait l’INSS, est 

qu’elle pourrait saper la vision fondatrice [d’Israël] comme État juif, démocratique, sûr et moral, qui recherche la paix avec ses voisins. Il était donc recommandé que le nouveau gouvernement d’Israël appelle le leadership palestinien à revenir à la table des négociations, avec le plan de Trump parmi les termes de référence pour les négociations. Si les Palestiniens continuaient à refuser de discuter le plan, alors le gouvernement pourrait recevoir un soutien en Israël pour les étapes menant à une séparation unilatérale avec les Palestiniens, incluant une annexion graduelle conduite de façon à assurer que les intérêts politiques, sécuritaires, économiques et sociaux soient préservés.

Yair Golan, ancien chef adjoint d’état major de l’armée et actuel représentant de Meretz, le parti sioniste d’Israël penchant le plus vers la gauche, a dit qu’il voterait en faveur de l’annexion « si le gouvernement israélien déclare que son objectif suprême est de se séparer des Palestiniens ». 

Les Palestiniens sont presque entièrement absents du débat sur l’annexion. Les questions de savoir s’ils obtiendraient un État, quel territoire et quels pouvoirs ils auraient, s’ils se verraient accorder la citoyenneté, la résidence ou quelque autre statut dans le territoire annexé, quels droits leur seraient ou non donnés et lesquels d’entre eux seraient dépouillés de leur citoyenneté israélienne, n’ont été posées que dans les négociations de coalition entre les deux partis sionistes. Et même les plus féroces critiques de l’annexion — ceux qui ont mis en garde que cela ferait d’Israël un État d’apartheid — ont décrit Israël comme une démocratie opérationnelle, qui risquait seulement de cesser un jour d’en être une. Selon cette logique, aussi longtemps qu’Israël s’abstient de formaliser l’annexion, il peut indéfiniment refuser les droits civiques à des millions de Palestiniens tout en offrant toutes les formes de soutiens aux Israéliens dans les territoires occupés : l’infrastructure pour les cités, les villes et les zones industrielles israéliennes en Cisjordanie ; des réserves naturelles ; des bâtiments municipaux ; des postes de police et de pompiers ; des écoles gouvernementales et des aires de jeux ; des établissements médicaux d’état ; des cimetières. Aussi longtemps qu’Israël déclare que l’absorption de la Cisjordanie est temporaire, il continuera à être considéré comme une démocratie. Israël ne deviendra jamais un état d’apartheid sauf s’il déclare lui-même en être un.

Le postulat qu’Israël est une démocratie, maintenue par Peace Now, Meretz, le bureau éditorial de Haaretz et d’autres critiques d’occupation, repose sur la croyance qu’on peut séparer l’État d’avant 1967 du reste du territoire sous son contrôle. Un mur conceptuel doit être maintenu entre deux régimes : le bon Israël démocratique et sa mauvaise occupation provisoire. Cette façon de penser va de pair avec la croyance générale sioniste progressiste qu’il est légitime de condamner les colonies israéliennes — et même, pour certains, de boycotter leurs produits — mais pas d’appeler à réduire le soutien au gouvernement qui les a planifiés, établis et qui les maintient. Ce qui a semblé à ces groupes le plus problématique à propos de l’annexion est qu’elle saperait leurs affirmations que l’occupation a lieu quelque part en dehors de l’État et qu’elle est temporaire, que ce n’est qu’un écart, long de 53 ans, par rapport à ce que les groupes sionistes progressistes comme le New Israel Fund appellent « les valeurs fondatrices progressistes et démocratiques » d’Israël. 

Il n’est pas difficile d’argumenter que les actions d’Israël en Cisjordanie reviennent à un apartheid. Les Israéliens et les Palestiniens sur le même territoire sont soumis à deux systèmes juridiques différents. Ils sont jugés par des tribunaux différents, l’un militaire, l’autre civil, pour le même crime commis dans la même rue. Les juifs de Cisjordanie, tant les citoyens israéliens que les non-citoyens qui, en tant que juifs, sont éligibles à l’immigration, jouissent des mêmes droits et des mêmes protections que les Israéliens du reste du pays. Les Palestiniens sont soumis à un régime militaire et se voient refuser la liberté d’expression, la liberté de rassemblement, la liberté de déplacement et même le droit de ne pas être détenus indéfiniment sans procès. La discrimination n’est pas seulement nationale — les Israéliens contre les Palestiniens dépourvus de citoyenneté — mais aussi ethnique, juifs contre Palestiniens qu’ils soient sujets ou citoyens. Alors que les juifs de Cisjordanie, citoyens ou non, sont jugés par des tribunaux civils israéliens, les citoyens israéliens qui sont palestiniens peuvent être envoyés devant des tribunaux militaires. Un rapport de 2014 de l’Association pour les droits civiques en Israël, le groupe de défense des droits humains le plus important et le plus ancien du pays, notait que « depuis les années 1980, tous les citoyens israéliens amenés à comparaître devant des tribunaux militaires étaient des citoyens ou résidents d’Israël arabes — aucun jugement n’a été trouvé dans lequel la requête d’un citoyen arabe pour transférer son affaire d’un tribunal militaire à un tribunal [civil] en Israël ait été acceptée ».

 Après la guerre de 1967, Israël a appliqué le droit militaire à tous les territoires occupés qu’il n’a pas formellement annexés. Les juifs israéliens qui ont emménagé dans les colonies planifiées par le gouvernement en Cisjordanie ont été placés sous droit civil israélien, les séparant du régime juridique qui gouverne les Palestiniens sur les territoires mêmes où ils résident. Israël ne pouvait pas appliquer le droit civil à ses citoyens de Cisjordanie sur une base territoriale sans violer encore davantage et de manière flagrante l’interdiction juridique internationale sur l’annexion, donc la Knesset a amendé ses lois et ses règlements pour les appliquer aux colons à titre individuel, extra-territorialement. De cette manière, Israël a étendu aux juifs de Cisjordanie la plupart des mêmes droits dont jouissent les Israéliens du reste du pays en ce qui concerne l’assurance maladie, l’assurance nationale, la protection des consommateurs, les impôts (sur le revenu, le foncier et la TVA), l’enseignement supérieur, l’entrée en Israël, l’enregistrement de la population, la régulation de la circulation et le vote, faisant des colons les seuls citoyens israéliens (en dehors du petit nombre résidant à l’étranger), autorisés à voter dans un lieu de résidence situé hors du territoire officiel de l’État. Les jours d’élection, les Palestiniens vivant à leurs côtés sont bouclés, ce qui restreint encore leurs déplacements.

Dans l’application du droit israélien aux colons en tant qu’individus sont demeurées quelques lacunes, en particulier en ce qui concerne la terre, la construction et la planification. Pour les combler, l’armée israélienne a pris des ordonnances distinguant les zones municipales des colonies — conseils locaux et conseils régionaux — du reste du territoire occupé, de sorte qu’Israël pouvait utiliser un ensemble de règlements (copiés-collés de la législation municipale de l’Israël d’avant 1967) pour étendre les communautés juives et un autre pour restreindre les communautés palestiniennes. Dans les vingt dernières années, Israël a construit des dizaines de milliers d’unités d’habitation pour les juifs israéliens en Cisjordanie tout en rejetant plus de 96% des demandes de permis de construire des Palestiniens et en démolissant des milliers de maisons palestiniennes. Des terres publiques qu’Israël a désignées comme destinées à un usage, quel qu’il soit, 99,76% sont allées aux colonies juives. Les Palestiniens ne sont pas autorisés à entrer dans les zones des colonies sauf avec des permis spéciaux, donnés d’habitude aux journaliers. De même, en zone dite « charnière » (Seam Zone)— les zones de Cisjordanie qui ont été séparées du reste du territoire par la barrière de séparation d’Israël — les Palestiniens ne peuvent entrer sans permis, même pour cultiver leur propre terre, alors que la même zone est libre d’accès pour n’importe quel touriste ou « Israélien », celui-ci étant défini comme un citoyen ou un résident permanent ou un juif autorisé à immigrer en Israël. 

 Le fait que certaines lois israéliennes qui s’appliquent au territoire de Cisjordanie ont été introduites par une ordonnance militaire — dans la plupart des cas, en reproduisant la législation israélienne — a permis aux organisations juives qui se considèrent comme progressistes d’arguer qu’il y a deux régimes séparés dans la région sous contrôle israélien : un régime militaire dans la Cisjordanie non-annexée et un régime civil à Jérusalem-Est annexé et dans l’Israël pré-1967. Selon cette théorie, les colons et les Palestiniens de Cisjordanie seraient soumis à la même administration militaire oppressive, alors que les citoyens israéliens et les résidents de l’Israël pré-1967 et de Jérusalem-Est annexé seraient gouvernés par un régime civil démocratique.

 Ni les colons israéliens ni les Palestiniens ne ressentent de cette manière la vie en Cisjordanie. En fait, c’est l’inverse qui est plus près de la vérité : ce ne sont pas les citoyens israéliens de Cisjordanie et ceux vivant dans les lignes pré-1967 qui vivent sous des régimes séparés, mais les colons israéliens et les Palestiniens vivant à côté d’eux. Les Israéliens de tout le pays conduisent sur les autoroutes majeures qui traversent la Cisjordanie : aucun signe n’indique qu’ils aient quitté Israël. Les nouveaux immigrants juifs peuvent déménager directement de Londres ou de Los Angeles vers une colonie de Cisjordanie exactement comme ils déménageraient à Tel Aviv, avec les mêmes bénéfices financiers, l’instruction dans la langue et les prêts à faibles taux d’intérêt. Les Israéliens vivant dans les lignes pré-1967 travaillent dans les usines des colonies, étudient à une université des colonies accréditée par le Conseil israélien de l’enseignement supérieur, font leurs courses dans les centres commerciaux des colonies et visitent les parcs nationaux en Cisjordanie. Le gouvernement israélien n’est pas séparé de ses institutions dans le territoire occupé. La Knesset a voté une législation spécifique à la Cisjordanie et a amendé des lois pour les appliquer spécifiquement aux juifs et aux citoyens israéliens qui y résident. Des ministères israéliens dépensent des centaines de millions de dollars par an pour les colonies et l’infrastructure de Cisjordanie. Un comité ministériel de l’exécutif approuve l’établissement de colonies en Cisjordanie. Un sous-comité législatif est consacré à l’avancée de leur infrastructure et de leur développement. Le contrôleur d’état supervise la politique gouvernementale en Cisjordanie, surveillant tout, de la pollution des eaux usées à la sécurité des routes. Le procureur général applique des directives qui orientent la législation afin d’expliquer l’applicabilité de chaque loi aux colonies. La cour suprême d’Israël est le tribunal de dernière instance pour tous les citoyens israéliens et pour les sujets palestiniens de tout le territoire sous contrôle israélien. Des officiers de la police nationale d’Israël mettent des contraventions à la fois aux Palestiniens et aux Israéliens en Cisjordanie. L’absorption de la Cisjordanie par Israël est une entreprise commune à chaque branche du gouvernement —législative, exécutive et judiciaire.

 Alors que les Israéliens voyagent librement à travers Israël et dans ses colonies de Cisjordanie, les Palestiniens à l’intérieur du territoire occupé vivent sous des juridictions séparées, qui exigent des permis israéliens pour traverser des parties non annexées de la Cisjordanie vers Jérusalem ou Gaza annexées ou vers les plus de 30% de la Cisjordanie qui sont hors limites pour les Palestiniens : la zone charnière, les zones juridictionnelles des colonies et les zones dites d’entrainement militaire, dont plus des trois quarts, comme l’a découvert l’ONG israélienne Kerem Navot, ne sont effectivement pas utilisées pour l’entrainement militaire mais pour des objectifs comme le blocage du développement palestinien et le maintien du contrôle israélien. Une Palestinienne de Ramallah vit apparemment dans l’une des 165 enclaves gouvernées par l’Autorité palestinienne qui, ensemble, occupent moins de 40% de la Cisjordanie. Mais elle est, aussi, sujette à une seule autorité israélienne, pas à un régime cisjordanien séparé. Si elle est membre de l’une des plus de 400 organisations illégales — la liste s’étend sans cesse et contient tous les partis politiques palestiniens majeurs, y compris le Fatah — elle peut être arrêtée par les forces israéliennes dans une zone palestinienne autonome, comme cela est arrivé en 2019 à la politicienne Khalida Jarrar, membre de haut rang du Front populaire pour la libération de la Palestine, qui a été arrachée de sa maison par les forces israéliennes, près de Ramallah, à 3 h du matin. Les pouvoirs palestiniens en termes d’autonomie sont si limités qu’Israël contrôle toutes les routes menant à des zones gouvernées par l’Autorité palestinienne ou en sortant, envahit des maisons situées dans ces zones chaque jour et chaque nuit et est autorisé à y entrer même pour des raisons qui n’ont rien à faire avec la sécurité des citoyens israéliens, comme l’arrestation des voleurs de voitures. Parmi ceux qui mènent les arrestations figurent des membres de Yamas et Yamam, deux unités de la police nationale d’Israël.

La résidente de Ramallah arrêtée pourrait être emmenée de son domicile à la Mission Russe de Jérusalem-Ouest et être interrogée par des membres de l’Agence de sécurité israélienne, dont le siège est à Tel-Aviv mais qui opère dans toutes les zones sous contrôle israélien. Elle pourrait être détenue pendant six mois sans procès ni accusation, et sa détention pourrait être prolongée à plusieurs reprises, pour six mois supplémentaires à chaque fois, à perpétuité. Si on lui propose finalement un procès, elle pourrait passer du régime prétendument séparé de Jérusalem Ouest au tribunal militaire d’Ofer, près de Ramallah. Comme presque tous ceux qui comparaissent devant les tribunaux militaires israéliens sont condamnés, elle irait presque certainement en prison. Cette prison serait l’une des 29 gérées par le service pénitentiaire israélien, qui opère dans tous les territoires sous contrôle israélien. Faute de permis de visite dans les prisons situées à l’intérieur des limites d’avant 1967, sa famille ne pourrait pas lui rendre visite. Elle pourrait essayer de faire appel de sa condamnation devant la Cour suprême israélienne, mais avec peu de chance: la cour a approuvé presque chaque politique interdite au niveau international qu’Israël a menée dans les territoires occupés, y compris les déportations, les assassinats, les emprisonnements sans procès, les démolitions, les confiscations de terres, le pillage des ressources naturelles et les punitions collectives telles que les couvre-feux massifs, les fermetures d’écoles et la privation d’électricité pour toute une région. Pour faire appel, elle pourrait engager un avocat israélien spécialisé dans les droits humains, qui plaiderait sa cause contre un avocat du ministère de la justice, devant un panel de juges de la Cour suprême, dont deux vivent en Cisjordanie. Dans l’analyse des « régimes séparés », elle et les deux juges israéliens ne sont pas si différents l’un de l’autre. Ils sont tous soumis à un régime militaire distinct en Cisjordanie.

L’insistance mise sur les régimes séparés découle de considérations politiques plutôt que juridiques. En affirmant l’existence de deux régimes, les groupes sionistes libéraux comme J Street peuvent dire aux donateurs, aux législateurs et aux étudiants des universités qu’ils sont « pro-Israël », tout en critiquant une occupation qui existerait quelque part au-delà de l’État. Mais la tentative de séparer Israël des critiques et des conséquences de ses politiques en Cisjordanie conduit également à des affirmations absurdes et fausses, comme la récente affirmation de J Street selon laquelle les « colons israéliens » « démolissent des maisons [palestiniennes] ». En réalité, ce ne sont pas « les colons » – un juif israélien sur dix – mais le gouvernement d’Israël, que J Street soutient, qui détruit les maisons palestiniennes en Cisjordanie. Le gouvernement le fait à la demande des ministres et des législateurs élus.

La fiction de régimes séparés permet aux sionistes libéraux de promouvoir une solution politiquement correcte à deux États basée sur les lignes d’avant 1967, tout en évitant la solution plus équitable répondant à l’exigence de reconnaître que l’État israélien s’étend à toutes les terres sous son contrôle. Une telle solution requerrait non seulement la fin de l’occupation, mais aussi la fin de la discrimination ethnique sur l’ensemble du territoire. La gauche sioniste ne demande pas que les citoyens juifs et palestiniens d’Israël aient une égalité totale au sein de l’Israël d’avant 1967. Au contraire, les principales organisations libérales sionistes cherchent à s’assurer qu’Israël reste un État à majorité juive qui peut continuer à fournir à ses citoyens juifs des terres et des droits d’immigration refusés aux citoyens de la minorité palestinienne autochtone. La seule façon pour la gauche sioniste de s’opposer à la domination ethnique en Cisjordanie tout en préservant les privilèges ethniques dans l’Israël d’avant 1967 est d’affirmer qu’il existe un « régime d’apartheid » en Cisjordanie, séparé de l’État israélien. Pour qu’Israël d’avant 1967 fasse partie d’un État d’apartheid, il faudrait donc une annexion officielle de la Cisjordanie, « fusionnant » les deux régimes. Mais il s’agit là d’un malentendu sur ce qu’est le crime d’apartheid tel que décrit dans le droit international. Comme la torture, l’apartheid n’a pas besoin d’être appliqué uniformément ou partout dans un pays pour être criminel : en droit international, il n’existe pas de « régime d’apartheid », tout comme il n’existe pas de « régime de torture ». Le mot « régime » n’apparaît nulle part dans la Convention internationale de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Et, bien que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998 utilise le mot « régime » dans sa définition (il a été ajouté pour satisfaire la délégation américaine, qui s’inquiétait des poursuites possibles contre les citoyens américains appartenant à des groupes de suprématie blanche), il n’a clairement pas été inséré pour permettre de limiter l’apartheid aux régions ou aux unités d’un État.

Pourtant, l’idée que seule une annexion formelle peut transformer Israël en un État d’apartheid est devenue inhérente à l’idéologie sioniste de gauche. En juin dernier, plus de cinq cents chercheurs en études juives, dont beaucoup sont d’éminents partisans d’Israël, comme le philosophe juif américain Michael Walzer, ont signé une lettre déclarant que « l’annexion des territoires palestiniens consolidera un système antidémocratique de lois séparées et inégales et de discrimination systémique à l’encontre de la population palestinienne ». Une telle discrimination fondée sur la race, l’ethnie, la religion ou l’origine nationale est définie comme « des conditions d’apartheid » et comme « crime contre l’humanité ».

Le même mois, Zulat, un nouveau groupe de réflexion dirigé par l’ancienne présidente du parti libéral sioniste Meretz, Zehava Gal-On, a publié un rapport intitulé « Whitewashing Apartheid » (Blanchiment de l’apartheid). Dans une section sur les conséquences de l’annexion de jure, il a procédé à son propre blanchiment, affirmant que l’apartheid en Cisjordanie est actuellement pratiqué non pas par Israël mais par un régime distinct : « Même si nous n’annexons qu’un mètre carré, l’État d’Israël ne pourra plus prétendre à la démocratie ni à son intention déclarée depuis 53 ans de mettre fin au conflit, de parvenir à un règlement convenu avec les Palestiniens et de cesser d’avoir le pouvoir sur eux. Toutefois, même l’annexion « ne fait pas nécessairement d’Israël un État d’apartheid, mais le préserve en tant qu’État appliquant un régime présentant des caractéristiques d’apartheid dans les territoires occupés ». Selon cette norme, l’Afrique du Sud de l’apartheid était une démocratie – comme toutes les démocraties, une démocratie imparfaite – qui appliquait un régime présentant des caractéristiques d’apartheid dans les townships et les bantoustans. Ces bantoustans, soit dit en passant, avaient leurs propres drapeaux, hymnes, fonctionnaires, parlements, élections et un degré limité d’autonomie qui n’est pas sans rappeler celui de l’Autorité palestinienne.

Peut-être qu’aucune organisation n’a promu l’idée de régimes séparés avec plus de force que Yesh Din, une organisation de défense des droits humains qui a mené une importante action de plaidoyer juridique en faveur des Palestiniens victimes de la violence des colons, des meurtres et des destructions illégales de biens par les forces de sécurité israéliennes, de la confiscation des terres par Israël et des restrictions israéliennes de l’accès aux terres agricoles. L’année dernière, Yesh Din a été la première organisation israélienne à publier un rapport important accusant des fonctionnaires du gouvernement d’apartheid. En même temps, elle est l’un des plus ardents défenseurs de la théorie des régimes séparés. Les réponses changeantes et incohérentes de Yesh Din à la question de savoir à quel moment Israël cesserait d’être une démocratie ont été emblématiques des faiblesses plus générales de l’argument des régimes séparés. La nuit où le Likoud a signé son accord de coalition avec Bleu et Blanc, Yesh Din a publié une prise de position sur l’impact potentiel de l’annexion. « L’annexion à venir », concluait-il:

coupera l’herbe sous le pied de  l’argument, actuellement répandu dans de nombreux cercles, selon lequel si l’apartheid, ou du moins un régime similaire à l’apartheid, est actuellement pratiqué en Cisjordanie, l’État souverain d’Israël est une démocratie. Appliquer la souveraineté israélienne à la Cisjordanie équivaudrait à déclarer qu’il y a un régime, plutôt que des administrations séparées. Une annexion sans citoyenneté à part entière et sans égalité des droits pour les résidents palestiniens de la zone annexée produirait un véritable régime d’apartheid qu’Israël aurait du mal à nier. Un tel régime perpétuerait les violations des droits humains à l’encontre des Palestiniens, les laissant à jamais privés de liberté et d’égalité.

Suivant ce raisonnement, Israël pourrait annexer uniquement les zones habitées par les Juifs de Cisjordanie, maintenir son occupation de millions de Palestiniens dans les zones adjacentes non annexées et rester démocratique. Peut-être conscient des lacunes de cet argument, Yesh Din a, par la suite, modifié le document. La nouvelle version, publiée sans explication ni correction, déclarait qu’après l’annexion, Israël serait un État d’apartheid à moins qu’il n’accorde des droits pleins et égaux aux Palestiniens, non pas dans « la zone annexée », comme le prévoyait la version originale, mais dans « toute la Cisjordanie ».

Cette formulation permet encore à Israël de rester une démocratie, au moins aux yeux de Yesh Din et de groupes partageant les mêmes idées, alors même qu’il maintient deux millions de Palestiniens à Gaza, la plus grande de ses enclaves ethniques, sans eau potable, sans système d’égout fonctionnel, sans électricité régulière ou sans droit d’entrer et de sortir librement. Bien qu’Israël affirme avoir mis fin à son occupation de Gaza en 2005, il contrôle toujours les exportations, les importations, l’espace maritime et aérien, et même le registre de la population, donnant un numéro d’identification unique à tous les Palestiniens du territoire, sans lequel ils ne peuvent pas sortir, même par la frontière avec l’Égypte. Le document de Yesh Din ne suggère pas non plus qu’Israël doive accorder des droits égaux et complets aux Palestiniens dans les zones officiellement annexées en 1967 : Jérusalem-Est et 28 villages environnants de Cisjordanie. Les résidents palestiniens de ces zones n’ont toujours pas de « pleine citoyenneté et droits égaux ». Aucune tentative n’a été faite non plus pour expliquer pourquoi une annexion partielle de la Cisjordanie en 2020 ferait d’Israël un État d’apartheid alors que les annexions de 1967 ne l’ont pas encore fait.

En juillet, Yesh Din a publié un avis juridique de cinquante pages, rédigé par l’avocat des droits humains Michael Sfard, qui a jugé les fonctionnaires israéliens coupables d’apartheid, défini par la convention de 1973 comme « des actes inhumains commis dans le but d’établir et de maintenir la domination d’un groupe racial de personnes sur tout autre groupe racial de personnes et de les opprimer systématiquement ». Les groupes raciaux sont reconnus en droit pénal international comme étant sociaux plutôt que biologiques : dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, invoquée dans le préambule de la Convention sur l’apartheid de 1973, la « discrimination raciale » est définie comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Des décennies plus tard, les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie ont estimé que la définition d’un groupe persécuté n’était pas une question d’hérédité mais de stigmatisation et de perception subjective des persécuteurs. Le droit pénal international s’applique aux individus, et non aux États. Ce n’est donc pas le gouvernement israélien mais ses fonctionnaires qui pourraient être poursuivis pour avoir exercé l’apartheid. Les organisations de défense des droits humains, B’Tselem et Adalah, sont les seuls groupes importants en Israël qui ont demandé à la CPI d’ouvrir une enquête sur les crimes de guerre commis par des fonctionnaires israéliens. Lorsque le directeur exécutif de B’Tselem, Hagai El-Ad, s’est prononcé contre les colonies au Conseil de sécurité de l’ONU en 2016, il a été condamné par les législateurs israéliens centristes et de centre-gauche. Le président de la coalition du Likoud a menacé de lui retirer sa citoyenneté et un militant du parti travailliste a déposé une plainte auprès de la police, l’accusant de trahison.

L’avis juridique de Yesh Din s’est concentré uniquement sur la question de savoir si l’apartheid est pratiqué, « et non sur la question de savoir qui le pratique », et a limité sa portée aux zones non annexées de la Cisjordanie (le principal domaine d’expertise de Yesh Din), en laissant de côté non seulement Gaza et Israël dans les limites d’avant 1967, mais aussi les terres annexées en 1967. Ce n’est pas parce qu’on ne pouvait valider le fait d’examiner l’assujettissement des Palestiniens sur l’ensemble du territoire sous contrôle israélien, a affirmé Sfard, mais parce qu’il est toujours possible, malgré « l’annexion légale rampante », de considérer la Cisjordanie comme étant régie par un « régime » distinct ou, du moins, un régime « subsidiaire » d’Israël. Une « difficulté » à traiter la Cisjordanie comme un régime séparé, a-t-il reconnu, est qu’une partie de la Cisjordanie a déjà été formellement annexée. La zone annexée de Jérusalem-Est et de ses villages environnants

a de nombreux points communs avec la Cisjordanie : ses résidents palestiniens ne sont pas des citoyens israéliens et, à ce titre, ne votent pas et n’ont pas de représentation politique. En outre, Israël a mis en œuvre un certain nombre de politiques à Jérusalem-Est qui sont analogues, et parfois identiques, à celles qu’il applique en Cisjordanie : colonisation massive par un développement axé sur Israël, incitant des dizaines de milliers de citoyens israéliens à s’installer dans la zone, expropriation et dépossession massives des terres et des biens palestiniens, empêchement des Palestiniens à promouvoir le développement et détournement des ressources au profit des Israéliens qui s’installent dans la ville. Tout cela, et surtout l’annexion illégale qui ne doit pas être reconnue, justifie que l’on traite Jérusalem-Est et la Cisjordanie comme une seule et même entité.

Pourtant, l’avis juridique de Yesh Din ne l’a pas fait. Il n’a pas non plus examiné les politiques discriminatoires appliquées en Israël, où des dizaines de milliers de citoyens palestiniens vivent dans des villages qu’Israël refuse de reconnaître ou de raccorder à l’eau et à l’électricité, et où des centaines de villes exclusivement juives ont des comités d’admission autorisés par la loi à rejeter des Palestiniens sous prétexte de « pertinence sociale », excluant ainsi les candidats qui n’ont pas servi dans l’armée israélienne, ne sont pas sionistes ou ne prévoient pas d’envoyer leurs enfants dans des écoles de langue hébraïque. Israël s’est emparé de plus des trois quarts des terres de ses citoyens palestiniens. Cette expropriation est un projet continu, en particulier dans le Néguev et en Galilée, mais elle a eu lieu pour l’essentiel, comme en Cisjordanie aujourd’hui, alors que les Palestiniens étaient sous régime militaire. Au cours des sept décennies d’existence d’Israël, il n’y a eu que six mois, en 1966-67, où les membres d’un groupe ethnique n’ont pas été placés sous un gouvernement militaire alors que l’État confisquait leurs terres. Comme l’a souligné l’historien israélien Amnon Raz-Krakotzkin, « ces six mois, soit moins d’un pour cent de l’existence d’Israël, sont le point de référence pour toute la discussion sur Israël en tant « qu’État démocratique juif ». Et pourtant, « l’exception … devient la règle, tandis que la règle – l’occupation – est présentée comme l’exception ».

L’apartheid n’aurait pu être maintenu pendant des décennies sans de nombreux bailleurs de fonds, protecteurs et co-conspirateurs extérieurs. Parmi eux, les États-Unis ont accordé plus de 110 milliards de dollars (90 milliards €) à la force militaire d’occupation et ont dépensé des centaines de millions pour améliorer l’infrastructure de l’apartheid, remettre en état les postes de contrôle et paver les routes de Cisjordanie. L’UE est le principal bailleur de fonds des cantons  palestiniens réputés autonomes et l’un des principaux importateurs de produits issus des colonies. Ensemble, les États-Unis et leurs alliés européens ont tenté sans relâche d’empêcher le Conseil de sécurité des Nations unies et la Cour pénale internationale de demander des comptes à Israël.

Même ceux qui se présentent comme les champions de la liberté et des droits humains des Palestiniens soutiennent le statu quo. Le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a déclaré à propos du plan Trump que « nous reconnaissons [son] mérite » et que « c’est peut-être un point de départ pour les négociations ». Le bureau du coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient néglige régulièrement les mandats fondamentaux de l’ONU, à savoir la protection des droits humains et le respect du droit international, préférant jouer un petit rôle dans le processus de paix mené par les États-Unis. En octobre, après qu’Israël a présenté des projets de près de cinq mille nouvelles maisons dans les colonies de Cisjordanie, le représentant sortant des Nations Unies, Nickolay Mladenov, a publié une déclaration parfaitement neutre, notant que la plupart des maisons se trouvaient dans « des endroits périphériques au fin fond de la Cisjordanie occupée » et que « le nombre important et l’emplacement des projets sont très préoccupants » car ils « sapent la perspective d’une solution viable à deux États ». Est-ce le rôle du représentant des Nations Unies de faire la distinction entre les colonies illégales situées au plus profond de la Cisjordanie et les colonies illégales plus proches des lignes d’avant 1967 ? Avec l’aide des « pacificateurs », la définition de ce qui constitue la « périphérie » s’étend de plus en plus vers l’est. L’ONU, comme les États-Unis, l’Europe et les groupes sionistes libéraux, a subordonné le droit international et les droits humains à la sanctification d’une solution à deux États, qu’elle traite non pas comme un moyen d’atteindre ce qui devrait être le but premier – mettre fin à l’oppression de millions de personnes sur la base de leur appartenance ethnique – mais comme le but lui-même.

Les diplomates et les groupes anti-occupation bien intentionnés saluent chaque nouvel acte d’expansion israélien en lançant des avertissements terribles, à savoir que ce sera un « coup fatal » pour la solution à deux États, que « la fenêtre se ferme » pour l’État palestinien et qu’à présent, à la veille de cette dernière prise de contrôle, il est « minuit moins cinq » pour la perspective de paix. D’innombrables alarmes de ce type ont été lancées au cours des deux dernières décennies. Chacune était censée convaincre Israël, les États-Unis, l’Europe et le reste du monde de la nécessité d’arrêter ou du moins de ralentir l’annexion de facto d’Israël. Mais elles ont eu l’effet inverse : elles ont démontré qu’il sera toujours minuit moins cinq. Les décideurs politiques européens et américains, ainsi que les groupes sionistes libéraux qui font pression sur eux, peuvent ainsi soutenir que la solution des deux États n’est pas morte mais simplement combattue – et donc « vivante » en permanence. En attendant, des millions de Palestiniens continuent d’être privés de leurs droits civils fondamentaux et soumis à un régime militaire. À l’exception de ces six mois en 1966-67, cela a été la réalité pour la majorité des Palestiniens vivant sous contrôle israélien pendant toute l’histoire de l’État. L’apartheid sud-africain a duré 46 ans. Celui d’Israël a 72 ans, et ce n’est pas fini.

Source : London review on books

Traduction CG et SF pour l’Agence média Palestine

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