Un besoin urgent de revitaliser la gauche

Par Haidar Eid, le 18 janvier 2021

Des Palestiniens qui soutiennent le FDLP, le FPLP, l’Initiative Nationale et le syndicat démocratique palestinien participent à une marche en soutien aux efforts de réconciliation nationale entre le Fatah et le Hamas et contre le deal du siècle, dans la ville de Gaza, le 27 octobre 2018  (Photo: Mahmoud Ajjour/APA Images) 

Il est inquiétant de voir comment le Palestinien colonisé et opprimé, utilisant un jargon de gauche, a légitimé une solution raciste dissimulée sous des slogans de libération. Cela a conduit à la disparition de mécanismes correcteurs de la politique palestinienne et, finalement, à l’assaut de la politique de droite sur les droits fondamentaux des Palestiniens manifestée dans les accords d’Oslo et la transformation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en deux méga prisons, comme le courageux activiste et historien israélien Ilan Pappe les décrit dans son livre, La plus grande prison du monde.

La gauche palestinienne dominante se compose essentiellement du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) et du Parti du peuple (ex-Parti communiste palestinien) qui sont tous, à des degrés divers, marxistes-léninistes et se considéraient, comme la gauche arabe, comme des alliés de l’Union soviétique stalinienne à l’époque de la guerre froide. L’effondrement de l’Union soviétique stalinienne a porté un coup fatal à toutes ces organisations qui avaient lié leur destin au stalinisme. En fait, l’Union soviétique a soutenu la création d’Israël comme solution à ce qu’on appelle la « question juive » en Europe. C’est pourquoi le parti communiste palestinien a accepté la résolution 194 de l’ONU de 1947 divisant la Palestine en deux États, un pour les Juifs et un autre pour les Arabes palestiniens. L’ex-parti communiste de l’époque n’a pas compris la dimension d’apartheid de cette résolution catastrophique qui, hélas, a conduit à la Nakba de 1948.

En adoptant une interprétation stalinienne du marxisme, la gauche palestinienne a historiquement exprimé une vision du monde antidémocratique, à la fois en général et en particulier sur son programme palestinien. L’absence de démocratie et l’approbation de la position de l’URSS vis-à-vis de la cause palestinienne, en particulier la solution des deux États, en ont évidemment été le résultat. L’effondrement de l’URSS a marqué le début d’un processus évolutif de domptage de la gauche stalinienne palestinienne en une force politique osloïsée, ce qui a finalement conduit à son acceptation implicite des accords d’Oslo via l’acceptation de postes ministériels et la participation aux élections du Conseil législatif de 2006, conférant ainsi une légitimité aux institutions des accords d’Oslo.

Il est très intéressant de noter qu’en 1974, c’est le FDLP stalinien de gauche qui a proposé une solution à deux États pour résoudre le « conflit » israélo-palestinien sous la forme d’un programme intérimaire, mais c’est la direction palestinienne de droite de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui l’a adoptée et transformée en une idéologie fétichiste, à savoir un État palestinien indépendant sur 22 % de la Palestine historique, laissant les 78 % restants à Israël de l’apartheid. 

Le FDLP, en particulier, est fier de propager la solution à deux États, c’est-à-dire deux États basés sur des identités ethno-religieuses, l’un pour les Juifs et l’autre pour les Arabes palestiniens. C’est, à mon sens, l’antithèse d’une politique de gauche laïque. Mais c’est l’héritage de l’idéologie stalinienne qui a prévalu dans les cercles de gauche du monde arabe et en Palestine.  

Il n’est donc pas étonnant que la plupart des organisations staliniennes de gauche en Palestine manifestent une forte opposition à l’alternative démocratique laïque, c’est-à-dire à l’établissement d’un État démocratique laïque sur la terre historique de la Palestine mandataire, un État pour tous ses citoyens, indépendamment de leur identité ethnique, religieuse ou sexuelle. L’exception est le FPLP qui accepte la solution des deux États comme un pas vers un État laïque dans la Palestine historique. 

C’est précisément la raison pour laquelle il est d’une importance capitale de proposer un programme alternatif d’émancipation et de libération qui s’éloigne des slogans démagogiques de la gauche stalinienne représentée au sein du Politburo de l’OLP en concordance avec sa direction de droite.

Non à « l’indépendance du drapeau ».

La mort du Parti communiste après l’effondrement de l’Union soviétique, combinée au fait que le FDLP n’existe pratiquement plus sur le terrain, à l’apparente faiblesse du FPLP et à « l’ONGéisation » politique adoptée par l’Initiative nationale palestinienne dirigée par Mustafa Barghouti, montre qu’il n’y a pas d’option signifiante pour une politique de gauche au sein de la structure politique palestinienne existante. Il faut une force politique alternative qui se fonde sur des pratiques politiques de terrain, et qui inclue BDS. Avec la résistance populaire dans les zones occupées en 1967 et celles colonisées en 1948, avec la mobilisation des Palestiniens vivant en diaspora dans les camps de réfugiés en particulier, la cause palestinienne prendrait certainement une voie différente vers la liberté, l’égalité et la justice. 

Sans cette sérieuse introspection et en l’absence d’une critique des 72 dernières années en général, et des 52 années en particulier (c’est-à-dire depuis l’émergence de la révolution palestinienne contemporaine menée par la petite bourgeoisie en alliance avec les organisations de la gauche stalinienne), il faudra certainement attendre longtemps avant qu’une solution ne soit apportée à la cause palestinienne en tant que lutte contre l’occupation militaire, l’apartheid et le colonialisme de peuplement. Un triste scénario serait que le peuple palestinien soit laissé dans « l’inconscient politique », comme le dit le penseur marxiste Fredric Jameson, exactement comme les Américains de souche, les autochtones et les Maoris. Pour l’instant, il est évident que les dirigeants du peuple palestinien, de gauche comme de droite, ont malheureusement accepté l’alternative de l’apartheid – bien qu’embellie dans le jargon de l’indépendance et du nationalisme palestinien. 

Ce qui laisse perplexe, c’est la façon dont ces organisations croient encore à la solution dite des deux États, malgré le fait qu’Israël a suivi une stratégie de colonisation qui a contrecarré toute chance future de créer un État palestinien indépendant à côté d’Israël, en construisant simplement des faits irréversibles sur le terrain. Ce à quoi nous avons abouti dans la bande de Gaza est une prison à ciel ouvert, de sécurité maximale, séparée de l’autre prison de Cisjordanie. Ces deux prisons ne peuvent pas constituer un « État souverain et indépendant », à moins que l’on appelle « La la land » un État, ou ce que le défunt intellectuel révolutionnaire et combattant de la liberté, Amilcar Cabral, a qualifié de « drapeau d’indépendance ».

En fin de compte, bien que je comprenne émotionnellement la « logique » de la solution à deux États, je ne comprends toujours pas comment la gauche en Palestine n’a pas pu y voir la dimension raciste implicite, et parfois même explicite. Je ne comprends pas comment ces organisations ont accepté la légitimation d’une politique de droite conduisant à la bantoustanisation de la Palestine. Théoriquement parlant, et c’est très difficile à dire, la gauche stalinienne palestinienne n’a pas amélioré son analyse théorique du statu quo et de la question palestinienne. De plus, elle n’a pas non plus montré de progrès dans sa position vis-à-vis de la relation entre la lutte palestinienne et nos alliés internationaux sous la forme d’une intersectionnalité. 

Après Oslo

Il est évident que nous assistons à la fin d’une époque. C’est l’ère de la solution dite des deux États et du programme intérimaire de l’OLP ; la fin du nationalisme palestinien tel que défini par la petite bourgeoisie et la classe moyenne non authentique.  D’où la nécessité d’un changement de paradigme dans la théorisation de gauche de la cause palestinienne. Nous avons besoin d’un paradigme alternatif qui se caractérise par un divorce complet d’avec les solutions racistes, de l’ère d’Oslo et des alliances avec des régimes arabes réactionnaires. Nous avons besoin d’un paradigme qui soit fondé sur une compréhension révolutionnaire sérieuse de la situation, une compréhension qui n’hésite pas à appeler un chat un chat, à appeler Israël une colonie de peuplement d’apartheid basée sur la négation de l’existence de la population native de Palestine, et à déclarer qu’Israël est un État d’apartheid qui n’est pas sans rappeler le régime inhumain qui a dirigé l’Afrique du Sud de 1948 à 1994. 

C’est avec le soutien de personnes diligentes, de la société civile internationale et de la lutte sur le terrain que l’apartheid en Afrique du Sud a pris fin. De même, nous avons besoin du soutien des groupes et des militants de la solidarité internationale, et nous devons renforcer la puissance de notre lutte sur le terrain en combinant deux piliers majeurs de la lutte – le BDS et la résistance populaire – afin de pouvoir former ce qu’Antonio Gramsci a appelé la « masse historique » capable d’apporter le changement révolutionnaire souhaité. Cela doit s’inscrire dans une vision politique claire, nécessairement laïque et démocratique, combinée à un programme social qui garantisse les droits des classes opprimées, ces réfugiés vivant dans des conditions misérables dans des camps en Palestine et dans la diaspora. 

La leçon la plus importante que l’on peut tirer de la lutte sud-africaine contre l’apartheid est de ne pas hésiter à établir un lien entre le racisme et le capitalisme et à son exploitation des classes opprimées. C’est, pour citer à nouveau Cabral, la « forme de lutte que nous considérons comme fondamentale » et qui ne doit pas être oubliée ou sous-estimée, « la lutte contre nos propres faiblesses ». Ce nationalisme étroit basé sur une politique identitaire qui menace de nous éloigner de la « masse historique » et de ce qu’Edward Saïd appelle « une cacophonie de voix ». 

Haidar Eid est professeur associé de littérature postcoloniale et postmoderne à l’université al-Aqsa de Gaza. Il a beaucoup écrit sur le conflit arabo-israélien, notamment des articles publiés dans Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle et Open Democracy. Il a publié sur les études culturelles et sur la littérature dans plusieurs revues, notamment Nebula, Journal of American Studies in Turkey, Cultural Logic et le Journal of Comparative Literature.

Source : Mondoweiss

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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