Élections palestiniennes : reconstitution du statu quo

Par Haidar Eid, le 11 février 2021

Le peuple palestinien a besoin d’élections qui les rapprochent de l’autodétermination. Haidar Eid écrit que le projet actuel d’élections n’encourage que davantage de fragmentation ainsi que les intérêts d’Israël.

Commissioner General of the High Authority for Tribal Affairs in the Gaza Strip, Akef Al-Masry speaks during a press conference about the elections summit in Cairo, in Gaza city on February 08, 2021. (Photo: Ashraf Amra)
Le commissaire général de la haute autorité des affaires tribales de la bande de Gaza, Akef Al-Masry, s’exprime lors d’une conférence de presse au sujet du sommet sur les élections du Caire, ville de Gaza, 8 février 2021. (Photo: Ashraf Amra)

Les partis politiques palestiniens se sont réunis au Caire cette semaine et se sont mis d’accord sur un mécanisme permettant de tenir des élections législatives et présidentielles de l’Autorité Palestinienne respectivement en mai et en juillet. Le sommet de deux jours s’est aussi vaguement engagé à des élections du Conseil National Palestinien, le parlement de l’OLP, qui fait toujours office de représentation internationale du peuple palestinien.

Dans une déclaration publiée par le Fatah et le Hamas rivaux ainsi que par 12 factions qui ont assisté à la réunion, les groupes ont promis de « se plier à l’agenda établi par le décret sur les élections législatives et présidentielles, en insistant sur le fait de les tenir à Jérusalem, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza sans exception et en promettant de respecter et d’accepter leurs résultats ».

L’insistance est mise, de toute évidence, sur le Conseil législatif et sur les élections présidentielles, de manière à renouveler la légitimité des institutions existantes – quoique sous le système israélien d’oppression à plusieurs niveaux.

Les élections palestiniennes de 1996 et de 2006 

En 2006, un tiers des électeurs palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et un nombre limité à Jérusalem-Est, ont voté contre le gouvernement sortant de l’Autorité Palestinienne dirigé par le Fatah. L’opposition au Fatah est venue du public qui le voyait de plus en plus comme un pseudo gouvernement postcolonial, qui avait failli à tenir ses promesses et, surtout, à conduire à l’indépendance et à la souveraineté. Au lieu de quoi, il avait offert des platitudes vides en même temps que le développement des forces de sécurité palestiniennes qui sont engagées dans une coordination sécuritaire avec Israël et sont entraînées par les États-Unis. La corruption a suivi et la lutte nationale pour la liberté n’a plus été une priorité mais une esthétique ou « une indépendance de drapeau ».

Sous le mandat du Fatah, l’Autorité Palestinienne a bâti de nouvelles institutions reflétant l’égalité supposée entre les deux parties, Israël et la Palestine. Ces institutions ont vendu l’illusion de « l’indépendance » aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Parmi ces institutions se trouvait le Conseil législatif palestinien, qui est le parlement de l’Autorité Palestinienne et représente seulement les habitants de Cisjordanie et de la bande de Gaza. En comparaison, le Conseil national palestinien est le parlement unicaméral de l’OLP et représente les Palestiniens du monde entier, dont ceux vivant dans des camps de réfugiés et en diaspora. 

Lorsque les premières élections de l’Autorité Palestinienne ont eu lieu en 1996, il devint clair qu’il était impossible de voter librement. Tout d’abord, comment des élections se déroulant sous occupation sont-elles libres et démocratiques ? Le résultat de l’élection était connu d’avance. Avec la propagande utilisée pour vendre les Accords d’Oslo signés l’année précédente, il aurait été difficile, sinon impossible, pour une faction politique ayant montré son opposition aux accords de gagner une majorité de sièges au Conseil législatif. Comme on pouvait s’y attendre, la « victoire » revint au Fatah, le parti qui avait signé les accords, avec quelques sièges pour quelques représentants symboliques d’une opposition amie pour compléter le tableau. 

La participation aux élections de 2006 a été supérieure, les électeurs étant inspirés par la possibilité d’un changement de l’intérieur. Les blocs islamistes, en particulier, ont pris de l’importance. Les résultats des élections législatives ont été une surprise, sinon un revers pour le parti du Fatah : le Hamas gagna les élections législatives avec 74 sièges et le Fatah n’obtint que 45 sièges. En l’espace d’une année, le gouvernement palestinien allait éclater en deux parties, le Fatah gouvernant la Cisjordanie et le Hamas, Gaza. 

Du temps de l’apartheid, l’Afrique du Sud était de la même façon découpée en 10 Bantoustans, dont quatre furent déclarés États « indépendants » par le gouvernement d’apartheid. Le gouvernement blanc de l’apartheid contrôlait 87% du territoire et une majorité des ressources, laissant peu de choses aux Noirs autochtones. 

D’ailleurs, les signataires palestiniens des Accords d’Oslo aspiraient à établir un État sur une répartition similaire : sur 22% de la terre, comparés au système des Bantoustans qui offrait aux Sud-Africains noirs 13% de la terre. 

L’issue des élections de 2006 apporta un message clair contre la partition et les résultats furent même une surprise aux yeux de ceux qui remportèrent la majorité.

La surprise eut aussi un écho à Washington et en Israël. Les électeurs palestiniens avaient osé prendre au sérieux la diffusion de la démocratie au Moyen Orient. En deux ans, un blocus de longue durée, horrible et paralysant fut imposé à la bande de Gaza, un blocus terrien, maritime et aérien. 

Tout comme les élections de 1996 ne conduisirent pas à un État palestinien indépendant sur les frontières de 1967 avec Jérusalem pour capitale, les élections de 2006, de la même façon, n’ont amené ni à l’indépendance ni à la libération, en dépit de son issue terriblement différente. Au contraire, chaque élection a donné naissance à une autorité qui gouverne sans souveraineté.

Après les élections de 2006, le Hamas a pris le rôle d’un gardien de prison, se retranchant et régissant la vie de 2 millions de prisonniers. Jour après jour nous avons vu cette autorité évoluer d’une étape de résistance au siège à la coexistence avec lui et finalement à une étape consistant à en tirer avantage. 

Quel est l’enjeu du vote ?

Aujourd’hui, au sein du système binaire construit de manière fallacieuse entre ces deux autorités de Cisjordanie et de Gaza, viennent s’inscrire l’accord du Caire, les élections et la préparation de la réconciliation. La liste des candidats actuels présente un choix entre la droite religieuse et la droite laïque, alors qu’une nécessaire alternative est absente du champ.

Quelle est l’issue souhaitée de ces élections ? Et sont-elles radicalement différentes des précédentes ? Sont-elles conçues pour faire face aux erreurs cruciales qui ont frappé les deux précédentes élections ou aux erreurs qui en ont résulté ? Cette fois, est-ce que le droit à l’autodétermination ainsi que défini par chaque Palestinien apparaît sur le bulletin de vote ? En d’autres termes, le processus électoral va-t-il inclure tous les secteurs du peuple palestinien et leurs aspirations ou va-t-il, comme les précédents, être excluant et limité ? Va-t-il aider à déconstruire le fétiche de « l’indépendance » et à l’éloigner de l’intervention étrangère ? En d’autres termes, seront-elles des élections libres même si elles se tiennent, une fois de plus, sous la pointe du fusil de l’occupant ? Reflèteront-elles le véritable désir du peuple palestinien occupé ? Que se passera-t-il s’il y a un soulèvement comme en 2006 ?

Des négociations stériles, interminables, parce que conçues comme telles, si le Fatah gagne ou poursuite du blocus et de la guerre si le Hamas gagne.

Ce qu’il faut, c’est une alternative qui reflète la volonté collective de tout le peuple palestinien, dont les réfugiés et les citoyens palestiniens d’Israël. Seules des élections du Conseil national palestinien peuvent réaliser cela. Ces élections peuvent rapprocher le peuple palestinien de l’autodétermination, telle que définie en droit international, tout en restaurant son droit légitime à des formes multiples de résistance. Des élections tenues sous une politique d’occupation, de colonisation et de l’apartheid israélien ne sont pas des élections mais plutôt une reconstitution du statu quo.

Haidar Eid est professeur associé de littérature postcoloniale et postmoderne à l’Université al-Aqsa de Gaza. Il a beaucoup écrit sur le conflit arabo-israélien, dont des articles publiés sur Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle et Open Democracy. Il a publié des articles sur les études culturelles et la littérature dans un grand nombre de revues, dont Nebula, Journal of American Studies in Turkey, Cultural Logic et le Journal of Comparative Literature.

Source : Mondoweiss

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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