Un premier archivage numérique de Gaza témoigne de sa riche histoire culturelle

Par Hana Adli, le 25 février 2021

Une plate-forme multidimensionnelle lancée en 2019 documente, en Anglais et en Arabe, sur les monuments historiques et les sites patrimoniaux de Gaza.

Nisma al-Sallaq et Mayar Humaid ont démarré leur projet d’archivage des sites et monuments historiques de Gaza en 2014. [Ashraf Amra / Al Jazeera]

La Vieille Ville, Bande de Gaza – Avec des années de guerre, de crise humanitaire et de blocus israélien continu, le riche héritage culturel de la Bande de Gaza est largement passé inaperçu.

Mais il y a quelques années, Nisma al-Sallaq, architecte locale et défenseure passionnée de l’histoire culturelle de l’enclave palestinienne, a entrepris de changer cela.

Accompagnée d’une équipe grandissante, al-Sallaq, 27 ans, a créé le premier archivage numérique des monuments historiques et des sites patrimoniaux de Gaza en lançant en 2019 une plate-forme multidimensionnelle appelée Kanaan.

Avec un site internet, une application sur portable et une page Instagram, le projet fournit aux visiteurs des informations sous forme de textes ou de vidéos en Anglais et en Arabe, et offre un tour virtuel de l’histoire culturelle vieille de plusieurs siècles de Gaza.

Nommée d’après les Cananéens qui, les premiers, se sont établis à Gaza il y a des milliers d’année, Kanaan a jusqu’ici fourni de la documentation sur 311 monuments historiques et 76 sites archéologiques de la Bande.

Mayar Humaid et Nisma al-Sallaq inspectent une ancienne maison de la Vieille Ville de Gaza. [Ashraf Amra/Al Jazeera]

On y trouve le Tel Umm Amer ou Monastère de Saint Hilarion, qui date de la fin de l’Empire romain et est considéré comme un site important du patrimoine chrétien. L’archivage informe aussi sur la Mosquée d’Omar, église construite par les Byzantins et transformée en mosquée par le Calife musulman Omar ibn al-Khattab.

« Les gens pensent que Gaza n’est qu’une question humanitaire liée aux guerres et aux 13 ans de blocus israélien, et ils sont nombreux à ne voir que des scènes pénibles de meurtres et de siège israélien en Une des journaux», a dit al-Sallaq, qui espère que cette initiative pourra attirer l’attention sur un aspect différent de Gaza.

« Ils ne savent pas que Gaza possède des trésors archéologiques, à la fois sur terre et sous terre. Gaza est un portail entre l’Asie et l’Afrique. Elle a été le témoin de nombreux développements historiques à travers une série de civilisations », a-t-elle déclaré à Al Jazeera.

Etant l’une des plus anciennes villes du monde, Gaza a été dominée par les pharaons, les Grecs, les Romains et les Byzantins, avant d’être conquise par les Musulmans en 635. Elle fit alors partie de plusieurs empires musulmans, dont l’Empire Ottoman, du seizième siècle jusqu’en 1917.

La guerre de 1948 qui a établi Israël a transformé la Bande de Gaza de petit port et d’arrière-pays agricole en l’un des endroits les plus surpeuplés sur terre.

Un blocus israélien imposé à l’enclave côtière depuis la prise de contrôle du Hamas en 2007, des taux de chômage élevés et des coupures de financement de l’ONU ont exacerbé les mauvaises conditions de vie des presque deux millions de résidents de Gaza.

Malgré les efforts de l’équipe, le site internet du projet est toujours en cours d’élaboration. [Ashraf Amra/Al Jazeera]

Division du travail

L’équipe de base derrière le nouvel archivage numérique de Gaza comprend al-Sallaq ainsi que l’ingénieur civil Mayar Humaid. Pendant les sept dernières années, elles ont consacré leur temps et leur argent à ce projet.

« Nous avons entamé le projet en 2014 en utilisant nos propres fonds mais, après avoir reçu un prix local en 2016, nous avons élargi notre travail et notre équipe », a dit al-Sallaq, faisant référence aux 10.000 $ de récompense accordés par la Fondation Taawon, ONG située en Suisse.

Depuis, al-Sallaq a embauché un groupe de photographes, graphistes, experts en informatique et davantage d’ingénieurs civils pour mettre en place la plate-forme.

L’équipe se partage diverses tâches dont la recherche, le collationnement et la documentation de détails historiques, et la prise de films et de photographies sur chaque site pour l’archivage.

Avec un site internet, l’application sur portable et la page Instagram à mettre à jour, l’équipe a beaucoup de travail à accomplir.

« Toutes les informations que nous rassemblons sont accessibles sur le site internet avec une photo, une vidéo et la description du site historique », a dit Humaid, qui est responsable de la mise à jour de la page Instagram « Kanaan Ps ».

Malgré les efforts de l’équipe, le site internet est toujours en cours d’élaboration et l’application sur portable a besoin d’autres mises à jour.

Mayar Humaid et Nisma Sallaq, fondatrices de Kanaan, pendant leur travail de documentation sur la vieille Mosquée de Gaza. [Ashraf Amra/Al Jazeera]

Surmonter les défis

Alors que l’équipe est fière de ce qu’elle accompli jusqu’ici, al-Sallaq précise qu’elle affrontait des défis à chaque étape du travail, surtout quand elle essayait d’accéder aux sites historiques qui se trouvent dans des zones réglementées.

« Bien que nous ayons l’autorisation du Ministère du tourisme de conduire nos visites de terrain à Gaza, nous ne pouvons pas accéder aux zones situées le long de la frontière [avec Israël] pour raisons de sécurité », a dit Humaid.

« Les sites sur la frontière se trouvent sous terre dans des zones qu’Israël appelle « la ville souterraine », a-t-elle dit, faisant référence au réseau de tunnels dont Israël prétend que les Palestiniens s’en sont servis pour faire entrer des marchandises commerciales à Gaza, ainsi que des armes pour les groupes armés.

A l’origine, Kanaan ne s’est consacrée qu’à la documentation sur les monuments et sites historiques de Gaza. Ces dernières années, le projet s’est également orienté vers des artefacts.

Mais, pour ce faire, l’équipe a eu besoin d’une imprimante tridimensionnelle avec appareil photo qui, d’après al-Sallaq, est interdite à l’importation par Israël à cause des restrictions sur les produits « à double usage » – les objets qui peuvent prétendument être utilisés dans des buts civils et militaires.

Au lieu d’abandonner l’idée, al-Sallaq a embauché un spécialiste de mécatronique pour concevoir une imprimante 3D pour le projet. « Et nous avons réussi », a-t-elle dit, expliquant que, désormais, Kanaan peut documenter sur de plus petits objets.

L’artiste Abdallah al-Ruzi conduit des visiteurs pour un tour dans l’école Al-Kamalia, construite en 1237 à l’époque des Ayyubides. [Ashraf Amra/Al Jazeera]

Un intérêt croissant

D’après Humaid, le projet a encouragé les gens à aider à protéger et à restaurer les monuments et sites historiques de Gaza.

« Notre travail a inspiré un groupe d’artistes qui a lancé des initiatives pour réhabiliter quelques uns des monuments historiques que nous avons documentés », a dit Humaid.

Parmi eux, il y a L’École Al-Kamalia, édifiée en 1237 au cœur de la Vieille Ville pour y accueillir les étudiants en théologie ainsi que les membres pauvres de la communauté.

Nommée en l’honneur du Sultan Ayyubide, Al-Kamil, cette école est un exemple important de l’influence que la dynastie Ayyubide – fondée par Saladin et qui a gouverné certaines parties de l’Égypte, de la Syrie et de l’Irak à la fin du 12ème et au début du 13ème siècles – a eue sur Gaza.

Réunissant un groupe d’artistes volontaires, Abdalah al-Ruzi, 38 ans, a aidé à restaurer la vieille école dans le cadre d’une initiative appelée Mobaderoon.

« Nous savions que L’École Al-Kamalia était un monument historique, mais avec l’aide de Kanaan, nous avons pu identifier son nom exact et sa signification historique », a dit al-Ruzi à Al Jazeera.

Ruzi a confié que, alors que Mobaderoon avait à cœur de restaurer d’autres sites historiques de Gaza, l’initiative devait faire face au manque de financement.

D’après Jamal Abu Raida, directeur général des antiquités au Ministère du Tourisme de Gaza, les deux initiatives ont aidé à soutenir le rôle du Ministère dans la restauration et la documentation du riche héritage de Gaza.

« Et Kanaan et Mobaderoon complètent notre rôle dans l’éveil de l’intérêt, localement et à l’étranger, pour les sites historiques de Gaza », a-t-il dit, tout en se plaignant de ce que le Ministère n’ait pas les ressources financières nécessaires pour y arriver.

Abu Raida explique que le financement international pour les sites historiques de Gaza a été gelé après la prise du pouvoir par le Hamas. Il précise que les donateurs avaient peu à peu commencé à manifester un certain soutien au travail du ministère ces dernières années.

L’équipe de Kanaan en visite d’une ancienne maison au cœur de la Vieille Ville de Gaza. [Ashraf Amra/Al Jazeera]

Un programme ‘vraiment nécessaire’

Khaled Safi, professeur d’Histoire et des civilisations à l’université Al-Aqsa de Gaza, considère que Kanaan était un programme vraiment nécessaire.

« Gaza a besoin de ce genre d’initiatives, spécialement à cause du manque de considération du gouvernement pour ce patrimoine culturel », a dit Safi.

« Le patrimoine de Gaza a besoin de plus qu’un archivage numérique et un accès virtuel. Les sites archéologiques existants ont besoin d’une véritable protection », a-t-il ajouté. « Depuis des décennies, nous n’avons vu aucune protection ni aucune restauration de la part du gouvernement pour les sites et monuments archéologiques à Gaza ».

« J’ai personnellement été témoin de la destruction de certains d’entre eux à cause du manque de prise de conscience » a-t-il dit, expliquant que certains sites avaient été détruits dans le cadre de projets de construction de nouveaux bâtiments commerciaux.

Cependant, ces quelques dernières années ont vu grandir un mouvement conduit par un certain nombre de professeurs d’Histoire et d’archéologie des universités de Gaza pour protéger le patrimoine de l’enclave.

Avec les militants des réseaux sociaux, ce mouvement a essayé de mettre fin aux opérations des bulldozers et de creusement autour des zones historiques, y compris l’historique Tel Al-Sakan dont de grandes parties ont été détruites ces dernières années.

Malgré les difficultés, l’équipe qui soutient Kanaan projette d’élargir encore plus le projet, en allant au-delà de Gaza dans les autres parties de la Palestine.

« Étendre l’archivage numérique pour y inclure les sites archéologiques et historiques des villes de la Cisjordanie occupée est la prochaine étape de l’équipe », a annoncé Humaid.

« Nous cherchons à faire de Kanaan le premier archivage numérique des monuments et sites historiques de toute la Palestine », a-t-elle ajouté.

Mayar Humaid et Nisma Al-Sallaq, fondatrices du projet Kanaan, en plein travail pour documenter les sites archéologiques de Gaza. [Ashraf Amra/Al Jazeera]

Source : Al Jazeera

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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