Par Laith Abu Zeyad, le 3 mars 2021
À cause d’une interdiction de se déplacer mise en place en septembre 2019 et fondée sur une preuve secrète, Laith Abu Zeyad est prisonnier chez lui.
Les Palestiniens de Cisjordanie occupée ne sont pas autorisés à voyager à l’étranger en passant par l’aéroport d’Israël – ils doivent passer par la Jordanie et prendre un vol depuis Amman. Israël, cependant, impose régulièrement des interdictions de voyager aux Palestiniens, en invoquant des « raisons de sécurité » – beaucoup ne savent pas qu’ils sont interdits de voyage avant d’arriver au point de passage. Entre 2015 et 2019, l’ONG israélienne HaMoked a déposé 797 recours contre des interdictions de voyager, dont 65 % ont été levées. En d’autres termes, la plupart des interdictions sont totalement injustifiées.
En septembre 2019, Laith Abu Zeyad, un militant d’Amnesty International habitant en Cisjordanie, s’est vu interdire par Israël d’accompagner sa mère pour un traitement médical à Jérusalem. Par la suite, les autorités israéliennes l’ont même empêché de voir sa mère avant sa mort. En octobre 2019, Laith s’est également vu interdire de se rendre en Jordanie pour assister aux funérailles de sa tante.
Dans cet article, Laith réfléchit à une interdiction de voyager basée sur des preuves secrètes et qui peut être prolongée indéfiniment – prisonnier dans son propre pays, il rêve de liberté.
Je suis un prisonnier sans cellule, sans crime, sans condamnation. Ma cour de prison s’étend sur ce qu’il reste des terres de mon peuple en Palestine occupée. Vers l’Est, en Jordanie, qui constitue notre seule porte d’entrée vers le reste du monde, il n’y a qu’un seul pont, un pont que je n’ai pas le droit de traverser. Vers l’ouest, vers d’autres parties de la terre qui nous a été volée et qu’Israël a fait siennes, je ne peux aller que jusqu’au checkpoint militarisé le plus proche.
J’ai été confiné à ces frontières tracées par les occupants et interdit de partir selon mon gré. Je n’ai été condamné pour aucun crime et je n’ai pas eu connaissance des prétendues « preuves » contre moi. Même mon avocat ne peut pas examiner les accusations secrètes portées contre moi, il n’y a donc aucun moyen pour moi – ou pour qui que ce soit – de contester efficacement l’interdiction de voyager qu’Israël m’a imposée depuis septembre 2019. Dans cette prison en plein air, les lois sont dictées par les geôliers ; les prisonniers n’ont pas leur mot à dire – pas même le droit d’être présents au tribunal. L’audience du tribunal pour discuter de mon absence de condamnation s’est tenue sans moi Pourquoi ? Parce qu’Israël m’a refusé le permis dont j’ai besoin pour entrer à Jérusalem, la ville de l’autre côté du Mur, où se trouve leur tribunal. Cela a été approuvé par un de leurs juges, statuant sur la base d’un de leurs décrets militaires- une question de routine pour un système qui nous déshumanise régulièrement.
Dans mes rêves, je me vois marcher comme un funambule sans tomber, traverser le monde sans être vu, protégé par l’obscurité totale de minuit, passer au travers des murs et des checkpoints militaires qu’ils ont construits, et des chaînes psychologiques qu’ils nous ont infligées. Je rêve d’une réalité où je puisse m’allonger sur le sable de la plage de Jaffa et prendre un bain de soleil, respirer l’air de Haïfa et embrasser mes amis dans la prison que nos geôliers ont fait de Gaza. Sur cette corde raide dont je rêve, je m’équilibre dans la vie sans assujettissement, sans confinement et sans cages, mais je suis brusquement réveillé par ma réalité : cette corde raide est en fait tendue autour de mes poignets et de mes chevilles, et je suis dans une lutte constante pour me libérer.
L’interdiction de voyager qu’Israël m’a imposée peut être prolongée indéfiniment par tranches de neuf mois, et ce cycle de prolongation me pèse. En ne me fournissant aucun détail ou preuve sur les raisons pour lesquelles il m’a imposé une interdiction, Israël s’engage dans une guerre psychologique. Cette fabrication de secrets lui sert de chaînes, de serrures et de clés.
Dans mon rêve sur la corde raide, mes jambes deviennent plus sûres et j’ai la capacité de faire des sauts périlleux et de jeter des paillettes en l’air en la traversant – je ressens enfin un soulagement. Je suis en vie. Je chante et je danse. Mais une fois de plus, le bruit lointain d’un coup de feu et d’un cri me réveille.
Il y a un point de vue à mi-chemin sur la corde raide. De là, je peux à la fois voir en arrière – les restes de centaines de nos villages détruits – et devant moi, je sens les parfums d’un avenir envahi de feuilles de jasmin poussant sur les milliers d’arbres que nous allons replanter en nous agenouillant de joie et en respirant enfin.
Je ne peux pas contrôler mes rêves. Ni mon destin. Ni mes pensées. Parfois, le prisonnier dans ma tête commence à se cogner contre les parois de mon crâne. Je ne sais pas ce que je peux lui offrir en dehors d’une incertitude sans fin. Finalement, je lui ai offert cette page blanche. Je pense que ce sont peut-être ses mots. Nos mots ?
Nous marchons ensemble sur la corde raide, nous en tombons ensemble et nous nous réveillons ensemble, bridés par elle.
Il y a un avenir, m’a-t-on dit. Pourtant, la liberté semble lointaine.
Mais je dois y croire. Le mur, à moins de dix minutes de marche de l’endroit où je suis né, où j’ai grandi et où je vis encore, sera abattu. La frontière fermée s’ouvrira. La corde raide, je n’en tomberai pas.
Je dois croire que je vivrai dans un avenir où nous serons libérés de leur oppression et de toute oppression structurelle, y compris de celle de ma propre société, car c’est la seule chose qui me permet de continuer.
Source : Mondoweiss
Traduction SF pour l’Agence média Palestine