Le 1 avril 2021
La maison d’édition Pearson annonce qu’elle suspend la distribution des livres qu’elle avait modifiés après des plaintes de UK Lawyers for Israel [Avocats du Royaume-Uni pour Israël]
La maison d’édition internationale Pearson a suspendu la distribution de deux manuels utilisés dans les lycées du Royaume-Uni après un rapport d’un groupe d’universitaires disant qu’ils déformaient les sources historiques et échouaient à offrir aux élèves une vision équilibrée du conflit israélo-palestinien.
Le rapport établissait que des modifications avaient été faites dans le texte, les chronologies, les cartes et les photographies ainsi que dans les exemples d’essais et d’exercices.
Il concluait que « les élèves ne devraient pas se voir offrir de la propagande déguisée en guise d’enseignement » et appelait à leur retrait immédiat.
Les modifications des manuels ont été faites l’an dernier après une intervention du Bureau des représentants des juifs britanniques travaillant avec UK Lawyers for Israel (UKLFI, Avocats du Royaume-Uni pour Israël).
Les livres, intitulés Conflict in the Middle East [Conflit au Moyen-Orient] et The Middle East: Conflict, Crisis and Change [Le Moyen-Orient : conflit, crise et changement], tous deux écrits par Hilary Brash, sont lus chaque année par des millers d’élèves en vue du GCSE et du GCSE international.
Pearson n’a pas répondu aux questions de Middle East Eye pour savoir si Brash était d’accord avec les changements.
Les GCSE [General Certificate of Secondary Education, Certificat général de fin d’études secondaires] sont les examens que les élèves des établissements secondaires britanniques passent à l’âge de 16 ans.
Le rapport de huit pages des professeurs John Chalcraft et James Dickins, spécialistes du Moyen-Orient, respectivement en histoire et politique et en arabe, et membres du Comité britannique pour les universités de Palestine (British Committee for the Universities of Palestine, BRICUP), a mis à jour des centaines de changements dans les manuels – en moyenne trois par page.
« Un compte rendu indépendant »
La direction de la National Education Union (NEU), le principal syndicat enseignant du Royaume-Uni, a exprimé son inquiétude à propos des constatations soulignées dans le rapport, ainsi que sur la procédure éditoriale qui a conduit à ces changements.
La NEU a dit qu’elle contacterait les éditeurs afin d’obtenir des clarifications.
Le rapport remarquait que, malgré l’importance des changements, les livres ne contiennent aucune indication qu’ils ont été révisés.
Dans une déclaration envoyée à MEE, Pearson a dit : « Notre principe éditorial fondamental est de soutenir un enseignement de cette importante période dans l’histoire du Moyen-Orient qui soit juste, neutre et équilibré ».
« Nous apprécions les commentaires, mais nous avons des procédures solides mises en place pour examiner tout commentaire — c’est particulièrement important pour une période de l’histoire aussi sensible ».
« Nous avons commandé un rapport indépendant sur ces livres l’an dernier et les changements apportés ont été fondés sur le résultat de ce rapport ».
« Nous soutenons nos textes mais nous avions déjà pris la décision de suspendre leur distribution le temps que nous discutions plus longuement avec les parties prenantes ».
Des faits retirés
Le rapport met en lumière de multiples exemples de changements du texte original. Dans un exemple, la version originale dit que « le droit international affirme qu’un pays ne peut annexer ou occuper indéfiniment un territoire gagné par la force ». Il s’agit du consensus juridique international dominant.
La version révisée remplace cela par : « Certains arguent que le droit international affirme qu’un pays ne peut annexer ou occuper indéfiniment un territoire gagné par la force. »
De plus, l’édition originale inclut l’affirmation que pendant la première intifada de 1987-1993, « les bras et les doigts d’enfants palestiniens qui jetaient des pierres ont été brisés [par les soldats israéliens] ». Ce fait est bien documenté. Dans l’édition révisée, il a été éliminé.
Le massacre de Deir Yassin (au cours duquel les forces israéliennes tuèrent au moins 107 civils palestiniens) est décrit dans la version originale du manuel pour le GCSE international comme « l’une des pires atrocités de la guerre [de 1948] ». Dans l’édition révisée, le mot « atrocités » a été remplacé par « actions ».
En ce qui concerne les souffrances palestiniennes sous occupation militaire israélienne, la version originale affirme : « Pour gagner de l’argent, de nombreux Palestiniens ont dû travailler en Israël, où ils ont fait des travaux non qualifiés même lorsqu’ils avaient une bonne instruction ».
La version révisée devient : « Si quelques Palestiniens ont bénéficié de plus haut salaires en travaillant Israël, ils ont souvent fait des travaux moins qualifiés même lorsqu’ils avaient reçu une bonne instruction ».
« Choquant et inacceptable »
Le rapport a découvert que beaucoup de références à la violence et aux agressions juives et/ou israéliennes avaient été enlevées ou adoucies, alors que les références à la violence et aux agressions arabes et/ou palestiniennes ont été systématiquement ajoutées ou intensifiées.
Dans la version originale du manuel pour le GCSE britannique, on trouve 10 références au terrorisme juif et 32 au terrorisme palestinien (incluant dans chaque cas l’utilisation des mots « terroriste » ou « terrorisme »).
Après révision, il reste quatre références au terrorisme par des groupes juifs et 61 références au terrorisme par des groupes palestiniens.
Le professeur Chalcraft, un des auteurs du rapport, a déclaré : « De façon écrasante, les changements qui ont été apportés à ces textes ajoutent ou substituent des affirmations, des informations et des interprétations qui privilégient un récit israélien et ôtent ou remplacent celles qui soutiennent les récits palestiniens.
« L’effet d’ensemble est de rendre ces livres dangereusement trompeurs. »
Khaled Fahmy, professeur d’études arabes au King’s College de Cambridge, a déclaré : » S’il est louable que les livres sur l’histoire du Moyen-Orient soient régulièrement révisés et mis à jour, la manière dans laquelle ces deux manuels scolaires ont été révisés est choquante et inacceptable ».
« Les manuels scolaires devraient être révisés en se fondant sur les conseils et l’expertise d’universitaires et de spécialistes, et non par des réviseurs choisis par une association d’avocats dont la raison d’être est de défendre un pays étranger ».
« Nous sommes satisfaits du rendu final »
Une déclaration du Bureau des représentants des juifs britanniques en septembre 2020 a décrit la procédure conduisant à la révision des manuels : « Après des conversations initiales constructives avec Pearson, le Bureau des représentants a travaillé avec UKLFI [UK Lawyers for Israel] pour produire des commentaires détaillés sur les deux manuels, que Pearson a reçus et a pris en compte ».
« Après une procédure détaillée et longue de plusieurs mois, les livres ont maintenant été publiés afin que les élèves les utilisent pendant l’année scolaire 2020-2021. »
Marie van der Zyl, présidente du Bureau des représentants des juifs britanniques, a déclaré : « Nous applaudissons l’esprit d’ouverture de Pearson face à des commentaires constructifs, ainsi que sa bonne volonté pour réviser ces manuels ».
« Nous sommes satisfaits du rendu final, qui donne un portrait équilibré et précis du conflit au Moyen-Orient ».
« J’aimerais rendre un hommage spécial à UKLFI et les remercier pour leur travail intense sur ce projet ainsi que pour leurs efforts, en collaboration avec nous, afin de modifier ces manuels ».
« L’éditeur devrait réexaminer ces manuels »
Un porte-parole de l’éditeur évoque « une nouvelle édition » à propos des manuels, mais il n’y a aucune indication aux lecteurs des textes révisés que ceux-ci sont une nouvelle édition, ni aucune indication relative à l’extension des révisions faites par rapport aux originaux.
Henry Maitles, professeur émérite d’éducation de l’University of the West of Scotland, a déclaré : “ Les transformations me semblent partir de quelques livres parfaitement équilibrés et les changer en des ressources biaisées et partiales”.
« Il est important, quand il s’agit de questions controversées, d’adopter une approche équilibrée. Ces changements empêchent cela ».
« Ils courent maintenant le danger d’être considérés comme de la propagande. L’éditeur devrait réexaminer ces manuels et veiller à ce que leur équilibre soit restitué. »
Source : Middle East Eye
Traduction CG pour l’Agence média Palestine