La relance de projets de peuple à peuple : un moyen d’éviter la responsabilité israélienne

 Par Yara Hawari, le 6 avril 2021

Résumé

Les projets financés au titre de projets de peuple-à-peuple (P2P) relancés aux États-Unis et en Europe, menacent d’affaiblir le droit international et les droits des Palestiniens. L’analyste en chef de Al-Shabaka, Yara Awari, examine les implications troublantes d’initiatives P2P et propose des recommandations sur la manière dont des acteurs politiques peuvent les contrer de façon à promouvoir une paix qui permettrait de tenir Israël responsable de ses violations des droits des Palestiniens. 

Ce dossier politique examine le texte de la loi pour le Partenariat Moyen Oriental pour la Paix votée au Congrès étatsunien en décembre 2020, pour présenter une critique des projets P2P, en montrant clairement le danger de ce cadre dans la perspective d’obtenir justice de façon significative pour les Palestiniens. P2P met certes l’accent sur l’importance de la “coopération transfrontalière » entre des parties en conflit pour arriver à une paix durable. Mais dans le cas de la Palestine, c’est parfaitement inapplicable. Le conflit n’a pas lieu entre deux parties égales prises dans une lutte symétrique de part et d’autre d’une frontière commune. C’est plutôt une situation implacable de colonialisme de peuplement et d’oppression des Palestiniens par Israël où Israël est l’entité souveraine de facto entre la Méditerranée et le Jourdain. 

P2P propage aussi la fausse affirmation selon laquelle les initiatives P2P et les sources de financement ont un potentiel pour « booster » l’économie palestinienne. Au-delà de son côté falsificateur, ce système échoue à mettre le régime israélien face à ses responsabilités dans la continuelle destruction de l’économie de la Palestine. Aujourd’hui le régime israélien a effectivement un contrôle total direct et indirect sur les leviers de l’économie palestinienne. L’occupation militaire vient en complément, en permettant au régime israélien d’exercer un contrôle physique sur les activités économiques quotidiennes de la Palestine et d’étendre l’expropriation de terres palestiniennes. L’injection monétaire dans ce système à travers des initiatives financées au titre de P2P n’est donc pas ce dont l’économie palestinienne a besoin.

De plus, une lecture plus attentive du vocabulaire de la législation révèle une faille qui permet de saboter complètement les droits des Palestiniens. En septembre 2020, l’analyste politique d’Al Shabaka, qui est aussi avocate spécialisée dans les droits humains,  Zaha Hassan, a noté qu’une version précédente de la loi s’opposait à la « discrimination géographique » dans les candidatures « d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza ». En d’autres termes, tout le monde, y compris des colons israéliens de Cisjordanie, pouvait demander un financement. En n’empêchant pas explicitement les colons des colonies illégales de demander des financements, la loi pour le partenariat de paix encourage l’activité dans les colonies et enrichit les colons. 

Le projet de loi de finances proposé en juillet 2020 par la Chambre des Représentants des États Unis pour l’exercice fiscal 2020-2021 a inclus des provisions pour la loi pour le partenariat de paix. Les provisions imposent une série de conditions pour être éligible à un financement, qui incluent de restreindre l’accès des Palestiniens dans le cas où l’Autorité Palestinienne mènerait une enquête de la CPI sur les crimes de guerre d’Israël. Des clauses qui politisent le financement en le rattachant à des conditions inéquitables sont non seulement préjudiciables à la possibilité de garantir les droits fondamentaux des Palestiniens, elles sapent aussi tout l’appareil juridique international en enracinant l’impunité d’Israël faute de le mettre devant ses responsabilités pour les graves violations du droit international qu’il exerce.

Cette réalité problématique des projets P2P n’empêche pas leur développement croissant. Après le vote de la loi, l’Alliance pour la Paix au Moyen Orient (ALLMEP) s’est attribué le mérite de l’initiative, expliquant que c’était le résultat de “plus d’une décennie de plaidoyer » de la part d’ALLMEP « en vue de la création d’un Fonds International pour la Paix Israélo-Palestinienne ». Un mois avant le vote de la loi, ALLMEP a cité un débat parlementaire britannique qui mettait en avant l’idée d’avoir un fonds de ce type au Royaume Uni. 

La loi de partenariat pour la paix n’est certainement pas une raison d’être optimiste ; c’est un outil politique actionné contre les Palestiniens qui pourraient rechercher des moyens légaux de mettre le régime israélien devant ses responsabilités pour les souffrances qu’ils endurent sous occupation israélienne. Cela sonne le glas des aspirations palestiniennes à une justice recherchée via les canaux juridiques formels du système international. 

Le principal obstacle pour « arriver à la paix » sont les violations par le régime israélien des droits palestinien exercées pendant plus de soixante-dix ans, de même que la colonisation continue de la terre palestinienne. Pour arrêter les projets P2P, et afin de faire advenir une paix juste, il est vital que ceux qui soutiennent les droits des Palestiniens s’opposent fermement à de telles initiatives qui plaquent un dialogue en lui donnant la priorité sur la responsabilité, sapant ainsi le droit international.

Acteurs et responsables politiques devraient soutenir des projets et des initiatives qui tirent parti des principes fondamentaux du droit international et de la protection des droits des Palestiniens. Ils devraient soutenir les mécanismes existants qui barrent la route à l’expansionnisme et à l’occupation militaire du colonialisme de peuplement d’Israël. Cela implique l’interdiction des produits des colonies illégales à l’entrée sur les marchés internationaux ou le désinvestissement des institutions et entreprises complices des violations des droits humains par Israël. La reconnaissance de la responsabilité est la seule voie pour arriver à une paix juste. 

Vue d’ensemble

Le cadre de peuple-à-peuple (P2P) qui renvoie à des projets rassemblant des acteurs des sociétés civiles palestinienne et israélienne dans ce qu’ils appellent coopération et dialogue, a été relancé dans des initiatives financées par des donateurs en Palestine. Mettant l’accent sur les notions de coopération, de compréhension et de démarches de paix, P2P est présenté comme un cadre positif à un moment où la situation politique se détériore. Alors que P2P pourrait avoir l’air prometteur superficiellement, son cadre est profondément problématique parce qu’il présente des obstacles épistémologiques – aussi bien que matériels, sur le terrain – s’opposant à tenir Israël responsable de ses violations des droits humains des Palestiniens et à garantir une paix juste. 

Ce cadre est fondé sur une vision d’un conflit prolongé entre Palestiniens et Israéliens, plutôt que sur la reconnaissance de la cause profonde dans la colonisation de peuplement et l’occupation militaire pratiquées par Israël. De plus, il définit que les contacts et le dialogue sont le moyen de mettre fin à la violence et donc au conflit, en créant un faux parallèle entre l’oppression structurelle causée par les occupants israéliens et la résistance justifiée des Palestiniens opprimés. 

Des acteurs locaux et internationaux ont aussi prouvé que P2P est inefficace parce que la majorité des Palestiniens n’en veut pas. Il y a en effet un consensus dans la société civile palestinienne pour rejeter l’idée de P2P parce que les projets ne sont pas fondés sur les principes du droit international ou sur la reconnaissance des droits fondamentaux des Palestiniens. En fait, ils sabotent souvent ces droits. 

Bien que P2P ait décliné depuis le début des années 2000, ce mécanisme a été récemment relancé dans le cade de la loi Nita M. Lowley pour le partenariat moyen-oriental pour la paix, voté au Congrès des États-Unis en décembre 2020. Cette loi promet 250 millions de dollars (210,5 millions €) sur cinq ans pour deux fonds, dont l’un est spécifiquement centré sur « des projets de paix et de réconciliation » entre Palestiniens et Israéliens. Les media ont qualifié cette loi de geste destiné à restaurer l’aide aux Palestiniens après un long hiatus sous l’administration Trump. Elle a même été célébrée pour avoir donné un « élan » et renouvelé l’approche  d’un processus de paix qui stagnait. 

Beaucoup de décideurs politiques progressistes ne seraient pas nécessairement alarmés par une présentation rapide de cette législation et du fonds lui-même. Une analyse plus approfondie à la fois du texte et de ses implications probables met toutefois en lumière un précédent préoccupant quant à l’affaiblissement du droit international et des droits fondamentaux des Palestiniens ainsi que sur l’indifférence vis-à-vis de l’impunité du régime israélien. Cette note de politique présente une critique de P2P et démontre le danger de cette structure pour garantir la justice aux Palestiniens. En fin de compte, l’exposé conclut que ceux qui soutiennent les principes fondamentaux du droit international et des droits des Palestiniens devraient repousser ce fonds et, plus généralement, le cadre de P2P et tenir Israël responsable de ses violations. 

Un cadre problématique et dépassé

P2P a été précédé par la Diplomatie de la deuxième voie dans les années 1980, qui s’appuyait sur des sources d’information pour créer des espaces où des acteurs non officiels pouvaient discuter sur des options ou des résolutions, dans le but d’influencer un jour ou l’autre ceux qui étaient impliqués dans la diplomatie de première voie, où des négociations formelles se déroulaient entre représentants officiels. Mais P2P a réellement décollé après la signature des accords d’Oslo en 1993, qui ont élargi le champ de la diplomatie de deuxième voie jusqu’à inclure des organisations de la société civile palestinienne et israélienne qui ne cherchaient pas nécessairement à influencer des officiels mais plutôt à créer une meilleure compréhension entre les deux peuples. 

Si la trajectoire historique du cadre de P2P est complexe, il est important de noter qu’elle a attesté d’une période marquée par un déclin significatif débutant dans les années 2000. Le déclin des projets P2P a été le résultat de divers facteurs, dont le déclenchement de la deuxième intifada, la disparition de la « gauche » israélienne – dont les membres auraient pris part à des projets P2P – et l’émergence d’un consensus contre la normalisation dans la société civile palestinienne en 2007. 

Anti-normalisation est un terme inventé et défini par la société civile palestinienne. Il a ses racines dans la lutte des Palestiniens contre l’occupation britannique qui a vu son apogée dans la grande révolte de 1936-1939. Anti-normalisation signifie le refus des Palestiniens de participer à des projets, des événements ou des activités qui promeuvent la notion de légitimité de l’entité israélienne qui, à son tour, normaliserait la relation entre l’oppresseur et l’opprimé.

Comme tactique, l’anti-normalisation est une tentative de combattre la légitimation et le blanchiment des violations par Israël des droits des Palestiniens par un dialogue plaqué. Un exemple de normalisation serait un projet cherchant à rassembler des femmes israéliennes et palestiniennes pour discuter des défis auxquels elles sont respectivement confrontées sans mention du déséquilibre fondamental entre elles, un déséquilibre qui soumet au quotidien les femmes palestiniennes à la violence du régime israélien. 

L’anti-normalisation n’est pas une simple posture appuyée sur des principes, mais aussi une tactique politique qui reconnaît que le cadre du dialogue et de la recherche de la paix entre Palestiniens et Israéliens est mort s’il n’est pas fondé sur les principes fondamentaux du droit international. C’est, en effet, reconnaître que les projets P2P sont une renonciation à la responsabilité d’Israël pour la violation des droits des Palestiniens ; et donc les Palestiniens voient les projets P2P comme des tactiques spécialement conçues pour permettre l’impunité d’Israël. 

De plus, P2P met l’accent sur l’importance de la ““coopération transfrontalière » dans la perspective d’arriver à une paix juste. Les projets inscrits dans ce cadre sont conçus pour « initier et promouvoir des contacts à la base et l’interaction entre des gens de part et d’autre de la frontière ». Mais dans le cas de la Palestine, c’est parfaitement inapplicable.  Comme l’ont inlassablement avancé Edouard Saïd et d’autres intellectuels et militants palestiniens, le conflit ne se déroule pas entre deux parties égales engagées dans une lutte symétrique. Il s’agit plutôt de la mise en œuvre implacable par Israël d’un colonialisme de peuplement et de l’oppression des Palestiniens.  

La notion de frontière est également erronée. Le régime israélien est de facto l’entité souveraine du Jourdain à la Méditerranée. Depuis des décennies il a placé des millions de Palestiniens sous occupation militaire tout en poursuivant les expropriations de terres palestiniennes. Le résultat en est la bantoustanisation des Palestiniens dans de petites enclaves. Pour sa part, le régime israélien n’a jamais déclaré officiellement quelles étaient ses frontières ; le faire serait contraire à ses intentions expansionnistes. De cette manière, le narratif P2P sur deux peuples en conflit de part et d’autre d’une frontière est une fausse représentation de la réalité du peuple palestinien occupé et colonisé. 

Encore pire, P2P Présuppose que les Palestiniens coopèrent et se réconcilient avec des gens et des entités qui soit excusent soit sont directement actifs dans la colonisation et l’occupation pesant sur eux. Sans surprise, ce genre de projet a été un vaste échec. L’analyse d’un rapport de 2014 du Comité International du gouvernement britannique pour le développement des programmes P2P en Cisjordanie a en effet estimé que ces projets avaient un coût élevé et, globalement une « faiblesse des résultats, de l’adaptabilité et de l’impact stratégique concret ». 

Un autre narratif répandu est la fausse affirmation selon laquelle les initiatives P2P et les sources de financement ont un potentiel pour « booster » l’économie palestinienne – affirmation dangereuse qui efface commodément la réalité qui est que l’économie palestinienne est totalement étouffée par le régime israélien. Au-delà de son côté trompeur, cette affirmation se dérobe à la nécessité de tenir Israël responsable de la destruction de l’économie palestinienne qu’il exerce continument. L’économie palestinienne a été écrasée en effet par la fondation de l’État d’Israël en 1948 et, par la suite, dans les vagues successives de l’occupation de la terre palestinienne.

Les accords d’Oslo ont encore assujetti l’économie palestinienne, avec le Protocole de Paris de 1994 particulièrement dommageable. Il a imposé une union douanière inégale qui garantit aux entreprises israéliennes un accès direct au marché palestinien mais limite l’entrée de biens palestiniens sur le marché israélien ; il a donné à l’État israélien le contrôle de la perception fiscale ; et il a ancré plus fortement l’usage de la monnaie israélienne, le shekel en Cisjordanie et à Gaza, laissant l’Autorité Palestinienne nouvellement formée sans moyen d’exercer un contrôle fiscal ou d’adopter une politique macroéconomique autonome. 

Cela, de fait, signifie qu’aujourd’hui le régime israélien a le plein contrôle direct et indirect sur les leviers de l’économie palestinienne. L’occupation militaire vient en complément en permettant au régime israélien d’exercer un contrôle physique sur les activités économiques des Palestiniens au quotidien et d’étendre les expropriations de terres palestiniennes.  

L’injection monétaire dans ce système via les initiatives financées par P2P n’est pas ce dont l’économie palestinienne a besoin. Comme l’écrit Leïla Farsakh, c’est plutôt que “l’économie palestinienne… ne peut exister, sans parler de prospérer, jusqu’à ce que la communauté internationale tienne Israël responsable devant le droit international, qu’elle protège les droits des Palestiniens et qu’elle force Israël à mettre fin à l’occupation ». 

La loi pour le partenariat moyen-oriental pour la paix 

En dépit des questions fondamentales évoquées précédemment, on assiste au retour du cadre P2P, suite de la promulgation de la loi Nita Lowley de décembre 2020 pour le partenariat moyen-oriental pour la paix. Cette loi a été présentée au Congrès des États-Unis par Nita Lowley, une ancienne congressiste démocrate et par le congressiste républicain Jeff Fortenberry, ce qui montre le soutien bipartisan à cette législation.

À la suite du vote de la loi, l’Alliance pour la Paix au Moyen-Orient (ALLMEP) s’est attribué la paternité de l’initiative et a expliqué qu’elle était le résultat de plus d’une décennie de plaidoyer de sa part « en vue de la création d’un Fonds International pour la Paix israélo-palestinienne ». ALLMEP cite une « large coalition » de soutien incluant J Street, le New Israel Fund, les Fédérations Juives d’Amérique du nord, le Israel Action Network, les Églises pour la Paix au Moyen Orient, AIPAC, l’AJC, et le Israel Policy Forum. On peut noter que toutes ces associations, sauf une, sont des sionistes déclarés.

Un mois avant le vote de la loi, ALLMEP a évoqué un débat parlementaire britannique piloté par la députée Catherine McKinnell, présidente des Amis d’Israël du parti du Labour, qui avançait l’idée d’avoir un même fonds au Royaume Uni. Ce faisant, il s’agissait de montrer que la proposition était largement soutenue aussi bien par des députés de l’opposition que de la majorité. Dans le débat, McKinnell  a fini par évoquer le Fonds International pour l’Irlande et l’Accord du Vendredi Saint. ALLMEP se réfère évidemment au Fonds International pour l’Irlande (IFI) comme “« le cadre conceptuel » qui sous-tend l’idée d’un fonds pour la paix israélo-palestinienne et de citer la loi du partenariat pour la paix comme un pas vers la création d’un tel fonds. 

Après le débat, McKinnel a envoyé une lettre ouverte à James Cleverly, le Ministre pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord du ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement (FCDO). Dans la lettre elle demandait un rendez-vous au ministre pour discuter de la possibilité que le Royaume Uni s’engage dans un tel fonds. En plus, elle demandait au Ministre de s’engager à “discuter avec l’administration Biden sur la façon dont le Fonds du Partenariat Moyen Oriental pour la paix pourrait évoluer vers une institution véritablement internationale ». Elle proposait, enfin, que le Royaume Uni soumette une requête aux États-Unis pour avoir un des sièges réservés aux internationaux au conseil d’administration de la loi pour le  partenariat pour la paix. 

Il faut aussi que la législation soit adoptée dans le texte du projet de loi de finances de 2021de la Chambre chargée des opérations à l’étranger. Le projet prévoit d’allouer 50 millions de dollars à l’année (42 millions €) pour plus de cinq ans en vue de créer deux fonds : « le Fonds pour le Partenariat de peuple-à-peuple pour la paix » avec l’USAID et l’Investissement conjoint pour l’initiative de paix sous l’égide de la Corporation financière pour le développement international. Le projet a ensuite déclaré que l’argent serait investi dans « des échanges de peuple-à-peuple et dans la coopération économique » entre Palestiniens et Israéliens « dans le but de soutenir une solution à deux États négociée et durable ». 

Ce fonds P2P est piloté et géré par l’administrateur de l’agence étatsunienne pour le développement international (USAID) en consultation avec le Secrétaire d’État étatsunien et le Secrétaire étatsunien du Trésor. Il est supervisé par un bureau composé de cinq citoyens étatsuniens appointés par l’Administrateur de l’USAID. La législation originellement rédigée en juin 2019, stipule que les membres du bureau doivent être des individus ayant « témoigné d’une expérience et d’une expertise dans les affaires ayant trait à Israël et aux territoires palestiniens » ; elle fait une référence spécifique à l’expertise en affaires. Deux sièges du bureau sont réservés à des représentants d’organisations internationales de gouvernements étrangers, d’où la demande de McKinnel évoquée précédemment d’une représentation britannique. 

Le fonds sera tout d’abord alimenté par les États-Unis, mais la législation précise aussi que « seront recherchées des contributions au Fonds dans la communauté internationale, y compris dans les pays du Moyen Orient et d’Europe ». Les États arabes qui ont récemment normalisé leurs relations avec le régime israélien seront sans doute inclus parmi ceux dont les contributions seront recherchées. On peut aussi contester le fait que les architectes du fonds espèrent qu’il devienne le principal mécanisme par lequel des financements internationaux seront dirigés vers la Palestine et par lesquels les Palestiniens seraient obligés de s’engager dans le « dialogue » P2P avec des Israéliens ; ce serait la condition pour recevoir les financements. Cela, en retour, aboutirait à une monopolisation et à une microgestion de la majorité des projets financés par des donateurs en Palestine.

Affaiblissement du droit international et renoncement à tenir Israël responsable

Bien que la rhétorique de la loi pour un partenariat de paix se présente comme un partenariat de paix et de coopération, une lecture plus attentive du vocabulaire de cette législation révèle de graves lacunes qui ouvrent la voie à négliger complètement les droits des Palestiniens. Ainsi, Israël est encouragé dans ses violations du droit international. En septembre 2020, l’analyste politique et avocate défenseure des droits humains de Al-Shabaka, Zaha Hassan, notait qu’une version provisoire précédemment rédigée de cette loi s’opposait à ce que la « discrimination géographique » s’applique dans les demandes émanant « d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza ». En d’autres termes n’importe qui, dont des colons israéliens de Cisjordanie, pourrait être candidat à ces financements. 

En fait, Hassan a pointé le fait qu’un  rapport de 2019 du comité des attributions budgétaires du Sénat avait, lors d’un débat sur cette version initiale du projet de loi, défendu l’idée que le financement devrait servir à « encourager les relations commerciales entre Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie ». Si la version finale ne contient pas de tels propos, elle ne met en avant aucune formulation qui empêcherait des colons de solliciter ce financement. Pourtant, l’entreprise colonisatrice du régime israélien en Cisjordanie, lancée par un gouvernement israélien travailliste après la conquête de la Cisjordanie en 1967 est l’un de ses crimes les plus flagrants envers le peuple palestinien.

Aujourd’hui, plus de 622 500 colons israéliens vivent en Cisjordanie, en comptant Jérusalem Est. Cette entreprise coloniale a eu un effet incroyablement dévastateur sur la vie des Palestiniens en Cisjordanie. La terre palestinienne continue d’être expropriée pour la construction de logements et d’infrastructures pour les colonies, contraignant les Palestiniens à vivre dans des enclaves de plus en plus réduites, reliées les unes aux autres par un tout petit nombre de routes très mal entretenues. 

De plus, les colonies réquisitionnent les ressources les plus précieuses de Cisjordanie, l’eau en particulier. Depuis des décennies, le régime israélien a systématiquement foré des puits et empêché les Palestiniens d’accéder aux sources en Cisjordanie, tout en détournant l’eau pour la fournir à sa population, y compris aux habitants des colonies illégales. Il n’est donc pas surprenant que les colonies illégales israéliennes soient souvent qualifiées d’obstacles les plus importants vers la paix, notamment par les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.

Alors que ces actions et l’expansion constante du régime israélien en terre palestinienne sont clairement condamnées par la communauté internationale et les groupes de défense des droits humains, cela n’a eu aucune conséquence et il reste à tenir le régime israélien pour responsable. Pour autant, la loi sur le partenariat pour la paix dépasse le manquement à l’obligation de responsabilité du régime israélien ; il permet une lacuen délibérée en n’interdisant pas explicitement aux colons des colonies illégales d’être candidats à l’obtention de ces fonds, encourageant ainsi l’activité des colonies et l’enrichissement des colons. 

Comme mentionné plus haut, le projet de loi de finances des États-Unis proposé en juin 2020 par la Chambre étatsunienne des représentants pour l’exercice fiscal 2020-2021 a prévu de provisionner la loi pour le partenariat pour la paix. En outre, ces provisions imposent une série de conditions pour l’éligibilité au financement, dont un accès limité des Palestiniens dans le cas où l’A.P. mènerait l’enquête de la CPI sur les crimes de guerre d’Israël. Le texte comporte notamment la clause suivante:

Aucun des fonds adéquats relevant de la section « fonds de soutien économique » de cette loi ne peut être mis à disposition de l’Autorité Palestinienne si après la date de promulgation de cette loi – (I) les Palestiniens obtiennent la même position que les États membres ou la pleine appartenance en tant qu’État aux Nations Unies ou à toute agence spécialisée, en dehors d’un accord négocié entre Israël et les Palestiniens ; ou si les Palestiniens s’engagent dans une enquête de la Cour Pénale Internationale (CPI) autorisée par jugement, ou soutiennent activement une telle enquête qui soumet les nationaux israéliens à des enquêtes pour des crimes allégués contre les Palestiniens.

C’est particulièrement significatif si l’on considère qu’en février 2021 le bureau du Procureur et la Chambre préliminaire de la Cour Pénale Internationale (CPI) ont statué que la Palestine relève de la compétence de la CPI, ce qui permet une enquête sur les crimes de guerre israéliens en Palestine. Moins d’un mois plus tard, en mars 2021, le procureur a annoncé the l’ouverture d’une enquête officielle. Si cela peut être célébré comme une première victoire, de nombreux obstacles se dressent encore en chemin, notamment le fait de savoir si oui ou non l’A.P. peut être convaincue d’abandonner l’enquête sous la menace d’un retrait de fonds. 

Bien que la CPI maintiendrait l’exercice de sa compétence même si l’A.P. devait abandonner son soutien à l’enquête et les poursuites pour crimes de guerre, cela aurait un effet important sur la procédure. La responsabilité des plaintes serait laissée à des acteurs non étatiques tels que des ONG de défense des droits humains. Les plaintes déposées par des États ont un poids politique bien supérieur, en particulier vis-à-vis de la CPI qui compte largement sur une coopération étatique pour mener à bien ses enquêtes. 

Il est très problématique qu’une entité financière établisse de telles limitations dans la distribution de ses fonds. On doit donc mettre en question la sincérité des efforts de « paix et de réconciliation » qui limitent le financement au motif qu’un peuple – ou un État en l’occurrence – s’associe à la demande de responsabilité d’une entité juridique internationale contre ceux qui perpétuent des crimes de guerre. Il faut noter aussi que l’administration Trump a mis en avant de semblables clauses dans le “Deal du siècle » qui interdisait à la direction palestinienne de procéder à une enquête de la CPI. 

De telles clauses, qui politisent le financement en le faisant dépendre de conditions iniques, agissent non seulement au détriment de la garantie des droits fondamentaux des Palestiniens, mais portent aussi atteinte à tout l’appareil judiciaire international en ancrant plus solidement l’impunité d’Israël et en laissant de côté sa responsabilité dans les graves violations du droit international. La loi pour le partenariat pour la paix n’est certainement pas un motif d’optimisme ; c’est un outil politique employé contre les Palestiniens qui pourraient rechercher des moyens légaux de tenir le régime israélien responsable des souffrances qu’ils endurent sous occupation israélienne. C’est un arrêt de mort pour les Palestiniens à la recherche de la justice via les voies légales du système international. 

S’opposer à plaquer les termes de paix et de réconciliation 

Ce texte a montré comment le fonds pour le partenariat pour la paix opère dans un cadre épistémologique qui insiste sur le fait que le manque de coopération, de dialogue et d’opportunités économiques pour les Palestiniens sont les principaux obstacles vers la paix entre Palestiniens et Israéliens. Ce texte a aussi montré que ce n’est tout simplement pas vrai. Le principal obstacle « vers la paix » ce sont les violations par le régime israélien des droits des Palestiniens depuis plus de soixante-dix ans, ainsi que la colonisation continue de la terre palestinienne.

Le fonds n’est cependant pas le seul à adopter ce narratif. C’est le dernier exemple en date d’une plus longue histoire de semblables initiatives P2P qui tentent de saper les droits fondamentaux des Palestiniens en plaquant les termes de paix et  de réconciliation.

À la lumière de la législation promulguée aux États-Unis et à la probabilité que des législations du même type soient promulguées ailleurs, en particulier au Royaume Uni et en Europe, il est vital que ceux qui soutiennent le droit international et les droits des Palestiniens s’opposent fermement à des telles initiatives qui affaiblissent le droit international et donnent à un dialogue plaqué la priorité sur la responsabilité. 

Comme le remarque Omar Barghouti:

La lutte est avant tout une lutte pour la liberté, la justice et l’autodétermination des opprimés… ce n’est qu’avec la fin de l’oppression qu’il peut y avoir un réel potentiel pour ce que j’appelle une coexistence éthique – une coexistence basée sur la justice et sur une pleine égalité pour tout un chacun, et non un type de « coexistence » du type maître-esclave défendue par nombre d’acteurs de « l’affaire de la paix ».

Le cadre de P2P devrait être rejeté comme inadéquat et problématique dans le contexte de la Palestine et, bien sûr, dans tout contexte de colonialisme de peuplement reposant sur une asymétrie du pouvoir. Les politiciens et décideurs devraient au contraire soutenir des projets et des initiatives qui travaillent sur la base des principes fondamentaux du droit international et de la protection des droits humains des Palestiniens, plutôt que sur ceux qui les ignorent en promouvant le « dialogue ».  

Enfin, ils devraient soutenir les mécanisme existants qui barrent la route à l’expansionnisme du colonialisme de peuplement israélien et de son occupation militaire. Cela implique d’interdire l’entrée des produits des colonies illégales sur les marchés internationaux ou de désinvestir des institutions et entreprises complices des violations par Israël des droits humains. Finalement, Israël ne sera vraiment tenu pour responsable qu’avec la mise en œuvre de sanctions internationales. La responsabilité est en effet la seule voie pour arriver à une paix juste.

Yara Hawari est l’analyste politique en chef de Al-Shabaka, le réseau palestinien de science politique. Elle possède un doctorat en politique moyen orientale de l’université d’Exeter où elle a enseigné différents cours de premier cycle et dont elle est toujours chargée de recherche honoraire. En plus de son travail académique centré sur les études indigènes et l’histoire orale, elle fait de fréquents commentaires politiques sur différents media dont The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera English.

Source : Al-shabaka

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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