En 2020, au niveau le plus bas en une décennie, Israël a censuré une moyenne de quatre articles par jour

Par Haggai Matar, le 7 avril 2021

Selon les chiffres officiels, 2020 a vu la censure militaire d’Israël interdire complètement la publication de 116 articles et en expurger partiellement 1403 autres.

Un soldat israélien essaie d’empêcher des photographes de prendre des photos lors d’affrontements
pendant une manifestation contre la décision du président des Etats-Unis Donald Trump de
reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, à Hébron, le 10 décembre 2017. (Wisam
Hashlamoun/Flash90)

2020 a été une année d’étiage pour les censeurs de l’Armée de défense israélienne (Tsahal). De fait, avec une moyenne d’une seule histoire entièrement interdite de publication tous les trois jours, cela a été l’année la plus basse de la décennie pour la censure. Au cours de l’année, les censeurs de Tsahal ont interdit complèetement la publication de 116 récits, et en ont expurgé 1403 autres, selon les chiffres publiés par la censure à la requête de +972 Magazine et du Mouvement pour la liberté de l’information, une ONG israélienne qui oeuvre à établir la transparence du gouvernement. 

Cet étiage sur la décennie est aussi reflété dans le nombre d’articles envoyés aux censeurs par les organes d’information pour examen (6421) et le pourcentage de publications totalement interdites (1,81%). A titre comparatif, en 2014 — l’année de la dernière campagne militaire massive sur Gaza — les organes d’information israéliens ont envoyé un total de 14274 articles aux censeurs. Et 2014 a vu 3122 récits expurgés et 597 interdits de publication (plus de 4% de tous les articles déposés). 

Tous les organes médiatiques en Israël, ainsi que les auteurs et les éditeurs, doivent soumettre leurs articles en lien avec la sécurité et les relations étrangères aux censeurs des Forces de défense israéliennes pour examen avant publication. Les censeurs tirent leur autorité des « règlements d’urgence » mis en oeuvre après la fondation d’Israël et qui demeurent en place jusqu’à aujourd’hui.

Ces règlements autorisent les censeurs à expurger complètement ou partiellement un article qui leur a été remis — ou même un article qui a déjà été publié sans leur révision —, tout en empêchant les organes médiatiques d’indiquer en aucune façon si un article a été altéré. Cependant, alors que les critères juridiques définissant le mandat de la censure des Forces de défense israéliennes sont à la fois stricts et assez larges, la décision sur le choix des articles qui lui sont soumis pour examen reste entre les mains des éditeurs des organes d’information.

Les censeurs de Tsahal ne partagent pas d’information sur la nature des articles qu’ils choisissent d’expurger, et ne fournissent pas la répartition mensuelle par organe médiatique, ce qui rend difficile de déduire ce qui peut avoir provoqué cette diminution. On peut seulement supposer qu’il pourrait y avoir eu moins d’événements qui sont liés à la sécurité et que la censure a estimés particulièrement sensibles pendant une année en proie à une pandémie mondiale, ou bien que les journalistes avaient une capacité d’attention bien plus faible pour des histoires non-COVID. Dans certains cas, les correspondants spécialisés dans les questions de sécurité ont été effectivement réassignés à la couverture de la pandémie, ce qui a conduit à une diminution des critiques contre le système de la sécurité.

Même pendant une année basse, cette sorte d’intervention militaire dans les médias à un taux moyen de quatre fois par jour est extrêmement élevé, particulièrement si l’on considère qu’Israël est le seul pays au monde se percevant comme une démocratie occidentale progressiste qui contraigne aussi légalement ses journalistes à envoyer leurs histoires militaires pour examen avant publication.

Un autre aspect du travail de la censure concerne ses opérations dans les archives nationales israéliennes. Parce que les archives sont maintenant entièrement en ligne et ne disposent plus d’une bibliothèque physique ouverte au public, la censure a examiné tous les matériaux déclassés, ce qui a parfois conduit à cacher des documents qui avaient été rendus publics auparavant.

Quand la numérisation des archives a commencé en 2016, les autorités archivistiques ont soumis environ 7800 documents à l’examen de la censure. En 2020, ce nombre a décru à 2940. Contrairement aux nouveaux articles, la censure a refusé de fournir les chiffres indiquant combien de documents d’archives déclassifiés avaient été expurgés, répondant seulement que « la grande majorité des documents ont été approuvés pour publication sans altérations ». Cela indiquerait que quelques documents ont de fait été expurgés, même s’ils étaient déjà passés par la propre censure interne des archives.

Les censeurs [militaires] sont complètement exemptés de la Loi sur la liberté d’information d’Israël, et bien qu’ils aient essentiellement accepté de fournir les chiffres à +972 ces dernières années, leurs réponses ont été chaque année plus courtes. « Examiner l’activité de la censure en exposant ces nombres a une immense importance pour la protection d’une presse libre », dit Atty. Or Sadan, du Mouvement pour la liberté de l’information.

Dans leurs premières réponses à nos appels en 2016, les censeurs ont communiqué le nombre de documents d’archives qui avaient été expurgés et le nombre de cas où la censure a demandé qu’un organe médiatique retire une information publiée sans approbation préalable (une moyenne de 250 cas par an). Malgré des tentatives répétées, ces nombres ne nous ont pas été donnés ces dernières années. (Vous pouvez en lire plus sur la politique de +972 vis-à-vis de la censure ici).

« L’information communiquée par les censeurs nous permet de questionner les tendances dans ces opérations et de garantir au moins que cette interférence n’augmente pas considérablement. Nous croyons que la simple publication de cet examen annuel crée un effet dissuasif [sur la censure des Forces de défense] et aide à garantir que les décisions d’expurger les articles soient faites avec soin et tiennent compte du fait que ces expurgations retirent au public une information qu’un journaliste avait trouvée pertinente », a ajouté Sadan. 

« Pourquoi cette information censurée reste-t-elle cachée du public même, dans certains cas, après avoir cessé de présenter une menace ? », a demandé Sadan. « Le censeur devrait permettre une publication rétroactive des histoires expurgées, une fois que le censeur les estime sans danger, de manière à permettre au public d’examiner ses méthodes et le niveau de restriction utilisé contre la liberté de la presse. » Laisser toutes ces questions ouvertes permet aux censeurs des Forces de défense israéliennes de couvrir ces activités anti-démocratiques d’un voile de mystère, sans aucune opportunité pour le contrôle du public.

Le leadership de la censure de Tsahal a connu des changements importants l’an dernier. La générale de brigade Ariella Ben Avraham, qui était censeure en chef depuis 2015, a quitté cette fonction en 2020 et aurait rejoint NSO, l’entreprise israélienne hautement controversée de cybersécurité qui vend des programmes de hacking aux gouvernements du monde entier et a été depuis longtemps accusée de complicité dans des surveillances abusives. Ben Avraham a été remplacée par le colonel de réserve Eyal Samuelov en tant que chef par intérim pendant six mois, suivi par le colonel Doron Ben Barak, l’actuel chef de la censure de Tsahal. Il semble malheureusement que Ben Barak ait continué la politique de sa prédécesseure : restreindre l’information sur la censure Tsahal qui soit partagée avec le public. 

Haggai Matar est un journaliste israélien primé et un militant politique, qui est aussi le directeur exécutif de « 972 – Advancement of Citizen Journalism » [972 -Avancement du journalisme citoyen], l’association à but non lucratif qui publie +972 Magazine.

Source : +972 magazine

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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