Israël-Palestine : glossaire d’expressions problématiques dans les médias.

Alex MacDonald, le 10 mai 2021

Des militants ont signalé comment les termes utilisés par les acteurs politiques et les organes de presse déforment le narratif de ce qu’il se passe à Jérusalem

Peu de sujets peuvent soulever autant d’émotions puissantes que les relations entre Israël et la Palestine et le langage employé pour rendre compte de la situation est fortement contesté. 

Depuis la dernière éruption (de violence) dans la région, de nombreux militants palestiniens s’en sont pris aux médias en critiquant le langage de certains médias et acteurs politiques lorsqu’ils relatent ce qu’il se passe en Israël et dans les territoires palestiniens.

La cible de la critique est souvent une terminologie équivoque entre deux côtés inégaux – en particulier  l’utilisation de termes comme « confrontations » ou des références à la «  « violence », à l’imparfait, un temps qui n’attribue pas de cause ou de cible à la violence. 

Dans d’autres cas, le langage utilisé par des commentateurs et des organes de presse peut tourner au complotisme ou à la déshumanisation. 

Une image de la Une d’un numéro du New York Times « corrigée » par un militant résume nombre de préoccupations d’observateurs. Voici quelques-uns des termes et des concepts qui ont fait controverse

1. ‘Confrontations’

Un des termes apparaissant le plus fréquemment dans les compte-rendus de presse sur la violence en cours à Jérusalem – et dans de précédents événements en Israël-Palestine, est celui de « confrontations ».

Ce terme implique un conflit entre deux parties. Le dictionnaire d’anglais d’Oxford décrit le sens du verbe comme « en venir à une collision violente et bruyante ». De nombreux militants pro-palestiniens ont cependant critiqué ce terme pour l’égalité qu’il implique dans le recours à la violence, comme si les deux côtés étaient à blâmer de façon identique. 

Bien qu’il y ait eu quelques exemples de militants lançant des pierres, les services de sécurité israéliens sont lourdement armés et protégés et ce sont les instigateurs de pratiquement toute la violence de ces derniers jours. 

L’usage du mot “confrontations” à la forme passive annule la capacité d’organisation et autorise, implicitement, à blâmer de la même façon les deux côtés impliqués. 

Même en ignorant que dans bien des cas les activistes palestiniens n’ont pas répliqué par une violence égale, l’usage du mot « confrontations » cache la nature de la violence observée et la narration sombre dans ce qu’on appelle familièrement « bothsideisms » (mise sur le même plan de deux choses différentes).

Il est possible de faire les mêmes remarques sur des termes tels « agitation » et « émeutes »

2. ‘Conflit’

De même qu’avec “confrontations” l’usage du mot « « conflit » peut aussi impliquer une équivalence de la violence entre les Palestiniens et les services de sécurité israéliens.

Dans l’ensemble, l’usage du terme « conflit » hérite d’une image trouble dans la région – pendant des décennies, la situation était décrite comme le « conflit arabo-israélien ».

C’est un terme toujours populaire parmi les Israéliens de droite, qui implique, comme il le fait, que le monde arabe comme un tout est en guerre avec le petit État israélien, ce qui masque la détresse des Palestiniens des territoires occupés et ignore les succès dont Israël jouit dans de nombreux États arabes. 

Le terme “conflit Israël-Palestine”, s’il est moins occultant, implique néanmoins un degré d’équité entre les deux côtés, même si en réalité la violence historique a été infligée par les deux parties.

3. ‘Litige foncier’

Un certain nombre d’acteurs politiques et d’organes de presse ont parlé de la controverse dans le quartier de Shiekh Jarrah comme d’un  « litige foncier ». Si cela peut être considéré comme vrai au sens littéral du terme, c’est minimiser considérablement le contexte sous-jacent , et laisser au contraire entendre que ce qui arrive à Sheikh Jarrah n’est pas plus significatif ou moralement déshonorant que, disons, un litige entre un propriétaire et un locataire à Paris, Londres ou Istanbul.

L’expulsion programmée de 40 Palestiniens du quartier vient du fait que ces familles se sont installées en 1956, après avoir été expulsées de ce qui est maintenant reconnu internationalement comme Israël. Les maisons dans lesquelles elles vivent ont été construites avec l’aide de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient ( UNWRA) tandis que Jérusalem Est était placée sous le contrôle de la Jordanie.

Pendant les années 1960, les familles se sont mises d’accord avec le gouvernement jordanien sur un contrat qui ferait d’eux les propriétaires des terrains et des maisons. L’accord stipulait qu’ils recevraient des titres officiels de propriété, signés à leurs noms, au bout de trois ans. Mais l’accord a été saboté en 1967, lorsque Jérusalem Est a été conquis par Israël. La loi israélienne favorise les colons en ne permettant qu’aux Juifs de revendiquer la propriété dont ils disent qu’ils en étaient les détenteurs avant 1948 – en refusant le même droit aux Palestiniens.

Ainsi, alors qu’il y a bien un « litige » sur la propriété, en discuter dans ces termes fait comme s’il n’y avait là guère plus qu’une question ordinaire, plutôt qu’une situation unique. 

L’usage du terme « évictions » a le même effet, quand bien même, une fois encore, il est juste dans son sens le plus strict. 

4. ‘Extrémiste’ et ‘terroriste’

Les termes « terroriste » et extrémiste » sont tous deux fréquemment utilisés à propos d’Israël-Palestine. Les media israéliens se réfèrent presque exclusivement à de prétendus actes de violence de la part de Palestiniens comme causés par des « terroristes ». Bien que le terme soit peut-être moins commun dans les média étrangers, il apparaît néanmoins, en particulier dans les organes de droite. 

La raison de la controverse autour de l’usage du terme « « terroriste » en journalisme pose une question bien plus vaste. Des Agences de presse comme Reuters ont longtemps évité de l’employer, disant que cela viole « l’approche de neutralité quant aux valeurs » de l’agence de presse. Dans le contexte particulier des événements de Jérusalem, c’est une normalisation du récit mis sur pied par les services de sécurité israéliens. 

Pour la plus grande partie du monde, un terroriste est quelqu’un qui s’engage dans des actes de violence indiscriminée contre des civils ; les actions du groupe État islamique (EI) et d’Al-Qaïda sont particulièrement présentes dans l’imagination populaire.

Un tel amalgame entre des activistes palestiniens qui manifestent – ou au pire lancent des pierres sur les forces de sécurité israéliennes, et les attaques du 11 septembre ou les massacres de l’EI sert à délégitimer la cause palestinienne et recouvre une soif irrationnelle de massacre. 

« « Extrémiste » est peut-être un terme encore plus hasardeux, car la plupart du temps ce qui constitue un extrémiste n’est pas défini. De nombreuses idéologies politiques sont considérées extrêmes parce qu’elles divergent de ce qui est considéré comme la politique dominante – mais le terme est éminemment subjectif. 

5. ‘Sionisme’

De nombreux commentateurs juifs ont régulièrement exprimé un malaise vis-à-vis de l’usage des termes « sionisme » ou « « sioniste » lorsqu’on les associe aux actes d’Israël. 

Le terme, qui a son origine au 19è siècle, renvoie au mouvement politique pour l’établissement d’un foyer juif. Différentes incarnations du sionisme ont existé, allant des partisans de gauche d’un État binational, socialiste, dans la Palestine historique, à des fondamentalistes religieux d’extrême droite revendiquant un État fondé sur les principes des lois de la Halakha juive qui excluent les non-juifs de la citoyenneté. 

Au cours du siècle dernier, cependant, le terme de sionisme a aussi été utilisé par des groupes antisémites d’extrême droite dans le cadre de théories conspirationnistes anti-juives. Ils ont défendu l’idée que le sionisme n’est pas simplement un mouvement politique pour la colonisation de la Palestine historique mais également une partie d’un plan plus large de domination du monde. 

Un mythe néo-nazi populaire se réfère au “Gouvernement d’occupation sioniste » ou GOS, un terme employé pour décrire une cabale secrète juive qui dominerait la plupart des gouvernements occidentaux.

Un parcours rapide du terme « antisioniste » sur Google illustre ce problème : les résultats incluent le site internet du Réseau Juif International Antisioniste, qui est un groupe de juifs de gauche pro palestiniens, mais aussi la Ligue Antisioniste qui est une organisation néo nazie. 

Cela a conduit beaucoup de gens à se sentir mal à l’aise avec l’usage du terme « sioniste », en particulier dans un contexte qui en fait une question territoriale impliquant le contrôle de gouvernements étrangers, le contrôle des media ou de la finance, ou une double allégeance.

6. ‘Islam’

Le fait que les événements de Jérusalem ont pris place pendant Ramadan et ont impliqué des fidèles à la mosquée d’Al-Aqsa ne devrait pas dissimuler le fait que le conflit n’est pas prioritairement religieux. De nombreux Palestiniens chrétiens et Palestiniens laïques sont eux aussi investis dans la défense de la mosquée d’Al-Aqsa et dans l’opposition aux agissements contre les résidants de Sheikh Jarrah.

Le statut de Jérusalem Est et de al-Aqsa est chargé de signification religieuse mais il a aussi une forte résonnance nationale pour les Palestiniens de toutes obédiences et idéologies politiques. La pression pour faire de Jérusalem Est la future capitale d’un État palestinien est venue autant de dirigeants politiques chrétiens et de gauche au cours du siècle passé que de Musulmans religieux et islamistes. 

Certains organes de presse, de même que de soutiens et opposants étrangers à la cause palestinienne, ont tenté de décrire la situation à Jérusalem comme un conflit entre Islam et Judaïsme, entre Musulmans et Juifs. Mais c’est fondamentalement erroné et cela peut contribuer à des narratifs aussi bien antisémites qu’islamophobes. 

7. ‘Arabe’

Depuis le 19è siècle, des théoriciens, des leaders communautaires, des acteurs politiques et des militants débattent de la relation entre l’identité palestinienne et l’identité arabe. Mais l’identité et l’ethnicité sont largement des constructions sociales qui fluctuent souvent. 

Au plus fort du mouvement nationaliste arabe des années 1950 à 1970, nombre de dirigeants politiques palestiniens comme Yasser Arafat et Georges Habache ont soutenu le mouvement panarabe et ont fait de la lutte en Palestine contre Israël une partie de la lutte plus large pour l’unité et l’indépendance arabes. 

Pour autant, dans les décennies récentes, avec le recul du panarabisme et la mise sur le devant de la scène de la campagne pour la libération de la Palestine en soi, les Palestiniens de la diaspora, des territoires occupés et de l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’Israël se sont identifiés avant tout comme « Palestiniens ». 

L’usage du terme « Arabe » pour décrire les Palestiniens est donc lourd de connotations. Ce n’est nulle part plus évident que dans les media israéliens, notamment les organes de droite, qui se réfèrent régulièrement à tous les Palestiniens vivant ente le Jourdain et la Méditerranée comme à des « Arabes », impliquant ainsi que leur identité palestinienne est fausse et que leur relation à la terre est temporaire. 

Cela implique aussi – et c’est par une imitation plutôt ironique des pan arabistes – que les Palestiniens sont simplement une extension du monde arabe plus large et donc qu’Israël est la victime en vertu du peuplement et d’une position unifiée contre lui.  

Une distinction est souvent faite aussi entre Arabes israéliens et Palestiniens c’est-à-dire ces Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne et ceux qui vivent dans les territoires occupés. S’il y a bien des différences en termes de droits et de niveaux de vie et alors que certains Palestiniens en Israël se vantent de leur identité israélienne, la majorité des citoyens palestiniens d’Israël s’identifient avant tout comme Palestiniens – la plus grande ville palestinienne d’Israël, Nazareth, a connu  une explosion de solidarité avec les manifestants de Sheikh Jarrah et de al-Aqsa ces jours-ci par exemple. 

8. ‘Le Mont du Temple ‘, ‘Haram al-Sharif’ et ‘al-Aqsa’

Comme mentionné plus haut, la situation d’Israël-Palestine n’est pas fondamentalement religieuse. Mais il est une partie de Jérusalem où la religion joue un rôle majeur, c’est le complexe de la Vieille Ville qui abrite la mosquée d’al-Aqsa, le Dôme du Rocher et le Mur occidental. 

Pour les Juifs, le complexe est connu sous le nom du Mont du Temple – le lieu de deux temples bibliques antiques et le site où la « présence divine » est la plus forte sur terre. Le Mur occidental où prient les Juifs est dit être un des derniers restes de la structure du Second Temple.

Pour les Musulmans, le complexe est connu sous le nom de al-Haram al-Sharif (le Noble Sanctuaire) et il abrite la Mosquée d’al-Aqsa – l’un des trois sites les plus saints de l’Islam, qui inclut le Dôme du Rocher et d’autres tombeaux islamiques. 

De nombreux organes de presse essaient d’éviter la provocation sur la façon de nommer cet espace en s’y référant par les deux séries de dénominations et en expliquant les distinctions. Mais même ici il est possible de donner une fausse représentation de la nature de la controverse. 

Depuis la conquête de Jérusalem Est par Israël en 1967, des Juifs israéliens religieux ont fait campagne en appelant à la construction du Troisième Temple sur le site – quelque chose dont ils disent que cela annoncerait la venue du messie et nécessite la démolition de la Mosquée d’al-Aqsa. Aucun dirigeant israélien n’a cependant soutenu cette idée publiquement, de peur d’une contre-offensive massive du monde musulman. 

Dans les décennies récentes, il y a tout de même eu des campagnes menées par des groupes de colons juifs pour que soit levée l’interdiction de prières juives sur le site. Le « statu quo », ainsi que c’est appelé, est un accord entre Israël et l’autorité religieuse liée à la Jordanie qui contrôle le complexe. L’accord permet aux Juifs de se rendre sur le site mais de ne pas y prier. Cette position est soutenue jusqu’à présent par le Rabbinat en chef de Jérusalem. 

Des militants qui appellent à l’autorisation de prières juives dans le complexe ont construit leur argument comme une revendication d’égalité religieuse – si les Musulmans sont autorisés à prier, pourquoi pas les Juifs aussi ? 

Il est aisé de présenter cela comme un problème de chauvinisme musulman refusant aux Juifs d’accéder à leur site le plus saint. Mais c’est ignorer le contexte de la conquête par Israël de Jérusalem Est et de la poursuite de la colonisation de la terre palestinienne – Haram al-Sharif comme le symbole le plus significatif de la souveraineté palestinienne, est vue comme une ligne rouge.

Dans un autre monde, où il pourrait y avoir un État où Israéliens et Palestiniens vivraient en citoyens jouissant des mêmes droits, alors le débat pourrait être considéré comme un débat sur les droits religieux et de théologie – mais dans le présent contexte, ce sont les conditions matérielles qui dictent le narratif. 

Source : Middle East Eye

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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