Le photographe arménien qui a capté la vie à Gaza avec son appareil photo : « Les gens avaient un lien personnel avec lui »

Par Razmig Bedirian, le 21 juin 2021

Kegham Djeghalian a ouvert le premier studio photo de Gaza en 1944. Son petit-fils parle de l’héritage de son grand-père.

AC16 JUN Photo Kegham – Kegham Djeghalian a découvert les archives des photographies prises par feu son grand-père à Gaza. Kegham Djeghalian

Quand Kegham Djeghalian est tombé il y a trois ans sur trois boîtes rouges cachées et oubliées dans la penderie de son père au Caire, il n’en revenait pas de sa chance.

Les boîtes contenaient les négatifs de plus de 1.000 photographies prises entre les années 1940 et les années 1970 par le grand-père de Djeghalian, lui aussi prénommé Kegham, qui a ouvert le premier studio de photographie deGaza.

« J’ai grandi en sachant que mon grand-père était le premier photographe de Gaza et l’un des plus importants », raconte au National Djeghalian, artiste et universitaire. « C’était un fait acquis. Quelque chose avec quoi j’ai grandi. Mais je n’avais jamais vu ses photos professionnelles jusqu’à ce que je découvre les négatifs. »

Artiste et universitaire : Kegham Djeghalian a trouvé au Caire les négatifs qui appartenaient à feu son grand-père. Avec l’aimable autorisation de Kegham Djeghalian

Elles n’étaient classées dans aucun ordre perceptible. Il n’y avait aucun document permettant de dater ou de mettre des noms sur les personnes photographiées. Mais ce fouillis de pellicules fut ce qui a permis à Djeghalian d’approcher au mieux l’œuvre de son grand-père et sa ville d’adoption, et ce fut le témoignage le plus important de son héritage.

Djeghalian les a emportées à Paris, où il vit, et a commencé à les développer. Les photographies sur lesquelles il est tombé par hasard ont été présentées au public pour la première fois en mars, dans le cadre d’une exposition présentée par Djeghalian pour la Semaine de la Photo du Caire.

Ces images sont aussi touchantes qu’informatrices sur Gaza. Il y a des portraits qui représentent des sujets de diverses ethnicités, souriant et regardant rêveusement hors-champ. D’autres montrent du personnel militaire et des réunions telles que des pique-niques et même des fêtes costumées. Variées et stimulantes, ces images fournissent un précieux aperçu historique sur la vie quotidienne rarement représentée à Gaza au milieu du 20ème siècle, avant le blocus israélien et les lourds bombardements de la Bande.

Les photographies de Kegham Djeghalian offrent un précieux aperçu historique de la vie quotidienne au milieu du 20ème siècle à Gaza rarement documentée. Kegham Djeghalian

Certaines permettent même d’imaginer à quoi la ville ressemblerait si elle ne souffrait pas de pénuries de nourriture, d’eau et d’aide médicale.

Les images ont été présentées comme elles ont été trouvées, sans noms ni dates. « J’ai utilisé cette ambiguïté afin d’articuler l’affectif et le nostalgique, mais aussi pour tenir compte des récits et contextes perturbés de l’histoire de Kegham et de ses photos »,écrit Djeghalian dans la présentation de l’exposition.

Originaire d’Arménie, le grand-père de Djeghalian, Kegham, est arrivé à Jérusalem alors bébé avec d’autres survivants du massacre des Arméniens en 1915.

Le photographe Kegham Djeghalian a ouvert le premier studio photo de Gaza au début des années 1940. Kegham Dheghalian

Il a grandi à Jérusalem et à Jaffa, travaillant dans un studio de photographie où il a appris les fondements du métier. Puis, au début des années 1940, il est parti à Gaza avec sa femme, ouvrant son studio Photo Kegham en 1944.

« Il y a vu une opportunité de travail, je pense », dit Djeghalian. « On lui a conseillé d’y aller justement parce qu’il n’y avait aucun photographe ni studio photo à Gaza. Contrairement à Jaffa et Jérusalem, il n’y avait là non plus presque pas de familles arméniennes. »

« Il aimait Gaza. C’était chez lui. »

Sa perspicacité en affaires a peut-être donné l’idée à Kegham de déménager à Gaza et d’y ouvrir un studio photo, mais c’est son œil aiguisé de documentariste qui l’a poussé à photographier tout ce qu’il voyait et a fait de lui un personnage influent de la communauté.

« Ce n’était pas un photojournaliste », dit Djeghalian. Il ne travaillait pour aucune publication. Il sentait juste l’urgence de tout documenter. »

Kegham a photographié les développements sociaux et politiques de Gaza pendant presque deux décennies.

Pendant les turbulentes périodes de transition de la ville, il était là, documentant quotidiennement sur la vie sous le mandat britannique, qui a pris fin en 1948, ainsi que sous le régime égyptien entre 1949 et 1956, et à nouveau de 1957 à 1967. 

Il a également photographié les camps de réfugiés qui ont poussé autour des faubourgs de Gaza après la création de l’État d’Israël en 1948, et a documenté sur l’occupation israélienne de Gaza en 1956 et sur le conflit arabo-israélien de 1967.

Par Kegham Djeghalian

Alors que sa famille quittait la Palestine pour l’Égypte peu avant le conflit arabo-israélien de 1967, Kegham a refusé de partir jusqu’à sa mort en 1981. « Il aimait la Palestine », dit Djeghalian. « Il aimait Gaza. C’était chez lui. »

Une photo des archives de Kegham Djeghalian. Kegham Djeghalian

Après sa mort, Kegham a transmis son studio photo à son assistant, Maurice. Quand Maurice est mort, il a laissé le studio et ses archives à son frère, Marwan.

A la fin de ses études d’Art en 2007, Djeghalian a eu envie de retrouver les archives de son grand-père.

Quelques années plus tard, Djeghalian a mis la main sur quelques cartes postales qui montraient des images de paysages de Gaza. A sa grande surprise, certaines de ces cartes postales étaient attribuées à Photo Kegham. Djeghalian dit qu’il est alors allé sur Facebook voir les posts qui montraient des photographies de Gaza également prises par son grand-mère. Aussi, en 2017, décida-t-il de prendre contact avec Marwan.

Même si Marwan ne lui a pas donné directement accès aux archives, il a proposé de montrer à Djeghalian quelques photos via des appels par Zoom.

Les photos montrent quelques uns des moments les plus importants de l’histoire politique et culturelle de Gaza. Il y a des images d’Ahmed Al Shukeiri, fondateur et premier président de l’Organisation de Libération de la Palestine, ainsi que de Che Guevara lors de sa visite à Gaza en 1959.

Alors que les négatifs que Djeghalian a trouvés dans la penderie de son père ont une valeur en eux mêmes, Djeghalian dit qu’ils ne  sont qu’une infime partie du trésor qui se trouve à Gaza, auquel il  espère avoir accès à l’avenir. Pour l’instant cependant, il dit qu’il est impatient de faire une compilation des photographies qu’il a trouvées en vue d’un livre et d’une nouvelle exposition à travers le monde.

Djeghalian dit qu’il est avant tout heureux d’être parvenu à faire connaître l’œuvre de son grand-père et à parler avec les gens qui l’ont connu, démarche qu’il n’aurait pas entreprise s’il avait eu un accès facile aux archives de Gaza.

« On n’avait pas l’impression qu’il était un simple photographe », dit Djeghalian. « Les gens avaient un lien personnel avec lui. Cela expliquait pourquoi les gens avaient ce sentiment de nostalgie quand ils m’ont rencontré et qu’ils ont appris que j’étais le petit-fils de Kegham et que nous avions le même nom. J’ai découvert qu’il était un véritable personnage. »

Source : The National news

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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