« L’art palestinien est une victoire remarquable contre ceux qui essaient de nous effacer »

Par Rami Younis, le 16 août 2021

Le réalisateur de Hollywood, Hany Abu-Assad, partage ses pensées sur les difficultés à faire des films palestiniens s’il s’agit d’histoires sur l’occupation, et pourquoi c’est un « miracle » que l’art palestinien soit vivant.

Des Palestiniens regardent un film projeté sur le mur israélien de séparation, dans le cadre d’un festival, camp de réfugiés d’Aïda, 29, août 2008. (Anne Paq/Activestills)

Ce n’est pas une mince affaire pour un cinéaste arabe que de travailler dans la capitale mondiale du divertissement, a fortiori s’il fait des films sur la Palestine. Mais c’est exactement ce qu’a fait Hany Abu-Assad, qui a 59 ans. Né à Nazareth et résidant aux Pays Bas, il a 11 films à son actif et a travaillé avec quelques-unes des plus grandes stars d’Hollywood, dont Idris Elba, Kate Winslet et Mickey Rourke. Deux de ses films les plus célèbres -“Paradise Now“ de 2005 et “Omar” de 2013 — ont été nominés aux Oscars pour le prix du meilleur film étranger, comme représentant de la Palestine dans un des événements les plus largement suivis de l’année. 

Pour autant, ce palmarès impressionnant, n’a pas rendu le travail d’Abu-Assad du tout plus facile. Parmi les cercles supposés progressistes de Hollywood, de nombreux producteurs et beaucoup de studios qui autrement soutiendraient toute une série de films politiques sont toujours « effrayés de traiter de quoi que ce soit impliquant des Palestiniens » m’a-t-il dit lors d’une interview il y a quelques mois.  Même si des producteurs américains n’avaient pas d’affinités pour Israël ni de points de vue racistes sur les Arabes, ils ne considèreraient pas des films palestiniens comme des opportunités financièrement attractives et ne se sont donc pas intéressés à investir dans ces films, a-t-il dit.

Mais face aux freins mis par cet environnement, Abu-Assad croit que les Palestiniens devraient prendre la mesure de leurs immenses réussites culturelles. « Y a-t-il un autre endroit où on puisse trouver de tels artistes et un art aussi accompli qui ont vu une guerre menée contre eux pendant 70 ans ? C’est une histoire unique » dit-il.

Les paroles de Abu-Assad offrent un peu de réconfort et d’énergie à des artistes comme moi. Quand j’ai parlé avec lui en octobre dernier, mon projet était de marquer le vingtième anniversaire du début de la deuxième Intifada en m’adressant à un artiste qui m’avait inspiré pour entrer dans le monde du cinéma et de m’engager dans l’activisme culturel et artistique. Mais entre le COVID-A19, les accords de normalisation d’Israël avec des régimes arabes et mes combats personnels pour retourner m’établir en Israël-Palestine depuis les États-Unis, j’ai eu le sentiment qu‘il ne faisait pas de sens de publier l’interview, le militant culturel en moi avait renoncé. 

Le soulèvement palestinien peut changer tout cela. Les derniers mois ont restauré la fierté, la vie et l’unité à la lutte palestinienne. Les médias et le public international s’est davantage intéressé non seulement à notre histoire politique mais aussi à notre art. Les défis de la réalisation cinématographique palestinienne n’ont pas changé, mais Abu-Assad offre quelques pensées sur la façon de s’y confronter  tout en maintenant une intégrité artistique – même si ses idées ne plaisent pas à tout le monde, y compris à moi.

Le réalisateur de cinéma palestinien Hany Abu-Assad. (Yani/avec l’aimable autorisation de Hany Abu-Assad)

Notre conversation a commencé, comme c’est souvent le cas lorsqu’on parle de culturel palestinienne, par les difficultés que nous avons rencontrées dans la création artistique. En l’absence de financement palestinien et du fait d’un soutien arabe insuffisant, une grande part des artistes palestiniens a été forcée de compter sur l’État israélien ou sur des fonds privés pour produire. 

« Je serais le dernier à critiquer un réalisateur palestinien qui se ferait financer par Israël » dit Abu-Assad. Je ne suis pas dans cette position aujourd’hui et je suis content de ne pas en avoir besoin. Chaque réalisateur doit décider pour lui-même et évaluer les risques. Les pays arabes pourraient boycotter ceux qui reçoivent des financements israéliens. D’un autre côté, c’est notre argent aussi et nous y avons droit ». Un incident de ce type est arrivé au réalisateur palestinien Maha Haj, dont le film magnifique « Affaires personnelles » a été retiré par les services libanais de sécurité d’une projection prévue à Beyrouth en 2016 parce que le film avait reçu des financements israéliens. 

Un porblème majeur, dit Abu-Assad, est qu’une grosse part de financement – et ce n’est vraiment pas une théorie complotiste – est destinée à améliorer l’image d’Israël. Ils donnent de larget à des « Arabes israéliens » ainsi qu’on nous appelle dans le monde, de manière à montrer que c’est une démocratie, même si le film critique Israël. Les artistes doivent être conscients de cette stratégie. Les Sionistes pourraient vous exploiter au service de leurs buts cyniques ». 

Revenons au manque de financement. Il faut peut-être simplement chercher des Palestiniens riches à l’étranger ? Quel choix avons-nous ?

« C’est ce que j’ai fait à votre âge. Je me suis rapproché de gens riches pour qu’ils financent mes films et ça s’est avéré une prise de tête. Maintenant je distingue (les responsabilités) très clairement : j’écris le film puis je trouve un producteur, et cela peut être à lui de se faire mal à la tête. Je me suis occupé du financement pour mon dernier film et je le regrette – c’est exaspérant et fatigant. Je suis un artiste, pas un homme d’affaires, et je veux me concentrer sur mon script. J’ai été obligé de faire ça à votre âge et je comprends les jeunes comme vous ». 

Une équipe de tournage filme Watar Band, un groupe composé de membres de différents groupes de musique de Gaza qui enregistre un morceau dans un studio professionnel de la ville de  Gaza, 4 février 2012. (Anne Paq/Activestills)

C’est un miracle qu’il y ait un milieu du cinéma palestinien, vu les problèmes rencontrés pour financer des films.

“Les Palestiniens n’apprécient pas assez l’importance du cinéma. Ce que vous dites est vrai, c’est un miracle qu’il y ait ici du cinéma palestinien avec des films de grande qualité. (Mais) je bénéficie de beaucoup plus d’estime dans le monde qu’ici en Palestine. C’est très étrange ; ce n’est pas que je sois à la recherche de cette sorte d’estime et il y a un avantage à garder les pieds sur terre ».

« Une équation pertes et profits »

Abu-Assad termine actuellement son dernier film, « Huda’s Salon » qui raconte l’histoire de femmes palestiniennes qui se rendent dans un salon de coiffure et finissent par faire l’objet de chantage de la part des autorités d’occupation. « Laissez tomber, le film parlera pour lui-même quand il sortira” dit Abu-Assad, s’opposant à mes efforts pour le faire parler de son nouveau projet. Après tout, c’est un cineaste hollywoodien. 

La capacité d’Abu-Assad à travailler sur un tel projet en tant que Palestinien ne saurait être garantie. Depuis des années, Holllywood  a servi de moyen de créer et de perpétuer des stéréotypes nuisibles aux Arabes. Le livre du chercheur libano-américain, Jack Shaheen, sur ce sujet “Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People”  (De vraiment mauvais Arabes : comment Hollywood dénigre un peuple) – dont il a été fait un a documentaire en 2006 – décrit comment Hollywood non seulement perpétue des stéréotypes négatifs sur les Arabes, mais aussi comment les producteurs israéliens dans les années 1980 se sont organisés pour installer une représentation des Palestiniens et des Arabes comme des « terroristes ».

« Il ne fait aucun doute que certaines armes de l’establishment de la sécurité étatsunien comme la CIA ont pénétré Hollywood » dit Abu-Assad. « Ils ont aussi un programme et ils utilisent Hollywood de manière à façonner l’opinion. Walt Disney par exemple, avait des contacts avec le FBI. Ce n’est plus un secret. 

Le cinema Yes Planet movie dans le centre commercial de Ramat Gan,10 novembre 2019. (Moshe Shai/Flash90)

“Je n’ai évidemment pas de relations avec cette partie d’Hollywood » ajoute-t-il en riant. « Mais il y a une partie d’Hollywood qui effectivement veut juste faire des films et du profit. Pourtant, les Américains respectent vraiment les réalisateurs, surtout ceux qui ont quelque chose à dire. L’estime que j’ai ressentie de la part de la 20th Century Fox (avec laquelle Abu-Assad a réalisé « The Mountain between us » (La montagne entre nous), je ne l’ai trouvée nulle part ailleurs. Un moment je ne me suis pas senti comme étranger avec eux ». 

Et si vous essayiez de faire un film sur la Palestine à Hollywood ? je ne suis pas sûr que vous bénéficieriez du même respect

“si vous vous adressez à des producteurs de Hollywood qui sont sur une démarche sioniste, capitaliste ou impérialiste, bien sûr qu’ils seront contre vous. Ils ne m’ont jamais intéressé. Ce n’est pas non plus un secret qu’ils sont contre moi personnellement. Il y a un contingent d’extrême gauche à Hollywood qui contrôle une partie des médias et des Oscars et qui veut sincèrement faire du cinéma de grande qualité et peut parfois s’exprimer contre l’impérialisme et le capitalisme, mais pas vraiment contre le sionisme. Soit cela les effraie, soit certains d’entre eux sont des sionistes de gauche ». 

Abu-Assad rit de nouveau en considérant « l’étrange invention » de la gauche sioniste. « Il y a un traumatisme dans la gauche sioniste qui s’est construite sur une peur existentielle qui les a amenés à accepter le sionisme israélien tout en restant progressistes parce qu’ils sont de gauche. C’est la gauche de Hollywood, qui a peur de traiter de quoi que ce soit qui concerne les Palestiniens ». 

Alors comment a-t-on accès à eux ? 

Vous devez comprendre, Hollywood a été entièrement construit sur une équation pertes/profits : dépenser un million pour en gagner deux. Et je parle de chaque projet, ici. Même si c’est un film pro-palestinien ».

Le Chemin de la Gloire d’Hollywood, Californie, 20, septembre 2015. (Ken Lund/Flickr/CC BY-SA 2.0)

Mais les films palestiniens, comme la plupart des films indépendants d’art et d’essai, ne font pas gagner d’argent.

« Et c’est le fond du problème. En quoi vérifient-ils cette équation ? Ils considèrent chaque film palestinien, voient combien il a rapporté. Vous allez me dire : ‘faites des films commerciaux’, mais ce n’est pas facile à faire quand on tient à s’exprimer politiquement et artistiquement. La question palestinienne n’est pas aussi populaire que l’on pense. Le spectateur moyen voit la Palestine sans arrêt aux informations et toujours sous un angle déprimant, alors est-ce que cela va lui donner envie de regarder un film à ce sujet ? La plupart du temps, il va dire ‘non merci ‘. La plupart des spectateurs veulent du divertissement et c’est là que s’introduit l’industrie commerciale ».

Vous êtes décourageant

Abu-Assad rit de nouveau. « Il y a une règle d’or qu’il faut que vous compreniez : même si un projet dénigre Israël et les États-Unis, s’il garantit à 100% de rapporter de l’argent à ses producteurs, il a une chance d’être financé. »

Continuez à essayer de leur gâcher la vie

Pour revenir au sujet de la production cinématographique israélienne, je proteste auprès d’Abu-Assad sur les réalisateurs israéliens qui font des films sur l’occupation – c’est-à-dire, ceux qui appuient leur carrière internationale sur notre souffrance – sans impliquer de Palestiniens dans le processus de réalisation.

Je mentionne des séries télévisées comme ‘Fauda –‘ dans laquelle les Arabes sont présentés de manière stéréotypée comme dénués d’éthique, criminels et terroristes, tandis que les Israéliens sont montrés comme des héros. ‘Fauda’ est considéré comme un projet de droite, mais même des productions de réalisateurs supposés plus progressistes font un usage cynique et injuste de l’occupation.

Une unité spéciale de policiers en civils israéliens a été invitée à la projection de la série télévisée Fauda à la résidence du Premier ministre à Jérusalem, 7 février 2018. (Mark Neyman/GPO)

« Je ne suis pas d’accord avec vous » réplique Abu-Assad. « L’occupation est aussi le problème de (ces réalisateurs) et pas seulement le vôtre, et c’est le droit d’un auteur de faire un film dessus. Après tout, un film montre comment vous, en tant qu’auteur comprenez et voyez les choses. Cela ne veut pas dire que vous avez besoin qu’un Palestinien vous explique les choses. La recherche est de la responsabilité de l’auteur et il n’a pas besoin de t’impliquer comme Palestinien ».

Je ne suis pas d’accords avec vous là-dessus. On ne manque pas de films israéliens dans lesquels chaque Arabe est violent ou primitif, précisément pour cette raison.

« Mais cela ne relève pas de votre responsabilité ! cela en dit plus sur (l’auteur israélien) que sur vous. Ce sont eux qui se trouvent ridicules et piteux, pas vous. ‘Omar’ est sorti en même temps qu’un film israélien racontant une histoire très semblable (‘Bethléem 2013’) avec tout ce dont je parle dans mon film, à une différence près : dans le film israélien tous les personnages palestiniens étaient creux et pathétiques. Où en est le film aujourd’hui ? Aucun de nous ne peut se rappeler le titre. Laissez les réalisateurs israéliens à leurs propres systèmes, cela montrera seulement à quel point ils sont superficiels ».

C’est un peu un point de vue de privilégié – nous ne sommes pas tous Hany Abu-Assad

« C’est le monde dans lequel nous vivons. Je vois bien votre frustration parce que je suis passé par là moi aussi et cela m’arrive encore. Mais que faire ? Personne ne peut changer le monde. On ne peut que se changer soi-même et changer son propre travail. Il n’est pas de votre responsabilité de changer l’ensemble du système. Essayer de prendre en charge le monde c’est comme essayer de gonfler un ballon troué – on souffle, on souffle et il ne se gonfle jamais. Restez attaché à vos principes et ne changez pas. Restez ce que vous êtes et continuez à essayer de leur gâcher la vie ».

Alors comment choisissez-vous une histoire ?

« Voici une histoire que je n’ai jamais racontée. Au début, il y avait des (réalisateurs palestiniens) Elia Suleiman, Rashid Masharawi, Sharif Waked et moi. Nous étions des jeunes à peu près du même âge qui n’avaient encore rien fait. Je me souviens d’une discussion avec Elia sur comment nous pouvions avoir un impact, comment nous démarquer. Elia pensait que le monde ne pouvait pas être changé mais qu’on pouvait avoir un impact dès lors qu’on développe son propre langage. Et donc il a développé son propre style narratif. »

Des officiers de police sortent du théâtre Al-Midan à Haïfa, après que le commissaire de police Dudi Cohen a ordonné d’annuler un événement en mémoire de George Habache, dirigeant du FPLP, 1er février 2009. (Oren Ziv/Activestills).

“Et qu’ai-je fait ? J’ai regardé 10 films qui m’avaient influencé et pour lesquels j’avais un profond respect. J’ai réalisé que chacun d’eux était une scène théâtrale et avait son propre langage cinématographique distinct, comme « Vol au-dessus d’un nid de coucous », que j’ai vu pour la première fois quand j’avais 16 ans. « 1900 » (de Bernardo Bertolucci) était aussi sur la liste. 

Bien sûr, au tout début j’ai rêvé de traiter du sionisme. Alors qu’est-ce que je retirais de ce film (1900) ? Que si vous vous rebellez, vous pouvez être tué par l’establishment mais que votre inspiration fera éclater toutes les frontières imaginaires de votre vie. La peur que le sionisme vous ôte la vie vous empêche de vivre. On ne peut pas laisser sa vie être ainsi contrôlée. J’ai réalisé que ce qui me parle n’est pas le langage cinématique mais la théâtralité ». 

Les films d’Elia Suleiman et de Abu-Assad sont certes complètement différents les uns des autres. Abu-Assad puise dans les conventions cinématographiques plus traditionnelles ou même mainstream, tandis que Suleiman adopte généralement plus d’éléments fantastiques dans ses films. 

« Pour moi, le bon cinéma accroît les émotions, ce qui fait que l’on peut penser sans s’en rendre compte » dit Abu-Assad. « Faire cela sans la théâtralité n’est pas vraiment possible. En même temps, je comprends Elia Suleiman. Après tout, l’histoire est morte : chaque histoire a déjà été racontée. Cela se réduit désormais à changer de petits détails et à raconter une histoire qui a déjà été racontée d’une manière quelque peu différente. C’est pourquoi (Suleiman) a décidé de se tourner vers l’intellect.

“Une légende se construit ici” 

Une des critiques que des Palestiniens ont soulevées à l’égard d’Abu-Assad après la sortie de « Omar » qui met en scène un jeune Palestinien forcé à collaborer avec les services de sécurité israéliens, portaient sur sa représentation de l’agent israélien du Shin Bet qui occupait la place de personnage principal du film. Beaucoup de gens ont été insatisfaits de l’empathie du film à l’égard de ces intermédiaires de l’occupation.

Vue de la salle de la nouvelle cité du cinéma de Jérusalem, 25 février 2014. (Yonatan Sindel/Flash90)

« Je pense que plus on punit ses ennemis plus on attise sa propre malveillance » a expliqué Abu-Assad. « Si on imagine son ennemi comme le mal absolu, on va au-delà de se mentir à soi-même. Et l’on aide aussi la bourgeoisie à échapper à ses responsabilités, en disant que cette personne, cet ennemi, est le diable – et non la bourgeoisie. La plupart des Israéliens – 99% d’entre eux – sont des victimes, comme nous. Des racistes, mais aussi des victimes. Parce que, qui enseigne le racisme ici ? L’élite israélienne. Et elle est moralement corrompue.

« La plupart des Israéliens sont des gens simples. Vous voulez voir et entendre comment ils fanfaronnent aux yeux du monde et ce que ça veut dire sur eux ? Pour moi cela veut dire que ce sont des gens simples. Ils pensent qu’ils sont la nation la plus grande et la plus efficace, et c’est ce qu’ils diffusent en permanence. C’est l’opposé d’un comportement raffiné. L’establishment leur a menti et ils ont gobé parce qu’ils sont à l’opposé de l’image qu’ils essaient de vendre au monde.

« D’où vient le diable ? Le diable vient des gens. Et une personne peut vous haïr, vous soumettre à l’occupation et vous tuer et en même temps aimer son enfant et l’amener le matin au jardin d’enfants. Presque personne n’est le mal absolu, alors pourquoi inventer des choses qui n’existent pratiquement pas ? 

Notre art retourne toujours vers l’occupation de 1948 ou de 1967, alors même qu’il y a bien plus à dire de notre histoire. Notre art est politique, même s’il est mondial. 

« Je suis surtout intéressé à faire de l’art à partir du contexte local, mais cela parle au monde entier. Parce que pour moi, en tant qu’artiste, il n’y a pas de racisme qui ne disparaîtra pas. Il n’y a pas d’occupation qui ne disparaîtra pas. C’est une histoire évidente. Soit l’occupation va se consumer d’elle-même, soit une autre force va l’abattre, mais c’est un fait indéniable qu’elle va disparaître. » 

Des Palestiniens passent par le checkpoint de Qalandiya à proximité de la ville de Ramallah en Cisjordanie pour se diriger vers la mosquée d’A-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem et assister aux premières prières de Ramadan le 10 juin 2016. (Flash 90)

« Étant donné que l’occupation finira par s’évanouir et que votre rôle en ce moment est de lutter contre elle, vous ne combattez pas seulement dans les paramètres qu’elle a établis pour vous, mais vous élargissez plutôt ces paramètres. Allez combattre l’occupation artistiquement hors de son petit terrain de jeu misérable. Employez-vous à faire des choses qui dépassent les frontières de votre temps et de votre lieu. De cette manière, votre film résistera à l’épreuve du temps même après la fin de l’occupation ». 

De votre point de vue, à 59 ans et sur la base de l’ensemble de votre expérience, quel conseil donneriez-vous à la prochaine génération d’artistes ?

« Vous embrassez le problème palestinien d’un large regard et vous sentez que c’est un miracle si la Palestine vit toujours. Une légende est en construction ici, dont les futures générations se souviendront. Après tout, certaines des forces les plus puissantes du monde se battent contre vous et essaient de détruire à la fois votre présence physique sur terre et la présence des Palestiniens comme une nation parmi beaucoup d’autres. »

« Jusque dans les années 1970, l’Occident et Israël ont lutté durement pour effacer l’idée de la « Palestine » du lexique. Quand j’étais en Europe, j’ai entendu tout le monde dire qu’il n’y a rien de tel que la Palestine. Ils déversent d’énormes sommes et s’efforcent de marginaliser notre art. Une société se mesure à deux choses : sa culture et son art. En quel autre lieu pouvez-vous trouver un art et des artistes aussi accomplis, qui ont connu une guerre menée contre eux depuis 70 ans ? C’est une histoire unique. »

« Après tout, il ne s’agit pas que d’une opposition armée à l’occupation, mais aussi d’une utilisation de l’art. S’opposer à l’occupation c’est aussi rejeter l’idée que cette terre appartient aux seuls Juifs. L’art est le meilleur outil pour cela. Je conseille à la prochaine génération de continuer à être fière d’être palestinienne. Peu importe ce qu’ils font ou en quoi c’est lié à l’occupation, et ça n’a pas d’importance. Il suffit d’avoir la formule « artiste palestinien » sur votre production, que ce soit sur l’amour ou quoi que ce soit d’autre qui ne traite pas de l’occupation ; c’est déjà une victoire remarquable contre ceux qui essaient de nous effacer ».

Rami Younis est un journaliste, réalisateur et activiste palestinien de Lydd (Lod) qui a pour but d’amplifier les opinions locales à travers différents médias. Rami écrit sur des sujets d’intérêt et d’importance politique pour la communauté palestinienne en Israël et dans les territoires occupés. En tant que militant culturel, il est aussi l’un des fondateurs de « Palestine Music Expo. » Il a précédemment été consultant dans les médias et porte-parole de la députée palestinienne Haneen Zoabi. Il réside actuellement à Boston où il fait des recherches et écrit sur le militantisme culturel à l’Université Harvard. 

Source : +972 magazine

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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