Selon une enquête récente, même l’élite des experts de l’Occident et d’Israël sait que l’existence de deux États en Palestine n’est pas possible.
Haidar Eid est Professeur associé de l’Université Al-Aqsa à Gaza.
Le 19 Septembre 2021
En août, Foreign Affairs, magazine étasunien influent, a mené une enquête sur la solution à deux États en Palestine auprès “d’autorités détenant une expertise spécialisée ainsi que de généralistes de terrain”. La question posée était la suivante : “est-ce que la solution à deux États au conflit israélo-palestinien n’est plus viable ?” ; les 64 experts étaient censés indiquer leur accord ou leur désaccord avec cette formulation et expliquer leur position par un bref commentaire.
La moitié a soutenu que la solution à deux États n’était pas morte, sept sont restés neutres et 25 ont été d’accord avec l’hypothèse formulée.
Certains de ceux qui exprimaient leur désaccord sont actuellement ou ont été liés à des groupes de réflexion aux penchants sionistes, par exemple le Washington Institute for Near East Policy. Parmi eux se trouve Martin Indyk, ancien ambassadeur des États-Unis dans l’État israélien d’apartheid : avant d’entamer sa carrière diplomatique, il a été directeur de recherche adjoint à l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC).
On trouve aussi dans cette liste Dennis Ross et d’autres qui ont été fortement impliqués dans le prétendu “processus de paix”, une affaire interminable ayant pour but de sécuriser l’État israélien d’apartheid et de liquider complètement les droits fondamentaux des Palestiniens. De toute évidence, ceux qui étaient associés au “processus de paix” s’accrochent encore à l’illusion qu’il est possible d’établir un Bantoustan palestinien.
Ceux qui défendaient la solution à deux États reconnaissaient qu’il existait des “barrières” à sa réalisation ; parmi ces barrières, la plus fréquemment citée était “l’absence de volonté politique” des “deux côtés”. Il y avait même des suggestions indiquant que seule la direction palestinienne serait à blâmer, car le Hamas et l’Autorité palestinienne ne disposaient pas d’un soutien du peuple palestinien permettant de faire les sacrifices nécessaires et d’accepter les politiques israéliennes d’apartheid et de colonialisme de peuplement.
Il est intéressant de voir que, parmi ceux qui adoptaient la position “neutre”, certains préféraient adopter un point de vue postmoderne, relativiste, sur une question qui a trait à la liberté, à l’égalité et à la justice – ni plus, ni moins. D’autres adoptaient envers la question palestinienne l’angle des droits humains, refusant de prendre une position politique.
On peut toujours se demander ce que signifie la “neutralité” sur une question claire et nette de justice. Il y a seulement quelques années, qui aurait osé être “neutre” sur la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ?
En général, la plupart des défenseurs de la solution à deux États dans le monde universitaire, les milieux liés à la politique étrangère ou des cercles plus larges sont des Israéliens, des Américains ou des Européens pour qui un projet de colonisation de peuplement ne pose aucun problème. Les quelques Palestiniens favorables à ce traitement raciste de la question palestinienne évitent de reconnaître les faits sur le terrain : le système en vigueur entre le Jourdain et la Méditerranée est une réalité à un État, un État d’apartheid où une communauté bénéficie de tous les privilèges de la citoyenneté, alors que l’autre communauté est privée de ses droits humains fondamentaux.
Il est vraiment difficile de ne pas remarquer le racisme et l’injustice présents dans la réalité de l’apartheid en Palestine, dans laquelle les Palestiniens qui souffrent ne sont pas uniquement ceux qui vivent dans les territoires occupés en 1967, comme l’implique la question posée par Foreign Affairs.
J’ai personnellement pris part à cette enquête, estimant qu’il était important de faire entendre ma voix, une voix palestinienne. Voici ce que j’ai dit dans l’espace limité qui m’était attribué :
“Outre le fait qu’Israël a pris des mesures irréversibles qui ont rendu cette solution impossible – à savoir, l’expansion de colonies exclusivement juives, l’annexion de nouvelles terres de Cisjordanie qui s’ajoutent à Jérusalem, la construction du mur de l’apartheid qui sépare des Palestiniens d’autres Palestiniens, le blocus de la Bande de Gaza et l’adoption par la Knesset de la loi raciste de l’État-nation – la solution à deux États, par principe, n’accorde pas aux Palestiniens leurs droits fondamentaux aux termes du droit international – l’égalité et le droit au retour. Une solution de type Bantoustan est par excellence une solution raciste.”
Le fait qu’une revue américaine aussi influente soulève une telle question concernant la réalité à deux États en Palestine et veille à ce que quelques voix palestiniennes figurent parmi les personnes interrogées est révélateur du pouvoir des Palestiniens à se faire entendre au cœur même de l’empire. Cela est aussi révélateur d’un autre fait : le discours international sur la Palestine est lentement mais sûrement en train de s’éloigner des bavardages sur le “processus de paix” et l’“intransigeance” de la direction palestinienne.
Voilà qui agace visiblement les sionistes américains et israéliens, un des répondants à l’enquête se disant consterné à l’idée que Foreign Affairs ait pu seulement décider de poser une telle question. Le ton défensif de nombre des réponses “en désaccord” révèle que même de fermes défenseurs d’Israël se rendent compte que la solution à deux États ne peut pas résoudre la question palestinienne et qu’elle est déjà morte, grâce aux politiques israéliennes d’apartheid en Palestine.
L’autre choix est clair : un État pour tous les habitants de la Palestine historique, indépendamment de la race, de l’appartenance ethnique et de la religion, un État comparable à l’Afrique du Sud après l’apartheid, un État qui n’est pas fondé sur l’oppression d’une communauté par une autre. Une véritable solution à la question palestinienne ne peut pas être atteinte en nourrissant des idées racistes sur la séparation des peuples. Seul le rétablissement de l’identité multiculturelle de la Palestine, inclusive, laïque et démocratique peut conduire à une paix durable entre le Jourdain et la Méditerranée et au-delà.
Source : Al Jazeera
Traduction SM pour l’Agence média Palestine