Apaiser les critiques des mécontents

Yotam Gidron, 30 juillet 2021

La réussite d’Israël à son admission avec le statut d’observateur à l’Union Africaine est aussi un signe d’un manque d’intérêt croissant de la part des leaders africains pour la question palestinienne.

Naftali Bennett, alors ministre de la défense et aujourd’hui (à gauche) en visite au Pentagone en 2020. Crédit Photo : le maître de 2ème classe de la Marine, James K.Lee via Flickr CC BY 2.0

Le 22 juin, Israël a atteint un objectif politique auquel il travaillait depuis près de vingt ans et il est devenu État « observateur » dans l’Union Africaine (UA). « C’est un jour de célébrations dans les relations Israël-Afrique » a déclaré Yaïr Lapid, le nouveau ministre israélien des affaires étrangères, ajoutant que cette réalisation « corrige une anomalie qui durait depuis près de deux décennies ». Le ministre des affaires étrangères a expliqué que le statut d’observateur d’Israël va permettre une coopération plus importante, « entre autres dans le combat contre le coronavirus  et dans la prévention contre la diffusion du terrorisme extrémiste dans tout le continent ».

Ce dernier point est une affirmation plutôt hypocrite, étant donné que la stratégie de coopération internationale d’Israël est pratiquement inexistante et que son programme « contre-terroriste » mondial est largement centré sur la vente de technologies d’oppression à des autocrates. En réalité, l’objectif-clef derrière les efforts faits par Israël depuis longtemps pour avoir accès à l’UA ont sapé les efforts palestiniens pour influencer la position du continent sur la situation en Israël-Palestine et, implicitement, la position des États africains indépendants sur le sujet. La Palestine a longtemps eu le statut d’observateur à l’UA. Le président Mahmoud Abbas a régulièrement l’occasion de s’exprimer lors des sommets de l’organisation. Mais, si les États africains sont supposés suivre la position prise par l’UA lorsqu’ils votent dans d’autres instances internationales, alors, pensent les dirigeant israéliens, la possibilité pour les Israéliens d’influencer des décisions à l’UA pourrait avoir des conséquences politiques significatives.

Il y a plus de 70 États et ONG accrédités à l’UA. Pour la plupart, cela ne revêt pas une grande importance. Mais pour Israël, c’est un objectif diplomatique majeur depuis longtemps, d’un poids symbolique considérable. Israël était un État observateur à l’Organisation de l’Unité Africaine dans les années 1990 mais s’est vu refuser ce statut lorsque l’UA a été fondée en 2002. Mouhamar Khadafi, qui s’était positionné comme donateur dans la nouvelle institution pour étendre sa propre influence en Afrique, s’était opposé à toute présence israélienne. Depuis son éviction en 2011 et dans le cadre du « retour » d’Israël en Afrique au cours de la dernière décennie, les dirigeants et diplomates israéliens ont essayé de mobiliser leurs alliés sur le continent pour plaider en faveur de l’admission d’Israël à l’UA.

Le principal obstacle a néanmoins été l’objection de plusieurs États, « principalement des États arabes mais aussi d’autres États africains », a précédemment expliqué un diplomate israélien : parmi eux l’Afrique du Sud et l’Égypte. L’ambiguïté sur la procédure précisément requise pour approuver l’octroi du statut d’observateur à un État non africain et le nombre d’États membres de l’UA soutenant une telle décision ont facilité le rejet des demandes d’Israël par le passé. Une candidature soumise par Jérusalem à l’ancienne présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma d’Afrique du Sud, ne fut pas approuvée. L’argument a généralement été qu’il n’y avait pas assez d’États africains en faveur de la demande.

Plusieurs éléments ont changé l’année dernière. L’un réside dans la normalisation des relations diplomatiques d’Israël avec le Soudan et le Maroc, dans le cadre des Accords D’Abraham soutenus par les États-Unis, qui ont suivi la normalisation des liens avec le Tchad en 2019. Un autre changement fut le remplacement à la tête de l’UA du président sud-africain, Cyril Ramaphosa par le président de RDC, Félix Tchisekedi (qui a déployé des efforts pour renforcer les liens avec Israël). Le partenariat de plus en plus concret d’Israël avec l’Égypte – Le Caire espérant apparemment améliorer aussi sa relation avec Washington via Jérusalem – semble également avoir aidé. Tout cela a rendu plus facile à Israël de s’engager dans une nouvelle campagne ces derniers mois pour avoir accès à l’UA, sous la direction de la nouvelle cheffe de la section Afrique du ministère des affaires étrangères, Aliza Bin-Noun.

Dans la mesure où la démarche était supposée attirer l’attention de Washington, il semble que cela ait marché. Antony Blinken, le Secrétaire d’État étatsunien a été prompt à féliciter l’UA « pour son leadership dans l’établissement de ponts et dans la création de nouvelles voies pour l’échange » ; il a ajouté que les États-Unis accueillent favorablement « le retour d’Israël dans l’Union Africaine comme observateur, dans le cadre de notre soutien en vue d’une normalisation plus complète ». Mais, alors qu’Israël s’est assuré d’une publication la plus large possible de cette dernière victoire, la déclaration de l’UA elle-même a célébré l’événement de façon plus discrète. Un communiqué de presse du bureau de Faki déclare simplement que le président « a reçu les lettres de créance » de l’ambassadeur d’Israël à Addis Abeba et qu’il a profité de l’occasion pour « réitérer » le soutien de longue date de l’Union Africaine à la solution à deux États.

Pour autant, cette réitération du soutien à la « coexistence pacifique », le moment où cela se passe  – quelques semaines après l’Intifada de l’Unité dans toute la Palestine-Israël et une vague de manifestations dans le monde en soutien à la libération de la Palestine – raconte une autre histoire, plus sombre. Elle témoigne non seulement du manque de pertinence de l’Autorité Palestinienne à s’opposer de façon significative aux efforts d’Israël pour mobiliser un soutien à sa politique d’apartheid mais aussi, somme toute, au manque d’intérêt croissant pour la question palestinienne parmi les dirigeants africains. Faute de politiques sur lesquelles les membres auraient l’intention d’agir concrètement, semble-t-il, la rhétorique de solidarité de l’UA avec la Palestine se fait de plus en plus creuse – un vieux rituel qui n’est plus sensé réaliser quoi que ce soit en particulier en dehors d’apaiser quelques manifestations de mécontentement.

Yotam Gidron est l’auteur de ‘Israel in Africa: Security, Migration, Interstate Politics’ (Israël en Afrique: sécurité, migration, politique interétatique) (Bloomsbury, 2020).

Source : Africa Is a Country

Traduction SF pour l’Agence Média Palestine

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