Une diplomate israélienne a fait pression sur l’Université de Caroline du Nord pour éliminer le cours d’une enseignante qui critiquait Israël

Une consule générale israélienne a accusé sans fondement d’antisémitisme une étudiante diplômée et a dit qu’elle ne devrait pas enseigner un cours sur le conflit israélo-palestinien.

Murtaza Hussain, 28 septembre 2021

Une vue aérienne du campus de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, N.C., le 21 avril 2013. Photo: Lance King/Getty Images

En août dernier, des responsables consulaires israéliens du sud-est des Etats-Unis ont organisé des réunions avec un doyen de l’université de Caroline du Nord (UNC) à Chapel Hill pour discuter le cas d’une étudiante diplômée qui enseigne un cours sur le conflit israélo-palestinien. Selon deux professeurs de l’UNC informés sur ces réunions, mais qui ont demandé l’anonymat par crainte de représailles, la responsable israélienne a accusé la doctorante d’antisémitisme et a dit qu’elle était inapte à enseigner le cours.

Cette intervention d’une responsable du gouvernement israélien, la consule générale pour le sud-est des Etats-Unis Anat Sultan-Dadon, a suivi une campagne de pression par des sites web de droite pro-Israël et un groupe de défense, également pro-Israël, pour éliminer l’étudiante diplômée, Kylie Broderick, de l’enseignement du cours du département d’histoire intitulé « Le conflit sur Israël/Palestine ». Les sites web et le groupe de défense pro-Israël ont signalé les posts que Broderick avait faits sur Twitter et qui critiquaient Israël et le sionisme et, sans preuve, ont donné ces posts comme témoignage d’antisémitisme.

La doctorante de l’UNC Kylie Broderick. Photo: Permission de Kylie Broderick

En plus de l’intervention du gouvernement israélien, l’université a été confrontée à des pressions d’un membre de la Chambre des députés des Etats-Unis, ont dit les deux professeurs de l’UNC à The Intercept. Les professeurs ont dit que la députée Kathy Manning, démocrate pour la Caroline du Nord, a aussi rencontré le doyen de la faculté des arts et des sciences de l’UNC pour exercer des pressions à propos du cours de Broderick.

« Que des parties extérieures aient essayé d’étouffer la liberté académique sur ce sujet n’est pas un nouveau phénomène », a dit Broderick. « Mais ces gens ne m’ont jamais vue enseigner, n’ont jamais vu mes évaluations passées qui ont dit que je traite les étudiants équitablement et donc n’ont aucun droit à me dicter ce que je dis à l’intérieur de la classe. »

Israël-Palestine est devenu l’un des domaines les plus politisés du monde académique, avec des licenciements périodiques de professeurs, des poursuites contre des étudiants, et même l’entretien de listes noires publiques qui contribuent à imposer une atmosphère de peur et d’auto-censure sur le sujet. Même dans ce cadre standard, l’intervention directe de responsables du gouvernement israélien dans une université américaine à propos l’enseignement d’un cours représente une nouvelle menace troublante sur la liberté académique.

« Je pense qu’un représentant d’un gouvernement étranger essayant de contrôler un cours universitaire est, en premier lieu, ridicule et une sur-réaction évidente à ce qui est essentiellement un problème qui a démarré sur Twitter », a déclaré Broderick. « Je pense aussi qu’il est étrange que la consule générale israélienne se soit vu accorder une audience. Si c’était un cours sur la Hongrie ou l’Australie, est-ce que l’université aurait autorisé une tentative d’interférence d’un gouvernement étranger ? Le simple fait que cette réunion ait eu lieu est clairement une menace sur la liberté académique ».

La controverse a démarré à propos de plusieurs tweets envoyés par Broderick, tweets qui étaient très critiques d’Israël et de la politique étrangère des États-Unis, y compris avec un soutien du mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël. Broderick a rejeté les accusations formulées par les responsables consulaires israéliens selon lesquelles ses critiques d’Israël sur les réseaux sociaux constituaient de l’antisémitisme. « Une critique d’Israël et de l’idéologie politique du sionisme ne constitue pas du sectarisme [antisémite], pas plus qu’une critique de l’Iran, qui s’appelle une république islamique, ne constitue une attaque islamophobe », a dit Broderick. « Les États ne sont pas des religions, et les États ne sont pas des peuples ».

Broderick s’est attendue à un examen de certains de ses enseignements, car Israël est toujours une question brûlante aux États-Unis. Ce à quoi elle ne s’attendait pas était le degré auquel enflerait la campagne de dénigrement contre elle, jusqu’à, et y compris, des interventions de responsables de deux gouvernements.

Dans une déclaration à The Intercept, Sultan-Dadon a confirmé le rendez-vous avec le doyen de la faculté des arts et sciences de l’UNC à propos de Broderick. Bien que Sultan-Dadon ait refusé de commenter les détails de la discussion, elle a réitéré son opinion que Broderick était antisémite et inapte à enseigner un cours sur l’histoire du conflit israélo-palestinien.

« En ce qui concerne la question du cours « Le conflit Israël/Palestine » à l’UNC Chapel Hill enseigné par la doctorante Mme Broderick, j’ai en effet des inquiétudes importantes à propos de déclarations publiques qui ont été faites par Mme Broderick sur ce sujet, dont certaines ne sont pas seulement lourdement biaisées, mais tombent clairement dans ce qui est défini comme antisémite par la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA », a déclaré Sultan-Dadon, se référant à la définition fortement contestée de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.

La consule générale a poursuivi : « Je pense que cela devrait inquiéter quiconque se dresse contre l’antisémitisme et pour la liberté académique, qu’un individu qui n’a pas seulement fait des déclarations publiques antisémites en référence à Israël et au conflit israélo-palestinien, mais aussi a déclaré publiquement qu’elle ne croit pas qu’il y ait deux côtés dans ce conflit et qu’elle ne veut pas enseigner à ses étudiants les deux côtés, soit l’enseignante choisie pour un cours sur ‘Le conflit Israël/Palestine’ ».

Le bureau de Manning au Congrès n’a pas répondu à notre requête de commenter les réunions avec les responsables de l’UNC. Le site web de Manning est bref sur ses positions de politique étrangère, mais dit que le soutien à Israël est une question clé pour cette membre du Congrès des États-Unis.

Le bureau du doyen et l’UNC ont refusé de commenter la réunion avec les responsables. Cependant, les responsables de l’UNC semblent tenir bon malgré la forte pression extérieure à propos de l’enseignement du cours par Broderick. Un email du bureau du chancelier en août, que des groupes pro-Israël ont fait circuler en ligne, indiquait que le cours continuerait comme prévu et Broderick a depuis commencé à enseigner sans controverse ni plainte des étudiants.

La controverse sur l’enseignement du cours par Broderick a commencé cet été, après que le site web pro-Israël Algemeiner a publié une histoire centrée sur une série de tweets de Broderick qui étaient très critiques d’Israël ou considérés par l’auteur, Peter Reitzes, comme « grossiers ».

L’affaire a fait boule de neige à partir de là quand d’autres sites web militants d’informations ont saisi l’affaire et ont commencé à la répandre dans leurs réseaux — atteignant même les sites d’informations généralistes. En août, un partenaire local de la chaine ABC a diffusé une émission d’investigation par le journaliste Jonah Kaplan. Kaplan a cité des étudiants disant que les tweets de Broderick critiquant Israël rappelaient la rhétorique qui a fomenté l’Holocauste, les décrivant comme « une nouvelle mutation de ce qu’est l’antisémitisme de nos jours ». Un autre étudiant a dit à Kaplan, à propos des tweets de Broderick : « Remplacez simplement ‘sioniste’ par juif et c’est assez évident que c’est antisémite ».

Des campagnes similaires, accusant les critiques d’Israël d’antisémitisme malgré un manque d’évidence directe, sont devenus courants dans le monde universitaire aux États-Unis.

« Les cours universitaires dans tous les États-Unis ont été enseignés depuis longtemps avec un biais énorme en faveur d’Israël et si les gens dans une salle de cours ou des enseignants sont pro-Israël, ils devraient être autorisés à donner leurs arguments. Mais ce que toute cette pression extérieure sur les universitaires essaie de faire, c’est d’empêcher la même chose pour la perspective palestinienne », a déclaré Jonathan Brown, un professeur de civilisation islamique à l’université Georgetown. « Il y a des questions fondamentales en jeu ici, à propos de la liberté académique ou si on attend que les universitaires enseignent selon les préférences d’un donateur ou même d’un gouvernement étranger ».

De beaucoup de façons, cependant, le discours sur le conflit change, avec des sondages qui montrent une sympathie croissante pour la cause palestinienne et une ouverture à la critique de la politique du gouvernement israélien parmi les Américains, y compris dans les organisations progressistes et juives qui mettent aussi la priorité sur le combat contre l’antisémitisme à l’intérieur du pays. L’intense répression, même contre le fait que des étudiants diplômés critiques d’Israël enseignent des cours sur le sujet, avec le gouvernement israélien lui-même directement impliqué, est vue par certains comme un moyen de maintenir un statu quo avantageux qui tombe maintenant en défaveur.

« Quand j’étais à l’université il y a vingt ans, si quelqu’un disait quelque chose de critique d’Israël en classe, vous auriez entendu une épingle tomber. C’était effrayant. Les choses sont très différentes maintenant », a dit Brown. «  D’une façon bizarre, ce qui est intéressant dans l’affaire de Broderick c’est qu’en toute probabilité cela va bien se passer pour elle, et c’est un changement massif par rapport à ce qui serait arrivé ne serait-ce qu’il y a dix ans ».

Source : The Intercept

Traduction CG pour l’Agence Média Palestine

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