La meilleure huile d’olive du monde ? C’est ce qu’on pense dans ce village

Par Reem Kassis, le 19 octobre 2021

Rameh, une commune palestinienne environnée d’oliviers, a eu longtemps la réputation de produire une huile particulièrement bonne 

Rameh, un village de Galilée, dans le nord d’Israël, a été appelée “la reine de l’huile palestinienne.” Crédit…Danielle Amy pour le The New York Times

RAMEH, Israël — Une marmite de mujarada (boulgour aux oignons et aux lentilles) était prête et on pouvait l’emporter, un petit bocal d’olives et un peu de pain avec ça. C’était au coeur de l’hiver dans ce village de montagne de Galilée en Palestine et Abla Hussein, qui a maintenant 86 ans, était enfant à l’époque et n’avait pas plus de 7 ou 8 ans. Avec sa famille, ils étaient prêts à marcher une heure jusqu’à leurs oliviers, où ils passeraient toute la journée, chaque jour, pendant la saison de près de trois mois que durait la cueillette des olives.

Les olives qui poussaient là étaient gorgées d’huile, dit-elle. « Il y avait tellement d’huile dedans et l’huile était si douce lorsqu’elle coulait le long de la gorge ».

Des olives Suri dans la main de Musa Khalaf dans une oliveraie de Rameh. Lorsqu’elles sont mures, elles ne sont ni vertes ni noires mais elles ont des reflets verts et pourpre tachetés. Crédit…Danielle Amy pour le The New York Times
Le bol d’olives noires et l’huile d’olive viennent tous deux de l’oliveraie Mr. Khalaf. Crédit…Danielle Amy pour le New York Times

L’huile d’olive de Rameh a eu longtemps la réputation d’être la meilleure huile du pays, et même de la région plus large ; elle est centrale dans l’identité du village. Fraîchement pressée, c’est un liquide aux reflets d’or, son arôme rappelle les herbes sauvages et les feuilles de pissenlit qui poussent autour des oliviers. Les gens la décrivent comme quelque chose de mûr et d’onctueux, presque comme le samneh (ghee ou beurre clarifié).

Alors que le sud de l’Espagne et le sud-est de l’Italie sont maintenant les plus grosses régions productrices d’huile d’olive commercialisée au monde, il est évident que la terre aux alentours de la mer de Galilée – où se trouve Rameh sur les pentes du mont Haidar – a un jour été la région du monde la plus importante en olives. Une recherche récente indique que c’était aussi le site de la plus ancienne culture d’olives datant de 5000 avant l’ère chrétienne.

Aujourd’hui, environ 2000 acres (800 hectares) d’oliviers séculaires entourent Rameh dans toutes les directions – une mer verte, le bruissement des feuilles comme des vagues. Dans des articles de journaux, des livres et même des poèmes, les olives sont décrites comme « les meilleures sur lesquelles on ait jamais posé le regard » et le village lui-même comme « la reine de l’huile de Palestine ». 

Un olivier plutôt jeune à Rameh. On dit de certains arbres qu’ils sont âgés de milliers d’années. Crédit…Danielle Amy pour le The New York Times

Yousef Hanna, le chef et propriétaire du célèbre restaurant Magdalena, à Tibériade, entrepose au congélateur les bouteilles d’huile dès la récolte pour pouvoir offrir toute l’année à ses clients la saveur des olives fraîchement pressées. Mr Hanna, âgé de 47 ans, qui est originaire de Rameh, dit qu’il a essayé des huiles d’olive du monde entier. Si certaines, comme une bouteille récente de l’Etna en Sicile se rapprochent de la saveur, il continue à préférer les jerricans qu’il a ici à la saison des olives. 

« Voyez, chacun pense que son huile est la meilleure » dit-il, « mais l’huile d’olive de Rameh est onctueuse et ne brûle pas. Elle est comme un fruit mûr : forte mais douce ».

Comme le dit Mazen Ali en référence à un proverbe arabe, « aux yeux de sa mère, un singe est une gazelle ». Mr. Ali, qui a 60 ans, est le cofondateur d’une association dédiée à la préservation des oliviers de la région. Bien qu’il soit du village voisin de Deir Hanna, même lui reconnaît que l’huile de Rameh est exceptionnelle.

Alors, qu’est ce qui fait que cette huile soit si bonne, et même supérieure ? Les explications abondent. 

Il y a plusieurs facteurs, dit Mr. Ali, comme la mouche de l’olive, un parasite qui attaque les oliviers depuis la côte vers l’intérieur. La mouche oblige d’autres villages à cueillir leurs olives plus tôt, avant que la récolte ne soit endommagée. Mais Rameh, du fait de sa situation en plus haute altitude et plus loin dans l’intérieur des terres, peut attendre plus longtemps et laisser les olives mûrir sur l’arbre. Cela donne à l’huile « une agréable amertume, mais en même temps une délicatesse et un fruité » dit-il. Mais cela suffit, je vais être fâché maintenant » dit-il en riant. « L’huile d’olive de Deir Hanna est très bonne aussi ».

La majorité des oliveraies de Mr. Khalaf sont dans sa famille depuis les années 1850. Aujourd’hui il possède environ 50 acres (20 ha) d’oliviers. Crédit…Danielle Amy pour le The New York Times

Musa Khalaf, âgé de 82 ans, expert immobiliser retraité et un des plus gros propriétaires d’oliveraies de Rameh, a parlé de la qualité des olives Suri qui poussent ici, une variété ancienne qui donne une grande quantité d’huile. Le climat favorable joue aussi, de même que le sol riche en nutriments, bien labouré par le bétail et jamais traité à l’engrais, et taillé et entretenu tout au long de l’année.

Les olives sont cueillies au plus fort de leur murissement, dit Mr Khalaf, « pas vertes, pas noires, mais avec des reflets et des points verts et pourpre ». La cueillette se fait toujours à la main à Rameh, en utilisant une perche pour faire tomber les olives mures. Les olives sont immédiatement pressées après la cueillette, ce qui donne un goût plus doux à l’huile. 

Avant la guerre arabo-israélienne de 1948, les oliveraies de Rameh pouvaient produire jusqu’à 250 000 litres, une année de rendement élevé. L’huile était largement vendue dans tout le pays ainsi qu’au Liban et en Syrie. Mais la production a baissé au cours des sept décennies écoulées depuis cette époque. 

Nasab Hussein a réhabilité la maison de son père, vieille de 300 ans et l’a transformée en un musée où se trouvent des objets artisanaux locaux. Une lampe à huile traditionnelle est au mur et au sol une antique jarre à huile d’olive. Crédit…Danielle Amy pour le New York Times

Hussein, âgée de 34 ans, chercheuse dans le domaine culturel et écrivaine, est la nièce de Madame Hussein ; elle raconte ce changement dans son livre « Rameh, une histoire non contée » publié en 2020. Elle y a expliqué comment l’expropriation des cultivateurs palestiniens et la fermeture des frontières avec la Syrie et le Liban qui ont conduit à une pénurie de main d’oeuvre, ont fait chuter la viabilité de l’exploitation des olives. « On ne peut vraiment pas séparer notre histoire avec les olives de l’histoire politique » dit-elle. 

Les gens travaillaient et allaient à l’école à Rameh, dit-elle et comptaient toujours sur le revenu de la culture des olives. Mais de 1948 à 1966, le régime militaire israélien a restreint les déplacements, empêchant les paysans d’accéder à leurs oliveraies. Les arbres ont été négligés, les rendements ont beaucoup baissé et les prix sont tombés. Aujourd’hui, beaucoup moins de familles que par le passé vivent de la culture des olives, qui ne soutient plus l’économie du village. Il est même difficile de connaître la production de Rameh aujourd’hui.

Le plus vieil extracteur d’huile d’olive du village, qui remonte à l’époque du mandat britannique sur la Palestine, n’est plus en usage aujourd’hui mais il a été réhabilité et préservé. Crédit…Danielle Amy pour le The New York Times
Une presse à olives traditionnelle en pierre est encore au village, c’est une des premières presses à moteur à cet endroit.Crédit…Danielle Amy pour le The New York Times

Mais on continue à presser les olives, essentiellement pour la consommation personnelle d’huile et elle reste indispensable – avec un rôle central dans la vie du village, à la fois médical et alimentaire.  (« On s’en frictionne la poitrine si on tousse » a dit Abla Hussein. « On en met une goutte chaude dans l’oreille de son enfant s’il a mal. Je ne comprends même pas pourquoi on utiliserait un médicament »).

Mr. Khalaf et son épouse, Safa, et leurs trois enfants continuent à entretenir leurs oliveraies et ils ont commencé à chercher des moyens de vendre leurs olives et leur huile à l’étranger.

« Nous faisons tout cuire dans cette huile » dit Madame Khalaf. Les ragouts et les mujaradas (riz pilaf aux lentilles) sont tous faits avec leur huile, de même que leurs macarons (biscuits à l’anis), les malateet (galettes épicées) et les manaqeesh (galettes au zaatar).

« Mais qui a vraiment besoin d’un plat ? » demande Monsieur Khalaf. « La meilleure chose du monde c’est un morceau de pain trempé dans de l’huile d’olive fraîchement pressée ». 

Source : The New York Times

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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