Contester les récits israéliens sur la culture queer palestinienne

Par Munir Atalla, le 8 novembre 2021 

Hyperallergic parle aux organisateurs de Queer Cinema for Palestine [« Cinéma Queer pour la Palestine »], un événément mondial qui constitue une alternative au Festival international du film LGBT de Tel Aviv soutenu par le gouvernement israélien.

Logo pour Queer Cinema for Palestine (toutes les images sont reproduites avec la permission de Queer Cinema for Palestine)

Vertigineux par son étendue, Queer Cinema for Palestine [« Cinéma queer pour la Palestine »] vient d’une tendance mondiale à redéfinir l’ampleur et l’échelle d’un festival de films. L’événement, qui a lieu simultanément dans 12 villes de 5 continents, est enraciné dans une philosophie de décentralisation. Il n’y a pas de directeur, de président, ou de responsable général unique. Au lieu de cela, les organisateurs sont éloignés autant que leurs films vont voyager, espèrent-ils, unis principalement par leur soutien à la cause palestinienne. Des militants queers et des artistes de villes variées ont été sollicités pour accueillir des projections et des discussions en présentiel, pendant que d’autres événements auront lieu virtuellement par-delà les fuseaux horaires. 

Décrit comme un « exercice de confiance » par l’un des organisateurs clés, le festival présente un nombre sans précédent de réalisateurs queers du monde entier montrant des oeuvres en solidarité avec la Palestine. Le festival est en partie une réponse à la campagne « Marque Israël » que le gouvernement israélien a lancée en 2005. Un de ces principes est de commercialiser Israël comme havre et destination touristique queer tout en dépeignant simultanément la société palestinienne comme homophobe et rétrograde. Des militants ont lutté contre cela, en accueillant leurs propres événements sur des thèmes queer et en exposant comment l’Etat sécuritaire israélien a ciblé des Palestiniens queer comme tactique de son occupation prolongée. Leur travail a attiré l’attention des médias principaux, plus de 200 célébrités signant récemment une lettre ouverte en soutien de TLVFest comme réponse à la critique.

Avant l’édition inaugurale du festival, Hyperallergic a parlé à deux des organisateurs, le réalisateur John Greyson, basé à Toronto, et l’organisatrice féministe Ghadir Shafie, basée à Akka, pour en apprendre davantage sur cet ambitieux projet. 

***

Extrait de Marco (2018), dir. Saleem Haddad, qui fait partie du programme de Tunis

Hyperallergic : Comment Queer Cinema for Palestine est-il né ?

John Greyson : Depuis 2009, il y a une campagne de boycott appelée par la société civile palestinienne et les militants queers en Palestine se sont concentrés sur un festival israélien de films LGBT, le Festival international de films LGBT de Tel-Aviv (TLVFest), en particulier parce qu’il reçoit des subventions du gouvernement israélien, spécifiquement du ministère des Affaires stratégiques. Cela fait partie de l’effort plus large de propagande du gouvernement israélien qui cherche à mettre en lumière Israël comme une prétendue « oasis » pour les droits queers au Moyen-Orient. TLVFest reçoit son argent dans le cadre du pinkwashing d’Israël pour masquer ses violations des droits humains. 

Les premières années, la campagne a encouragé les réalisateurs de se retirer de TLVFest. L’an dernier, les réalisateurs ont été sollicités pour signer un engagement supplémentaire à ne pas y soumettre ou y projeter leur travail. Maintenant nous n’honorons pas seulement l’appel des Palestiniens à boycotter le festival, mais nous créons aussi un festival mondial alternatif où nous pouvons projeter les oeuvres de ceux qui se sont retirés les années passées et promouvoir un dialogue autour de ces questions. 

Ghadir Shafie : En 2015, Aswat [un collectif féministe palestinien queer] a lancé Kooz, un festival de films queers, pour rendre visible la diversité de genres et de sexualité à l’intérieur de la société palestinienne et pour contrer la stratégie d’Israël qui nous dépeint comme rétrogrades et homophobes, avec leur image stéréotypée des Palestiniens queers fuyant leurs familles pour vivre à Tel Aviv. Nous voulions créer cette nouvelle plateforme pour montrer les histoires des personnes LGBTQ+, et nous voyions que le cinéma est un moyen pour à la fois décrire la réalité et en imaginer de meilleures. 

Extrait de I Have to Say I Love You (2018) [Je dois dire que je t’aime], dir. Ariel Nobre, qui fait partie du programme de Brasilia

H: Quel rôle le cinéma joue-t-il dans la lutte pour la libération queer et palestinienne ?

GS : C’est une voie pour dépeindre nos histoires, cela permet aux gens de se sentir concernés. Ici nous disons : « Le personnel est politique » et j’espère qu’ils le disent partout. J’ai été une adolescente palestinienne vivant en Israël, allant à des écoles palestiniennes où Israël imposait le programme. J’avais 18 ans et j’avais tout juste commencé à remettre en question ma sexualité. Quand j’étais jeune, j’ai déménagé à Tel Aviv, où je pensais que je vivrais libre, mais rapidement mes amis israéliens ont voulu que je change mon nom pour un nom israélien. J’ai réalisé qu’il n’y a pas de « porte rose » dans l’apartheid qui permettrait aux Palestiniens queers d’échapper à l’occupation et à l’oppression. J’ai passé 10 ans à penser que je ne pourrais être à la fois palestinienne et queer en même temps. C’est seulement quand j’ai trouvé Aswat que j’ai réalisé que je pourrais être queer, palestinienne, féministe, et une femme, tout cela à la fois. 

JG : En tant que personnes queers, nous nous cherchons inévitablement sur l’écran. Particulièrement ceux et celles d’entre nous qui sont isolés à l’intérieur du patriarcat ne nous voient pas dans leur environnement, sauf ce que nous pouvons voir à l’écran. Ces relations sont nécessaires pour créer un sens de soi, et elles ont le pouvoir de changer fondamentalement la société. Peut-être suis-je prédisposé à le voir de cette façon en tant que réalisateur, mais il est difficile de penser à une autre forme d’art qui a eu plus d’impact sur la manière dont les gens nous voient. La représentation des vies queers au cinéma peut changer les opinions, humaniser, promouvoir l’empathie et conduire à des débats sur la façon d’organiser la société dans laquelle nous vivons. Le cinéma queer a toujours contribué à connecter les gens et à démanteler les structures de pouvoir oppressives dans le monde.

Extrait de Mother-in-Law (2019) [Belle-mère], dir. Shin Seung Eun, retiré du TLVFest 2020, projeté à Séoul 

H: Un festival de cette envergure semblait presque impensable avant que la pandémie n’ait contraint tant de gens à se mettre au virtuel. Comment avez-vous vu le changement du paysage festivalier, and comment cela s’y intègre-t-il ? 

JG : Il n’y a presque pas de précédent, au sens d’un festival vraiment mondial. Cela n’a réellement jamais été fait avant, ce principe d’une gestion collective. Chaque événement individuel allait dans sa propre direction ; cela a été un incroyable exercice de confiance. Kosovo fait Kosovo, Berlin fait Berlin, etc. Chaque ville apporte son interprétation de notre mandat. C’est l’excitation de découvrir ce que nous voulons dire par « Cinéma Queer pour la Palestine » (CQP). Quiconque assiste au festival va être surpris — les définitions sont très éloignées et différentes. CQP a été inspiré par le confinement. Comme tous les festivals ont commencé à se faire en ligne, nous avons réalisé que nous pouvions avancer vers notre rêve de longue date d’un festival mondial. Mais c’est aussi une évolution naturelle de ces années à appeler les gens à se retirer [de TLVFest]. Maintenant il y a une alternative. Ils ne verront pas les films dans le contexte de l’apartheid israélien, mais dans un espace global qui consiste à soutenir la Palestine. 

GS : Je pense que la pandémie a permis au monde de réimaginer la vie à travers l’inconnu. D’une certaine façon, cela a été ironiquement une excellente voie pour défier les frontières. Nous n’avons désormais plus l’excuse de « Nous ne pouvons nous rencontrer en personne ». Avec la présence des plateformes en ligne, des groupes du monde entier qui s’organisent autour de la Palestine peuvent se retrouver. Il est inspirant de voir comment nous pouvons créer des lieux alternatifs. Cette année nous avons vu le soulèvement populaire à Sheikh Jarrah se répandre non seulement à d’autres parties de Jérusalem, mais aussi à Gaza, à la Cisjordanie, aux Palestiniens vivant en Israël, à la diaspora. Cette vague de solidarité mondiale n’était pas seulement inspirante, elle a fait que nous nous sentions effectivement à une étape de plus vers la liberté. Cela nous a permis de nous sentir créatifs dans nos efforts en tant que Palestinens. Nous avons vu des artistes queers dans le monde entier prendre position contre l’apartheid. Israël use et abuse du cinéma pour maximiser sa stratégie de pinkwaishing. Il connecte le TLVFest au mois des fiertés d’Israël et à l’Eurovision. Il essaie de distraire de ses crimes en utilisant l’art et la culture. Une voie pour réagir est non seulement de boycotter, mais aussi de fournir des alternatives pour égaler le courage que les Palestiniens ont manifesté.

Extrait de The White Elephant (2018) [L’éléphant blanc], dir. Shuruq Harb, qui fait partie du programme de Beyrouth/Paris

H : Que dites-vous aux artistes luttant avec la question de projeter ou non leur travail au TLVFest ou en Israël?

GS : Les artistes ont une obligation morale de prendre position. Je suis déçu par les artistes qui disent : « Ne mélangez pas l’art et la politique », parce que prendre part à un festival qui accepte une subvention du gouvernement israélien est une déclaration très politique. TLVFest dit qu’il est le seul festival queer de la région, mais il y en a d’autres en Palestine, à Tunis, et à Beyrouth.

JG : J’ai été impliqué, dans le temps, dans les efforts de boycott pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud. A l’époque, c’était un boycott général jusqu’à la fin de l’apartheid. A court terme, les réalisateurs et les universitaires sud-africains ont souffert, mais c’était pour apporter le changement. Ici, le Boycott académique et culturel palestinien d’Israël (PACBI) approche les choses de manière plus nuancée. Il ne s’agit pas de censure ni de cibler des artistes ou des oeuvres, ce n’est pas à propos des individus, c’est sur le financement. Ce ne sont pas les réalisateurs ou les films, ni même les festivals, c’est l’argent qu’ils reçoivent du gouvernement israélien. Nous ne ciblons pas des films ou des réalisateurs ; nous les invitons à se joindre à nous. Même TLVFest pourrait s’exempter du boycott en refusant le financement de l’Etat. 

De Land/Trust (2021) [Terre/Confiance], dir. Whess Harman, qui fait partie du programme de London, Ontario

H : Est-ce qu’il y a quelques moments phares du programme que les gens ne devraient pas manquer, d’après vous ? 

JG : Je suis excité par tant de nos programmes — Brésil, Paris-Beyrouth, Séoul. Mais en particulier, le programme de London, Ontario amènera des réalisateurs autochtones et palestiniens à dialoguer ensemble, regardant la Palestine dans l’optique des droits autochtones. Je pense que ce sera vraiment spécial. 

H : Quels sont vos objectifs pour l’avenir de ce festival ?

GS : Je pense qu’il ne fera que grandir. Je suis optimiste parce que de plus en plus de gens sont conscients de ce qui se passe en Palestine. Quelque chose est différent dans cette génération. Ce n’est pas qu’ils sont sans peur — nous avons tous été terrifiés pendant la pandémie et, plus tard, pendant le soulèvement populaire. Mais d’une certaine façon, cela nous a donné à tous plus de courage. Plus opprimés vous êtes, plus courageux vous devenez pour briser vos chaines. Je pense que cette année sera la première de nombreuses autres à venir, un « Cinéma queer pour la Palestine » mondial. J’espère que cela encouragera aussi plus d’artistes palestiniens à discuter de questions queers dans leurs films. Moins de tabous et plus de liberté pour nous tous.

Queer Cinema for Palestine a lieu du 11 au 20 novembre, avec des événements en présentiel dans 12 villes et des événements virtuels disponibles dans le monde entier.

Source : Hyperallergic

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

Retour haut de page