Le danger grandit pour les pêcheurs de Gaza

Le 12 janvier 2022, par Ahmed Al-Sammak

Beirut al-Aqraa montre les dommages infligés à son bateau de pêche par Israël. Ahmed Al-Sammak

Beirut al-Aqraa était en mer, à deux miles [3, 2 km] de la côte, le 24 décembre, quand son bateau de pêche a commencé à sombrer. Il a immédiatement fait demi-tour vers le rivage mais arrivée à quelques centaines de mètres, l’embarcation a été complètement submergée par l’eau.

Avec deux de ses ouvriers, Beirut a nagé jusqu’à être hors de danger. Mais trois de ses frères ont dû être secourus et amenés à l’hôpital.

« Heureusement, il était 1 heure de l’après-midi », a expliqué Beirut. « Et d’autres pêcheurs nous ont vus et se sont précipités à notre aide. »

L’accident a eu des conséquences sérieuses sur son frère Nayef.

« Si j’avais été coincé en mer plus longtemps, je serais mort », a expliqué Nayef. « J’ai vomi chaque jour depuis. Et j’ai peur de la mer. Je ne naviguerai plus jamais. Je préférerais rester sans travail que de sortir une fois encore sur le bateau de Beirut. »

Plusieurs bateaux de Beirut ont été endommagés par Israël lors de son attaque majeure sur Gaza en mai l’an dernier. Au cours de cette attaque, Israël a ciblé le port de Deir al-Balah au centre de la Bande de Gaza, où étaient amarrées les embarcations de Beirut.

Un des bateaux s’est avéré irréparable.

Les autorités de Gaza ont estimé que les pertes de Beirut à cause de l’offensive de mai s’élevaient à à peu près 25 000 dollars [22000 euros]. « Mais c’est plutôt 30 000 dollars [26000 euros] », dit-il.

Le bateau qui a sombré le 24 décembre avait pour nom Amal, le mot arabe pour « espoir ». Il faisait partie de ceux endommagés par les shrapnels d’Israël en mai.

Pour réparer correctement le bateau, Beirut avait besoin d’approximativement 3 kilogrammes de fibre de verre. Il n’avait pas les moyens d’acheter de la fibre de verre, donc il a utilisé un mastic, qui était moins cher.

Il avait pu continuer à travailler comme pêcheur, en utilisant Amal, depuis l’attaque de mai. Mais quand le bateau a commencé à se désagréger le 24 décembre, il a été clair que la réparation n’avait pas été adéquate.

Pas de compensation

Beirut se souvient qu’il était surnommé « le roi des pêcheurs », parce que « j’avais quatre bateaux ».

Avant l’attaque de mai, il pouvait gagner jusqu’à 1300 dollars [1150 euros] par mois. Maintenant il fait seulement 300 dollars [260 euros] environ.

« Et personne n’a payé de compensation pour ma perte », a-t-il dit.

Qu’Israël attaque souvent les pêcheurs palestiniens directement a été bien documenté. Un total de 73 incidents au cours desquels Israël a ouvert le feu sur des pêcheurs de Gaza ont été enregistrés par les personnes surveillant les droits humains entre octobre et décembre.

Khader al-Saidi tient quelques-unes des balles en acier entourées de caoutchouc que la marine d’Israël lui a tirées dessus. Ahmed Al-Sammak

Les forces navales d’Israël ont même tiré sur des pêcheurs de Gaza deux fois le Jour de l’an.

Khader al-Saidi s’est fait tirer dessus par Israël à plusieurs reprises.

A la suite d’un de ces épisodes de la violence d’Etat en 2017, Khader a été arrêté et détenu pendant presque un an. Il était accusé de dépasser la ligne de pêche autorisée au large de Gaza — une borne qui est souvent arbitraire.

En février 2019, Khader était sorti pêcher avec son cousin Muhammad quand ils ont été attaqués par la marine israélienne. Les hommes ont essayé de s’échapper, mais n’ont pas pu.

La marine d’Israël a tiré environ 30 balles d’acier enrobées de caoutchouc sur Khader, tandis que son cousin réussissait à se mettre à l’abri.

Après avoir frappé aux deux yeux, Khader s’est effondré et a perdu connaissance.

« Je me suis réveillé quatre jours plus tard dans un hôpital israélien d’Ashdod [une cité portuaire] » a-t-il expliqué. « J’ai entendu quelqu’un parler hébreu et je lui ai demandé ‘Où suis-je ?’ Mais il n’a pas répondu. »

Un médecin qui parlait arabe a alors expliqué à Khader qu’il avait perdu la vue dans son œil droit. Son œil gauche mettrait environ une semaine à récupérer, a prédit le médecin.

Malgré la douleur sévère, Khader a été ensuite menotté, aux mains et aux pieds, pendant que les soldats l’emmenaient au checkpoint militaire d’Erez, qui sépare Gaza d’Israël.

Il a été escorté à travers le checkpoint et abandonné là par les soldats israéliens. Un homme est venu l’aider et l’a amené à la police locale, qui a appelé une ambulance.

Quand Khader a été examiné par les médecins de Gaza, ils ont confirmé qu’il était maintenant aveugle des deux yeux.

Aujourd’hui, Khader quitte rarement sa maison. « Je n’ai aucun désir de croiser qui que ce soit », a-t-il dit.

« Israël a fait de moi un mendiant »

Il a demandé une allocation d’invalidité à l’Autorité palestinienne, mais n’en a reçu aucune. « C’était moi qui gagnais le pain de ma famille étendue, neuf personnes au total », a-t-il dit. « Maintenant je dépends de la gentillesse des gens pour qu’ils me donnent un peu d’argent. Israël a fait de moi un mendiant ».

Ouvrir le feu n’est pas la seule façon dont Israël sape la sécurité des pêcheurs de Gaza. Le siège sans trêve sur Gaza a fait que les standards d’existence ont décliné de manière générale et particulièrement parmi les pêcheurs.

Beaucoup de pêcheurs ne peuvent payer la note pour le travail de maintenance sur leurs embarcations. Les restrictions d’importations par Israël ont aussi conduit à une pénurie de pièces de rechange.

La pénurie signifie que quand des pièces de rechanges sont disponibles à l’achat, elles sont plus coûteuses qu’elles ne l’étaient auparavant.

Selon un homme qui effectue des réparations sur les bateaux de Gaza, le prix d’un nouveau moteur pour une embarcation de taille moyenne est maintenant de plus de 11 000 dollars [9 700 euros]— presque le double de ce qu’il était il y a dix ans.

Trois des enfants de Muhammad Musleh. Ahmed Al-Sammak

Le résultat de travailler avec des bateaux qui ne sont pas en état de naviguer peut s’avérer fatal — comme l’illustre l’histoire de Muhammad Musleh.

Muhammad, 40 ans, s’est noyé en septembre quand le bateau avec lequel il pêchait s’est retourné. Son moteur avait cessé de fonctionner.

Son frère, Alaa, a admis que le bateau n’était pas en bonne condition. Mais la famille devait continuer à l’utiliser pour des raisons de nécessité économique.

« Si nous avions eu de l’argent pour acheter un nouveau moteur, nous n’aurions pas perdu Muhammed », a dit Alaa. « Mais nous ne pouvions pas nous permettre d’en acheter un nouveau. Et nous ne pouvons toujours pas. »

« Je savais que c’était mauvais pour nous de sortir en mer », a-t-il dit. « Mais nous n’avions pas d’autre choix. J’ai quatre enfants, Fayez [un autre frère] en a trois et Muhammad en avait aussi quatre. Qui d’autre nourrira nos enfants ? »

Ahmed Al-Sammak est un journaliste basé à Gaza.

Traduction CG pour l’Agence Media Palestine

Source : The Electronic Intifada

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