L’apartheid israélien et le mythe de l’État juif démocratique

Par Marwan Bishara, le 8 février 2022

La stratégie d’Israël qui consiste à lancer des accusations d’antisémitisme contre ceux qui le traitent d’État d’apartheid est vouée à l’échec.

Amnesty International a publié son rapport ‘L’apartheid israélien contre les Palestiniens’ le 1er février 2022 [Reuters/Mussa Qawasma]

La semaine dernière, Amnesty International à Londres a rejoint Human Rights Watch à New York et B’Tselem à Jérusalem en appelant apartheid le système abusif et inhumain de domination d’Israël sur les Palestiniens, qui équivaut à un crime contre l’humanité.

Comme on pouvait s’y attendre, Israël et ses soutiens ont condamné ce rapport comme « diffamatoire » et « antisémite », et ont rejeté ses conclusions détaillées et bien documentées comme des distorsions tendancieuses. Et, comme pour les deux rapports de B’Tselem et de Human Rights Watch, il semble qu’aucun des critiques ne se soit donné le mal de lire les 280 pages produites par Amnesty, et encore moins de plaider contre les solides arguments qu’ils contiennent.

Ce triplé de documentation israélienne, américaine et britannique s’avérera être une percée extrêmement importante pour les droits fondamentaux des Palestiniens en termes de calendrier, de préséance, de portée, de légalité, de globalité, d’audace et de ramifications.

En réalité, le calendrier n’aurait pas pu être plus critique. Ces organisations de défense des droits de l’homme ont révélé l’état d’apartheid d’Israël alors que davantage de régimes arabes l’ont intégré, que des gouvernements européens l’ont rassuré, et que les dirigeants palestiniens décontenancés s’y sont soumis, intriguant sans vergogne contre leurs semblables palestiniens dont ils troquent les droits contre des autorisations de voyage pour ses acolytes.

Ce n’est évidement pas la première fois que l’apartheid a été évoqué internationalement. Nombre d’Israéliens, Britanniques, Américains et autres dirigeants étrangers ont mis Israël en garde contre le fait de saper la solution à deux États en imposant un double régime juridique qui constitue « sans doute » un régime d’apartheid dans les territoires palestiniens occupés en 1967.

Mais Amnesty, Human Rights Watch et B’Tselem ont élargi le champ au-delà de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza et pour la première fois, ont porté l’affaire contre le régime d’apartheid israélien imposé à tous les Palestiniens du Jourdain à la Méditerranée.

Au lieu de regarder les Palestiniens comme des communautés séparées vivant des situations différentes, comme le Rapport National sur les Pratiques des Droits de l’Homme du Département d’État américain le fait pour brouiller les cartes, les trois organisations informent sur la totalité de la politique israélienne et ses implications sur tous les Palestiniens.

En d’autres termes, le problème va bien plus loin que l’occupation de 1967 jusqu’à la dépossession des Palestiniens par les Israéliens en 1948. Et ainsi, je pense, doit avancer la solution.

L’organisation israélienne B’Tselem est apparue comme le porte-flambeau qui a inspiré et encouragé ses homologues américain et britannique à suivre le même chemin. Le titre de son rapport s’avérera être un véritable changement dans la façon dont le monde voit le sionisme israélien : « Un régime de suprématie juive du Jourdain à la Méditerranée : C’est l’apartheid. »

Dans l’esprit venimeux habituel du gouvernement Bennett, le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid a déclaré qu’Amnesty n’est pas une organisation de défense des droits de l’homme, mais une entité radicale qui s’appuie sur des groupes « terroristes » pour son information, et il a dit que « si Israël n’était pas un État juif, personne à Amnesty n’oserait se prononcer contre lui ».

Hélas, le contraire est vrai.

C’est terriblement risqué, pour B’Tselem, Amnesty et Human Rights Watch, de parler avec tant d’audace et d’arguments contre la suprématie juive institutionnalisée d’Israël à un moment où Israël ne fait preuve d’aucune retenue dans l’utilisation cynique et omniprésente d’accusations d’antisémitisme pour condamner, intimider et même détruire ses critiques occidentaux.

Inutile de le préciser, ces rapports ne s’appuient pas sur des groupes « terroristes », mais sur des organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme internationalement reconnues et fiables, que ce cynique gouvernement israélien a qualifiées de « terroristes » à la consternation de la communauté internationale des droits de l’homme. En réalité, ces associations ont été les premières à dénoncer l’apartheid israélien en Palestine historique.

Pour répondre aux condamnations officielles israéliennes et américaines de ces rapports, certains ont déclaré que peut-être qu’utiliser des « labels polémiques », tels que apartheid, entrave plutôt que cela n’aide la cause palestinienne.

Mais Amnesty n’a pas utilisé une expression telle que, disons, « le grand Satan », que Téhéran a utilisée pour parler de l’Amérique, ou « l’axe du mal » que Washington a utilisée pour parler de l’Iran.

Elle a aussi évité les pièges consistant à dresser des analogies, s’abstenant de faire reposer son dossier sur une comparaison entre l’apartheid d’Israël et celui d’Afrique du Sud.

Au contraire, elle a assidûment utilisé le mot « apartheid » en tant que terme juridique international qui remonte à 1965 et est inscrit dans la Convention Internationale sur l’Élimination de la Discrimination Raciale, que les États Unis et Israël ont signée aux côtés de plus de 170 autres États.

Pour Amnesty, l’apartheid n’est pas une étiquette politique ; c’est la conclusion juridique de sa propre analyse exhaustive de la preuve contre le système israélien institutionnalisé d’oppression et de domination sur les Palestiniens, qui les a privés depuis des décennies de leurs droits économiques et sociaux.

Comme l’a expliqué Paul 0’Brien, directeur d’Amnesty USA, son organisation est d’accord avec l’administration Biden pour dire que « Israéliens et Palestiniens devraient bénéficier de mesures égales de liberté, de sécurité, de prospérité et de démocratie » et il affirme que « Pour y parvenir, le système d’oppression qui existe actuellement doit être démantelé. Comment y parvenir sans l’appeler pour ce qu’il est. Apartheid. »

Hélas, les gouvernements états-unien et européens ont ainsi grandement manqué de clairvoyance politique et du courage moral d’appeler un chat un chat, et encore moins d’agir contre l’apartheid israélien dans la Palestine historique, comme ils l’avaient fait contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Cela a pris presque quatre décennies pour que le Congrès américain promulgue la Loi Globale Anti- Apartheid en 1986 et, même alors, le président Ronald Reagan a tergiversé dans sa mise en œuvre après que son veto ait été renversé. Cependant, une fois totalement projeté, la pression américaine et plus largement occidentale a été décisive dans le démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud au début des années 1990.

Hélas, le moment sud africain d’Israël est peut-être encore lointain, alors qu’il renforce son apartheid au lieu de le démanteler. Mais pour paraphraser un tristement célèbre dirigeant israélien, le pessimisme est un luxe que les Palestiniens ne peuvent s’offrir.

Du bon côté des choses, l’arrogance d’Israël érode la sympathie de l’Occident et éloigne les alliés traditionnels, dont de nombreux membres de la communauté juive américaine, de même que sa colonisation persistante et sa pénétration dans les terres palestiniennes rendent la solution à deux États favorite des occidentaux obsolète.

Avec un nombre presque égal de Palestiniens et d’Israéliens vivant côte à côte, la société israélienne devra finalement s’occuper de la question de la décolonisation et de l’égalité dans cette réalité déformée à un État et l’Occident devra prendre position pour mettre fin à l’impunité d’Israël.

« L’Intifada de l’Unité » du printemps dernier, soulèvement des jeunes Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte, qui a surmonté la fragmentation géographique et politique pour démasquer l’erreur de l’« État juif et démocratique » et réclamer la fin de la suprématie juive israélienne, est un aperçu de ce qui va advenir.

Alors que la bataille de l’opinion publique occidentale fait rage, les organisations internationales des droits de l’homme peuvent très bien faire pencher la balance en faveur de la justice en Palestine. Israël est peut-être une formidable puissance militaire et économique, mais il est en train de perdre sa légitimité internationale et y arrive rapidement.

Marwan Bishara, analyste politique chevronné à Al Jazeera, est un auteur qui écrit intensivement sur la politique mondiale et qui est largement reconnu comme une autorité de premier plan sur la politique étrangère américaine, le Moyen Orient et les affaires stratégiques internationales. Il était auparavant professeur de Relations internationales à l’Université Américaine de Paris.

Source : AlJazeera

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

Retour haut de page