Carte postale de Bethléem: des délices culinaires dans la ville antique

Par Heba Saleh, le 25 septembre 2021

Ses balades gastronomiques sont suspendues, mais le chef Fadi Kattan s’assigne la mission de préserver les traditions de la cuisine palestinienne.

À l’entrée du marché couvert, au cœur de l’ancienne Bethléem, le chef Fadi Kattan fait une pause pour bavarder avec Oum Nabil, une femme souriante entourée de piles d’herbes aromatiques et de légumes. Elle les a apportés de son village pour les vendre en ville, comme elle le fait presque chaque jour depuis 40 ans. 

“La reine des herbes”, c’est le surnom que Kattan lui donne. Il explique que les fruits et légumes qu’elle apportait tel ou tel jour déterminaient les plats qu’il préparait chez Fawda, son restaurant renommé de Bethléem, temporairement fermé à cause de la pandémie. “Mon menu du jour démarrait chez Oum Nabil”, dit le chef, en montrant du doigt les piles de mouloukhia, de feuilles de vigne et d’okras. 

Puis le chef me conduit jusqu’à l’étal d’Abou Rashid, dont les tomates, les concombres et la menthe sont, selon lui, les meilleurs de la ville, puis nous allons voir Natsheh, le boucher, chez qui Kattan fait l’éloge du bœuf maturé et de l’agneau palestinien, qui a sous la queue, paraît-il, une réserve de graisse au goût caractéristique. Chez Nabulsi, épicerie à l’ancienne aux étagères couvertes de bocaux, le propriétaire Samer al Daoud m’offre un morceau de halva épicé à la nigelle, un des ingrédients préférés de Kattan pour les desserts. 

Bethléem, petite ville de Cisjordanie (territoire occupé par Israël depuis 1967), a attiré des visiteurs du monde entier depuis des siècles — y compris les Croisés, les pèlerins chrétiens et les touristes — en raison de sa signification religieuse. Mais les restrictions durables liées au coronavirus ont interrompu cet afflux ; pour le moment, il n’y a pas de files d’attente devant l’église de la Nativité, les volets de beaucoup de boutiques de souvenirs sont fermés, et celles qui sont encore ouvertes proposent des rabais importants. Seuls des habitants de la ville déambulent dans le charmant centre-ville avec ses pavés, ses bâtiments traditionnels en pierre claire, ses voûtes et ses ruelles.

Les balades gastronomiques de Kattan à Bethléem, qui culminaient autour d’un déjeuner chez Fawda, sont suspendues, de même que les réservations à Hosh Al-Syrian, son élégant petit hôtel dans un bâtiment historique converti aux plafonds voûtés et aux cours ombragées. Mais dans cette situation d’attente, le chef formé à Paris n’a pas abandonné ce qu’il considère comme sa mission : maintenir en vie les traditions de la cuisine palestinienne. Il poursuit cette tâche en ligne.

Teta’s Kitchen (“La cuisine de Grand-mère”) est une série YouTube où l’on voit Kattan se rendre dans des  localités palestiniennes de Cisjordanie — et en Israël quand cela est possible— pour préparer des spécialités locales avec les mères et les grand-mères qu’il décrit comme les gardiennes de la cuisine palestinienne. “Nous n’avons pas de livre écrit il y a 200 ans qui dirait : voici la cuisine palestinienne, comme c’est le cas en France avec Escoffier”, souligne Fadi. “Ce sont les grand-mères qui préservent la tradition.” Dans différents épisodes, on voit une teta qui fait des feuilles de vigne farcies, une autre qui prépare du musakhan (plat à base de poulet, de pain taboon et d’oignons épicé avec du sumac) ou du collier d’agneau cuit lentement, garni de riz, de pignons et d’amandes. La vidéo de Gaza dans laquelle Oum Jayab fait cuire une spécialité au poisson et au riz n’a pu être filmée qu’à distance, car l’accès à cette enclave méditerranéenne soumise à un blocus est strictement limité. 

Conçue avant tout comme une célébration de la diversité de la cuisine palestinienne, la série Teta’s Kitchen témoigne aussi de la résilience des Palestiniens sous l’occupation israélienne, affirme Kattan. “Nous essayons de raconter une autre histoire palestinienne…  cela ne veut pas dire que nous sommes déconnectés de la réalité. Nous montrons simplement une autre partie de notre vie quotidienne, parce qu’une partie de la résilience consiste, en fait, à continuer notre journée”, dit-il.

À Bethléem, les symboles de l’occupation sont manifestes, même si la ville est sous le contrôle de l’Autorité palestinienne qui exerce une souveraineté limitée dans quelques secteurs de la Cisjordanie. Ce qu’il y a de plus visible, c’est le mur de séparation en béton, couvert de graffitis, qui longe un des côtés de la ville et rappelle le contrôle exercé par Israël sur la vie des Palestiniens, ceux-ci ayant besoin de permis spéciaux pour se rendre à Jérusalem, située à moins de 10 km de là. Kattan dit ne se rendre dans cette ville qu’en cas de nécessité absolue, car il peut être retenu pendant des heures à un point de contrôle. 

Malgré l’amour de Kattan pour la cuisine palestinienne, il ne veut pas se contenter de reproduire les plats traditionnels. Fawda, restaurant lancé en 2015 qui a acquis rapidement une notoriété auprès des visiteurs étrangers et des diplomates basés à Jérusalem, servait des variantes de recettes traditionnelles, comme l’interprétation personnelle du musakhan par Kattan. Il sert ce plat froid, à la manière d’une terrine de foies de poulet accompagnée d’oignons confits et de pain plat. Une salade associe des figues de figuier, des figues de Barbarie et du pourpier, le tout saupoudré de laban jameed, yaourt séché fabriqué par les Bédouins.

Actuellement, il travaille avec un groupe d’investisseurs sur le projet Akub, restaurant portant le nom d’une herbe palestinienne qui doit ouvrir au printemps prochain dans le quartier de Notting Hill, à Londres. “L’idée d’apporter les goûts de la Palestine à Londres, c’est vraiment enthousiasmant”, dit-il. “La scène gastronomique au Royaume-Uni est une des plus dynamiques dans le monde entier, mais elle ne comporte aucun restaurant palestinien moderne.” 

Il n’a cependant pas l’intention d’aller vivre au Royaume-Uni. Les nappes blanches sont toujours sur les tables chez Fawda, et dans les chambres de Hosh Al-Syrian, les lits sont faits, pendant qu’il attend le retour des touristes à Bethléem. 

Heba Saleh est la correspondante du FT au Caire

Les balades gastronomiques de Fadi Kattan à Bethléem coûtent 70 $ par personne ; voir fadikattan.com pour en savoir plus. Le Hosh Al-Syrian Guesthouse a des chambres doubles à environ 80 $ par nuit.

Source : Financial Times

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

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