L’occupation par Israël a franchi la « ligne rouge de la légalité » dit la nouvelle rapporteure de l’ONU

Par Daoud Kuttab, le 7 avril 202

Dans une interview à Al-Monitor, Francesca Albanese, nouvelle rapporteure spéciale pour les Palestiniens, récemment nommée, parle de son projet d’aborder les violations des droits humains dans les territoires palestiniens, tout en se défendant contre la campagne de dénigrement lancée contre elle par Israël.  

L’avocate italienne internationale Francesca Albanese est pleine d’énergie et prête à mener à bien le mandat sont elle a récemment été chargée. Albanese a dit que la position de rapporteure spéciale pour les territoires palestiniens occupés, à laquelle elle a été élue pour une période de six ans est réservée à un expert indépendant. Alors que de nombreuses positions de ce type à l’ONU sont basées sur des domaines thématiques, cette position a un mandat géographique clair. « Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU m’a mandatée pour enquêter et rapporter sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, c’est-à-dire la Cisjordanie, dont Jérusalem Est, et la bande de Gaza » a-t-elle dit par zoom à Al-Monitor depuis Tunis où elle réside. 

L’avocate et chercheure italienne, première femme à occuper ce poste à l’ONU, dit qu’elle croit à l’importance de la rigueur académique et qu’elle est sûre d’accomplir sa tâche de manière intègre.

Experte en droit international et traitant de questions de droits humains, Albanese est aussi la première personne travaillant actuellement pour une organisation non gouvernementale arabe très respectée à qui est confié ce mandat. 

Albanese a travaillé pendant 10 ans pour les Nations Unies, notamment avec l’UNWRA, avant de se tourner vers l’université. Elle est fière de travailler actuellement pour Renaissance Arabe pour la Démocratie et le Développement (ARDD) situé à Amman. 

« À ARDD, j’ai senti que mes compétences étaient mises à profit pour traiter de sujets critiques autour de la question de la Palestine et des réfugiés palestiniens, à laquelle j’avais déjà consacré 10 ans de ma vie. Je voulais poursuivre mon travail pour l’ONU et de recherche sur la Palestine et les réfugiés palestiniens et ARDD m’a donné cette opportunité » a-t-elle dit.

« ARDD, où je coordonne désormais le programme sur la migration, les déplacements forcés et l’absence d’État, a pour objectif de créer un lieu de débat comme la Chatham House au Moyen-Orient sur des questions qui impliquent une transformation positive et inclusive du monde arabe et je suis fière de faire partie de cette démarche » a-t-elle poursuivi. 

Pendant ses années de travail à l’UNWRA et de recherche sur la question des réfugiés palestiniens, Albanese a acquis une connaissance importante. « De par ma recherche académique sur la question des réfugiés palestiniens, je pense être bien au fait des causes à la racine du conflit ».

Elle dit que son rôle dans son nouveau poste, qui prend effet officiellement le 1er mai, est d’enquêter sur les violations commises par Israël dans les territoires occupés en violation du droit international. « Mon travail comportera de la communication à diffuser auprès des parties concernées, gouvernements et sociétés civiles ainsi que témoins, et de rapporter mes observations au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU au sujet des violations dans les territoires palestiniens occupés ».

Albanese sait bien que les choses ont énormément changé depuis 1993. « J’ai l’intention de considérer les violations des droits humains dans un contexte plus large ». Elle s’est dite disposée à considérer toute violation majeure des droits humains par toutes les parties, en particulier dans le domaine de « la persécution des défenseurs des droits humains et du rétrécissement de l’espace de la société civile ».

L’experte en droit international a dit à Al-Monitor – comme Michaël Lynk, l’actuel rapporteur spécial en a fait état depuis 2017 – que l’occupation israélienne a franchi la ligne rouge de la légalité. « Selon le droit international, l’occupation doit être temporaire, justifiée par une nécessité militaire et par l’intérêt du peuple occupé » a-t-elle dit.

Avoir travaillé dur à un livre de recherche sur les réfugiés palestiniens a permis à Albanese d’être prête pour ce nouveau mandat. « Je prends mon mandat au sérieux, pleinement consciente et me sentant légitime parce que je suis très familiarisée avec la situation sur le terrain. Pendant cinq ans, je me suis immergée dans l’étude de l’histoire palestinienne et j’ai les outils juridiques pour apporter des conseils sur la façon dont le droit international est supposé fonctionner ». 

La question de l’applicabilité du droit international a joué un grand rôle avec la guerre en Ukraine. Albanese a exprimé sa profonde solidarité avec le peuple d’Ukraine. « La situation actuelle en Ukraine est une tragédie et ce qui a été dit de son illégalité quant au droit international est correct ». 

Albanese a dit que la guerre « est aussi une manifestation à grande échelle du deux poids deux mesures de la communauté internationale, que ce soit sur le conflit lui-même et sur les droits humains ou sur la façon dont on prend soin des réfugiés ukrainiens ». 

Elle a dit « qu’ignorer le cas de la Palestine par rapport à d’autres n’est plus justifié lorsque des violations des droits humains sont continuellement perpétrées, et qu’il n’est pas possible de voir la communauté internationale soutenir les droits humains en Ukraine mais s’abstenir de faire quoi que ce soit en ce qui concerne la Palestine ».  

À propos du refus d’Israël d’accepter le fait que les ressemblances font sens, Albanese a dit : « La prétention permanente du gouvernement israélien et de ses soutiens à l’exceptionnalisme a été maniée à l’excès, ce qui a conduit à des abus et au double standard. Il est temps que la communauté internationale mette cela en question et agisse en conséquence.

Lorsqu’on la questionne sur les multipes attaques qu’elle a subies le jour où le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU basé à Genève a décidé de la nommer, Albanese a fermement répondu : « Je ne suis ni surprise ni particulièrement blessée. Je sais que ces attaques visent quiconque éclaire les faits du terrain et les violations qui s’y produisent ».

Elle ne nie pas avoir des opinions. « Chaque personne sur cette terre a des opinions, mais apparemment je ne suis pas autorisée à en avoir une. Clairement, j’ai des opinions informées par le droit, qui se sont formées après des années de travail en et sur Israël/Palestine. Mais j’ai aussi travaillé pour l’UNWRA pendant trois ans en Palestine. J’ai été horrifiée par ce que j’ai vu. C’était beaucoup plus que mon corps ne pouvait supporter. À ce moment-là, j’ai clairement vu et ressenti la politique d’apartheid. Mais à ce moment-là, je n’avais pas les outils pour l’affronter ». 

Poursuivant, elle a dit : « le rapporteur spécial actuel, le professeur Michaël Lynk, s’est joint à de nombreux autres en dénonçant l’apartheid et j’ai l’intention de continuer le travail rigoureux d’enquête et de rapport que lui et d’autres distingués rapporteurs ont accompli ». 

« Comme l’a dit un jour Michaël Lynk, ‘je prends ce poste l’esprit ouvert, mais pas l’esprit vide ‘ » a-t-elle ajouté.

« Ce qui m’ennuie, cependant », a dit Albanese, « c’est qu’on attend de moi que je ne réponde pas à des accusations qui n’ont aucune pertinence. Je ne suis pas antisémite. Je n’ai jamais dit que les Juifs étaient des Nazis et je n’ai certainement jamais laissé entendre que je ne peux pas mener à bien ce qui est de ma responsabilité avec objectivité et professionnalisme ». 

Elle a dit que la loi s’applique pour établir des faits et que lorsque les faits sont établis, « nous ne pouvons pas permettre que cela obscurcisse notre vision sur ce qui est une violation du droit international humanitaire ». 

Interrogée sur ce qu’elle pense de la critique qui lui est faite de ne pas rechercher la paix, Albanese a été très claire : « Il n’y a pas de contradiction entre chercher à documenter les droits humains et rechercher la paix. Je ne vois personne recherchant la paix qui ne respecterait pas les droits humains, qui sont une précondition de la paix. 

Albanese déclare que son mandat n’est pas de négocier la paix mais qu’il « n’y a rien que je veuille plus que de voir la paix. Toutefois, une paix non fondée sur le respect du droit international et sur les droits humains fondamentaux et un oxymore ». 

En conclusion, Albanese a donné sa propre empreinte sur la façon dont elle devrait être jugée dans ce poste. « Je me sens obligée d’accomplir le mandat de la rapporteure spéciale de façon impartiale, en abordant chaque personne avec dignité, en recherchant la vérité et tous les aspects des incidents avec empathie. Finalement, c’est là-dessus que je serai jugée ». 


Source : AlMonitor

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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