Israël utilise les logiciels espions, les armes et la technologie agricole pour accroître son influence en Afrique

Par Zwelivelile Mandela, le 20 avril 2022

Israël recueille des avantages diplomatiques au moyen de la diplomatie du carnet de chèques et d’un soutien discutable à des dictateurs (Reuters)

Le mois dernier, j’ai pris la parole lors de la conférence inaugurale du Pan-African Palestine Solidarity Network (PAPSN) (Réseau Panafricain de Solidarité avec la Palestine, RPSP) à Dakar, Sénégal, où des militant·es de 21 pays d’Afrique se rassemblaient pour édifier à l’échelle du continent un mouvement de soutien à la lutte de libération palestinienne contre l’apartheid israélien. 

J’avais l’honneur d’être en compagnie de jeunes Africain·es qui ont réaffirmé avec courage la position historique de l’Afrique sur la Palestine et le lien indéfectible entre les Africains et les Palestiniens — ces peuples qui partagent un combat commun contre l’occupation, le colonialisme et l’apartheid. J’imagine que ce sentiment de camaraderie est similaire à ce que mon grand-père Nelson Mandela a pu ressentir il y a 60 ans, quand il s’est rendu à Dakar pour mobiliser le soutien africain à la lutte de libération sud-africaine. 

Les délégué·es du RPSP ont étudié la pénétration du régime israélien d’apartheid en Afrique par la fourniture de technologies militaires et de surveillance à plusieurs gouvernements répressifs, et la façon dont cela a affaibli la démocratie et les droits humains en Afrique ainsi que la solidarité avec la Palestine sur ce continent. J’ai indiqué mon accord avec cette évaluation quand j’ai pris la parole à l’évènement public du réseau, le 12 mars. 

J’ai souligné qu’Israël avait déployé ses tentacules en Afrique. Cherchant fébrilement à trouver des alliés au moment où un nombre croissant d’organisations de défense des droits humains très respectées le désigne comme un État d’apartheid, Israël utilise les technologies de surveillance, militaires et agricoles comme une monnaie lui permettant d’acquérir une légitimité en Afrique. Ce faisant, Israël s’est introduit de façon insidieuse dans les structures africaines, ouvertement ou clandestinement. 

Ce ne sont pas là des clichés antisémites, comme l’ont affirmé sur un ton hystérique certains médias sud-africains favorables à Israël. Selon une décision récente de la cour constitutionnelle sud-africaine, critiquer Israël, ce n’est pas attaquer le judaïsme. Il existe une distinction claire entre le judaïsme et le sionisme, ainsi qu’entre les Juifs et les apologistes d’Israël. 

Attiser les feux de la guerre

L’exportation d’armes — testées sur les Palestiniens dans les territoires palestiniens occupés— vers certains des régimes les plus meurtriers d’Afrique a constitué un élément central de la diplomatie d’Israël depuis des décennies, comme il cherchait à renouer des liens avec de nombreux pays du continent africain qui l’avaient boycotté après la guerre de 1973, dite de Yom Kippour.

Israël a armé le régime sud-africain d’apartheid dans les années 1970 et 1980. Dans les années 1990, le gouvernement israélien a violé l’embargo international sur la fourniture d’armes au Rwanda, et a fourni des armes à la fois aux forces gouvernementales hutues et à l’armée rebelle de Paul Kagame alors qu’un génocide était en cours.

Israël a de nouveau violé l’embargo international sur les armes en approvisionnant les milices du Sud-Soudan, alignées sur le gouvernement, ainsi que les forces d’opposition dans la guerre civile sanglante de ce pays. Honteusement, les entreprises d’armement israéliennes ont acheminé pour 150 millions de $ d’armes létales sous couvert d’un projet agricole au Sud-Soudan.

Depuis des années, Israël entraîne et arme les unités militaires qui protègent les régimes présidentiels oppressifs du Cameroun, de l’Ouganda, de la Guinée équatoriale et du Togo. Ce faisant, elle maintient au pouvoir ces dictateurs.

Renforcer des dictatures

Israël fournit aussi à plusieurs gouvernements africains du cyber-armement, notamment le logiciel d’espionnage Pegasus du groupe NSO et les outils de la société affiliée Circles, pour contrecarrer toute dissidence et empêcher d’agir les journalistes, les opposant·es politiques et les militant·es des droits humains, et même espionner d’autres leaders africains, y compris le président Cyril Ramaphosa. Le logiciel d’espionnage peut décrypter des communications chiffrées sur tout smartphone iPhone or Android.

Depuis quelques années, Tel Aviv cherche à séduire les dirigeants africains avec sa technologie d’espionnage, espérant bénéficier ainsi de votes favorables au sein des Nations unies et de l’Union africaine. Aider des dirigeants à rester au pouvoir — même aux dépens des droits humains des Africains — s’est avéré pour le gouvernement israélien une manière efficace de se faire des amis sur le continent.

Implication dans les élections africaines

Des sociétés et des personnes israéliennes sont par ailleurs impliquées dans les campagnes électorales dans presque tous les pays d’Afrique, affaiblissant certaines des démocraties les plus stables d’Afrique.

Il y a eu une forte implication israélienne avant les élections de 2014 au Botswana, où l’on a vu des dizaines de consultants israéliens liés au Mossad, agence d’espionnage israélienne, mettre sur pied une “war room”, ou cellule de crise, au service du parti au pouvoir.

Pegasus a été utilisé pour espionner les journalistes et autres personnalités politiques avant les élections au Ghana en 2016. En 2020, le journal ghanéen Herald a révélé l’implication de spécialistes israéliens du renseignement qui cherchaient à influencer le résultat de l’élection devant se tenir cette année-là dans ce pays.

Des allégations similaires ont été faites au sujet de l’implication d’experts israéliens du renseignement avant l’élection présidentielle au Malawi en 2020. Auparavant, les systèmes du Zimbabwe et de la Zambie en matière d’enregistrement de la population et d’élections ont été entre les mains d’une compagnie israélienne liée au Mossad.

Des groupes israéliens ont par ailleurs mené des campagnes de désinformation en Afrique. 

En 2015, avant les élections au Nigéria, des experts israéliens ont piraté la messagerie personnelle de Muhammadu Buhari, qui était candidat de l’opposition. Les informations obtenues ont été utilisées dans des campagnes WhatsApp et Facebook contre Buhari. 

Quatre ans après, l’Archimedes Group (Groupe Archimède) — groupe israélien de conseil politique qui se vantait sur son site web de pouvoir “changer la réalité selon les vœux de [son] client” et d’avoir un impact significatif sur les élections présidentielles dans le monde entier — a manifestement soutenu Buhari lorsqu’il a remporté les élections de 2019. Des posts sur un compte Facebook tenu par Archimedes chantaient les louanges de Buhari et couvraient de boue son opposant, Atiku Abubakar.

Par la suite, Facebook a fermé des centaines de faux comptes Instagram et Facebook— tous gérés par Archimedes depuis Israël — destinés à manipuler les élections, non seulement au Nigéria, mais aussi au Sénégal, au Togo, en Angola, au Niger et en Tunisie.

Ces comptes partageaient des nouvelles en rapport avec les élections et des critiques concernant les hommes et femmes politiques pris pour cibles, tout en se présentant comme des médias locaux. 

Il ne s’agit pas là de sociétés privées faisant des affaires en Afrique. 

Recueillir des bénéfices diplomatiques

Les sociétés israéliennes d’armement et de technologie d’espionnage sont obligées d’obtenir des licences d’exportation auprès du ministère israélien de la défense. Cela fournit au gouvernement israélien un levier d’influence déterminant et transforme ces sociétés en extension de la politique étrangère du gouvernement. 

“Si notre ministère de la défense est aux postes de commande de ces systèmes, nous pourrons les exploiter et en recueillir les bénéfices diplomatiques”, a indiqué un collaborateur de l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. 

Israël est très dépendant de diverses firmes israéliennes privées, d’hommes ou femmes d’affaires, de consultants, d’intermédiaires israéliens qui tirent parti de leur accès aux coulisses africaines du pouvoir pour servir les intérêts de l’État israélien. La méthode diplomatique d’Israël en Afrique, reposant sur le rôle des intermédiaires, fonctionne bien.

La diplomatie du carnet de chèques à l’œuvre

Au nom du développement et de la sécurité alimentaire, Israël promet à l’Afrique des technologies en matière d’eau et d’agriculture. Mais Israël ne contribuera à la lutte contre la pauvreté en Afrique que si cela favorise ses intérêts politiques.

Quand le Sénégal a soutenu en 2016 la Résolution 2334 des Nations unies qui affirme à nouveau l’illégalité des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est, Israël a réagi en annulant tous les programmes d’aide à ce pays — alors même que le ministère israélien des affaires étrangères leur donnait une grande publicité dans le cadre de la contribution israélienne à la lutte contre la pauvreté en Afrique. 

L’assistance d’Israël aux États africains — sous forme de technologies de surveillance, militaires ou agricoles — n’est pas philanthropique. Elle exige un remboursement diplomatique aux Nations unies et à l’Union africaine. Cela sent la relation condescendante, transactionnelle. La diplomatie du carnet de chèques est à l’œuvre. Telle est la réalité du projet sioniste en Afrique. 

C’est ainsi que l’Afrique — qui fut naguère un bastion de la solidarité avec la Palestine — s’est laissée aveugler par les promesses d’Israël en matière d’armes, de logiciels d’espionnage et d’aide à l’agriculture au point d’accueillir un État d’apartheid au sein de l’Union africaine. 

Nous devons mener une réflexion approfondie sur la façon dont la diplomatie dissimulée d’Israël de l’apartheid s’est infiltrée insidieusement dans la psyché africaine. Nous devons rejeter les efforts d’Israël pour coopter l’Afrique. Si nous ne le faisons pas, nous continuerons à être complices de bains de sang — en Afrique et en Palestine.

Zwelivelile Mandela est un parlementaire sud-africain, chef du Conseil traditionnel Mvezo et petit-fils de Nelson Mandela.

Source : Mail & Guardian

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

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