Note explicative : La menace d’une expulsion de masse dans Masafer Yatta

Le 14 mars 2022

La Cour suprême d’Israël pourrait déplacer plus de 1000 Palestiniens pris dans une « zone de tir » militaire. Voilà ce que vous avez besoin de savoir avant l’audition finale du 15 mars.

Une Palestinienne près de sa maison démolie, mise en pièces par les bulldozers israéliens au village de Khirbet al-Halawah, dans la Zone de tir 918, Sud des Collines d’Hébron, Cisjordanie, 3 février 2016. (Oren Ziv/Activestills)

Qu’est-ce que Masafer Yatta?

Masafer Yatta est une zone rurale en Cisjordanie occupée, dans la région sud des Collines d’Hébron. Située en « Zone C », elle est sous total contrôle israélien militaire et civil. Il y a 20 petits villages palestiniens dans cette zone, avec d’anciennes structures de caves construites dans le roc ainsi que des maisons plus récentes construites dans les dernières décennies lorsque les communautés se sont agrandies. 

Pourquoi est-ce dans les actualités en ce moment ?

Le 15 mars, la Cour suprême d’Israël tiendra une audience décisive qui pourrait déterminer le futur de huit de ces 20 communautés palestiniennes résidant dans Masafer Yatta. Plus de 1000 Palestiniens vivant dans ce qu’Israël appelle « zone de tir 918 » sont confrontés à la menace d’une expulsion, dans ce qui constituerait un des plus importants déplacements de Palestiniens en une seule fois depuis des décennies.

Si le tribunal approuve l’expulsion de ces huit communautés, cela constituera un précédent juridique majeur pour juger d’autres cas où des communautés palestiniennes vivent dans des zones de tir en Cisjordanie.

Attendez, qu’est-ce qu’une zone de tir ?

Depuis les années 1970, Israël a désigné quelque 18 % de la Cisjordanie occupée comme zones de tir pour l’entraînement militaire, zones à l’intérieur desquelles l’armée interdit complètement la présence de civils. Près de 40 communautés palestiniennes d’éleveurs, dont celles de Masafer Yatta, se trouvent à l’intérieur de ces zones, avec une population totale de plus de 6200. Beaucoup de hameaux palestiniens existaient dans ces zones avant les fermetures militaires. 

Des enfants de Jinbeh, un village palestinien de Cisjordanie occupée, regardent l’armée israélienne faire un exercice, le 3 février 2020. (Keren Manor/Activestill.org)

Les autorités israéliennes ont menacé ces communautés de démolitions de leurs maisons et de la destruction de leur moyen d’existence agricole, sur le motif qu’elles n’ont pas de permis de construire, qui sont effectivement impossibles à obtenir. Quelques-unes des familles palestiniennes ont été déplacées à plusieurs reprises pour de courtes périodes de temps pour faire place à des entraînements militaires. 

Donc qu’est-ce que la zone de tir 918 ?

Au début des années 1980, Israël a déclaré une nouvelle zone d’entraînement militaire dans la région de Masafer Yatta, une zone s’étendant sur 3000 hectares (30000 dounams) à l’intérieur de laquelle sont situés 12 villages palestiniens : Jinbeh, Al-Mirkez, Al-Halaweh, Halat a-Dab’a, Al-Fakheit, A-Tabban, Al-Majaz, A-Sfai, Megheir Al-Abeid, Mufagara, A-Tuba et Sarura.

La décision d’allouer cette terre à l’armée a été prise par Ariel Sharon, lorsqu’il était ministre de l’agriculture, avec l’intention explicite de transférer les communautés palestiniennes de la zone. Pendant une réunion, en juillet 1981, du Comité ministériel pour les Affaires de peuplement [colonial], Sharon (qui deviendrait plus tard Premier ministre d’Israël) argua que, à cause de l’« expansion des villageois arabes depuis les collines », Israël avait « un intérêt à y étendre et à y élargir les zones de tir, afin de garder ces zones, qui sont si vitales, dans nos mains ». 

Y-a-t-il déjà eu des expulsions dans Masafer Yatta?

Pendant plusieurs années après la déclaration de la région comme zone de tir, la vie n’a pas beaucoup changé pour les résidents palestiniens de Masafer Yatta. Puis, en 1999, l’armée israélienne a expulsé quelque 700 résidents pour la raison qu’ils « vivaient illégalement dans une zone de tir » et n’étaient de fait pas des résidents permaments de la zone. En réponse à un appel de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI), la Cour suprême a publié une injonction provisoire selon laquelle les résidents étaient autorisés à retourner dans leurs villages jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise par la Cour. 

Y-a-t-il eu des développements depuis ?

L’injonction provisoire du tribunal est plus ou moins restée le statu quo dans Masafer Yatta pendant les deux dernières décennies. De multiples audiences ont été tenues pendant ce temps et l’Etat a maintenu sa position en faveur d’une expulsion des résidents palestiniens, tout en continuant à déclarer qu’ils n’étaient pas des résidents permanents dans la zone quand la zone de tir a été officialisée et que donc ils n’ont aucun droit sur cette terre. 

Des manifestants défilent à A-Rakeez, zone de Massafer Yatta, Sud de Hébron, vers l’avant-poste d’Avigail, une semaine après qu’Harun Abu Aram, 24 ans, a reçu une balle dans la nuque alors qu’il essayait d’empêcher des soldats israéliens de confisquer le générateur d’un voisin. 8 janvier 2021. (Keren Manor/Activestills)

En 2012, Israël a envoyé sa position actualisée au tribunal, disant qu’il projetait d’expulser huit des 12 villages de la zone de tir. Des résidents de ces huit villages, situés dans la partie sud de la zone de tir, risquent une expulsion forcée dans l’action en justice à venir.

Les tentatives continues de l’Etat pour expulser les villageois ont inclus de leur offrir un prétendu «  compromis  » qui aurait autorisé les villageois à travailler la terre à l’intérieur de la zone de tir seulement pendant les week-ends, les congés juifs et pendant deux mois non consécutifs par an. Les résidents ont rejeté ces propositions, disant qu’elles limiteraient leur capacité à subsister à partir de l’agriculture et de l’élevage au point qu’il leur serait impossible de maintenir leur moyen d’existence. 

Est-ce que ce qu’Israël essaie de faire est légal ?

Non, pour de multiples raisons. Selon le droit international, et comme cela est détaillé dans des traités dont Israël est partie prenante, il est illégal d’utiliser un territoire occupé pour un objectif qui sert seulement l’occupant et non la population occupée. De plus, le droit international interdit le transfert forcé de la population occupée.

L’Etat a affirmé de plus qu’une raison pour laquelle il a besoin du terrain dans Masafer Yatta est d’entraîner les soldats pour une guerre possible au Liban. Mais ici, le droit international stipule qu’un tel usage militaire du territoire occupé peut être fait seulement pour la gestion directe ou les besoins de sécurité du territoire occupé lui-même, rendant l’objectif déclaré d’Israël en ce qui concerne le Liban tout aussi illégal. 

Un Palestinien âgé confrontant la police des frontières israélienne pendant une manifestation à A-Rakeez, zone de Massafer Yatta, Sud de Hébron, 8 janvier 2021. (Keren Manor/Activestillls)

Il est important de noter qu’Israël est complètement conscient de ses violations du droit international à cet égard. En fait, avant de présider la Cour suprême israélienne, Meir Shamgar a écrit en 1967 en tant que procureur général militaire qu’expulser des Palestiniens de leurs maisons pour créer des zones de tir était illégal selon le droit international. 

« A notre avis, une population civile ne devrait pas être évacuée d’un territoire pour créer une zone d’entraînement pour l’armée israélienne. Ceci à la fois pour des raisons politiques et humanitaires et pour des raisons liées aux dispositions du droit international. L’article 49 de la Convention de Genève, dont Israël est partie prenante, interdit explicitement le transfert forcé des civils d’un territoire occupé, sauf dans les cas où des raisons militaires impérieuses le nécessitent. Dans notre cas, il n’est pas possible d’affirmer que des raisons militaires nécessitent sans conteste l’évacuation des zones désignées comme zones d’entraînement et en tant que tel, le transfert forcé de la population de ces zones serait une violation des termes du traité mentionné ci-dessus. »

A quelles pressions des autorités israéliennes les résidents de Masafer Yatta ont-ils été confrontés ces dernières années ?

Bien qu’il n’y ait eu aucune expulsion directe depuis 1999, les résidents de Masafer Yatta ont été confrontés à une pression croissante de quitter la zone de leur plein gré. Depuis 2006, l’organisation des droits humains B’Tselem a documenté la démolition de plus de 64 structures résidentielles (foyers de 346 personnes) et de 19 structures non résidentielles de ces communautés. En date de 2020, il y a de plus 455 ordonnances de démolition actives pour des structures dans la zone de tir 918, ce qui constitue presque toutes les structures de la zone.

L’armée israélienne utilise aussi la zone pour l’entraînement (sans munition, tant que l’affaire est toujours en cours), ce qui provoque des dommages aux terres et aux biens des Palestiniens. Par exemple, en février 2020, l’armée a fait un exercice militaire majeur près du village de Jinbeh, un des hameaux dont la démolition est prévue. 

Quel impact les colons israéliens ont-ils sur les résidents palestiniens locaux ?

Les résidents de Masafer Yatta ont été depuis longtemps accablés par l’installation d’avant-postes de peuplement illégaux et par la violence des colons. Des parties des avant-postes de Mitzpe Yair, Avigayil et Havat Ma’on sont effectivement situées à l’intérieur de la zone de tir 918, le dernier s’étant étendu pas plus tard que le printemps dernier.

Des colons israéliens assaillant des résidents palestiniens et des militants solidaires pendant une attaque sur une récolte d’olives dans la ville de Surif, au sud des Collines de Hébron, Cisjordanie, 12 novembre 2021. (Shay Kendler)

Des Palestiniens vivant dans Masafer Yatta décrivent des attaques de colons qui vont en s’intensifiant. Au milieu des attaques et du vandalisme réguliers qui se produisent quand des colons descendent sur les villages palestiniens depuis leurs avant-postes, l’année passée a vu quelques incidents particulièrement éhontés. Par exemple, le 1er juin 2021, des colons ont brûlé l’équivalent d’une année entière de fourrage pour nourrir les moutons appartenant à une famille palestinienne de Tuba.

Le 29 septembre, des dizaines de colons masqués ont lancé un pogrom à Mufagara, pendant lesquel ils ont attaqué un berger palestinien et égorgé trois de ses moutons avant de déferler sur le village armés de fusils, de matraques et de pierres. Pendant que les colons semaient le chaos dans le village, envoyant un enfant de trois ans à l’hôpital avec une fracture du crâne, l’armée israélienne était présente mais n’est pas intervenue. Cette attaque en particulier a marqué une escalade, même pour une communauté accoutumée à ce que ses enfants aient besoin d’une protection de l’armée contre la violence des colons quand ils vont à l’école ou en reviennent chaque jour. 

Que peuvent faire les gens pour essayer de stopper les expulsions ?

Une liste de ressources relatives à Masafer Yatta est disponible sur le site web de la campagne #SaveMasaferYatta, où vous pouvez aussi vous inscrire pour recevoir des mises à jour sur la lutte contre l’expulsion.

Malgré l’expansion incessante du projet de peuplement colonial d’Israël, il y a de nombreux exemples d’autres communautés palestiniennes menacées sérieusement de déplacement et/ou de destruction et qui sont encore debout, par une combinaison d’organisation sur le terrain et de pression internationale — que ce soit Sheikh Jarrah, Susiya, ou Khan al-Ahmar.

Ecrit par Ben Reiff, Maya Rosen, Natasha Roth-Rowland, et Yuval Abraham.

Source : +972 Magazine

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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