Cadrer le Plan de partition de la Palestine

Par Lorenzo Kamel 

De nombreuses opinions différentes foisonnent à propos de la Résolution 181, mais un fait ne peut être nié, ni négligé : ce n’était pas une solution née des Etats mondiaux « libres et souverains » de l’époque.

L’arrivée de Lord Balfour à Jaffa lors de sa première visite en Palestine. American Colony Photo Dept./Papers of John D. Whiting

La Résolution 181, approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) le 29 novembre 1947, suggérait la création de deux Etats, un Etat juif et un Etat arabe. Ce plan pour la partition de la Palestine aurait établi l’Etat juif sur une superficie d’approximativement 14 100 km2, soit 56,47 % du pays total, superficie qui devait être peuplée par cinq cent mille juifs, quatre cent mille Palestiniens arabes et quatre-vingt douze mille Bédouins (dans le désert du Néguev). Cela signifie que l’Etat juif devait accueillir un nombre presque égal de juifs et de Palestiniens arabes. A l’époque, dans la région entre le Jourdain et la Méditerranée, les juifs représentaient environ 30% de la population totale et possédaient approximativement 6, 7% de la terre (« posséder la terre » n’était pas commun dans la région : dans l’Iraq de 1951, par exemple, seulement 0,3 % des terres recensées étaient possédées à titre de « propriété privée »).

En ce qui concerne l’Etat arabe conçu par l’AGNU, il aurait couvert approximativement 11 500 km2 (42,88 % du total), avec dix mille juifs et huit cent mille Palestiniens arabes. Jérusalem, par ailleurs, devait être soumise à un Régime international spécial sous le contrôle des Nations Unies.

Le Plan de partition a provoqué des contestations territoriales, démographiques et existentielles. Par exemple, les Palestiniens arabes se sont plaints de ce que, malgré la politique d’immigration britannique à la fin des années 1930 et dans les années 1940, un large pourcentage de la population juive était faite d’immigrants récents et qu’à peine quatre décennies plus tôt, au début du vingtième siècle, les Palestiniens arabes représentaient environ les neuf dixièmes de la population totale. Cette majorité locale incluait seulement un petit pourcentage d’immigrants récents des régions voisines (et pas d’autres continents) qui, en grande partie, compensait une vague de migration vers l’extérieur. Dans la seconde moitié des années 1930, dû un état de désordre public, la Palestine a vu un substantiel mouvement vers l’extérieur de Palestiniens arabes, principalement vers l’Amérique du Sud, qui accueille la plus large présence palestinienne en dehors du monde arabe. 

Le leadership sioniste, d’un autre côté, affirmait que le futur Etat juif incluait le désert du Néguev (connu sous le nom de Naqab dans les anciens textes égyptiens), un environnement inhospitalier qui ne pourrait être utilisé qu’après des investissements massifs en capitaux et où les juifs constituaient environ 1 % de la population totale de l’époque. De plus, les juifs sionistes s’opposaient vivement à l’exclusion de la région à l’est du Jourdain (Transjourdain), certains d’entre eux affirmant que « la Grande-Bretagne volait le peuple juif des trois-quarts de son pays ». 

La plupart des leaders sionistes étaient convaincus que le Mandat pour la Palestine, confié à la Grande-Bretagne par la Ligue des nations pour administrer la Palestine, englobait à la fois la zone occidentale du Jourdain et le Transjourdain. Selon leur opinion, le Transjourdain était donc inclus dans le « Foyer national juif », même s’il ne contenait à l’époque aucune communauté juive.

 Cependant, ce narratif, qui est encore populaire parmi une minorité d’universitaires, néglige le fait que le Livre blanc britannique de juin 1922 —qui excluait le Transjourdain de la Palestine—avait été demandé et reçu par la Ligue des nations avant la confirmation du Mandat en juillet 1922. Dans les mots du futur premier Président de l’Etat d’Israël, Chaim Weizmann : «  On nous a clairement fait comprendre que le Mandat ne serait confirmé qu’à la condition que nous acceptions le programme dans son interprétation du Livre blanc [de 1922], et que mes collègues et moi devions donc l’accepter, ce que nous avons fait, bien que pas sans quelques scrupules ». 

Le rôle des Nations Unies et sa Résolution 181 ont déclenché plusieurs autres réclamations contradictoires. On a fait valoir, par exemple, que les Nations Unies assignait à l’Etat juif une région substantielle d’un territoire qui n’avait jamais été partie intégrante d’un quelconque royaume israélite antique (y compris la plaine côtière entre Ashkelon et Ashdod), et que, d’un autre côté, ils assignaient aux Palestiniens arabes plusieurs régions qui faisaient partie des anciens royaumes israélites. De plus, selon les Palestiniens arabes, les Nations Unies ne tenaient pas compte de leurs besoins économiques et sociaux de manière adéquate : la disposition d’un port stratégique sur la Mer rouge ou d’une route directe de communication vers la Syrie leur était interdite. Et cela en plus du fait qu’environ un cinquième de la terre cultivée avec du blé et toute la zone cultivée avec des agrumes allaient à l’Etat juif. Dans les mots du secrétaire du Bureau de la Ligue arabe à Londres, qui était alors Edward Atiyah (1903-1964) :

«  Non seulement on donnait aux juifs …la partie la plus grande et la plus fertile du pays avec la section la plus utile de la plaine côtière et le seul bon port, de sorte que les Arabes étaient presque exclus des communications maritimes effectives, mais 500 000 Arabes (soit près de la moitié de la population arabe) devaient en plus être laissés à l’intérieur de l’Etat juif. Un grand nombre d’entre eux étaient les habitants de Jaffa, la plus grande cité purement arabe de Palestine et le principal port maritime des Arabes. ». 

Qui a voté pour le Plan de partition ? 

La Résolution 181, approuvée le 29 novembre 1947, a eu de loin les réverbérations internationales les plus significatives de l’histoire des Nations Unies. Cependant, il est important de noter que la résolution n’a pas été discutée dans une Assemblée générale incluant les 193 pays qui la composent aujourd’hui. En fait, l’Assemblée générale en question était composée seulement de 56 Etats, représentant environ un cinquième de la population mondiale. Plus précisément, la résolution a été approuvée par trente-trois pays, treize exprimant leur opposition, et dix s’abstenant. 

Avec 56 Etats membres, il aurait fallu les votes de 37 pays pour satisfaire les deux-tiers de majorité nécessaires pour l’approbation. Cependant, parce que les Etats s’abstenant étaient exclus du compte global, la résolution a pu passer avec le vote positif de seulement trente-trois Etats membres. Si les Etats s’abstenant avaient été comptés, comme cela a été le cas avec d’autres résolutions, cette résolution n’aurait pas pu passer.

Les pays qui n’ont pas participé au vote parce qu’ils n’étaient pas encore membres étaient la Suisse, la Suède, Malte, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et, bien sûr, les principaux perdants de la Deuxième Guerre mondiale : l’Allemagne, l’Italie, le Japon, l’Autriche et la Roumanie. Etait aussi exclue presque toute l’Afrique, dont les pays étaient encore sous la domination ou l’influence directe des puissances coloniales comme la Grande-Bretagne, la France, la Hollande, la Belgique et l’Espagne. A part l’Ethiopie (« libérée » par les Britanniques en 1941), le Libéria (établi sur la base des « principes politiques de la Constitution des Etats-Unis ») et l’Egypte (qui vota contre la partition), le seul Etat africain non-arabe admis à l’Assemblée générale était l’Afrique du Sud de l’apartheid.

La situation en Asie n’est pas dissemblable. Il suffit de mentionner que la personnalité choisie par les puissances occidentales pour représenter la Chine était Chiang Kai-Shek, un leader anti-communiste despotique lourdement soutenu et finacné par les Etats-Unis et leurs alliés. Même dans les années et les décennies qui ont suivi, les puissances occidentales ont continué à offrir un soutien inconditionnel à Chiang Kai-Shek, et quand ce dernier a été contraint à l’exil sur la minuscule île de Taiwan (1949), la majorité des gouvernements occidentaux l’ont reconnu comme le seul représentant du pays le plus peuplé du monde. En dépit de n’avoir ni contrôle, ni souveraineté sur sur la quai-totalité du pays, la « République de Chine » de Chiang Kai-Shek a continué à représenter la totalité de la Chine aux Nations Unies jusqu’en 1971. 

Les pays qui ont voté en faveur de la Résolution 181 incluait les Etats d’Amérique centrale et du Sud, qui à l’époque étaient à peine plus que des pays satellites des Etats-Unis, dépendant complètement sur le plan économique de Washington. D’autres pays qui ont approuvé la résolution incluaient des Etats qui, au mieux, avaient une souveraineté limitée, comme la Pologne, la Tchécoslovaquie et les autres pays qui avaient été libérés par les deux super-puissances émergentes, les Etats-Unis et l’Union soviétique. En ce qui concerne cette dernière, Bernard Lewis a remarqué que Staline « voyait dans l’émigration juive en Palestine et dans la lutte pour un Etat juif un moyen utile d’affaiblir et éventuellement d’éliminer la puissance de la Grande-Bretagne, qui était encore alors son principal rival occidental au Moyen Orient », tandis que Daniel Pipes est allé un peu plus loin en soutenant que « Staline apparemment croyait en un pouvoir juif si large que, s’il était ligué avec les Britanniques, il submergerait les initiatives soviétiques ».

Tout cela illustre le fait que l’Union soviétique, les puissances occidentales (avec l’exception de la Grande-Bretagne, qui s’est abstenue sur la Résolution 181) et leurs « pays subordonnés » ont suggéré une solution qui appuyait leurs intérêts spécifiques et avait un soutien international très limité. 

Si certains peuvent considérer la Résolution 181 comme un acte de justice en faveur d’un peuple persécuté et/ou la seule solution pratique, d’autres peuvent la regarder comme une imposition inacceptable sur des centaines de milliers d’êtres humains, et une partie d’un processus qui a encouragé «  les catégories racialisées ». Elle pourrait en effet être tout cela. Cependant, un aspect est vrai sans question : ce n’était en aucune façon une solution née d’un jugement sans préjugé des Etats mondiaux « libres et souverains » de l’époque. Cette considération apparaît encore plus pertinente à la lumière des mots écrits par un protagoniste de cette phase historique (et des décennies suivantes), l’écrivian et politicien israélien Uri Avnery :

« Personne n’a demandé aux Palestiniens arabes d’accepter ou de rejeter quoi que ce soit. Si on leur avait demandé, ils auraient probablement rejeté la partition, puisque — dans leur opinion — elle donnait une large partie de leur patrie historique à des étrangers. Les gouvernements des Etats arabes ont rejeté la partition, mais ils ne représentaient certainement pas les Arabes palestiniens, qui étaient à l’époque encore sous domination britannique (comme nous l’étions) ».

Qui a rejeté quoi 

Dans les huit mois qui ont suivi le vote de la Résolution 181, environ 450 villages palestiniens furent rasés totalement par les forces israéliennes. Jusqu’à 770 000 personnes — y compris environ vingt mille juifs expulsés de Hébron, Jérusalem, Jénine et Gaza par les milices arabes — ont été chassés en quelques jours, et ensuite interdits de retour, par la contrainte. Quelques-uns s’enfuirent par peur, souvent après avoir été témoins du sort tragique de leurs parents et amis et de la «  saisie organisée » de leurs biens. Un exemple en est l’expulsion de masse des Palestiniens des villes de Lydda et Ramle en juillet 1948, qui a représenté un dixième de l’exode palestino-arabe tout entier. La plupart des cinquante à soixante-dix mille Palestiniens qui ont été expulsés des deux cités l’ont été par un ordre d’expulsion officiel du commandant de la Brigade Harel de l’époque, Yitzhak Rabin : « Les habitants de Lydda », précisait Rabin, «  doivent être expulsés rapidement sans tenir compte de l’âge ». Plusieurs centaines d’entre eux moururent pendant cet exode forcé, d’épuisement et de déshydration. 

Plusieurs études récentes, y compris Dear Palestine [Chère Palestine], de Shay Hazkani, ont offert une abondance de sources primaires exposant des déclarations du fondateur d’Israël, David Ben-Gourion, et du premier ministre de l’Agriculture d’Israël, Aharon Zisling, qui disaient : «  Nous devons les effacer [les villages palestiniens] » et «  pardonner les cas de viol » contre les Palestiniennes. D’un autre côté, les leaders et commandants arabes locaux avertirent explicitement que « les maisons et les villages vidés de leurs habitants [palestiniens arabes] en violation des ordres seraient sujets à démolition et à destruction ».

Pendant les soixante-dix ans suivants, une pléthore d’observateurs et d’universitaires lieraient le commencement du problème des réfugiés palestiniens, et plus généralement le conflit israélo-palestino-arabe, « au rejet arabe » de la partition de 1947 des Nations Unies pour la Palestine. Si cette affirmation peut sembler faire sens superficiellement, qui a rejeté quoi dans les années 1940 est en réalité plus compliqué que cela.

Du point de vue des Palestiniens arabes, qui au tournant du siècle constituaient environ 90% de la population, 1947/8 n’a pas marqué le commencement de la lutte, mais a coïncidé au contraire avec le chapitre final d’une guerre qui avait commencé avec la mise en oeuvre de plusieurs politiques et stratégies rejectionnistes contre les Palestiniens.

La périodisation est bien sûr toujours arbitraire. Cependant, il est historiquement exact d’affirmer que l’année qui, plus qu’aucune autre, a fait jaillir les composantes de base du conflit est 1907. Cette année-là, le Huitième Congrès sioniste a créé un « Bureau de Palestine » (le département de colonisation agricole) à Jaffa, sous la direction d’Arthur Ruppin, dont le principal objectif, dans les termes de Ruppin, était « la création d’un milieu juif et d’une économie juive fermés, dans lesquels les producteurs, les consommateurs et les intermédiaires seraient tous juifs ». De fait, « le rejectionisme » figurait de manière proéminente dans la mentalité de Ruppin. 

L’objectif d’une « économie juive fermée » a été partiellement réalisé à partir de 1904 par les dirigeants de la deuxième et de la troisième vagues d’immigration juive en Palestine, grâce à des politiques comme la ha’avoda (conquête du travail) et la pratique de avodah ivrit (travail juif, ou l’idée que seuls des ouvriers juifs doivent travailler des terres juives).

Si toutes deux étaient dictées par la nécessité d’offrir de plus grandes opportunités d’emploi aux nouveaux immigrants, elles ont eu pour conséquence la création d’un système d’exclusion qui a bloqué à son démarrage, avant tout à un niveau idéologique, toute intégration potentielle avec la population arabe locale.

Certains chercheurs ont souligné que la population arabe tendait de même à éviter de recruter des juifs sionistes. Cela, cependant, ne tient pas compte du fait que les Arabes n’avaient qu’un intérêt marginal à employer une minorité de nouveaux immigrants qui avaient une expérience agricole bien plus limitée et ne parlaient pas la langue utilisée par les habitants autochtones. Le fait d’éviter les ouvriers juifs ne faisait pas partie d’une campagne politique organisée.

Il faudrait aussi noter que le « système d’exclusion » et les deux structures parallèles sociales et économiques qu’il a déclenchées ont affecté d’autres questions cruciales comme celle de la terre et de ses ressources. Par exemple, le Fonds national juif (Jewish National Fund, KKL) a été établi avec la tâche d’acheter des terres en Palestine (et il a réussi à acheter les neuf-dixièmes des terres que possèdent au total les acheteurs sionistes). 

Les zones du KKL ont été gérées d’une manière discriminatoire par rapport à la population arabe. Les fermiers du KKL dont on découvrait qu’ils employaient des ouvriers non-juifs étaient sujets à des amendes et/ou à l’expulsion. De telles politiques étaient de fait alarmantes, particulièrement en prenant en compte le but prévu, que le futur premier Président de l’Etat d’Israël, Chaim Weizmann, a souligné dans une lettre à son épouse en 1907 : «  Si nos capitalistes juifs, disons même seulement les capitalistes sonistes, devaient investir leur capital en Palestine, même seulement en partie, il n’y a aucun doute que la ligne de vie de la Palestine — toute la bande côtière — serait dans des mains juives dans l’espace de ving-cinq ans ». 

Les politiques rejectionnistes ont eu un effet immensément perturbateur sur les relations intercommunales en Palestine. Une pléthore de sources primaires des acteurs locaux de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle confirment qu’avant la mise en oeuvre de ces politiques et de ces approches, les relations entre les différentes communautés étaient bien moins conflictuelles.

Par exemple, un éditoral non signé publié dans le quotidien palestinien arabe Filastīn le 29 avril 1914 maintenait : « Jusqu’à il y a dix ans, les juifs constituaient un élément ottoman autochtone fraternel. Ils vivaient et se mélangeaient librement, en harmonie avec d’autres éléments, et entraient dans des relations de travail, vivaient dans les mêmes endroits et envoyaient leurs enfants dans les mêmes écoles ». 

Ces mots, en dépit de leur tonalité apologétique, n’étaient pas loin de la vérité.

L’universitaire et auteur Yaacov Yehoshua a écrit dans ses mémoires, Childhood in Old Jerusalem, [Enfance dans l’ancienne Jérusalem], publiées en 1965, qu’à Jérusalem, « il y avait des complexes communs aux juifs et aux musulmans. Nous étions comme une famille […] Nos enfants jouaient avec leurs enfants [musulmans] dans la cour, et si des enfants du voisinage nous faisaient du mal, les enfants musulmans qui vivaient dans notre complexe nous protégeaient. Ils étaient nos alliés ». Pendant cette période, presque 80% des habitants de Jérusalem vivaient dans des voisinages et des quartiers mixtes.

Tout cela ne devrait pas suggérer que les conflits interreligieux et/ou confessionnels n’existaient pas. Ils ont été documentés dès le Moyen Âge. Pourtant, leur nature et leur étendue étaient à peine comparables à ceux des époques plus récentes. En plus de cela, ils ne reflètent pas l’histoire réelle du passé de la plupart de la région. 

Un échange réciproque de réfugiés ? 

Si la question des réfugiés palestiniens a peu à voir avec le « rejectionisme arabe », la même chose peut être dite en ce qui concerne la tentative de lier les réfugiés palestiniens à l’expulsion des communautés juives de certains pays arabes. Le narratif dominant défend l’idée qu’en même temps que 750000 Palestiniens ont «  fui » ce qui est aujourd’hui Israël, un nombre presque égal — 800000 juifs vivant dans des pays arabes — ont été confrontés à un « déplacement de masse ». Donc, les Palestiniens devraient alors accepter qu’il y ait eu un «  échange de population » entre « réfugiés arabes et juifs », et renoncer à leur demande d’un retour et/ou de compensations.

De fait, des milliers de juifs ont souffert de discrimination, d’oppression, de menaces et de formes variées de violence dans des pays arabes. L’exemple le mieux connu est le Farhud—un pogrom de 1941 contre les juifs au cours duquel 180 juifs furent brutalement tués à Baghdad. Selon Hayyim J Cohen, cela « a été le seul [événement de cette sorte] connu des juifs d’Iraq, au moins pendant les cent dernières années de leur vie là-bas ». Indépendamment de notre accord ou désaccord avec Cohen, les Palestiniens n’étaient pas responsables de ce qui s’est produit à Baghdad ou n’importe où ailleurs au Moyen-Orient. Ils pouvaient bien être arabes, mais ils n’étaient pas, et ne sont pas, le même peuple que les Iraqis.

Les juifs qui ont souffert de discrimination et de brutalité dans certains pays arabes ont des revendications légitimes ; toutes les formes de violence sont également inacceptables et doivent être reconnues et condamnées. En même temps, il faut noter que, contrairement aux réfugiés palestiniens, dont beaucoup ont été expulsés et/ou fui poussés par la peur, un large pourcentage de juifs partirent à cause de leur désir de rejoindre leur « Eretz Yisrael » (Terre d’Israël).

Une personnalité qui est souvent utilisée pour justifier la supposée responsabilité morale des Palestiniens pour la situation des juifs dans les pays arabes est Hajj Amin Al-Husayni, le « Grand Muphti de Jérusalem ».

Al-Husayni était un supporter du Premier ministre Rashid Ali Al-Gaylani en Iraq, qui a cherché à établir des liens plus étroits avec l’Allemagne nazie et l’Italie. C’était à la suite de l’effondrement des gouvernements d’Al-Gaylani que les émeutes ont éclaté à Baghdad, ce qui a conduit au Farhud.

En 1941, Al-Husayni fit route d’abord vers l’Italie et ensuite en Allemagne. Deux ans plus tard, il participa à la formation du Handschar, une divsion nazie créée en collaboration avec le commandant SS Heinrich Himmler, qui combattit les partisans communistes en Yougoslavie et commis des crimes variés contre la population locale, dont de nombreux juifs. Etant donné ses supposées qualifications islamiques, il fut chargé de recruter les musulmans bosniaques et serbes qui, aux côtés de quelques volontaires croates catholiques, formaient le coeur de l’unité. 

Il n’y a eu aucun Palestinien recruté dans le Handschar ; au contraire, quelque 12000 Palestiniens arabes ont rejoint l’armée britannique pour combattre les puissances de l’Axe en 1939.

A cause de sa collusion avec le régime nazi, Al-Husayni est souvent utilisé comme exemple de la rasion dont le peuple palestinien était supposé être responsable de son propre destin tragique. Pourtant, comme des études récentes l’ont montré, il n’était pas un représentant légitime du peuple palestinien et il leur a été imposé par les autorités britanniques pour satisfaire des objectifs stratégiques spécifiques. 

La question de l’« absorption » 

Quand beaucoup de Palestiniens ont été forcés de fuir vers les pays arabes voisins pendant et après 1947/8, il a été interdit à un pourcentage important d’entre eux (jusqu’à très récemment) d’obtenir la citoyenneté et ils ont été bannis de certaines professions. La souffrance des réfugiés palestiniens a été—et dans certains cas est encore —exploitée par le leadership de ces pays pour un gain politique.

Pourtant, la comparaison entre les camps de réfugiés palestiniens au Liban ou en Syrie, et les maabarot—c’est-à-dire les camps d’absorption des réfugiés en Israël dans les années 1950 — prête largement à confusion. La raison pour laquelle le dernier ma’abara a été fermé en 1963 est partiellement liée à l’établissement de plusieurs villes de développement en Israël. Plus important encore, cependant, est le fait que beaucoup de nouveaux immigrants étaient absorbés—dans de nombreux cas après un processus douloureux et violent—en leur donnant des maisons palestiniennes vidées [de leurs habitants]. Toute personne qui a visité Ein Hod, Musrara, Qira, et des centaines d’autres anciens villages, quartiers ou cités palestiniens, est habituée aux milliers de maisons qui sont encore parfaitement intactes. La plupart d’entre elles (sinon toutes) sont habitées aujourd’hui par les familles des « olim » (immigrants). Les réfugiés palestiniens, d’un autre côté, n’avaient pas de maisons vides prêtes à les accueillir : cela n’était pas un détail mineur. 

Il ne devrait donc pas être surprenant, à la lumière des considérations qui précèdent, que beaucoup de responsables israéliens aient rejeté le terme de « réfugié ». Comme le président de la Knesset Yisrael Yeshayahu l’a indiqué en 1975 : «  Nous ne sommes pas des réfugiés. [Quelques-uns d’entre nous] sont venus dans ce pays avant que l’Etat ne soit né. Nous avions des aspirations messianiques ». 

L’ancien membre de la Knesset Ran Cohen a fait un pas de plus en disant : « J’ai ceci à dire : je ne suis pas un réfugié. Je suis venu à l’instigation du sionisme, à cause de l’attraction qu’exerce cette terre, et à cause de l’idée de rédemption. Personne ne va me définir comme un réfugié. » 

Les Palestiniens sont les seuls réfugiés qui ne relèvent pas du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et ont à la place leur propre agence (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ). La raison pour cela et la différence associée (en grande partie sans pertinence) entre « réfugiés dérivés » et « descendants de réfugiés » prennent racine dans la pleine reconnaissance du prix élevé payé par les Palestiniens pour les décisions prises par la « communauté internationale » dans les années 1940. 

Le passé du présent 

Être conscient de tout cela ne veut pas dire minimiser les revendications de quiconque habite actuellement dans ce «  Pays des coeurs douloureux ». C’est au contraire une façon de reconnaître les nombreuses cicatrices qui se trouvent derrière ce conflit, et de comprendre la raison profonde de ce que le leader sioniste Vladimir Jabotinsky, de la ligne dure de son temps, écrivait en juillet 1921 : « Aujourd’hui les juifs sont une minorité en Palestine. Dans vingt ans, ils pourraient être facilement une vaste majorité. Si nous étions les Arabes, nous ne l’accepterions pas non plus ». 

Un siècle après les mots de Jabotinsky, il devient de plus en plus commun d’entendre des analystes et des universitaires affirmer qu’Israël sera bientôt forcé de choisir entre deux options : « la consolidation d’une réalité à un Etat, qui le forcerait alors à devenir un Etat d’apartheid, ou d’accorder aux Palestiniens la pleine citoyenneté ». Ceci et d’autres affirmations similaires, cependant, ignorent ou minimisent un troisième scénario, qui semble bien plus réaliste : Israël annexera la Zone C de la Cisjordanie (tout en bouclant encore plus la Bande de Gaza) et offrira aux Palestiniens «  l’autonomie sous stéroïdes  ». Un tel scénario, proposé par l’actuel Premier ministre d’Israël Naftali Bennett, ne requiert aucune guerre ni l’élimination de la plupart de la population résidant dans la zone : les Palestiniens, relativement rares, qui dans les prochaines décennies pourront encore résider en zone C obtiendront l’option de recevoir la citoyenneté israélienne. 

Encourager une résolution basée sur les droits du conflit israélo-palestinien n’est pas suffisant et ne changera pas ce scénario. Redéfinir l’auto-détermination des Palestiniens et déplacer le focus hors de la question de l’indépendance de l’Etat est certes un pari risqué. Dans les mots de l’entrepreneur palestinien Sam Bahour, le moment où la lutte devient « une lutte purement pour les droits civiques signe la fin de la partie—même si la lutte pour les pleins droits civiques dure encore cent ans ». A la fin, et encore plus à la lumière de l’histoire, personne ne devrait se sentir justifié de dire aux Palestiniens ce qu’ils peuvent ou devraient faire avec leurs droits et leur quête pour l’auto-détermination.

Lorenzo Kamel est un historien et auteur primé. Parmi ses livres figurent The Middle East from Empire to Sealed Identities et Imperial Perceptions of Palestine: British Influence and Power in Late Ottoman Times, qui a reçu le Prix du livre universitaire de Palestine en 2016. Sur Twitter: @lorenzokamel.

Source : The Cairo Review of global affairs

Traduction CG pour l’Agence média Palestine

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