Michael Arria parle avec la directrice de l’activisme économique de l’AFSC, Dov Baum, de la campagne de boycott réussie contre Pillsbury, et de ce qui arrive après.
Par Michael Arria 15 juin 2022
Le 31 mai, General Mills a annoncé s’être désinvesti de son entreprise en Israël et arrêter de fabriquer des produits Pillsbury dans une colonie illégale annexée pendant la guerre de 1967. Ce changement a suivi une campagne de deux années par l’American Friends Service Committee (Comité de Service des Amis Américains, AFSC), qui a appelé les consommateurs à boycotter les produits Pillsbury jusqu’à ce que l’entreprise cesse de les fabriquer sur des terres volées.
General Mills a utilisé l’usine, située dans la Zone industrielle d’Atarot, depuis 2002. Un rapport de 2019 de Al-Haq sur la colonie documente comment l’usine impacte les Palestiniens vivant à proximité. « Quand ils versent la farine [dans les mélangeurs qui sont à l’extérieur], la farine pénètre dans notre maison. Parfois, des sacs de farine débordent dans la maison », expliquait un résident. En 2020, les Nations Unies ont identifié General Mills comme l’une des 112 compagnies qui violent le droit international en opérant dans les territoires occupés.
La déclaration de General Mills à propos du désinvestissement ne mentionne pas la campagne de l’AFSC, ni le dossier d’Israël sur les droits humains. « Ce désinvestissement représente un autre étape dans la stratégie ‘Accélérer’ de General Mills, qui est centrée sur des choix stratégiques à propos des endroits où prioriser nos ressources pour conduire à des rendements supérieurs », affirme-t-elle. « Internationalement, la stratégie inclut des efforts pour remodeler le portefeuille de la compagnie en vue d’une croissance durable et rentable, en augmentant son focus sur des plateformes mondiales avantageuses qui incluent l’alimentation mexicaine, des glaces haut de gamme et des barres pour collation ».
La déclaration a été comme on s’y attend citée par des sites web pro-Israël qui insistent sur le fait que le mouvement BDS ne peut revendiquer le mérite de la victoire. Michael Arria de Mondoweiss a parlé avec la directrice de l’activisme économique de l’AFSC, Dov Baum, sur l’usine, la fin du boycott et la manière d’analyser la déclaration de General Mills.
Pouvez-vous nous parler de l’usine de General Mills et des raisons pour lesquelles le groupe a commencé la campagne ?
« A AFSC nous publions une banque de données des entreprises qui sont directement impliquées dans l’occupation israélienne de manière spécifique et nous regardons toutes les compagnies plus vastes qui exploitent des usines dans des colonies israéliennes de Cisjordanie. Cela, parce que les colonies sont illégales et aussi que, par le simple fait d’être là, ils exploitent des terres confisquées. C’est une terre qui a été confisquée par la force à ses propriétaires légaux autochtones. Ils exploitent le travail captif des ouvriers palestiniens qui n’ont aucun droit civique et donc aucun recours pour s’organiser.
General Mills a été une de ces compagnies pendant des années. General Mills s’approvisionnait en produits Pillsbury depuis une usine dans la Zone industrielle d’Atarot, qui se trouve à Jérusalem-Est et c’est une zone qui a été confisquée à la Palestine il y a de nombreuses années. La compagnie ne possédait pas l’usine, mais y fabriquait effectivement des produits Pillsbury. En fait, l’usine avait un grand signe à l’entrée avec le logo du Doughboy Pillsbury et le mot « Pillsbury » dessus. Ils fabriquaient seulement des produits Pillsbury. Donc nous avons demandé à General Mills d’arrêter de produire dans cette usine. La compagnie est apparue dans une banque de données publiée par le Bureau de la Haute Commissaire pour les droits humains des Nations Unies comme l’une des sept compagnies basées aux Etats-Unies seulement qui opérent directement dans les colonies illégales »
Cette campagne a commencé en 2020. Pouvez-vous nous parler du genre d’actions que vous avez menées pendant cette période et quels autres groupes étaient impliqués ? Je me demande aussi si vous aviez une communication quelconque avec General Mills pendant la campagne.
« Nous avons lancé la campagne peu après avoir écrit à la compagnie et avoir partagé nos inquiétudes sur cette usine. Nous n’avons reçu aucune réponse directe de la compagnie. Nous avons vu des réponses que la compagnie a données aux médias d’informations. Par exemple, ils ont dit des choses comme : « oh, nous donnons aux Palestiniens un bon salaire et un endroit pour travailler », et nous pensions que ce n’était pas une réponse suffisante, si l’on tient compte du fait qu’il y a une campagne palestinienne demandant aux compagnies de cesser de faire des affaires dans les colonies.
Peu après, nous avons lancé la campagne avec le Comité national palestinien de BDS (BNC), nous avions d’autres groupes nationaux et locaux qui ont rejoint la coalition de campagne, comme American Muslims for Palestine [Musulmans américains pour la Palestine], Jewish Voice for Peace (JVP, Voix juive pour la paix), et des groupes locaux dans la région de Minneapolis/St. Paul, qui est là où se trouve le siège de la compagnie. Un de ces groupes était celui des Women Against Military Madness (WAMM, Femmes contre la folie militaire), qui a organisé plusieurs rassemblements à l’extérieur du siège de la compagnie, beaucoup d’entre eux en même temps que les réunions annuelles d’actionnaires de la compagnie.
Il y avait des groupes locaux à Pittsburgh, Oakland, Philadelphie et dans d’autres endroits, qui ont organisé des veilles et des piquets à l’extérieur des épiceries. Par exemple, j’ai contacté QUIT, Queer’s Undermining Israeli Terrorism [Queers sapant le terrorisme israélien], et ils ont organisé plusieurs manifestations vraiment colorées et créatives à l’extérieur des épiceries ici dans la région de la Baie. Ils se sont habillés avec de grands chapeaux de chefs, offrant des gâteaux non-Pillsbury et des coupons pour que les clients achètent des produits « Killsbury ». J’ai trouvé que c’était hilarant. Nous avons aussi eu quelqu’un portant un grand costume de Doughboy qui offrait ces coupons et il était très populaire, particulièrement avec les enfants venant à l’épicerie qui voulaient lui enfoncer leur doigt dans son ventre.
Nous avons aussi une coalition d’investisseurs. Nous avons contacté la compagnie demandant à en apprendre plus sur leurs politiques dans les zones affectées par des conflits. Nous avons participé comme actionnaires aux réunions annuelles et encouragé d’autres investisseurs à poser à la compagnie des questions sur cette usine. Les deux fois où nous avons fait cela, nous avons eu de fait des réponses du PDG de General Mills qui indiquaient qu’il n’était pas très bien informé sur la situation en territoire palestinien occupé, ce qui était pour nous très intéressant à découvrir.
American Muslims from Palestine (AMP) a lancé une opération de pâtisserie pendant les vacances. Pillsbury sponsorise d’habitude une compétition de pâtisserie pendant les vacances, donc ils ont organisé une opération alternative. Au pic des restrictions dues au COVID, c’était difficile de trouver des idées que les gens pourraient réaliser dans leurs maisons pour montrer leur soutien à la campagne. Deux congrégations se sont déclarées « sans Pillsbury ». Une d’elles était la Congrégation de l’Eglise unie du Christ, dont Charlie Pillsbury est membre. Charlie Pillsbury est un descendant direct du Charles Pillsbury qui a fondé la compagnie Pillsbury, qui a plus tard fusionné avec General Mills. Lui et quatre autres membres de la famille Pillsbury ont écrit un article d’opinion dans le Star Tribune [de Minneapolis] l’an dernier appelant à un boycott de Pillsbury.
Charlie a rejoint la campagne de manière très sérieuse. Je veux dire, c’est quelqu’un qui a été actif comme militant depuis de nombreuses années. J’ai eu plusieurs conversations avec lui. Il m’a parlé des campagnes auxquelles il avait participé il y a 50 ans, s’intéressant à la malfaisance des entreprises et à la complicité des grandes compagnies dans toutes sortes de violations des droits des gens pendant les guerres et l’occupation à l’étranger. Donc ce n’est pas sa première campagne. Et cela fait sens pour lui de prendre publiquement position sur la compagnie qui utilise son nom comme marque. C’était un article très puissant. Je pense qu’il a eu un grand impact sur le public général, mais aussi sur la compagnie elle-même »
Quand General Mills a fait cette annonce, ils l’ont formulée comme une décision commerciale et n’ont pas mentionné la campagne du tout. Leur déclaration a été citée par des médias pro-Israël comme la preuve que le mouvement BDS n’avait pas d’impact sur eux. Qu’est-ce que vous pensez de leur déclaration et de cet argument ?
« Il y a deux choses que les gens ont vraiment besoin de comprendre. La première et la plus importante est que les compagnies ne sont pas des sujets moraux. Nous ne nous attendons pas à ce que la compagnie arrive avec une annonce éthique ou de politique morale. Les compagnies ne sont pas des personnes, elles sont des machines à faire de l’argent. Elles sont faites de personnes, mais ce sont des machines qui sont conçues simplement pour maximiser leurs bénéfices nets. Donc pendant les 15 années où j’ai travaillé sur ces questions, j’ai vu des dizaines de compagnies reculer pour ne pas être exposées aux risques de faire des affaires en territoire palestinien occupé. C’est un risque de controverses. C’est un risque juridique potentiel. C’est vraiment une grande controverse dans un très petit marché. Donc c’est une bonne décision commerciale. Je veux juste le dire très clairement, la compagnie nous dit la vérité. C’est une décision commerciale. Je crois qu’une compagnie comme General Mills ne peut se permettre de continuer à faire des affaires dans un territoire palestinien occupé dans une colonie illégale, particulièrement après avoir été mis en lumière comme c’était le cas internationalement par les Nations Unies, parce que c’est une question très controversée. C’est quelque chose qui ne va pas disparaître. Et en tant que compagnie qui essaie de vendre des choses aux gens, je suis sûre qu’ils ne veulent pas être associés à cette controverse.
Et c’est une très petite affaire pour eux. Cette usine est une petite usine. En fait, le marché israélien tout entier est un petit marché. Donc c’est une décision commerciale très solide et raisonnable qu’ils ont prise et c’est très rare qu’une compagnie sorte une déclaration éthique sur ces questions. Je connais deux exemples autour des colonies, le dernier étant Ben and Jerry’s. Avec la situation juridique actuelle et la législation anti-BDS, Ben & Jerry’s peut s’attendre à un contrecoup très sérieux de la part des organisations sionistes et de ces nouveaux mécanismes juridiques grotesques qui pénalisent tout discours sur la Palestine. Donc je pense que General Mills a pris une décision commerciale solide en se retirant de ce marché, mais en même temps en essayant d’éviter ce contrecoup haineux des sympathisants sionistes. Donc ils ont pris une bonne décision. C’est un point important. C’est une bonne décision commerciale, vraiment.
La deuxième chose à noter est qu’ils ont une stratégie de communication très habile. La compagnie a choisi de rendre publique une déclaration sur une restructuration et une vente de la filiale israélienne, General Mills Israel, et de mettre en valeur le fait qu’ils continueront à faire du commerce en Israël. Ils ont dirigé ce message directement vers les médias sionistes et les médias israéliens, ils ont eu de longues conversations avec ces médias. Ils ne veulent pas finir sur cette liste de compagnies qui ont cédé à la pression de la BDS.
Donc je comprends pourquoi ils ont fait cela, mais la communication qu’ils ont rendue publique était trompeuse. Pendant deux ans, notre campagne leur a demandé de cesser de fabriquer des produits Pillsbury dans cette usine, mais leur déclaration originelle ne disait rien à propos de cette usine. Donc vendre leur filiale israélienne ne voulait pas nécessairement dire qu’ils cesseraient de s’approvisionner dans cette usine. Nous avons écrit à la compagnie demandant une clarification là-dessus et, encore une fois, nous n’avons reçu aucune réponse. Dans les derniers jours, notre campagne a publié une déclaration de victoire disant : « oui, nous pensons que la compagnie, vraiment, projette de cesser de s’approvisionner à cette usine ». Nous faisons cela sur la base d’une lecture entre les lignes de leurs déclarations, et « entre les lignes » veut dire qu’ils ont publié une autre déclaration disant qu’ils continueraient à vendre leurs autres marques en Israël, ce qui pour moi veut dire qu’ils ne vendront plus les produits Pillsbury en Israël.
lls ont aussi dit qu’ils se retiraient du commerce de la pâte. L’usine est une ligne de production de pâte surgelée, donc cela signifiait qu’ils cesseraient de produire dans cette usine. Dans l’un des médias d’informations, ils ont été effectivement questionnés sur l’usine et ils ont dit : « Eh bien, c’est une usine de pâte. Donc nous ne continuerons pas à l’utiliser. » Donc je trouve que tout ceci est une manoeuvre très intelligente de leur part, mais aussi une victoire totale pour notre campagne. Ils font ce que nous leur avons demandé de faire et je les félicite pour cela.
Je pense que c’était vraiment important pour la compagnie de pas arriver en affirmantr clairement qu’ils ne feraient plus de produits Pillsbury dans cette usine, parce que cela pourrait être interprété comme un retrait des colonies. Pour nous, réellement, comment ils en parlent n’importe pas aussi longtemps qu’ils le font »
Le boycott est terminé, mais qu’est-ce que les gens peuvent faire pour aider à faire avancer cet effort ?
« Vous pouvez aller sur notre site web de campagne BoycottPillsbury.org et signer une lettre à la compagnie pour les remercier de leur bonne décision. Je pense qu’il est important que les nouvelles de cette campagne et les nouvelles de ce que General Mills a fait atteigne une audience plus vaste parce qu’ils ne sont pas les premiers et, espérons-le, pas les derniers, à se retirer d’activités dans les territoires occupés et potentiellement du marché israélien tout entier. Nous ne voulons pas seulement que d’autres personnes l’apprennent, mais aussi d’autres compagnies. Nous avons presque 20 campagnies qui l’ont déjà fait. En fait, General Mills était presque l’une des plus grandes compagnies avec des affaires dans les colonies. Il y en a peut-être une ou deux qui restent. C’est tout. Il est important de créer un nouveau standard pour le comportement entrepreneurial sur le terrain. Même si la situation politique est vraiment horrible, il est encore important que de grandes multinationales n’aient pas de participation dans ces affaires parce qu’elles ont aussi de l’influence politique et du pouvoir. Nous ne voulons pas qu’elles s’en mêlent et s’assurent que les colonies soient reconnues et légalisées. Donc c’est une chose que les gens peuvent faire.
C’est seulement une campagne parmi beaucoup d’autres. Si vous allez à Investigate.info, vous pouvez en découvrir plus sur les compagnies autour de vous. Le principal appel à action actuellement est pour que des institutions, en particulier les lieux de travail ou les universités ou les communautés religieuses, désinvestisssent d’Israël. Donc si vous allez sur notre site web, vous pouvez voir une liste de recommandations de désinvestissement. Nous demandons aux institutions de se désinvestir des compagnies qui sont impliquées dans de sévères violations des droits humains dans le cadre de l’apartheid israélien et nous donnons tous les outils pour mettre en oeuvre de telles décisions. La partie difficile serait de sortir sur la place publique pour le dire. Peut-être que ces jours-ci c’est un peu plus facile parce que tant de compagnies ont annoncé se retirer de leurs activités sur le marché russe ou d’activités dans les zones occupées de l’Ukraine. C’est le même raisonnement. Nous ne voulons pas soutenir directement une occupation militaire brutale avec notre argent »
Traduction CG pour l’Agence Media Palestine
Source : Mondoweiss