Par Zoe Lafferty, le 7 août 2022
Zoe LAFFERTY est metteuse en scène et productrice de théâtre. Elle est directrice associée du Freedom Theatre du camp de réfugiés de Jénine, en Palestine, où elle collabore actuellement au projet de solidarité mondiale « The Revolution’s Promise » et au film de réalité virtuelle « In A Thousand Silences ».
Zoe Lafferty explique comment le premier festival de théâtre féministe palestinien, qui s’est ouvert dans le camp de réfugiés de Jénine, est un antidote à la violence sexiste d’Israël.
Alors que les artistes et le public célébraient l’ouverture du tout premier festival de théâtre féministe palestinien dans le camp de réfugiés de Jénine, ils ignoraient que quelques heures plus tard, une mère pleurerait à nouveau la mort d’un fils.
Ce soir-là, l’armée israélienne est entrée dans le camp de réfugiés de Jénine lors d’un raid, se livrant à des tirs nourris, des jets de gaz lacrymogènes et de grenades à onde de choc. Le jeune Dirar al-Kafrayni, 17 ans, a reçu une balle qui est entrée au niveau de son épaule et a explosé à l’intérieur de son corps, provoquant sa mort immédiate.
Le lendemain, des hommes portant le corps de l’enfant ont sillonné les rues noires de monde.
Le festival a été reporté afin de respecter le deuil de sa famille. Dirar al-Kafrayni est l’un des 20 enfants tués par Israël en Cisjordanie, incluant Jérusalem, cette année 2022.
Lors de l’ouverture du festival, Fidaa Zidan et Mariam Basha, membres du comité artistique, intégralement féminin, ont prononcé des discours à la fois percutants et optimistes sur le besoin urgent d’une représentation égale des femmes dans tous les aspects de la société, des milieux professionnels aux partis politiques.
Une double oppression
Le festival est produit par le Freedom Theatre, dont le directeur artistique est Ahmed Tobasi et le producteur, Mustafa Sheta. Motivé par l’essor du féminisme dans les années soixante et déçu par sa relégation à l’arrière-plan depuis, Mustafa a déclaré qu’il était déterminé à ce que « le festival soit un espace où les femmes puissent présenter leur vision de l’égalité, en réactualisant l’appel à trouver des réponses et à passer à l’action ».
Les personnes impliquées dans le projet sont désireuses de s’attaquer à la double discrimination à laquelle les femmes sont confrontées, tant du fait de l’occupation israélienne qu’au sein de la société palestinienne, tout en soulignant les liens entre ces deux phénomènes et en remettant en question les stéréotypes occidentaux racistes des hommes dans la société arabe.
C’est un défi complexe, surtout pour un théâtre qui a perdu 80 % de son financement de base en 2021 après avoir rejeté les conditions qui stipulaient qu’il devait dépolitiser son travail.
Se déroulant sur la scène du Freedom Theatre situé dans le camp de réfugiés de Jénine, il est impossible d’ignorer le contexte dans lequel se déroule ce festival féministe. Le camp est soumis à une invasion militaire constante, les adolescents et les hommes étant régulièrement tués et emprisonnés. Les familles, dont la situation économique est déjà précaire en raison d’un taux de chômage de 80 %, sont mises à rude épreuve, les femmes doivent faire face aux difficultés financières.
En outre, la brutalité incessante vécue sur quatre générations crée un cycle sans fin d’humiliation, de déresponsabilisation et de traumatisme, la masculinité toxique devenant un mécanisme de survie. La violence et l’oppression se tournent parfois vers l’intérieur, entraînant des violences intrafamiliale et des entraves à la possibilité pour les femmes de choisir leur propre avenir. « C’est pourquoi il est tout aussi important que le festival aborde non seulement les droits des femmes, mais aussi ceux des hommes et les stéréotypes racistes et islamophobes qui permettent à Israël de ne pas être remis en cause par l’Occident », a ajouté Mustafa.
Le ciblage genré d’Israël
Cela ne signifie pas pour autant que les femmes et les filles sont épargnées par les attaques militaires israéliennes dans le camp. Récemment, Hanan Mahmoud Khdour, 18 ans, a été abattue alors qu’elle se rendait à l’école, et la célèbre journaliste Shireen Abu Akleh – qui était une source d’inspiration pour tant de femmes journalistes en Palestine – a été assassinée alors qu’elle couvrait une incursion militaire israélienne.
Le festival vise à faire converger les luttes mondiales, avec des spectacles venant du Chili, d’Irak, du Royaume-Uni et d’Allemagne présentés aux côtés de ceux de Palestine. La poétesse Shareefa Energy, qui se produira, vivait à North Kensington, à Londres, lorsque 72 personnes ont été tuées dans les logements sociaux de la tour Grenfell dont le récent bardage hautement inflammable avait été fourni par la société Arconic, qui fournit également des pièces détachées pour les hélicoptères Apache et les avions de chasse F-35 utilisés pour bombarder Gaza.
Ces liens sont d’autant plus cruciaux qu’Israël a récemment entamé une nouvelle campagne de bombardements, qui a fait 49 morts, dont 17 enfants à Gaza.
Poursuivre l’héritage du féminisme au théâtre
Certaines représentations auront également lieu au théâtre Ashtar de Ramallah, fondé par Iman Aoun, l’une des organisations théâtrales les plus réputées de Palestine, toutes fondées et dirigées par des femmes.
Rania Elias du centre culturel Yabous, qui a été arrêtée en 2021, est certaine que le genre a joué dans la tentative d’Israël de la censurer, le harcèlement se poursuivant jusqu’à ce jour. « Ils ne peuvent pas supporter qu’une femme palestinienne forte dirige une institution qui se bat, qui peut parler aux médias et qui a des relations avec des milliers de personnes dans le monde, une femme palestinienne qui défie le stéréotype qu’ils voudraient dépeindre », a-t-elle expliqué.
Le féminisme est également ancré dans l’histoire du Freedom Theatre. Son cofondateur, Juliano Mer Khamis, s’est inspiré du travail culturel de sa mère dans le camp de Jénine lors de la première Intifada, tous deux convaincus que l’égalité des femmes est un élément clé de la libération de la Palestine. De plus, Rania Wasfi, la première employée, a rejoint l’association après que son fiancé ait été tué lors de la seconde Intifada. Submergée par le chagrin et n’ayant pas grand-chose à perdre, Rania Wasfi a fait preuve d’audace en rejoignant le groupe, contribuant ainsi à briser les tabous potentiels et à ouvrir la voie pour que les femmes deviennent l’épine dorsale de la résistance culturelle au théâtre.
En 2011, Juliano Mer Khamis a monté une adaptation radicale « d’Alice au pays des merveilles », dans laquelle Alice se dressait contre l’oppression militaire, les dictatures et la discrimination sociale. Une semaine après le dernier spectacle, Juliano a été assassiné, ce qui a amené les médias internationaux à affirmer que son assassin était quelqu’un du camp enragé par l’idée de la libération des femmes. Ce récit est fermement contesté par les membres du théâtre qui connaissent l’histoire d’Israël en matière d’emprisonnement ou de meurtre des artistes qui représentent de façon performante les luttes palestiniennes. Les conséquences de ce meurtre et la présence des médias ont rendu la participation des jeunes femmes beaucoup plus compliquée et difficile.
Malheureusement, les défis ne s’arrêtent pas là.
Alors qu’en cette crise climatique les températures estivales dépassent constamment les 40 degrés, l’infrastructure du Freedom Theatre ne peut répondre aux critères de l’éclairage de scène et de la climatisation, ce qui rend les représentations étouffantes.
Alors que les obstacles s’accumulent, le festival de théâtre féministe s’affirme comme une étape ambitieuse pour poursuivre l’héritage de Juliano et honorer les femmes qui luttent pour le changement en Palestine et dans le monde.
Le producteur Mustafa Sheta, qui envisage de faire de ce festival un événement annuel, souligne : « Nous pensons qu’en donnant à chaque personne les moyens d’agir, nous devenons collectivement plus forts et avons donc plus de chances de mettre fin à l’occupation israélienne et à l’apartheid. »
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de The New Arab, de son comité de rédaction ou de son personnel.
Source : Al araby
Traduction JCP pour l’Agence média Palestine