Derrière les fronts: la pièce de théâtre à ne pas manquer

Derrière les fronts : regarder l’occupation à travers les yeux d’une psychiatre palestinienne.

Par Monira Moon pour l’Agence Média Palestine, le 04 novembre 2022

La pièce « Derrière les fronts » est l’aboutissement d’un long processus de création du metteur en scène Grégory Bonnefont. S’il reconnaît volontiers que son désir premier était d’apporter, à travers le théâtre, des éléments de compréhension sur l’injustice subie par les Palestiniens, il a dû endurer un cheminement laborieux, semé de doutes et de questionnements. Un voyage au Liban avec toute la troupe et des rencontres avec des Palestiniens des camps de réfugiés lui ont permis, ainsi qu’aux acteurs et actrices, de prendre la mesure du drame des Palestiniens, de leur résilience, aussi. 

Cette œuvre est inspirée du film documentaire éponyme de Alexandra Dols et du recueil de chroniques du Dr Samah Jabr. 

Nous étions pour vous à la représentation du 15 octobre à Stains où la discussion en bord de scène avec les artistes permettait de percevoir que jouer Derrière les fronts est une expérience riche en émotions.

Dès les premières minutes de la pièce mêlant théâtre et danse, le cadre est posé. Nous sommes en Palestine occupée en compagnie de la psychiatre Samah Jabr. A travers des cas de patients rencontrés en consultation, elle va questionner l’occupation et ses conséquences sur leur santé mentale. Dr Jabr explore comment décoloniser les corps et les esprits, notamment en exposant ce qu’induit la domination en termes de violence et de peur.

« J’en connais suffisamment au sujet de l’oppression pour diagnostiquer les blessures qui ne saignent pas et pour reconnaître les signaux d’alarme d’une déformation psychologique. Je m’inquiète d’une communauté forcée d’extraire la vie à partir de la mort, et la paix par la guerre. Je m’inquiète d’une jeunesse qui passe son existence dans des conditions inhumaines, et des bébés qui ouvrent les yeux sur un monde de sang et d’armes à feu. » 

Dr Samah Jabr Occupation et santé mentale, New internationalist, mai 2007. Chronique issue de Derrière les fronts, 2018

Le jeu d’acteur est convaincant, dès l’introduction, nous voilà complètement embarqués avec les personnages dans cette grande prison que constitue l’occupation. Le mur est là, omniprésent, parfois on commence à l’oublier mais chaque déplacement des personnages rappelle cette entrave à la liberté de circulation.

Le rôle de Samah Jabr est magistralement interprété par l’actrice Jessy Khalil. Le récit de la psychiatre est le fil conducteur d’une pièce où se côtoient des Palestiniens dont le drame personnel est affreusement banal, à l’instar de ce personnage interprété par Nassim Gacem qui a passé plusieurs séjours dans une prison de l’occupation israélienne. La torture subie lors de son dernier séjour l’a complètement fait sombrer dans l’absence et le silence. Le diagnostic de Syndrome de Stress Post Traumatique est posé mais le Dr Jabr a conscience de l’impossibilité de proposer un environnement sécurisant à des patients sous occupation militaire. 

Pourtant, l’une des forces de cette pièce, c’est, malgré la gravité des sujets abordés – le deuil, l’enfermement, la torture, la mort – la poésie qui s’en dégage.

Danser, est-ce résister ? 

Impossible, devant ces chorégraphies, de ne pas penser à cette citation de Nietzsche « Et ceux qui dansaient furent considérés comme fous par ceux qui ne pouvaient entendre la musique »

C’est pourtant un pari réussi que de nous faire ressentir l’occupation sans en entendre la musique. Entre différents récits de la psychiatre, danseurs et danseuses enchaînent des chorégraphies qui permettent de faire témoigner les corps. Des corps qui refusent de se soumettre. Ici, la danse donne un relief à des émotions qu’on pourrait difficilement exprimer avec des mots sans en atténuer la profondeur.

Rarement sur scène, la souffrance avait été décrite avec une telle beauté. 

S’il est vrai que « Derrière les fronts » est une œuvre éminemment politique, elle n’en demeure pas moins une œuvre bouleversante, sensible, poétique et puissante.

Derriere Les Fronts à Vierzon le 8 novembre 2022

Derrière les fronts

Compagnie De l’âme à la vague

Durée : 1h45

Age : dès 15 ans

Texte : Grégory BONNEFONT Avec Jessy KHALIL, Sabrine BEN NJIMA, Filipa CORREIA LESCUYER, Oussama EL YOUSFI LEMGHARI, Nassim GACEM, Christophe GELLON Production : De l’âme à la vague Mise en scène : Grégory BONNEFONT | Chorégraphie : Christophe GELLON | Dramaturgie : Astrid CHABRATKAJDAN | Composition originale : Thomas MILLOT | Scénographie : Maud CHANEL | Construction décor: Maud CHANEL, Loana MEUNIER & Jean-Pierre SURREL | Costumes: Maud CHANEL, Salomé ROMANO | Lumière et son : Guillaume MERTEN | Vidéo : Olivier BIGNON équipe technique tournée Fanny LEBERT, Antoine MORANT & Thomas NIMSGERN Administration de production : Delphine BASQUIN | Diffusion : Monsieur Toñio – Papa T Prod

Voyez cette pièce, soutenez sa diffusion.

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