Par Alba Nabulsi,The New Arab, 5 janvier 2023
Malgré le but souvent affiché de « l’art pour l’art », il a toujours fallu lutter dans les grandes foires de l’art pour défendre la visibilité palestinienne menacée par des questions d’éligibilité et de censure. Mais après une exposition très réussie à la Biennale de Venise, tout cela pourrait changer.
La Biennale de Venise est l’événement artistique le plus important au monde. Pour la première fois, une institution artistique palestinienne a été acceptée pour présenter une exposition en « événement collatéral ». Pour les pays non éligibles à la participation nationale (ceux qui ne sont pas reconnus comme un État par l’Italie), la voie « événement collatéral » est, en effet, la seule voie disponible vers une éventuelle participation.
Baptisée From Palestine with Art, l’exposition a mis en exergue 19 artistes palestiniens (dont 11 femmes) et plus de 30 œuvres d’art. Plus de 180 000 visiteurs ont vu l’exposition au cours des sept mois qu’elle a duré.
The New Arab s’est entretenu avec le fondateur du Palestine Museum US, Faisal Saleh*, pour comprendre l’impact que l’événement a eu et pourra avoir sur la scène artistique palestinienne.
« Notre objectif était de renforcer l’identité et la représentation palestiniennes à travers l’art et je peux dire en toute confiance que nous y sommes parvenus. »
Pourquoi avez-vous choisi la Biennale de Venise ?
La Biennale de Venise est l’événement artistique autour de l’art contemporain le plus ancien, le plus grand, le plus long et le plus prestigieux au monde. Nous nous sommes concentrés sur la Biennale parce que nous voulions amener la Palestine au sommet.
Il nous a fallu 2 mois de travail acharné pour monter notre dossier – nous souhaitions faire de notre participation plus qu’un événement exceptionnel, une présence régulière à la Biennale.
Il y a eu quelques cas où des artistes palestiniens ont participé ou organisé des événements collatéraux, mais c’est la première fois qu’une grande institution artistique palestinienne organise et promeut un « événement collatéral ».
Comment cette exposition, From Palestine with Art, a-t-elle impacté la communauté locale et les visiteurs ?
L’impact a été incroyable – les statistiques montrent que le Palazzo Mora (le lieu d’exposition qui a accueilli l’événement) a reçu 180 000 visiteurs au cours des sept mois d’ouverture – beaucoup de ces visiteurs étaient là pour assister spécifiquement à notre exposition, alors que de nombreuses expositions étaient hébergées dans le bâtiment.
Notre projet était la seule exposition officielle de la Biennale de Venise dans le bâtiment.
Nous avons collecté 10 Livres d’or, chacun d’au moins une centaine de pages. Les gens ont rempli le dernier livre avec tellement d’amour, de dessins et de pensées émues que nous peinions à le lire. J’ai pu constater le grand nombre de palestiniens venant d’ailleurs – les témoins d’une diaspora vivante et désireuse de s’identifier comme palestinienne.
Notre objectif était de renforcer l’identité et la représentation palestiniennes à travers l’art et je peux dire en toute confiance que nous y sommes parvenus.
L’exposition a également eu un fort impact sur la communauté italienne locale. Des dizaines de bénévoles ont spontanément soutenu le projet, se sont mis en relation avec les écoles et les universités locales, avec la communauté italo-palestinienne et les palestiniens de la diaspora, avec des associations, des institutions, des églises, des mosquées, et bien plus.
J’ai été frappé, rencontrant les personnes qui ont assisté à l’expo pendant que j’étais en Italie et écoutant leurs histoires, par le niveau de solidarité et d’amour suscité par la cause palestinienne.
En outre, beaucoup des visiteurs se montraient curieuses et posaient des questions. Ainsi, avons-nous eu l’occasion de leur apprendre notre identité et nos traditions, en plus de la merveilleuse contribution que la Palestine apporte à l’art contemporain. C’est dire que l’engagement de la communauté a été très fort.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans l’événement ?
Plusieurs choses m’ont impressionné. J’ai déjà mentionné tous les messages de solidarité et d’appréciation que nous avons reçus directement grâce à celles et ceux qui ont écrit dans les livres. Mais il y eut aussi les vidéos tournées par notre équipe, leurs entretiens avec les visiteurs, qui montrent à quel point l’identité palestinienne est forte et enracinée malgré les tentatives quotidiennes qui cherchent à l’effacer.
J’ai également été impressionné par les dessins d’un groupe de jeunes enfants qui ont visité l’exposition avec leur professeur d’art à l’école primaire, inspirés par les peintures de Nabil Anani.
En Occident, ce n’est pas tous les jours que l’on se trouve en compagnie d’artistes issus de groupes colonisés et marginalisés. Nous avons choisi de défier le parti pris culturel et d’apporter notre contribution à la décolonisation de l’art en insistant aussi sur la représentation des femmes — souvent sous-représentées dans le monde artistique — en accueillant 11 artistes femmes sur un total de 19 artistes.
La Palestine est souvent présentée à tort dans les médias comme synonyme de guerre, d’affrontements, de tristesse et de misère. Pensez-vous que nous nous devons en quelque sorte d’aider à « relabelliser» la Palestine ? Et si oui, comment pensez-vous que cette exposition d’art a pu faire évoluer un tel processus ?
Je vais vous dire quelque chose – l’art a une voix si forte qu’il peut toucher le cœur des gens, parfois plus fort et plus profondément que la politique. L’art est un puissant outil de communication qui, s’il est utilisé correctement, peut être extrêmement utile pour représenter tout un peuple et contrer les faux récits et les préjugés qui lui collent à la peau.
Prenons la performance de Dima Bakhri (qui a clôturé les cérémonies officielles de l’exposition) : elle a parlé à l’Occident dans sa propre langue – avec le style lyrique d’une mezzo-soprano, au cœur de Venise, à quelques pas de son célèbre théâtre La Fenice.
Peut-on imaginer mieux pour changer le label !
Lorsqu’on écoute Mawtini, un poème patriotique écrit en 1934 dans le style Lirica, on comprend implicitement que tous les mensonges qui se répandent sur les palestiniens – que nous sommes tous des terroristes et que nous ne connaissons que la violence comme moyen d’expression – sont faux : vous écoutez Dima et vous voyez aussitôt quelqu’un qui ne ressemble pas à un terroriste et qui ne chante pas comme tel.
L’ art gagne alors là où le débat politique échoue – nous avons rendu l’art plus percutant que la politique. Je pense que sept mois d’exposition artistique ont eu plus de portée que les nombreuses années de prêche politique sur la Palestine lorsqu’il s’agit de rendre aux palestiniens leur propre voix.
Alba Nabulsi est une journaliste, conférencière et traductrice palestino-italienne basée à Padoue, en Italie. Suivez-la sur Instagram : @nabulsi_girl_in_italy
*Faisal Saleh est entrepreneur et fondateur du Palestine Museum US
Source : The New Arab