Le nouveau gouvernement israélien exige des changements dans la stratégie de l’ONU face à « la crise palestinienne »

Par Lex Takkenberg, le 26 janvier 2023

Cet essai propose des stratégies pour faire face au récent manifeste du gouvernement israélien impliquant, selon l’auteur, une « menace de nouveaux transferts forcés du peuple palestinien ». Il propose une plus grande protection des réfugiés palestiniens, comme ceux au Liban, ci-dessus. UNRWA/TWITTER

Cet éditorial, publié pour la première fois le mois dernier, présente des recommandations pour une nouvelle approche des Nations Unies sur la question de la Palestine, formulées par le Réseau mondial sur la question de la Palestine, une coalition d’experts palestiniens, arabes et internationaux qui prêtent leur expertise à l’étude de cette question. Ces recommandations ont été formulées pour la première fois dans une lettre ouverte adressée au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le 24 janvier 2023 en réaction à la récente escalade de la situation en Palestine-Israël suite à l’inauguration du nouveau gouvernement israélien d’extrême-droite. Les idées avancées dans l’Op-Ed et la lettre ouverte sont une plaidoirie pour une action renouvelée en faveur d’une véritable justice pour la Palestine et les palestiniens et représente un changement radical d’approche par rapport à celles du passé dont la seule visée fut le rétablissement de la paix.

António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a récemment déclaré au Conseil de sécurité qu’il était « très préoccupé » par les « initiatives unilatérales » du nouveau gouvernement israélien, rappelant que « l’État de droit est au cœur de la réalisation d’une paix globale » qui doit s’instaurer « conformément aux résolutions de l’ONU, au droit international et aux accords antérieurs ». La détérioration de la situation en Palestine est en effet préoccupante et exige un changement fondamental de vision et d’approche de l’ONU.

En tant que membres du Réseau mondial sur la question de Palestine  – qui fait partie de l’organisation Renaissance arabe pour la démocratie et le développement – nous proposons une stratégie pour résoudre le problème fondamental sous-jacent à la crise palestinienne et pour rétablir la primauté du droit international. L’ONU doit reprendre le rôle de chef de file qui lui incombe, vu sa responsabilité de longue date pour ce qu’elle appelle officiellement « la question de la Palestine ». La stratégie ne doit plus se satisfaire de solutions négociées et doit avancer vers des impératifs tels qu’ils sont dictés par les résolutions de l’ONU et le droit international. Il faut aussi une nouvelle approche de la question des réfugiés palestiniens afin de chercher et de trouver des solutions durables.

Le manifeste du nouveau gouvernement de coalition d’extrême droite israélien est plus que problématique. Il déclare : « Le peuple juif exerce un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera la colonisation de toute la Terre d’Israël – la Galilée, le Néguev, le Golan et en Judée et Samarie. » La déclaration rend le territoire palestinien occupé indistinguable d’Israël proprement dit (à l’intérieur des lignes de 1967). Cette affirmation suggère la menace d’un nouveau transfert forcé du peuple palestinien et nie son droit à l’autodétermination, un droit clairement reconnu comme une norme impérative du droit international. Il est clair qu’Israël a l’intention de poursuivre plus agressivement ses plans d’annexion. Une telle action pourrait constituer une violation grave du droit international.

Ces développements constituent la menace la plus grave pour le peuple palestinien depuis que les trois quarts d’entre eux furent déplacés de force et exilés lors de la création d’Israël en 1948. Il existe un risque élevé d’escalade dangereuse et sans précédent en Palestine occupée, en Israël et au-delà.

Il y a soixante-quinze ans, l’ONU a recommandé la partition – deux États – comme solution politique pour la terre de Palestine. Des décennies plus tard, les Palestiniens restent privés d’un État pleinement souverain et sont soumis à des violations généralisées et systématiques des droits de l’homme par Israël. La politique du nouveau gouvernement israélien donne encore plus de crédit à qui voudrait caractériser Israël comme État colonial. L’occupation par Israël du territoire palestinien est destinée à être permanente, une annexion illégale à la fois de jure et de facto. Selon la Charte des Nations Unies, cela peut être considéré comme un acte d’agression.

Des rapports faisant autorité, que cela soit d’experts de l’ONU, d’organisations de défense des droits de l’homme ou de juristes, ont conclu qu’Israël commet le crime d’apartheid – tel que défini internationalement – contre le peuple palestinien, y compris en ce qui concerne les réfugiés palestiniens.

Les efforts de paix passés sont partis d’une fausse prémisse : que deux parties, nettement inégales quant à leurs pouvoirs respectifs, pouvaient négocier la fin du conflit. Au lieu de cela, cette approche a consolidé la position du colonisateur, violant les normes les plus fondamentales du droit international. Le respect de ces normes est une condition de toute solution et ne peut faire l’objet de négociation.

Les étapes qui accompagnaient cette approche étaient mal conçues. L’accent mis sur le développement d’institutions étatiques palestiniennes a ignoré la réalité qu’il ne pouvait y avoir de souveraineté effective sous occupation et/ou sous un régime d’apartheid. En outre, les efforts pour développer l’économie palestinienne ne tenaient pas compte de la mainmise exercée sur elle par Israël. L’approche adoptée sur la question des réfugiés palestiniens a également ignoré la nécessité de trouver des solutions durables, malgré le fait que l’ONU ait depuis 1948 une responsabilité particulière à le faire.

Un changement fondamental de stratégie de la part de l’ONU et de ses États membres est donc nécessaire pour garantir les droits inaliénables des Palestiniens. Sinon, la perspective d’une coexistence pacifique risque de s’évanouir pour toujours.

La nouvelle stratégie doit corriger les défauts et les échecs des approches passées. Cela ne signifie pas nécessairement la fin de toute politique visant l’établissement de deux États, mais doit faire entendre qu’un règlement négocié non seulement est contraire au droit international, mais a également permis jusqu’ici à Israël de renforcer son contrôle sur le peuple palestinien, sur ses terres et ses autres ressources.

Certains gouvernements sont réticents à reconnaître cette réalité et persistent à espérer qu’une solution à deux États peut encore être négociée malgré les preuves du contraire. Pour sa part, Israël continuera d’amalgamer, de manière fallacieuse et agressive, toute critique de ses actions illégales avec l’antisémitisme.

Dans ces circonstances, seul un leadership audacieux de la part de Guterres pourra éviter de nouvelles effusions de sang.

Avec les menaces à la sécurité des palestiniens susceptibles de s’accroître dans les mois à venir, il est urgent d’adopter des mesures similaires à celles prises dans le territoire palestinien occupé après le déclenchement de la première Intifada palestinienne en 1987. À l’époque, avec les encouragements du Conseil de sécurité, l’ONU a mis en place un système innovant de protection. Davantage de mesures de protection sont aussi nécessaires pour les enfants palestiniens : 2022 a été l’année la plus meurtrière pour eux depuis que l’ONU a commencé à comptabiliser les victimes.

L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont tous deux dénoncé la prolongation de l’occupation israélienne. L’Assemblée générale a, en effet, déclaré l’occupation illégale dès 1977. En prévision d’un prochain avis consultatif sur la question qui doit provenir de la Cour internationale de Justice, la politique de l’ONU doit être réajustée pour donner la priorité au respect du droit international plutôt qu’aux négociations.

Mettre fin au système d’apartheid nécessite aussi une approche nouvelle. L’expérience de l’Afrique du Sud a montré que l’apartheid ne peut être réformé par des négociations ; il doit être intégralement démonté.

Il est également important que le Secrétaire général encourage une nouvelle approche du problème des réfugiés palestiniens en mettant davantage l’accent sur la protection, y compris la recherche de solutions durables. Cette étape se doit de tirer parti des opportunités offertes par la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants de 2016, laquelle s’appuyait sur l’expertise de la UN Relief and Works Agency (UNRWA) et du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés. Une impulsion déjà tardive à l’action internationale en faveur des réfugiés palestiniens ne doit plus être retardée. Avec les autres changements de stratégie, cela pourrait aider à promouvoir une perspective plus positive pour le processus politique en général. Cela pourrait aussi assurer à l’UNRWA une assise financière plus solide.

Le droit international et la responsabilité de l’ONU lorsqu’il s’agit de résoudre la « question de la Palestine » font que la communauté mondiale est légalement, politiquement et moralement tenue de soutenir l’ONU dans ses efforts pour mieux répondre aux menaces et aux actions du nouveau gouvernement israélien.

Alors que cette initiative rencontrera inévitablement une opposition majeure de la part d’Israël et d’autres États membres qui préfèrent le statu quo, il est important que Guterres résiste à ces pressions et rétablisse l’indépendance de l’ONU pour rechercher une solution juste à la crise croissante.

Cet essai est une version abrégée d’une lettre ouverte envoyée au secrétaire général de l’ONU le 24 janvier par des membres du Réseau mondial sur la question de Palestine.

Lex Takkenberg, auteur de l’article :

De nationalité néerlandaise, Lex Takkenberg est le consultant senior sur la question de la Palestine à la Arab Renaissance for Democracy and Development (ARDD), une coalition qui vise à « aborder et influencer les politiques et les programmes sur les questions de localisation, de justice, d’humanitarisme et de développement. » Il est également professeur non-résident d’affaires humanitaires à la Fordham University aux USA. De 1989 à 2019, il a occupé divers postes sur le terrain et au siège de l’UNRWA, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, dernièrement à sa base d’Amman en tant que premier responsable de l’éthique pour l’agence. Il est titulaire d’un diplôme en droit de l’Université d’Amsterdam et d’un doctorat en droit international de l’Université de Nimègue, aux Pays-Bas. Une nouvelle version de son livre, « Le statut des réfugiés palestiniens dans le droit international » (co-écrit avec Francesca Albanese), fut publiée en 2020.

Source : PassBlue

Traduction : BM pour l’Agence Média Palestine

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