« Je suis fière de mon travail » : les femmes qui repoussent les limites à Gaza

Les femmes palestiniennes résistent, malgré les pertes personnelles et la rareté des opportunités dans ce territoire à l’esprit conservateur.

Par Aseel Mousa et Bethan McKernan depuis Gaza City, le 3 avril, 2023 

Sabreen al-Najjar, dont la fille a été abattue par un sniper israélien, travaille pour la Medical Relief Society dans la bande de Gaza. Photographie : Loay Ayyoub/The Guardian

Uzan al-Najjar, une paramédicale de la bande de Gaza, savait que son travail pour sauver des vies lors des manifestations de 2018 à la frontière avec Israël remettrait en question les convictions  très conservatrices des gazouïs sur le rôle des femmes.

« Le travail dans le monde du médical n’est pas réserve aux hommes », avait pourtant déclaré la jeune femme de 21 ans dans une interview peu de temps avant de se faire abattre par un tireur d’élite israélien.

« [La société] sera obligée de nous accepter… La force que j’ai montrée le premier jour des manifestations, je vous mets au défi de la trouver chez quiconque d’autre. »

Une enquête interne de l’armée israélienne sur sa mort qui s’est terminée le mois dernier a révélé que la jeune paramédicale n’avait pas été délibérément prise pour cible, une affirmation que des témoins oculaires ont cependant contestée. Dans la mort, autant que dans la vie, Najjar continue d’inspirer. Peu de temps après les funérailles de Rouzan, sa mère, Sabreen, s’est inscrite à une formation auprès de la Société palestinienne de secours médical. Après quatre ans en médecine d’urgences, elle a accédé depuis peu à un poste de direction au sein de l’organisation.

« La douleur que j’ai ressentie a nourri mon désir de prouver à quel point les mères palestiniennes sont fortes et comment elles peuvent faire de grandes choses –  même avec le cœur brisé », a déclaré la femme de 49 ans.

« Ça me plaisait, l’idée de marcher dans les pas de Rouzan et de poursuivre son œuvre. Je suis fière de mon travail et je n’épargnerai aucun effort pour soutenir le peuple palestinien dans la paix et dans la guerre. »

Gaza, un ruban de terre en bord de Méditerranée gouverné par le mouvement islamiste palestinien Hamas, est l’un des endroits les plus misérables au monde. Sa population de 2,2 millions d’habitants n’a pratiquement aucune liberté de mouvement, et les soins de santé, l’électricité, l’assainissement et d’autres infrastructures essentielles se sont pratiquement effondrés depuis qu’Israël et l’Égypte ont imposé un blocus brutal sur la région après la prise du pouvoir par le Hamas en 2007.

Les séries de guerres et les escalades militaires entre le Hamas et Israël au cours des 16 dernières années ont traumatisé toute une génération : près de la moitié de la population de la bande de Gaza a moins de 18 ans.

Hala Shehada a ouvert une boutique de vêtements pour femmes. Photographie : Loay Ayyoub/The Guardian

Du fait du blocus, les opportunités de s’affranchir économiquement sont rares, et d’autant plus rares qu’on est femme. Selon les données de la Banque mondiale, seulement 18 % des femmes adultes dans les territoires palestiniens occupés ont un emploi – la grande majorité d’entre elles vivent en Cisjordanie, malgré que ce sont les femmes, en fait, qui dirigent 11 % des ménages dans la bande de Gaza.

Le mariage précoce continue à poser problème. Environ 15 % des femmes mariées à Gaza ont subi des abus sexuels de la part de leur mari en 2022, selon les données d’ONU Femmes. En dépit de cela, la moitié des femmes palestiniennes et 63 % des hommes palestiniens pensent qu’une femme se doit de tolérer la violence domestique afin de maintenir l’unité familiale.

Les veuves à Gaza ont encore plus d’obstacles à franchir. Le concept de biens matrimoniaux partagés n’existe pas, privant effectivement les femmes de tout droit légal au logement. La culture leur avise d’épouser un frère ou un autre parent du mari décédé, et la garde des enfants peut revenir à la famille du mari.

Shireen Abu Aita, aujourd’hui âgée de 39 ans, a dû élever seule ses quatre enfants après que son mari, Mohammed, un informaticien, fut tué pendant la guerre de 2014, lorsqu’un missile israélien a frappé la maison voisine.

Assistante sociale, travaillant auprès de personnes ayant des besoins spéciaux, elle doit aussi s’occuper de ses garçons, qui ont tous moins de 18 ans. Ils veulent tous étudier la médecine ou l’ingénierie à l’université, et Abu Aita est déterminée à financer leurs études.

« Si je n’avais pas ce travail, je ne sais pas ce que je ferais. J’ai dû sortir de ma tristesse pour me battre pour mes enfants », a-t-elle déclaré. « Tout ce que je veux, c’est créer une vie honorable et décente pour mes enfants. »

Hala Shehada, qui a également perdu son mari, Khalid, dans un attentat à la bombe pendant la guerre de 2014, s’est efforcée de se forger une vie indépendante pour elle-même et leur fille, Tuleen, aujourd’hui âgée de huit ans. Khalid, qui travaillait comme photo-journaliste, est décédé avant la naissance de leur enfant.

Malgré son chagrin et la pression d’élever un bébé seule, Shehada a réussi à s’inscrire à l’université et, en 2017, a lancé son propre studio de photographie de mariage. Le blocus israélien a causé de nombreuses difficultés d’importation de matériel, a-t-elle dit, mais l’affaire a bien marché : la trentenaire a depuis également ouvert une boutique de vêtements pour femmes.

Bien que Shehada aurait pu, opportunité rare, quitter Gaza pour un emploi au Qatar, elle n’a pu en profiter, car les grands-parents paternels de Tuleen ne lui permettent pas de voyager.

« Il est difficile d’être veuve à Gaza et de réussir à Gaza, mais Tuleen est mon inspiration », a déclaré Shehada à propos de son talent d’entrepreneur. « Elle veut être pilote quand elle sera grande. »

Trad. B.M pour l’Agence Média Palestine

Source : The Guardian

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