Les lois non démocratiques d’Israël auront un impact dévastateur sur les palestiniens

Par Janan Abdou, le 22 avril 2023 

Les réformes judiciaires ne sont qu’une étape dans la mise en œuvre de l’idéologie dangereuse de l’actuel gouvernement d’extrême droite qui vise à éliminer les palestiniens.

(Crédits : BBC )

Depuis son entrée en fonction en décembre dernier, le gouvernement israélien d’extrême droite dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu – avec le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, le ministre des Finances Bazalel Smotrich et d’autres – a imposé de profondes modifications à la loi israélienne.

Pendant des mois, les israéliens juifs sont descendus dans la rue pour protester contre ces réformes judiciaires, qui porteraient gravement atteinte aux pouvoirs de la Cour suprême et à sa surveillance des pouvoirs législatif et exécutif.

Le 37e gouvernement israélien a concentré ses orientations politiques sur trois domaines qui se chevauchent et ne peuvent être séparés les uns des autres : la souveraineté, la sécurité nationale et l’expansion des colonies.

(Ces directives montrent clairement l’objectif du nouveau gouvernement : ancrer davantage Israël en tant que suprématie juive non démocratique encline à un fascisme colonial et raciste qui ne reconnaît ni le peuple palestinien ni ses droits.

Mesures autoritaires

Selon des responsables gouvernementaux, les nouvelles directives établies par les dirigeants de la coalition israélienne visent à rétablir un équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le ministre israélien de la Justice, Yariv Levin, a annoncé en janvier les réformes judiciaires et un plan global pour les mettre en œuvre par étapes.

Ces changements peuvent être divisés en quatre catégories : 1) une série de lois qui suppriment l’autorité du judiciaire ; 2) un amendement à la loi fondamentale israélienne (Israel Basic Law) qui précise les seules conditions d’invalidation des lois et transfère l’autorité au parlement israélien (Knesset) ; 3) le renforcement du contrôle gouvernemental sur la sélection des juges ; 4) un amendement à la procédure de nomination du procureur général, des ministres et des autres représentants du gouvernement. 

L’une des réformes proposées est de limiter l’autorité de la Cour suprême afin de l’empêcher d’annuler les lois votées par la Knesset qu’elle juge inconstitutionnelles et en violation de la Israeli Basic Law.

Le changement permettrait aux parlementaires de contourner les décisions de la Haute Cour et de rétablir des lois qui avaient été auparavant annulées. Bien qu’il s’agisse d’une réforme très radicale, la coalition au pouvoir s’efforce de faire adopter ce projet de loi à la majorité simple de 61 membres de la Knesset.

Si elle est adoptée, la loi proposée permettrait aux membres du parlement israélien d’ajouter une « clause de dérogation » à chaque futur projet de loi, protégeant  celui-ci de tout contrôle judiciaire ou critique ultérieur.

Cela durerait pendant tout le mandat de la Knesset et pour une période d’au moins deux ans à compter du jour où la loi a été adoptée. Et, si la future Knesset veut étendre la validité de la loi dérogatoire, elle peut le faire à nouveau sur la base d’un vote à la majorité.

Un autre amendement proposé stipule qu’aucune décision ne peut être prise pour modifier, abroger ou limiter la validité d’une loi adoptée par le biais de la clause de dérogation du Parlement.

Pour consolider son contrôle

La Loi fondamentale d’Israël stipule que la décision de modifier ou d’abroger une loi doit être prise à l’unanimité par un organe judiciaire composé de tous les juges de la Cour suprême.

En opposition à cela, le gouvernement israélien s’efforce de modifier la composition du comité de sélection des juges et la composition même de la Cour afin d’asseoir son contrôle et celui de la coalition au pouvoir – politisant ainsi le comité.

Une autre stratégie consiste à révoquer la norme du « caractère raisonnable » d’une loi. Ce test permet actuellement à la Cour suprême d’annuler une ordonnance administrative émise par le gouvernement en raison de son « caractère déraisonnable », garantissant ainsi que le parti au pouvoir ne favorise pas l’inégalité, ne « couvre » pas des « motifs illogiques », des conflits d’intérêts ou des objectifs  « étrangers ».

Jusqu’à présent, la Haute Cour a utilisé cette norme pour annuler des décisions « déraisonnables » et les rendre illégales. Le procureur général israélien Gali Baharav-Miara s’est appuyé sur cette mesure pour s’opposer, sur la base de sa condamnation pénale pour corruption, à la décision de nommer ministre du 37e gouvernement israélien, le chef du parti Shas, Aryeh Deri.

Baharav-Miara a récemment bloqué la décision de Ben-Gvir de révoquer le chef de la police de Tel-Aviv et de le muter à un autre poste, dans l’attente d’une procédure judiciaire valide. Et le procureur général a indiqué que son enquête initiale soulevait de sérieuses inquiétudes quant à la légalité de la décision.

En réponse, Ben-Gvir a demandé aux dirigeants de la coalition de la licencier de son poste sans se préoccuper de la légalité d’une telle demande.

En pratique, la révocation du critère du caractère « raisonnable » sape considérablement la capacité de la Cour suprême d’intervenir dans les décisions du gouvernement et laissera le gouvernement libre de faire ce qu’il veut sans aucun contrôle juridique.

Selon la loi proposée par le député Simcha Rotman du Parti sioniste religieux, la disposition relative au « caractère raisonnable » d’une loi ne s’applique pas aux « représentants du peuple », tels que le Premier ministre, les ministres du gouvernement, les chefs de conseil et autres fonctionnaires élus.

Le projet de loi stipule : « Malgré ce qui est stipulé dans l’actuelle Loi fondamentale, quiconque a le pouvoir de mettre en litige conformément à la loi, y compris la Cour suprême, n’a pas le droit de discuter ou de donner un ordre contre le gouvernement, le Premier ministre, un ministre parmi ses ministres, ou un autre représentant du peuple, en ce qui concerne le caractère raisonnable de leurs décisions » (articles 15 et 15a, oi sur le pouvoir judiciaire).

Projet de loi sur la gouvernance

Pour prévenir la disqualification d’un ministre nommé, un nouveau projet de loi stipulerait que : « Il n’y a aucune possibilité de contrôle légal par un organe judiciaire en ce qui concerne l’éligibilité à nommer ou à transférer un ministre, sauf dans des cas spécifiques. »

Ce changement placerait toute l’autorité entre les mains du Premier ministre qui deviendrait alors libre de nommer les membres du cabinet avec la seule approbation du parlement et sans contrôle judiciaire.

Auparavant, les conditions d’éligibilité étaient fixées par la Knesset mais étaient soumises à des règlements et normes judiciaires.

L’amendement proposé informerait donc le pouvoir judiciaire, y compris la Cour suprême, qu’il est incompétent et n’a pas le pouvoir d’exercer son contrôle légal pour quelque raison que ce soit, à l’exception sur des questions de capacité « établies par la loi » – c’est-à-dire relatives à l’état physique ou mental et explicitées dans deux clauses seulement (Section 16.1 (b1)(5)).

Ce changement proposé faisait suite à l’intervention de la Cour suprême pour révoquer la nomination du ministre Aryeh Deri, qui s’était engagé devant le tribunal dans une précédente affaire à ne plus se présenter à un poste politique et à rester à l’écart de la vie politique – engagement qu’il a violé lorsqu’il s’est présenté à nouveau – et a même été nommé par Netanyahu ministre dans le gouvernement actuel.

Un autre amendement stipule que : « En ce qui concerne une déclaration d’incapacité du Premier ministre, la déclaration au Knesset doit être faite par celui-ci même ou par le gouvernement suite à une décision de trois de ses quatre membres, et seuls ces deux instances [le Premier ministre et son gouvernement] sont habilités à le faire » (article 16.1 (b1)(1)).

S’y ajoute: « Les tribunaux, y compris la Cour suprême, ne sont pas autorisés à discuter ou à approuver une demande de disqualification ou d’approbation, et toute décision ou ordonnance rendue dans ce sens par le tribunal est nulle et non avenue. » (article 16.1 (b1)(4))

Cet amendement vise à rendre impossible la destitution d’un Premier ministre en cas de suspicion d’infractions pénales, comme c’est le cas de Netanyahu, qui est jugé pour corruption et abus de confiance.

Aucune autorité

La loi en vigueur affirme que le pouvoir d’abroger une loi, de remettre en question sa validité ou de la reporter pour une période temporaire appartient à la Cour suprême, à condition que les conditions suivantes soient remplies : la cour se réunit avec ses juges au complet et une décision est prise à la majorité de quatre des cinq juges.

La modification proposée stipule que même si toutes les conditions permettant un contrôle judiciaire sont remplies, la Cour suprême n’aurait pas le pouvoir de statuer sur la validité d’une loi si la Knesset a clairement décidé qu’elle est valide, ceci malgré ce que déclare la Loi fondamentale.

Cette loi met une claire limite à la Cour suprême et élimine de fait son pouvoir d’abolir toute loi, aussi raciste, dictatoriale ou déraisonnable soit-elle.

Un autre amendement porte sur la nomination des juges.

Selon la nouvelle proposition, le nombre de membres du Comité de sélection des juges passerait de 9 à 11 et serait divisé en deux comités : l’un pour la sélection des juges de la Cour suprême et l’autre pour la sélection des juges des autres tribunaux.

Le comité de sélection des juges de la Cour suprême serait composé de trois ministres, de trois membres de la Knesset de la coalition au pouvoir, de deux membres de la Knesset de l’opposition et de trois juges de la Cour suprême, dont le juge en chef. Cela se traduit par une majorité constituée par 6 membres de la coalition au pouvoir.

En outre, le plan du gouvernement prévoit d’abolir la règle de nomination du juge le plus ancien de la Cour suprême comme chef de la Cour, de sorte que le juge en chef se trouvera nommé à la majorité ordinaire au sein du comité dont les membres majoritaires sont issus de la coalition au pouvoir. Cela signifie un contrôle absolu du gouvernement sur la Cour suprême.

Les règles concernant la nomination du procureur général et des conseillers judiciaires à la Knesset et aux divers ministères se trouveront modifiées également si ces réformes sont adoptées.

Du fascisme légalisé

Ces réformes juridiques, qui visent à saper le système judiciaire israélien, ont fortement troublé de nombreux israéliens ordinaires. Le président israélien Isaac Herzog a présenté une nouvelle proposition de règlement concernant la crise judiciaire. Cependant, son offre a été rejetée par la coalition au pouvoir.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré que les principales dispositions contenues dans le plan de Herzog maintiendraient le statu quo et n’atteindraient pas « l’équilibre » nécessaire entre les trois branches du gouvernement. Les chefs de la coalition au pouvoir ont affiché une position commune, déclarant que le plan de Herzog est biaisé en faveur des opposants à la réforme.

Une lecture attentive de ces lois, propositions et amendements, qui ont tous été présentés dès l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement, montre que le résultat est un régime dictatorial fasciste dans lequel il n’y a pas de séparation des pouvoirs puisque le gouvernement et la Knesset travaillent sans contrôle ni  obligation de rendre compte de leurs actes. 

La coalition au pouvoir dispose d’une majorité qui permettra à toutes ces lois non démocratiques de passer. Ces changements n’affecteront pas seulement les israéliens mais auront aussi, bien sûr, un impact dévastateur sur la Palestine occupée et ceux qui vivent en Israël en tant que citoyens de seconde classe.

L’armée, la police – y compris la surveillance de la police – et les tribunaux sont tous entre les mains du gouvernement de droite. Quelques mois seulement après son entrée en fonction, Smotrich a appelé à « anéantir » la ville palestinienne de Huwwara, et a déclaré qu’il n’y a pas de peuple palestinien.

Ben-Gvir a étendu ses propres pouvoirs et fait adopter des amendements à l’organisation de la police exigeant que Mahash, l’unité d’enquête de la police israélienne (pour les violations et les infractions pénales), soit transférée sous son autorité et ne soit plus sous l’autorité du service du procureur public   du ministère de la Justice.

Les réformes judiciaires ne sont qu’une étape dans la mise en œuvre de l’idéologie dangereuse du gouvernement d’extrême droite actuel qui vise à éliminer les palestiniens.

Janan Abdu est une avocate et militante des droits humains basée à Haïfa. Elle est active dans la sensibilisation et la mobilisation du soutien international pour les prisonniers politiques palestiniens. Ses articles ont paru dans le Journal of Palestine Studies ; le trimestriel du Women’s Studies Center de l’Université de Birzeit ; al-Ra’ida (AUB); The Other Front (Alternative Information Center); Jadal (Mada al-Carmel). Ses publications incluent Palestinian Women and Feminist Organizations in 1948 Areas  (Mada al-Carmel, 2008).

Traduction B.M pour Agence Media Palestine

Source : Middle East Eye

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