Smotrich veut un million de colons en Cisjordanie

« Smotrich veut un million de colons en Cisjordanie Ce n’est pas si improbable. » Par Ben Reif, le 12 juillet 2023

Cherchant à doubler la population de colons, le gouvernement d’extrême droite israélien accélère les plans d’infrastructure qui ont été ​​établis il y a des décennies.

Des colons du Mouvement des colonies de Nachala ont installé des tentes près de Kiryat Arba, avec l’intention d’établir des avant-postes illégaux en Cisjordanie, le 20 juillet 2022. (Yonatan Sindel/Flash90)

Dans la première étape de son « plan décisif » – une proposition détaillée rédigée en 2017 pour « gagner et mettre fin » au conflit israélo-palestinien – Bezalel Smotrich a décrit une vision qu’il a baptisée « la victoire par la colonisation ». Le ministre israélien, qui est actuellement ministre des Finances et suzerain du gouvernement en Cisjordanie grâce à un rôle ministériel spécial créé pour lui au ministère de la Défense, a expliqué dans l’essai en question que son plan nécessiterait « d’encourager des dizaines et des centaines de milliers d’habitants pour qu’ils viennent vivre en Judée-Samarie », utilisant, notons-le, le nom biblique de la Cisjordanie. 

« Rien ne serait plus efficace pour convaincre les arabes de Judée et de Samarie… de l’impossibilité d’établir un État arabe à l’ouest du [fleuve] Jourdain », a-t-il écrit. « Voir ce qu’il en est sur le terrain dégonfle les aspirations et anéantit les ambitions. »

Smotrich a attendu son heure, mais maintenant – grâce à un accord avec le ministre de la Défense Yoav Gallant en février qui a élargi son contrôle sur plusieurs aspects du processus de planification des colonies – il semble impatient de mettre son « plan décisif » en action. Un rapport de Haaretz en mai a révélé que le chef du Religious Zionist Party (RZP) avait demandé aux représentants de divers ministères du gouvernement de commencer immédiatement les préparatifs pour doubler la population de colons en Cisjordanie, ce qui porterait le total actuel de 500 000 à 1 million.

Les rapports sur le plan, dont les chiffres n’incluent pas les quelque 250 000 israéliens vivant à Jérusalem-Est occupée, ont suscité la condamnation de la Maison Blanche; en réponse, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé aux responsables américains que la proposition ne reflétait pas la politique gouvernementale. Pourtant, les vastes développements infrastructurels en cours en Cisjordanie, en plus du pic du nombre d’unités de logement avancés jusqu’à présent cette année sur le territoire, signifient que la trajectoire est déjà définie pour assurer un bond significatif de la population de colons au cours des prochaines années. Et bien que ce gouvernement cherche certainement à accélérer les choses, les fondements d’une grande partie de ce que nous voyons aujourd’hui ont été – souvent littéralement – ​​posées il y a des décennies.

« Les routes sont la clé »

Les intentions du gouvernement d’extrême droite actuel en ce qui concerne la Cisjordanie étaient claires dès le départ. Ses directives de base affirmaient déjà le « droit exclusif et indiscutable du peuple juif sur toutes les parties de la Terre d’Israël », c’est-à-dire sur toute la terre entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée, partagée aujourd’hui par 7 millions de juifs israéliens avec un nombre à peu près égal de palestiniens. Un document de position du centre juridique Adalah a fait valoir que cette stipulation « va plus loin que les principes inscrits dans la loi sur l’État national juif de 2018  » – un ancrage quasi constitutionnel qui, selon le document, a déjà « des caractéristiques claires de l’apartheid » – et servira « à approfondir la suprématie juive et la ségrégation raciale en tant que principes sous-jacents du régime israélien ».

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre des Finances Bezalel Smotrich assistent à une réunion sur le vote prévu du budget de l’État à la Knesset, le 23 mai 2023. (Yonatan Sindel/Flash90)

L’ accord de coalition entre le RZP et le Likud de Netanyahu, quant à lui, s’est engagé à ce que le Premier ministre « travaille à la formulation et à la promotion d’une politique pour que la souveraineté s’étend à la Judée et à la Samarie ». L’accord entre Gallant et Smotrich, qui a conféré à ce dernier des pouvoirs de gouvernance détenus pendant des décennies par l’armée, représente une étape vers la réalisation de cette promesse, une promesse que des avocats et des experts en droits humains ont récemment caractérisé d’acte d’annexion de jure . 

Quant à l’expansion des colonies, le gouvernement ne traine pas. Depuis début 2023, il a avancé la planification de plus de 12 000 nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie, dont plus de 7 000 ont été approuvés pour la construction – des chiffres qui sont en passe de depasser très largement les chiffres équivalents de ces dernières années, et qui n’incluent pas les 16 000 unités avancées à Jérusalem-Est au cours de la même période.

Le cabinet a également décidé en juin d’écourter le processus d’autorisation de la construction de colonies, et, sous le contrôle de Smotrich, l’administration civile – le bras bureaucratique de l’Occupation – a pratiquement cessé de démanteler les structures illégales construites par les colons. En parallèle à ceci, on a vu les démolitions de structures palestiniennes en Cisjordanie au cours de la même période augmenter considérablement. 

En outre, le cabinet a approuvé en février la légalisation rétroactive de 10 avant-postes de colons construits sans autorisation officielle, permettant leur expansion significative. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg : des plans sont en cours pour légaliser 70 autres avant-postes au motif qu’ils ne constituent que des « quartiers » de colonies existantes et non des communautés séparées ; ainsi qualifié, le projet pourrait aller de l’avant sans avoir besoin de l’approbation du Cabinet. Ces mesures ont suscité une condamnation verbale de l’administration Biden, mais rien de plus.

Cependant, selon Hagit Ofran, responsable du projet Settlement Watch de l’ONG israélienne anti-occupation Peace Now, se fixer sur les seules colonies, c’est passer à côté de l’essentiel. « Pour accroître le nombre de colons, ils doivent d’abord améliorer les routes – et c’est ce qu’ils font maintenant », dit-elle au +972, insistant que « les routes sont la clé ».

Des colons juifs travaillent à l’avant-poste de Homesh, en Cisjordanie, le 29 mai 2023. (Flash90)

Et en effet, à côté des améliorations importantes des infrastructures d’eau, d’électricité et de télécommunications crées pour répondre aux besoins des centaines de milliers de colons supplémentaires, la construction est en cours de plusieurs nouvelles routes qui, non seulement réduiront considérablement les embouteillages qui ont affecté le réseau routier des colons ces dernières années, mais qui serviront aussi à éloigner la circulation des villes palestiniennes. En montrant ainsi que les déplacements entre les colonies et les villes situées à l’intérieur de la Ligne verte comme Jérusalem et Tel Aviv seront alors beaucoup plus rapidement effectués et, du point de vue des colons, plus sûrs, Israël sera en mesure d’inciter davantage de ses citoyens à s’installer en Cisjordanie.

Ofran offre comme exemple la « route Liberman » – qui tire son nom de l’ancien ministre des Transports, Avigdor Liberman, sous le mandat duquel sa construction a commencé il y a deux décennies – pour illustrer l’impact que de nouvelles routes peuvent avoir sur la croissance des colonies. 

« Dans les colonies à l’est de Bethléem comme Tekoa et Nokdim, il fallait auparavant contourner Bethléem par le sud pour venir de Jérusalem, ce qui prenait 40 minutes et traversait des villages palestiniens », explique-t-elle. « Dès qu’ils ont pavé la route Liberman, c’est devenu un trajet de 15 minutes. L’ouverture de la route en 2008 a vu se doubler le nombre de colons dans ces colonies en moins de 10 ans. »

C’est le modèle actuellement utilisé dans toute la Cisjordanie. Suite à la construction du by-pass (bretelle de contournement) de Nabi Elias près de la ville palestinienne de Qalqilya en 2017, Israël a commencé les travaux sur le by-pass d’Al-Arroub au sud et le by-pass de Huwara au nord. Une ordonnance de saisie a déjà été émise pour une autre bretelle de contournement qui détournerait le trafic des colons en route vers la colonie de Kedumim, de la ville palestinienne d’Al-Funduq – là où réside Smotrich lui-même. Pendant ce temps, des travaux sont en cours pour doubler de largeur le Tunnel Road (« route des tunnels ») (route 60) afin de faciliter le trajet entre Jérusalem et les colonies de la région d’Hébron, en particulier Kiryat Arba.

Alors qu’Israël présente ces routes comme des projets qui profiteront aux palestiniens de la région ainsi qu’aux colons, la réalité est très différente. Selon Dror Etkes, fondateur de l’ONG Kerem Navot qui surveille de près les développements infrastructurels d’Israël en Cisjordanie, la construction de ces routes nuit aux palestiniens, causant notamment la perte de terres agricoles et l’atomisation des localités palestiniennes.  « Les routes sont des barrières physiques très importantes en termes de la Bantoustanisation de la Cisjordanie », explique-t-il, ajoutant : « Israël s’est spécialisé dans l’utilisation des routes pour couper la contiguïté entre une communauté et une autre qui se trouve à proximité. »

La route qui mène de la colonie de Ma’ale Adumim à Jérusalem, le 13 janvier 2013. (Flash90)

Ces routes sont techniquement ouvertes au trafic palestinien, mais sont conçues spécifiquement pour faciliter les trajets usuels des colons israéliens – en plus, comme le souligne Etkes, « si Israël veut fermer une route aux palestiniens, il peut le faire dans la seconde ». Il cite l’exemple de la route 443 , une grande artère est-ouest coupant en deux la Cisjordanie qui a été modernisée dans les années 1990 : « À l’origine, elle a été goudronnée pour que les palestiniens l’utilisent, mais pendant la deuxième Intifada, Israël a trouvé des moyens de fermer la route aux palestiniens, refoulant le trafic palestinien dans des enclaves, et faisant de la 443 une route, de fait, réservée aux israéliens. » 

« Même idéologie, mêmes moyens »

L’objectif de Smotrich d’atteindre un million de colons n’est point la première proposition du genre. Dès 1978, le mouvement des colons Gush Emunim a soumis un «plan directeur» pour atteindre 750 000 colons en Cisjordanie (sans compter Jérusalem-Est) en l’espace de 25 ans, un plan approuvé par le gouvernement de Menachem Begin. Trois ans plus tard, Matityahu Drobles, alors chef de la division des colonies de l’Organisation sioniste mondiale, a présenté une proposition pour accueillir 1 million de colons en Cisjordanie d’ici 30 ans. 

Bien qu’aucun objectif n’ait été atteint, Yehuda Shaul, co-directeur de l’ONG israélienne Ofek et militant vétéran contre l’Occupation, pense que l’on ne doit pas se fier à la faisabilité de l’objectif final numérique proposé dans de tels plans. « Si vous me demandez s’il est réaliste que d’ici 2050 nous aurons 500 000  colons de plus en Cisjordanie, je dirais que probablement non », dit-il. « Mais dans le passé, quand ils ont dit 1 million en 30 ans, même s’ils n’ont pas atteint ce but là, ils ont tout de même atteint le demi-million. » 

En tout cas, souligne-t-il, « L’essentiel n’est pas le nombre exact qu’ils peuvent atteindre, l’essentiel est ce que la mise en œuvre de ce projet produit au jour le jour : la dépossession et le déplacement des palestiniens, la souffrance sur le terrain, les frictions et les conflits qu’il alimente et perpétue. Le niveau d’investissement [du gouvernement actuel] et le type de changements structurels qu’il apporte vont aggraver la réalité incroyablement inhumaine que nous expérimentons déjà dans les territoires occupés – et ils le font à une vitesse sans précédent. « 

Les forces israéliennes montent la garde alors que des palestiniennes réagissent à la démolition de leurs maisons, située dans la « zone C » de la Cisjordanie, dans la ville d’Hébron, le 28 décembre 2021. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

Discutant de plusieurs de ces développements – y compris la modification par le gouvernement de la loi sur le désengagement, permet aux colons de retourner dans les colonies évacuées il y a 18 ans dans le cadre du retrait israélien de Gaza – Shaul avertit : « Avec ce genre d’extrémistes, si vous leur offrez des victoires, l’imagination politique va très vite et très loin. »

« Le mouvement des colons », dit-il, qui dicte désormais la politique gouvernementale par la bouche de personnalités tel que Smotrich, est « un groupe idéologique très déterminé qui a une vision très claire et utilisera tous les outils à sa disposition pour faire avancer son programme.  Donc 500 000 [plus de colons en Cisjordanie], cela semble fou en effet, mais 250 000 ils y arriveront. »

En fait, les projets visant une telle augmentation ont été élaborés bien avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel. En 2015, Peace Now a obtenu des données du ministère du Logement révélant que, depuis 2012, des plans étaient en cours pour plus de 55 000 logements supplémentaires pour les citoyens israéliens en Cisjordanie, avec la création de deux nouvelles colonies. Ofran estime qu’une telle expansion – dont certaines ont maintenant été approuvées, même si la plupart reste au stade de la planification ou bloquée par la pression internationale – ouvrirait la voie à une augmentation de 250 000 de la population de colons.

Les conséquences directes de tout cela ne sont pas difficiles à imaginer : la démolition certaine de villages palestiniens comme Khan Al-Ahmar , dont la présence est une épine dans le pied lorsqu’il s’agit  des plans de construction exclusivement juifs d’Israël ; l’ expulsion forcée de communautés plus rurales sous de faux prétextes , comme celles qui menacent actuellement  Masafer Yatta ; et l’intensification de la violence des colons soutenue par l’État contre ceux qui osent défier ces forces en restant sur leurs terres, comme les habitants du village désormais dépeuplé d’ Ein Samia . C’est une page classique tirée du guide à la colonialisation plus ancienne que l’Occupation elle-même, et dont la mise en œuvre s’étend à tout le régime foncier d’Israël et continue de provoquer le déplacement des palestiniens qui se trouvent entre le fleuve Jourdain et la mer.

En effet, en plus de l’expansion massive en cours en Cisjordanie, le gouvernement fait avancer la construction de plusieurs nouvelles villes juives dans le Naqab/Negev au sud et dans la Galilée au nord – des zones à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967 qui ont depuis longtemps été au centre des efforts officiels de judaïsation en raison de leur importante population palestinienne, même si celle-ci jouit en principe de la  citoyenneté. A l’heure actuelle, une législation est également présentée à la Knesset pour étendre la compétence des «commissions d’admission» afin d’assurer la ségrégation légale de part de d’autre de la Ligne verte.

Alors que l’État préside en général lui-même aux processus de construction qui ont lieu à l’intérieur de ses frontières officielles, il a parfois permis à de petits groupes de prendre les devants, comme dans le cas d’avant-postes de colons en Cisjordanie. C’est la dynamique qui se joue actuellement à Ramat Arbel, un avant-poste de Galilée qui a récemment reçu l’autorisation du Cabinet .

Le mur de séparation israélien autour des tunnels routiers dans la colonie de Gilo à la périphérie de Jérusalem, le 5 avril 2011. (Nati Shohat/Flash90)

« Un groupe de personnes idéologiquement motivées émerge et agit de facto sur le terrain sans autorisation de construire », explique Suhad Bishara, directeur juridique d’Adalah et chef de l’unité du Centre qui s’occupe du foncier et de la planification. « Ensuite, leurs intérêts s’alignant sur ceux du gouvernement en termes de judaïsation, des budgets plus que commodes ne tardent pas d’arriver. »

Bishara souligne que ces agendas de part et d’autre de la Ligne verte doivent être considérés comme étroitement liés. « C’est le même concept, la même idéologie et les mêmes moyens », dit-elle. « Le principe directeur est d’assurer la domination territoriale et spatiale juive en étendant des outils de judaïsation à travers les territoires qui sont sous le contrôle d’Israël ».

Revenant au plan de Smotrich, Etkes croit savoir pourquoi le législateur flotte le chiffre d’un million lors de réunions avec des responsables du ministère : « C’est pour ainsi dire un dernier clou symbolique dans le cercueil – leur dernier contrat d’assurance contre un éventuel démantèlement des colonies. ” Mais pour Etkes, nous sommes déjà bien au-delà du point de non-retour, et la conversation se déplace à juste titre vers un nouveau terrain. « Tout le monde comprend qu’il n’y aura pas d’État palestinien et que les colonies ne disparaîtront pas– cette histoire est terminée », dit-il. « La question n’est plus comment démanteler, mais de savoir quel type de régime politique prévaudra ici. »

Ben Reiff est rédacteur en chef chez +972 Magazine et rédacteur en chef de la Newsletter chez Vashti Media. Twitter : @bentreyf.

Source : +972 Magazine

Traduction BM pour l’Agence média Palestine

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