L’armée israélienne a fait irruption dans ma chambre et m’a détenu pendant 20 heures, déclare un journaliste brésilien à Jénine

Edrien Esteves, O GLOBO, 5 juillet 2023

Edrien Esteves, 44 ans, se trouvait en Cisjordanie depuis quinze jours pour couvrir la montée de la violence locale lorsque les forces israéliennes sont entrées dans son appartement et ont confisqué du matériel.

Photo: Arquivo pessoal

Il était un peu plus d’une heure et demie du matin lorsque j’ai entendu les premières explosions. Je travaillais dans une chambre que j’avais louée dans un théâtre qui sert d’auberge pour les journalistes et les volontaires dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le territoire occupé de la Cisjordanie.

Je m’appelle Edrien Esteves, je suis né à Santos, j’ai 44 ans. Je suis journaliste indépendant. Je vis à Londres depuis 2017 et j’ai couvert la reprise de Mossoul en Irak, la Grande Marche du retour à Gaza, la crise des réfugiés rohingyas au Bangladesh et la guerre en Ukraine.

Je me suis rendu à Jénine le 19 juin pour couvrir la montée des tensions et des violences dans la ville. J’avais déjà passé près de deux semaines à couvrir des événements locaux, tels que les funérailles de Sadeel Naghnegha, 15 ans, tué deux jours après mon arrivée lors d’un raid de l’armée israélienne sur la ville.

J’ai vu des Palestiniens armés lors des funérailles, ce qui est courant pour les personnes qui se déplacent dans certains quartiers de Jénine. Mais je n’avais jamais vu d’armes là où je résidais. J’ai donc été surpris par ce qui s’est passé aux premières heures du 3 juillet, le jour où l’armée israélienne a entamé sa plus grande incursion à Jénine en 20 ans, lorsqu’elle a fait irruption dans ma chambre, confisqué mon téléphone portable et mon appareil photo et m’a détenu pendant 20 heures.

Je venais d’entendre les premières explosions, j’ai mis un équipement de protection et j’ai fait quelques images de la fenêtre que j’avais l’intention de vendre à des agences internationales. Je suis sorti dans la rue et j’ai filmé les barricades, le bruit des tirs, les gens qui couraient. Lorsque j’ai entendu le bourdonnement du drone, j’ai senti que ce n’était pas sûr et je suis rentré dans le bâtiment. Une caméra peut facilement être confondue avec une arme.

À l’intérieur de l’appartement, j’ai entendu une forte explosion. Lorsque j’ai regardé par la fenêtre, j’ai vu des blindés israéliens. Comme le bâtiment était un centre culturel, on m’avait dit que c’était l’endroit le plus sûr du camp et que l’armée ne s’y rendrait pas parce qu’elle savait qu’elle n’y trouverait pas d’armes.

J’ai immédiatement compris que l’armée allait entrer dans le « Théâtre de la liberté » – le nom de l’endroit. J’ai pris des mesures de sécurité : j’ai allumé les lumières, j’ai écrit sur un morceau de papier sulfité « press » et je l’ai collé sur le réfrigérateur, la première chose que l’on voit en ouvrant la porte. Je me suis mis dans un coin, derrière un mur.

Dès que j’ai entendu le bruit des gens qui se bousculaient à la porte, j’ai commencé à crier « presse, presse, je suis journaliste » et j’ai tendu mes mains pour qu’ils les voient. Ils ont lâché un chien sur moi, mais avec une muselière. Je n’ai pas été blessé.

Les soldats sont entrés, se sont approchés de moi avec leurs armes et m’ont demandé mes références et mes documents, mon téléphone portable et mon mot de passe. Ils voulaient voir les photos. Ils ont demandé l’appareil photo, qui enregistrait par terre. J’ai réussi à sauver l’une des cartes mémoire. Ils ont vu les images, mais ils ne les ont pas effacées.

Ils ont dit qu’ils comprenaient que j’étais innocent, mais ils voulaient savoir si j’avais déjà vu quelqu’un d’armé dans ce bâtiment. J’ai répété plusieurs fois que non, que j’avais vu des gens armés sur le terrain, mais pas dans le théâtre.

Deux d’entre eux sont restés avec moi dans l’appartement, et les autres sont allés fouiller les autres étages où vivent des familles. Nous sommes restés là pendant plus d’une heure. Ils ne m’ont pas agressé ni maltraité, nous avons discuté. Ils m’ont donné de l’eau.

Au bout de deux heures, les autres soldats sont revenus et m’ont dit que je devais les suivre. J’ai dit que je devais prendre mon ordinateur et mon appareil photo, ils ne voulaient pas me laisser faire, mais ils ont fini par céder après que j’ai insisté sur le fait que j’étais journaliste. Je leur ai dit que je voulais rester et que s’ils insistaient pour m’emmener, ce serait une détention.

On m’a emmené à l’étage, dans une maison familiale où se trouvaient deux douzaines de soldats. Ils avaient cassé les murs pour placer les armes. Ils m’ont rendu mon téléphone portable en me recommandant de ne pas y toucher. J’ai vérifié mes messages, et ils l’ont confisqué.

Au bout de trois heures, le jour s’est levé. Je me suis rendu compte qu’ils se préparaient à partir. Mon appareil photo, mon ordinateur et mon sac à dos étaient toujours dans l’autre appartement. Je leur ai dit que je devais aller chercher mes affaires. En partant, un soldat m’a dit qu’il voulait me passer les menottes. Je leur ai dit à nouveau que j’étais journaliste et ils ont changé d’avis.

Leur interprétation était que je devais aller avec eux pour assurer ma propre sécurité, mais je n’étais pas d’accord. Lorsque nous avons commencé à quitter le bâtiment, ils m’ont exposé à des risques inutiles. Ils m’ont escorté dans les escaliers, mais il y avait des combats, beaucoup de tirs, et ils m’ont obligé à porter mes affaires, à courir dans un endroit à découvert.

Nous sommes arrivés à un véhicule blindé où ils emmenaient des Palestiniens avec des scellés aux poignets. À la porte, ils m’ont dit que je devais repartir. J’ai dû refaire le même chemin, en tentant à nouveau ma chance. Nous sommes restés dans l’appartement quelques heures de plus.

Ils ont cassé les murs des maisons pour passer. Dans certaines parties, il n’y a pas de chemin, il faut aller dans la rue et courir. J’avais un équipement lourd, un appareil photo, une valise, un sac à dos, un gilet, un casque, un masque à gaz, une trousse de premiers secours. Il faisait très chaud. Je n’avais pas dormi et je n’avais pas mangé. Je devais porter mes affaires et les suivre dans ce voyage. Je n’arrêtais pas de répéter que je ne voulais pas partir, et ils m’ont dit que je n’étais pas détenu. J’ai dit qu’ils devaient me rendre mon appareil photo et mon téléphone portable, que je voulais rester là-bas, mais ils ont rejeté cette idée.

La scène était une scène de destruction. Nous sommes passés devant une maison où j’ai vu des familles à terre, effrayées, se bouchant les oreilles pour se protéger des explosions. Je n’ai pas vu de personnes maltraitées, mais la situation elle-même plaçait des civils dans une situation terrifiante.

Malgré la frustration d’être empêché de faire mon travail, ce n’est rien comparé aux violations des droits humains dont j’ai été témoin. Ce n’est rien comparé à la souffrance, à l’humiliation et à l’angoisse que des femmes, des hommes et des enfants innocents subissent quotidiennement dans le camp de Jénine.

Nous sommes arrivés dans une autre maison et sommes montés au dernier étage. Ils ont installé toute la famille dans le salon : cinq hommes, trois femmes et un enfant d’un peu plus d’un an. Nous sommes restés dans la pièce avec ces gens, ils ont pris mon appareil photo. Ils ont mis une chaise à la porte et ont monté la garde. Les hommes ont été emmenés et moi, les femmes et les enfants sommes restés, bien que rien d’illégal n’ait été trouvé dans la maison. En fait, je n’ai rien vu d’illégal dans aucune des maisons dont les murs ont été abattus et complètement renversés.

Parfois, je m’assoupissais. Il n’y avait pas d’électricité, l’air conditionné ne fonctionnait pas. Il faisait très chaud. Le bébé transpirait. La maman s’est mise à pleurer et a demandé à descendre dans l’appartement de sa famille. Les soldats ont discuté entre eux, mais ont fini par refuser.

Ils voulaient en savoir plus sur le Brésil, savoir pourquoi j’étais là et si j’étais heureux au Brésil. Ils n’ont cessé de répéter que je n’étais pas détenu. Ils n’ont cessé de répéter la version du gouvernement, à savoir que ceux qui vivaient là étaient tous des terroristes, dangereux, les pires personnes au monde, que je suis brésilien et que je ne devrais pas être là, que je devrais profiter de ma vie.

Bien que le camp de Jénine soit un bastion bien connu des groupes de résistance armés en Cisjordanie, il est un fait que des personnes innocentes y voient leurs droits humains violés et sont tuées, avec la complicité et l’hypocrisie des dirigeants du monde.

Vers neuf heures du soir, je me suis réveillé d’une sieste et j’ai entendu du bruit. Ils étaient déjà debout avec du matériel sur le dos. J’ai demandé si je devais venir et où se trouvaient mon téléphone portable et mon appareil photo. Ils m’ont répondu qu’ils étaient dans la cuisine. Ils sont descendus et m’ont laissée là, seul, dans le noir. J’ai alors réalisé que l’argument selon lequel tout cela était destiné à assurer ma sécurité s’était effondré, puisqu’ils m’avaient laissée seul.

Par la fenêtre, j’ai vu les membres du Croissant-Rouge sortir les gens des maisons détruites. Je les ai accompagnés. J’ai filmé l’évacuation des civils, les dégâts causés aux maisons. J’ai marché jusqu’au centre de Jénine et je suis allé dans un hôtel. Le directeur du premier établissement où j’avais séjourné avait déjà appelé le consulat du Brésil à Ramallah. À l’hôtel, j’ai parlé à l’ambassadeur Alessandro Candeas au téléphone. Je lui ai donné rendez-vous dans un village voisin. Je m’y suis rendu en taxi, et j’ai rencontré l’ambassadeur qui m’a ramené à Jérusalem dans une voiture blindée.

Note: Les forces de défense israéliennes ont été consultées par le journal O GLOBO et ont déclaré qu’elles n’avaient pas enregistré la détention d’un journaliste brésilien au cours de l’opération à Jénine.
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L’offensive militaire est la plus intense depuis 20 ans et a tué au moins 8 Palestiniens.

Voir les photos de l’attaque israélienne en Cisjordanie :
https://oglobo.globo.com/mundo/noticia/2023/07/exercito-de-israel-invadiu-meu-quarto-e-me-deteve-por-20-horas-diz-jornalista-brasileiro-em-jenin-veja-video.ghtml

Voir la vidéo de l’invasion dans la chambre du journaliste:
https://oglobo.globo.com/mundo/video/aumento-da-violencia-em-jenin-11756469.ghtml
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Traduction: D. pour l’Agence Média Palestine


Version originale:

Source: Oblogo.globo.com

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