« J’ai dit à Arafat : Israël te promettra un centimètre et ne te donnera pas un millimètre. »

Se remémorant les accords d’Oslo trente ans plus tard, Hanan Ashrawi, politicienne chevronnée, raconte ses différends avec les dirigeants de l’OLP pendant les négociations et explique pourquoi la crise politique israélienne ouvre des brèches dans le système d’occupation.

Par Meron Rapoport, le 13 Septembre 2023

Quand l’image du Docteur Hanan Ashrawi est apparue sur l’écran de mon ordinateur lors de notre appel Zoom il y a deux semaines, j’ai eu l’impression d’être propulsé dans le passé. Le public israélien et international a appris à la connaître pour la première fois lors de la conférence de Madrid d’octobre 1991, l’un des sommets clés qui ont conduit à ce que l’on appelle le processus de paix. En tant que porte-parole de la délégation palestinienne, Mme Ashrawi a éclipsé, grâce à ses compétences linguistiques et à ses apparitions à la télévision, une jeune star des médias israéliens, Benjamin Netanyahou, qui venait d’être nommé vice-ministre des affaires étrangères à l’époque. Depuis lors, elle est une invitée de marque dans les studios des médias du monde entier, ainsi que dans ceux des Palestinien.ne.s et des arabes.

Mais les négociations officielles entre Israélien.ne.s et Palestinien.ne.s ont cessé il y a près de dix ans, avec l’échec de l’initiative de médiation du secrétaire d’État américain de l’époque, John Kerry. Plus encore, les médias israéliens se sont désintéressés de « ce que pensent les palestinien.ne.s ». Après tout, l’ancien Premier ministre Ehud Barak avait enseigné aux Israélien.ne.s « qu’il n’y a pas de partenaire palestinien pour la paix », alors pourquoi devrions-nous même les écouter ? La seule question que les Israélien.ne.s posent aujourd’hui aux Palestinien.ne.s est de savoir s’ils « luttent contre le terrorisme », c’est-à-dire s’ils aident Israël à exercer son autorité entre le fleuve et la mer.

Pourtant, Mme Ashrawi n’a pas changé d’avis, et elle reste vive, concentrée et riche en détails. Trente ans se sont écoulés depuis qu’elle a été choquée de découvrir – avec d’autres membres d’une délégation Palestino-Jordanienne menant ce qu’ils croyaient être des négociations officielles avec Israël à Washington – que d’autres pourparlers secrets se tenaient à Oslo entre Israël et l’OLP. Dès le début, Ashrawi n’a pas caché ses critiques à l’égard du processus d’Oslo, notamment en ce qui concerne la lettre de « reconnaissance mutuelle », dans laquelle l’OLP reconnaissait l’État d’Israël tandis qu’Israël reconnaissait l’OLP en tant que représentant du peuple palestinien – mais pas le droit des Palestinien.ne.s à la création d’un État. « Lorsque j’ai vu la lettre, j’étais furieuse », m’a-t-elle dit.

Cependant, malgré ses critiques à l’égard du président de l’OLP Yasser Arafat (Abu ‘Ammar) et plus tard de son successeur Mahmoud Abbas (Abu Mazen), Ashrawi faisait partie intégrante de la direction palestinienne et suivait de près les négociations. Elle a occupé pendant une courte période le poste de ministre de l’enseignement supérieur de l’Autorité Palestinienne, a été élue à deux reprises au Conseil législatif Palestinien et a siégé au comité exécutif de l’OLP, où elle était la seule femme parmi les 15 membres.

En 2020, Mme Ashrawi a démissionné de son poste au sein de l’OLP, en signe de protestation contre la décision de l’Autorité Palestinienne de renouveler la coordination de la sécurité avec Israël après l’avoir temporairement suspendue dans le sillage du « Deal du siècle » du président américain Donald Trump. Récemment, elle a été nommée à la tête du conseil d’administration de l’Université de Birzeit, bouclant ainsi la boucle avec l’institution où elle a enseigné la littérature anglaise et a été doyenne de la Faculté des Arts.

Dans son ton élégant et mesuré, Ashrawi regarde en arrière avec colère. Colère contre les Américain.e.s et les Européen.ne.s qui n’ont pas tenu toutes leurs promesses aux Palestinien.ne.s. Colère contre les Israélien.ne.s qui ont utilisé Oslo comme un instrument pour parfaire l’occupation et éloigner les Palestinien.ne.s de l’indépendance. Et la colère – ou peut-être plus exactement la douleur – que les dirigeants ppalestinien.ne.s en exil qui ont signé Oslo n’aient pas réalisé en temps réel qu’Israël les trompait. « Ils ne connaissaient pas les Israélien.ne.s, dit-elle, ils ne savaient pas, par expérience directe, comment fonctionne l’occupation.”

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Peres, signe les accords d’Oslo sur la pelouse de la Maison Blanche. Derrière lui, le président américain Bill Clinton, le président de l’OLP Yasser Arafat, le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le premier ministre palestinien Mahmoud Abbas et d’autres dirigeants mondiaux, Washington DC, 13 septembre 1994. (Avi Ohayon/GPO)

Et pourtant, malgré toutes ces déceptions, Ashrawi n’a pas perdu son optimisme, à la fois parce que les Palestinien.ne.s ne baissent pas les bras et en raison de ce qui se passe en Israël ces jours-ci. Bien qu’elle soit consciente que seule une petite minorité des manifestant.e.s antigouvernementaux israélien.ne.s se soucie de l’occupation, elle pense que les scènes alarmantes des pogroms de colons dans la ville de Huwara, en Cisjordanie, et les brutalités policières contre les manifestants à Tel-Aviv ces derniers mois, auront un impact. « Une fois que l’on commence à enlever le couvercle, c’est comme du pop-corn : tout sort », a-t-elle déclaré.

L’entretien ci-dessous a été raccourci et édité pour plus de clarté.

Je sais que vous avez critiqué le processus d’Oslo dès le début, malgré cela, que pensez-vous que les Palestinien.ne.s aient obtenu grâce à Oslo ?

Je ne peux que répéter ce que les dirigeant.e.s ont dit à l’époque, à savoir que le processus d’Oslo et les accords signés après la Déclaration de Principes ont ramené les dirigeant.e.s de l’OLP chez eux. Pour eux, il s’agissait d’une considération majeure, d’un rêve qui se réalisait ; sans un accord signé, ils n’avaient pas d’autre moyen de rentrer.

Mais si l’on replace tout le reste dans son contexte, on s’aperçoit que le prix à payer était énorme. Cela en valait-il la peine ? Cela valait-il la peine que nos dirigeant.e.s viennent de l’extérieur pour être à la merci de l’occupation ?

Était-ce votre préoccupation depuis le début – la cooptation sous le régime israélien ?

Oui. J’ai dit à Yasser Arafat que cet accord ne lui donnait pas les bases d’une souveraineté ou d’un véritable accès au droit à l’autodétermination, qu’il s’agissait d’un accord administratif fonctionnel. Je lui ai dit de laisser l’OLP à l’extérieur, de déléguer des gens sous l’occupation pour travailler. Il était furieux : « Quoi, vous voulez une direction alternative ? Voulez-vous que l’OLP ne revienne pas ? C’est là tout l’enjeu. » J’ai dit que l’objectif était que vous reveniez librement, en tant que dirigeant.e.s souverains.

On déteste être une Cassandre, mais malheureusement, j’avais raison à 100 %. [L’OLP] jouissait d’un statut et d’une importance considérables, elle jouissait de la loyauté et de l’amour du peuple, et je ne voulais pas la voir diminuée.

Les personnes qui ont décidé d’orienter l’OLP dans cette direction – Arafat, Abu Mazen et d’autres – croyaient-elles vraiment qu’il était possible d’amener les Israélien.ne.s à mettre fin à l’occupation ?

Je pense qu’au début, Arafat pensait que c’était la voie de l’indépendance, de la création d’un État, de la fin de l’occupation et de l’attribution de Jérusalem comme capitale. Il était très enthousiaste à propos du processus, et je pense que la façon dont il a été présenté l’a incité à le croire. Je ne pense pas qu’il se soit assis et qu’il ait lu [l’accord] mot par mot, page par page, ligne par ligne. Ceux qui ont rédigé et signé l’accord n’étaient certainement pas conscients de la nature de l’occupation ou même du système politique en Israël.

Le président palestinien Yasser Arafat avec un convoi de police arrivant à Gaza, 1994. (Moshe Shai/Flash90)

Peut-être que vous, en tant que personne ayant vécu sous l’occupation, et les ami.e.s qui vous accompagnaient dans les délégations à Madrid et à Washington, connaissaient mieux Israël et en doutaient donc davantage ?

Oui, bien sûr. Dans mon discours à Madrid [le discours qu’elle a écrit pour le dirigeant Palestinien et chef de la délégation Haidar Abdel-Shafi], j’ai dit aux Israélien.ne.s : « Nous vous avons vus dans vos pires et vos meilleurs moments. Et l’occupant n’a rien à cacher à l’occupé ». Nous avons vu les dessous de l’occupation. Nous avions vu ce que pouvaient être la solidarité et la lutte commune, et nous avions vu ce que pouvaient être la destruction, la violence, l’oppression et le racisme. Nous devions savoir parce que nous devions survivre, insister, résister.

Est-ce cela qui a fondé votre perception différente de celle [des dirigeant.e.s de l’OLP] qui se trouvaient à Tunis ou auparavant à Beyrouth ?

Il y avait une différence de perspective, car ce que vous voyez dépend de l’endroit où vous vous trouvez et du degré d’exposition que vous avez eue. Dans les années 1980, les Israélien.ne.s étaient prêt.e.s à nous confier toutes les fonctions de l’administration civile [la branche de l’armée Israélienne qui gouverne les territoires occupés], mais nous avons refusé ; nous avons dit que nous n’étions pas des collaborateurs.rices. Je me souviens avoir dit au gouverneur militaire de l’époque que nous étions tout à fait capables de gérer notre vie, mais que nous ne travaillerions pas sous leurs ordres.

Nous [dans les territoires] le savions, mais [les dirigeant.e.s à Tunis] ne le savaient pas. Ils pensaient qu’il s’agissait d’un processus – qu’ils passeraient d’une autonomie temporaire à la liberté, à la souveraineté, au statut d’État, etc. Abu ‘Ammar pensait : « Nous sommes assez intelligents ; donnez-moi un centimètre et je le transformerai en un mètre ». Je lui ai dit : « Tu ne connais pas les Israélien.ne.s. Ils vous promettront un centimètre et ne vous donneront pas un millimètre. »

D’une certaine manière, Arafat et les dirigeant.e.s ont été naïfs.ves, ou est-ce trop sévère ?

C’est trop sévère. Je pense qu’ils.elles pensaient en savoir plus qu’ils n’en savaient. Il y avait aussi une question d’instinct de conservation. L’OLP était confrontée à la destruction : exil, attentats, faillite, assassinats et rivalités internes. C’est une combinaison de facteurs qui a conduit Abu ‘Ammar à accepter la lettre de reconnaissance mutuelle. C’est l’un des documents que je n’avais pas vus. Quand j’ai vu la lettre, j’étais furieuse.

Des Palestiniens manifestent devant les bureaux de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 15 juillet 2013, contre les réunions secrètes entre des responsables de l’OLP et d’Israël. (Issam Rimawi/Flash90)

Qu’est-ce qui vous a rendu furieuse dans cette lettre ?

Elle a donné [aux Israélien.ne.s] le maximum que nous puissions donner. Elle a reconnu le droit d’Israël à exister à l’intérieur de frontières sûres, en échange de quoi ? De la reconnaissance de l’OLP en tant que leader légitime du peuple Palestinien. J’ai dit à Arafat que l’OLP était une organisation que nous avions créée, que nous l’aimions, que nous lui étions loyaux, que nous la servions, que nous la protégions, que des gens avaient été tués en la défendant, mais que ce n’était pas l’objectif. L’objectif est l’autodétermination. Il m’a dit : « L’OLP est la solution ».

Pensiez-vous à ce moment-là que vous pourriez obtenir davantage des Israélien.ne.s ?

Oui. Nous avons négocié avec les Israélien.ne.s pendant longtemps. Nous savions à quel point ils sont difficiles, quel est leur programme, et que ce qui n’est pas dit est plus important que ce qui est dit. Je suis professeure d’anglais ; je connais la signification des mots, et tout ce qui figurait dans la déclaration de principes était un affront aux exigences fondamentales des négociations. L’accord comportait de très graves lacunes et j’ai dit que nous devrions le modifier, mais ils ont répondu que c’était impossible, que nous l’avions déjà amorcé.

Vous avez dit que vous aviez vécu sous l’occupation et que vous connaissiez mieux les Israélien.ne.s. Après 30 ans, est-ce cela que vous attendiez des Israélien.ne.s ou est-ce pire que ce que vous pensiez ?

Bien pire. Je savais que ce que [les Israélien.ne.s] voulaient, c’était réorganiser l’occupation de manière à ne pas limiter leurs pouvoirs, mais à les décharger des responsabilités de l’occupant tout en trouvant un système alternatif. Lors des pourparlers préliminaires, lorsque nous avons discuté du « désengagement », [j’ai compris] que les Israélien.ne.s voulaient se séparer, parce que l’occupation est corruptrice. C’est mauvais pour nous [les Palestinien.ne.s], mais aussi pour Israël.

Mais peu à peu, il est devenu clair qu’ils ne parlaient pas d’un État palestinien et de souveraineté. Ils voulaient garder le contrôle de la terre. Lorsque nous avons entamé les négociations, j’ai demandé le contrôle de la terre et des registres de population. Aujourd’hui encore, les Palestinien.ne.s ne les ont pas.

Je n’ai pas été naïve en pensant qu’ils.elles allaient se retirer. J’étais peut-être naïve parce que je pensais que lorsque les Américain.e.s signaient la lettre d’assurance, ils étaient sincères, ou que lorsque les Européen.ne.s promettaient que nous aurions un État, ils.elles étaient sincères. Je pensais que si nous négociions sur chaque détail des questions essentielles et que nous parvenions à un accord, les mentalités changeraient. Mais je ne pensais pas que ce serait facile.

Des Palestiniens traversent le point de contrôle de Qalandiya, à l’extérieur de la ville de Ramallah en Cisjordanie, alors qu’ils se dirigent vers le complexe de la mosquée Al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem pour assister aux premières prières du vendredi du Ramadan. 10 juin 2016. (Flash90)

La gauche Israélienne a-t-elle été la principale déception pour vous du côté Israélien ?

Oui, complètement. Pas toute la gauche. Les activistes qui manifestaient avec nous – avec qui nous avions une vision commune, qui ont été battus ensemble [avec nous], parfois même arrêtés avec nous – ont progressivement diminué en nombre. Lorsque nous sommes passés de l’activisme à un programme politique, ils sont devenus de plus en plus hésitants. La droite les a effrayés au point que nous avons vu des gens comme [Ehud] Barak ou [Shimon] Peres faire le sale boulot du Likoud.

Pensiez-vous qu’un jour viendrait où la droite Israélienne adhérerait à Oslo et soutiendrait les zones A, B et C ?

[Les zones] A, B et C ont été inventées après la signature de l’accord et m’ont dérangée encore plus que la Déclaration de Principes. Je la trouvais ridicule et absurde. Vous rendez le peuple sous occupation responsable de la sécurité de l’occupant ? Vraiment ? Au lieu d’une dévolution de l’occupation et d’une évolution de l’État, nous avons obtenu le contraire : une évolution de l’occupation et une dévolution de l’État.

Dès que les zones A, B et C ont été proposées, avez-vous craint que nous en arrivions là ?

Lorsque nous avons commencé à négocier l’accord sur Gaza et Jéricho [transfert des deux villes de Cisjordanie sous le contrôle de l’Autorité Palestinienne], j’ai écrit à Abu ‘Ammar pour lui expliquer pourquoi il ne devait pas adopter une telle approche : ne fragmentez pas le territoire, ne dites pas « Gaza et Jéricho », mais l’ensemble de la Cisjordanie et de Gaza. N’adoptez pas une approche progressive, ne séparez pas le peuple de la terre et ne traitez pas les différentes parties de la terre différemment, car ce qui est provisoire devient permanent.

Même dans la zone A, [les Israélien.ne.s] entrent quand ils veulent, font sauter les portes, arrêtent et tuent des gens. Nous sommes un peuple qui a vécu sur cette terre pendant des siècles avec ses noms anciens, et un jour nous nous réveillons et nous nous retrouvons à vivre dans les lettres de l’alphabet ? Je ne veux pas vivre dans l’alphabet, je veux vivre en Palestine.

Je peux vous parler de tous les problèmes, mais il n’y avait pas de responsabilité, pas d’arbitrage, pas de contrôle et de vérification ; Israël pouvait faire ce qu’il voulait. Les Américain.e.s et les Européen.ne.s n’ont jamais demandé de comptes à Israël.

Avez-vous demandé aux Américain.e.s et aux Européen.ne.s ?

Oh, oui. J’ai été chargée des négociations avec les Américain.e.s pendant un certain temps et j’ai demandé pourquoi ils.elles ne mettaient pas en œuvre ce qu’ils avaient écrit dans leur lettre d’assurance [envoyée par les États-Unis avant le sommet de Madrid]. Vous [les États-Unis] avez dit que vous ne reconnaissiez pas l’annexion de Jérusalem par Israël et que vous n’acceptiez pas les colonies. Ils.elles ont répondu : « C’est notre position, mais elle n’a rien à voir avec les négociations ». En d’autres termes, nous croyons ce que nous voulons, mais nous soutenons l’impunité d’Israël.

L’une des critiques, émanant des deux parties, est que le processus d’Oslo s’est déroulé du haut vers le bas – que ni la société Israélienne ni la société Palestinienne n’ont été réellement impliquées. Comment voyez-vous cela ?

Il y avait de la transparence. Lorsque nous revenions [de Madrid], nous organisions des réunions publiques. Nous rencontrions les gens dans les jardins, ils venaient chez moi et ils étaient libres de nous poser des questions. Lorsque nous sommes allés à Madrid, nous avions 40 % de soutien. À notre retour, nous avons obtenu 87 % de soutien en Cisjordanie et à Gaza, parce que nous sommes allés défendre notre peuple et nos droits – c’est ainsi qu’ils.elles nous ont vus.

Des policiers Palestiniens célèbrent leur entrée dans la ville de Jéricho, en Cisjordanie, conformément aux accords d’Oslo, le 13 mai 1994. (Yossi Zamir/Flash 90)

En Israël, je ne sais pas si les personnes qui ont signé l’accord l’ont communiqué au public. Pour moi, le vrai problème, ce sont les négociations dans l’ombre, les canaux détournés… Nous étions heureux.ses de sortir au grand jour et de discuter. Je me souviens que les Israélien.ne.s nous disaient : « Nous n’arriverons à rien si vous parlez aux gens de cette façon ».

Arafat et les dirigeants Palestinien.ne.s vous ont-ils critiqué pour cela ?

Non, mais je pense que la plupart d’entre eux voulaient conserver de la confidentialité. Je me souviens même qu’Abu Mazen m’a dit à un moment donné : « Pourquoi n’irais-tu pas parler aux Israélien.ne.s pour voir ce que tu peux faire ?” Il a toujours cru aux voies détournées. [Mais] cela devrait se faire au grand jour, car il s’agit de la vie des gens.

Votre critique d’Oslo s’est avérée juste, et la réalité est pire que vous ne le pensiez. Mais Oslo existe, l’Autorité Palestinienne existe, et il semble presque impossible de la démanteler. Alors, dans cette situation, que peuvent faire les Palestinien.ne.s pour se libérer ?

L’ensemble du processus d’Oslo n’existe plus. Il est plus honoré par la violation que par le respect. Israël choisit ce qui lui plaît dans Oslo… Oslo était un outil très pratique pour les Israélien.ne.s afin de prendre plus de terres, d’obtenir plus de temps, de créer plus de réalités. Aujourd’hui, ils tiennent les Palestinien.ne.s pour responsables de la sécurité de l’armée. L’armée pénètre dans les zones A et B, alors qu’ils n’autorisent pas les forces de sécurité Palestiniennes à défendre les Palestinien.ne.s.

C’est un dilemme auquel sont confrontés de nombreux Palestinien.ne.s. Voulons-nous préserver ce semblant d’autonomie, construire des institutions ou gérer notre propre vie ? Est-ce le genre de vie que nous voulons ? Tout ce que nous faisons est entaché par l’occupation. Ce n’est pas Oslo en soi, c’est le fait que l’occupation a évolué avec un modèle de comportement conduisant à cette horrible situation de vulnérabilité totale d’une part, et d’impitoyabilité et de violence d’autre part.

Je reformule : dans quelle mesure Oslo et les accords qui y sont liés paralysent-ils la lutte palestinienne ?

Il nous lie les mains à bien des égards. Elle tente de normaliser une situation qui ne l’est pas. Toute personne sous occupation a pour première priorité, pour premier devoir, de résister à l’occupation – de ne pas être qualifiée de terroriste, de ne pas se voir demander de se coucher et de mourir tranquillement et de se rendre.

Toute la logique d’Oslo est considérée comme absurde, mais comment la démanteler ? Si Israël a décidé qu’aucun accord ne le contraint, pourquoi devrions-nous être contraints par un quelconque accord ? C’est le processus de désengagement qui devrait avoir lieu. Ensuite, nous pourrons peut-être avoir un système différent, faire les choses différemment de manière à donner du pouvoir au peuple Palestinien.

Considérez-vous que ce qui se passe actuellement à Jénine et à Naplouse [avec la montée en puissance de groupes militants non partisans dirigés par des jeunes] est un moyen d’autonomiser les Palestinien.ne.s ?

C’est une nouvelle dynamique. Lorsque les gens se sentent vulnérables et sans défense, et que leurs dirigeant.e.s ne les protègent pas, ils doivent prendre les armes et se défendre. Ils gagnent du soutien, les gens les admirent. Les gens ne les considèrent pas comme des terroristes ; aux yeux du peuple Palestinien, ce sont des combattants de la résistance qui défendent les camps, les villes et les villages.

Des combattants palestiniens lors d’une opération aérienne et terrestre dans la ville de Jénine en Cisjordanie, l’une des plus importantes opérations militaires israéliennes dans la ville depuis des années, le 3 juillet 2023. (Nasser Ishtayeh/Flash90)

La jeune génération a une attitude différente. Beaucoup d’entre eux voulaient participer au processus de construction de la nation. Nous avons vu le changement qui s’est produit lorsqu’ils ont annoncé le décret sur les élections [prévu pour avril 2021] : nous avions 36 listes électorales, les gens aspiraient à construire un système démocratique même sous l’occupation. Et quand elles ont été annulées, il y a eu un énorme sentiment de déception. La jeune génération a l’impression de ne pas être impliquée dans l’élaboration de sa vie et de son avenir. Elle a l’impression de payer le prix d’un accord qui n’a rien à voir avec elle. Ils.elles se sentent pris au piège.

L’objectif politique change-t-il également ? Cette nouvelle génération ne veut-elle plus de la solution à deux États, mais plutôt avant tout la démocratie, l’égalité des droits et tout le reste ?

C’est une approche, car il faut aussi dénoncer le système Israélien antidémocratique, autocratique et fasciste qui contrôle nos vies. Mais nous reconnaissons également que nos dirigeants ne nous rendent pas justice et que nous avons besoin de réformes, sans pour autant assimiler les dirigeants à l’occupation. Les blessures auto-infligées sont plus douloureuses que celles infligées par d’autres.

Les personnes instruites, qui étaient censées être l’épine dorsale de l’élite politique montante, parlent maintenant de droits et de liberté. À mon avis, nous ne pouvons pas poser la question d’un État ou de deux États, car ni l’un ni l’autre n’existe. L’État unique, qui prend forme sur le terrain, est le Grand Israël imposé à toute la Palestine historique – un État d’apartheid oppressif, où les Palestinien.ne.s n’ont aucun droit et où les colons deviennent l’instrument de prédilection d’un gouvernement extrêmement raciste.

C’est ainsi que vous expliquez pourquoi un seul État n’est pas envisageable. Mais pourquoi la solution à deux États ne l’est-elle pas ?

Il suffit de regarder autour de soi. Regardez toutes les routes de l’apartheid, les colonies et les terres qu’ils contrôlent. Où allez-vous créer un État Palestinien ? Même dans la zone E1, ils construisent, ils prennent toutes les collines, ils prennent l’eau. Aucune de ces solutions n’est possible aujourd’hui. Nous avons le droit à l’autodétermination… Mais je ne veux pas de souveraineté sur 5 ou 15 % de la Palestine historique. Ce n’est pas un État, ce n’est même pas un mini-État ; c’est une caricature d’État.

Ce dont nous avons besoin, c’est de maintenir notre capacité à rester, notre résilience et nos relations avec le reste du monde. Il y a un mouvement de solidarité qui se développe et s’amplifie. Il y a des gens en Israël qui s’expriment et qui remettent en question l’éthique Israélienne. La gauche s’est réveillée et a vu que ce qu’elle a fait aux Palestinien.ne.s se reproduit à bien des égards pour les Israélien.ne.s. On ne peut pas avoir une démocratie sélective.

Suivez-vous les manifestations en Israël et voyez-vous des failles que les Palestinien.ne.s pourraient exploiter ?

Oui, bien sûr. Il ne s’agit pas seulement de failles. Lors des élections, personne n’a parlé de l’occupation ; ils ont parlé de la pénurie de logements et de fromage blanc, et ont essayé d’éviter l’éléphant dans la pièce. Et ils ont pu s’en tirer pendant un certain temps. Mais aujourd’hui, ils ne peuvent plus.

Des Israéliens bloquent l’autoroute Ayalon lors d’une manifestation contre la réforme judiciaire prévue par le gouvernement israélien et en réponse à la révocation du commandant du district de Tel-Aviv, Amichai Eshed, à Tel-Aviv, le 5 juillet 2023. (Yossi Aloni/Flash90)

Pensez-vous que les Israélien.ne.s y voient un lien ?

Pas tous. Vous regardez des milliers de drapeaux Israéliens, mais vous ne voyez pas seulement un drapeau Palestinien, mais aussi un signe qui parle de l’occupation, de l’oppression d’autres peuples. Il s’agit encore d’une minorité, mais elle se fait de plus en plus entendre… On ne peut pas prétendre à une démocratie isolée, encapsulée, quand ce que l’on fait est totalement antidémocratique, totalement oppressif, totalement illégal.

C’est ce petit groupe qui fera la différence, parce qu’il ne sera pas balayé par la majorité, qui pense que tout ce dont elle a besoin, c’est de conserver la Cour suprême. Nous savons que la Cour s’est prononcée contre nous, nous savons que la démocratie Israélienne était totalement antidémocratique lorsqu’il s’agissait de nous.

Tant que tout était à l’intérieur d’une capsule, agréable et confortable, vous pouviez aller dans les boîtes de nuit et à la plage. Mais dès que vous commencez à enlever le couvercle, c’est comme du pop-corn – tout sort. Vous ne pouvez pas remettre le couvercle et ne pas voir ce que vous avez vu, ou excuser des choses inexcusables.

Ce n’est pas seulement Huwara : c’est la brutalité quotidienne et délibérée. On voit les colons brûler les récoltes, lancer des bombes incendiaires sur les maisons, faire venir leurs troupeaux pour s’emparer des terres et construire de plus en plus d’avant-postes. Les manifestations n’ont pas mis fin à ces pratiques, mais elles les mettent progressivement en évidence et commencent à prendre de l’ampleur. Cela va-t-il continuer et prendre suffisamment d’ampleur pour remettre en question ce qui se passe ici ? C’est la vraie question.

Je pense que ce gouvernement [d’extrême droite] est suicidaire à bien des égards pour Israël. Le danger ne vient pas du Hezbollah ou du Hamas. La vraie menace, ce sont les politiques israéliennes qui ont généré ces éternels clivages irréconciliables. S’il veut continuer ainsi avec Netanyahou, c’est un problème qui va imploser au sein d’Israël.

D’une certaine manière, vous êtes donc toujours optimiste ?

Je suis optimiste parce que les Palestinien.ne.s n’ont pas oublié, ne se sont pas exilés et n’ont pas capitulé. Nous n’avons pas été vaincus. Ce qui rend la droite Israélienne folle, c’est que les Palestinien.ne.s persistent… Pour moi, c’est une source d’espoir.

Meron Rapoport est rédacteur à Local Call.

Source: +972

Traduction ED pour l’Agence Média Palestine

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