Déclaration d’experts internationaux sur les crimes d’État israéliens

Cette déclaration est rédigée et signée par les membres d’une communauté internationale d’universitaires dont l’expertise criminologique dans le domaine de la criminalité d’État est mondialement reconnue. Ce qui distingue notre travail, c’est une compréhension de la criminalité d’État qui dépasse le cadre étroit du droit international, pour se concentrer sur la déviance organisationnelle et les dommages perpétrés dans la poursuite des objectifs de l’État.

Par les expert.e.s et universitaires listé.e.s en fin d »article

Photo par Naaman Omar\ APAimages

Quarante années de recherches approfondies et évaluées par des pairs ont montré que les structures de coercition dont disposent les États, lorsqu’elles sont associées à de faibles mécanismes de contrôle susceptibles d’en limiter l’application, créent les conditions d’un recours illicite à la violence par les États qui cherchent à atteindre par la coercition des objectifs politiques contestés. Il a également été établi que les États ont une capacité disproportionnée à dissimuler, déformer et nier leurs applications criminelles de la violence, et à faire échouer les formes ultérieures de responsabilisation.

Notre communauté scientifique s’accorde à dire que nous assistons actuellement à une intensification de ces risques et de ces tendances à Gaza, à Jérusalem et en Cisjordanie occupée. Les Palestinien.ne.s vivant à l’intérieur des frontières de 1948 (aujourd’hui Israël) sont également très menacé.e.s.

Les preuves cumulées indiquent clairement que, dans une réponse disproportionnée aux meurtres du Hamas du 7 octobre, l’État israélien utilise sa capacité militaire étendue et avancée pour infliger des violences au peuple palestinien à une échelle telle qu’il est juste de la qualifier de phase d’annihilation du génocide.

Les actions d’Israël à Gaza et les actions historiques contre le peuple palestinien correspondent à la fois aux définitions juridiques et criminologiques du crime. Comme l’a écrit Raphael Lemkin, l’auteur du terme génocide, le génocide ne se limite pas à des actes spectaculaires de massacres, mais comprend « un plan coordonné visant à la destruction des fondements essentiels de la vie de groupes nationaux ».

Le génocide est un processus visant à effacer un peuple « en tout ou en partie » sur la base de son identité raciale, ethnique ou religieuse. L’annonce par Israël d’un état de « siège total » de Gaza, coupant l’eau, la nourriture, l’électricité et les fournitures médicales, équivaut à une déclaration claire d’intention de commettre un génocide contre le peuple palestinien en « soumettant délibérément le groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » (Convention sur le génocide de 1948, article 2). L’intention génocidaire de l’État israélien s’incarne également dans les déclarations de ses dirigeant.e.s : Le porte-parole des FDI, Daniel Hagari, a déclaré que « l’accent est mis sur les dégâts et non sur la précision » lorsqu’il évoque les bombardements aériens israéliens, tandis que Netanyahou a menacé de « raser » Gaza en la réduisant « à une île de ruines ». Arial Kallner, membre de la Knesset, a révélé qu' »il n’y a qu’un seul objectif : la Nakba [catastrophe] ! Une Nakba qui éclipserait celle de 1948″. Lorsque le ministre de la défense Yoav Gallant a ordonné un siège total de Gaza, qu’il a décrit les Palestinien.ne.s comme des « animaux humains » et que le président israélien Isaac Herzog a déclaré qu’il n’y avait pas de civil.e.s innocent.e.s à Gaza, les intentions déclarées d’Israël étaient à nouveau claires et explicitement génocidaires. Dans l’Allemagne nazie, au Rwanda, au Cambodge et en Birmanie/Myanmar, l’épithète « non-humain » a sous-tendu et facilité l’extermination massive de « l’autre ». À l’heure actuelle, notre préoccupation n’est pas tant de savoir si ces déclarations constituent une preuve juridiquement concluante d’une intention criminelle spécifique, mais plutôt de voir comment l’utilisation d’un langage aussi ouvertement déshumanisant contribue à un processus génocidaire qui entre actuellement dans une phase particulièrement intense et dangereuse.

Nous savons empiriquement qu’un génocide se déroule sur des années, voire des décennies. Le génocide des Palestinien.ne.s par Israël n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Pour les Palestinien.ne.s, le processus de génocide a commencé en 1917 avec la déclaration Balfour, lorsque la Grande-Bretagne a « donné » leur pays aux sionistes européens à la recherche d’une patrie juive. Il s’est matérialisé par la guerre de 1948, qui a conduit à la création de l’État d’Israël. Au cours de cette catastrophe (la Nakba), des milliers de Palestinien.ne.s ont été tué.e.s et 750 000 ont été chassé.e.s de leur patrie, l’État israélien leur refusant à jamais le droit au retour. Des décennies de dépossession, d’occupation, de violence structurelle, d’expulsion forcée et de discrimination par l’apartheid ont suivi. Nous assistons aujourd’hui au dénouement du génocide perpétré par l’État israélien à l’encontre des autochtones palestinien.ne.s. Nous assistons à une deuxième Nakba.

Lorsque des acteurs organisationnels tels que des États commettent des crimes, ils s’appuient sur la complicité de puissants facilitateurs afin d’exécuter l’activité illicite et d’échapper à la justice. À l’heure actuelle, l’État israélien bénéficie d’une aide matérielle grâce au soutien militaire fourni par des États étrangers (en particulier les États-Unis) et par des fournisseurs internationaux d’armement, dont les exportations sont autorisées par l’État. L’État israélien bénéficie également des services de blanchiment de réputation que lui fournissent les acteurs étatiques, les commentateurs.rices des grands médias, les sociétés de relations publiques et les intellectuel.le.s publics.ques sionistes.

Sur ce dernier point, les expert.e.s en criminalité d’État sont parfaitement conscient.e.s, sur la base d’un grand nombre d’observations, que lorsqu’il y a abus criminel du pouvoir de l’État, même dans des situations de génocide, les institutions étatiques ont une capacité importante à déformer publiquement leurs actions criminelles et à échapper à la justice, en particulier lorsqu’elles sont soutenues par des complices disposant de ressources suffisantes. Elles ont également la capacité de rester sous silence.

Stanley Cohen, l’un des plus grands spécialistes de la criminalité d’État, s’est inspiré de son expérience en Afrique du Sud et en Israël pour documenter les mécanismes utilisés par les États criminels pour déformer et nier leur conduite illicite et faire taire ceux qui condamnent leur comportement déviant. S’inspirant de l’étude classique de Sykes et Matza sur les « techniques de neutralisation », Cohen affirme que ces techniques comprennent le déni de responsabilité, le déni de préjudice, le déni de la victime, la condamnation des auteurs de la condamnation et l’appel à des loyautés supérieures.

Nous avons vu ces techniques de déni utilisées avec une intensité particulière au cours du mois dernier par l’État israélien, les gouvernements alliés, les acteurs.rices des médias grand public et les intellectuels publics promouvant l’idéologie du sionisme, dans une tentative de neutraliser socialement les définitions stigmatisantes de la violence de l’État israélien en tant que criminelle. Dans la situation actuelle, la fausse accusation d’antisémitisme – qui associe la critique légitime des actions génocidaires de l’État d’Israël aux persécutions historiques du peuple juif – en est un exemple, qui sert à condamner celui qui condamne. L’État israélien et ses partisan.e.s s’efforcent également de nier que les victimes du siège, des bombardements et d’autres atrocités – qui sont pour la plupart des femmes et des enfants – sont des victimes. La recherche sur la victimisation des crimes d’État indique que les impacts de cette violence seront étendus, transnationaux et intergénérationnels.

La recherche sur les crimes d’État démontre également que le droit international et les tribunaux qui le servent sont actuellement incapables de répondre de manière adéquate aux crimes d’État pendant et après leur perpétration. Toutefois, il est important de noter que les États signataires de la Convention sur le génocide ont l’obligation d’intervenir pour prévenir et punir le génocide.

Sur la base d’un nombre croissant d’études empiriques, la recherche sur les crimes d’État indique que le mécanisme le plus important pour obliger les États à rendre des comptes lors de la commission de crimes d’État tels que le génocide est une société civile organisée qui utilise de manière créative une série de méthodes facilitant la participation de masse à des formes socialement rigoureuses d’exposition, de condamnation et de perturbation. Cette forme de condamnation massive doit être organisée, répétitive, à grande échelle et résiliente si l’on veut réussir à définir la violence de l’État comme criminelle et si l’on veut perturber de manière significative les actions illicites des acteurs criminels.

Cela suggère que chaque citoyen.ne peut jouer un rôle essentiel aujourd’hui en condamnant et en perturbant les crimes de l’État israélien. En participant à des formes de protestation organisées localement, à des mouvements de solidarité non violents tels que Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) et à des manifestations de masse, la société civile a le pouvoir de démanteler les structures d’apartheid génocidaire de l’État israélien. Une lourde responsabilité incombe aux sociétés civiles dont les propres États sont directement impliqués dans la facilitation du crime de génocide de l’État israélien ou dont les industries fournissent des matériaux utilisés par les FDI pour exécuter des violences illicites.

Stanley Cohen écrit à ce sujet : « Le test de la reconnaissance n’est pas notre réaction réflexe à un journal télévisé, à un mendiant dans la rue ou à une publicité d‘Amnesty, mais la manière dont nous vivons entre ces moments. Comment poursuivons-nous notre vie normale en sachant ce que nous savons ? »

La recherche sur les crimes d’État suggère que la réponse à cette question aura un impact déterminant sur l’intensité et la durée de la séquence actuelle des crimes d’État israéliens, sur l’ampleur du génocide et sur l’ampleur des souffrances humaines qu’il induit. L’amplification des demandes pour un cessez-le-feu immédiat, la fin de l’occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie, la fin de la complicité internationale et le soutien au mouvement palestinien BDS sont des mesures essentielles par lesquelles la société civile peut faire respecter les droits de l’homme fondamentaux face aux violations systématiques commises par l’État israélien.

Déclaration signée par :

Penny Green, professeur de droit et de mondialisation, Queen Mary, Université de Londres et fondatrice/codirectrice de l’Initiative internationale contre la criminalité d’État
Kristian Lasslett, professeur de criminologie à l’université d’Ulster et fondateur de l’Initiative internationale contre la criminalité d’État
Jude McCulloch, professeur émérite, Monash University
Bill Rolston, professeur émérite, université d’Ulster
Jeremy Keenan, professeur invité, Queen Mary, Université de Londres
Steve Tombs, professeur émérite, The Open University
Louise Wise, maître de conférences en sécurité internationale, Université du Sussex
Dawid Stańczak, maître de conférences en criminologie, Université d’Ulster
Thomas MacManus, maître de conférences en criminalité d’État, Queen Mary, université de Londres et codirecteur de l’initiative internationale sur la criminalité d’État
Raymond Michalowski Arizona Regents Professor, Emeritus, Northern Arizona University
Rachel Seoighe, maître de conférences en criminologie, Université du Kent
Dawn L. Rothe, Professeur, Florida Atlantic University
Ronald C. Kramer, Professeur de sociologie, Western Michigan University
Elizabeth Stanley, professeur de criminologie, Te Herenga Waka/Victoria University of Wellington
Gregg Barak, Professeur émérite, Eastern Michigan University
Hazel Cameron, chercheur principal honoraire, Université de Stirling
David Whyte, professeur de justice climatique, Queen Mary, université de Londres
Phil Scraton, professeur émérite, faculté de droit, Queen’s University Belfast
Robert J. Barsocchini, chercheur doctorant, Université d’Hawaï à Manoa
Elizabeth A. Bradshaw, professeur de sociologie, Central Michigan University
Pablo Ciocchini, chercheur, Conseil national de la recherche scientifique et technique d’Argentine
Rob White, professeur émérite de criminologie, Université de Tasmanie, Australie
Chris Williams, universitaire indépendant, University College London (anciennement)
Martha K Huggins, Professeur de sociologie, Université de Tulane
Scott Poynting, professeur adjoint, Université Charles Sturt et QUT
Renata Meirelles, maître de conférences en histoire, Université rurale, Seropedica, Brésil
Chris Cunneen, professeur de criminologie, Jumbunna Indigenous Research Centre, Université de technologie de Sydney
Roberto Catello, maître de conférences en criminologie, Liverpool Hope University
Angela Sherwood, maître de conférences en droit, Queen Mary University of London
Tony Ward, professeur de droit, Université de Northumbria
Kirsten McConnachie, professeur d’études socio-juridiques, université d’East Anglia
Richard Falk, Chaire mondiale de droit international, Université Queen Mary de Londres
Hilal Elver, professeur de recherche, Université de Californie Santa Barbara
Rhiannon Bandiera, maître de conférences en criminologie et codirectrice du Centre de recherche en justice internationale, Université de Maynooth, Irlande
Nicola Perugini, maître de conférences en relations internationales, Université d’Édimbourg
Henrietta Zeffert, maître de conférences en droit, University College Cork
José Carlos Moreira da Silva Filho, professeur de criminologie au sein du programme d’études supérieures en sciences criminelles, Université catholique pontificale de Rio Grande do Sul/Brésil
Dilmira Matyakubova, chercheuse en doctorat, Université d’Ulster
Vicki Sentas, maître de conférences, Faculté de droit et de justice, Université de Nouvelle-Galles du Sud
Maria Giannacopoulos, professeur associé et directrice du Centre de criminologie, de droit et de justice, Université de Nouvelle-Galles du Sud
Dr Azadeh Sobout, chercheur post-doctoral et enseignant en criminologie transfrontalière, Queen’s University Belfast
Michael Grewcock, maître de conférences (retraité), Faculté de droit et de justice, UNSW Sydney
Marília de Nardin Budó, professeur titulaire, Université fédérale de Santa Catarina, Brésil
Alejandro Forero-Cuéllar, maître de conférences, Université de Barcelone
Sacha Darke, maître de conférences en criminologie, Université de Westminster

L’International State Crime Initiative considère que le terme « crime » englobe toutes les violations des droits de l’homme qui sont déviantes dans le sens où elles enfreignent une norme socialement reconnue. Leur conception des droits de l’homme reflète les grands principes qui sous-tendent le droit international, mais ils.elles ne pensent pas que la portée précise de leurs enquêtes en tant que criminologues ou spécialistes des sciences sociales doive être déterminée par les juristes. Ils.elles considèrent que les États comprennent tous les organismes qui cherchent à obtenir le monopole de l’usage légitime de la force sur un territoire substantiel, qu’ils soient ou non reconnus internationalement comme des États. Les crimes d’État sont des crimes commis ou tolérés par le personnel de ces organisations dans la poursuite de leurs objectifs. Par exemple, si un seul agent de police accepte un pot-de-vin, il ne s’agit pas nécessairement d’un crime d’État. Mais si le gouvernement ferme les yeux sur les pots-de-vin parce que c’est le seul moyen pour la police d’obtenir un revenu raisonnable, ou si les pots-de-vin font partie d’une stratégie informelle de contrôle du trafic de drogue local, il s’agit alors d’un crime d’État.

Source: International State Crime Initiative

Traduction ED pour l’Agence Média Palestine

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